Médiator : fiasco sanitaire et faillite d’un système
Condamner « un choix cynique » et un « sinistre pari ». Après neuf heures d’un réquisitoire marathon, à l’image de ce procès-fleuve du Mediator qui aura duré neuf mois, la procureure Aude Le Guilcher a demandé au tribunal de condamner les laboratoires Servier à la peine maximale encourue. Au total, le ministère public a requis une amende d’un montant de 8,2 millions d’euros contre la firme.
Pointant les conséquences « dévastatrices » de la mise sur le marché du Mediator, les « dissimulations », les « manœuvres » et « stratagèmes » engagés par le laboratoire pour maintenir la commercialisation du Mediator, et ce malgré les pathologies cardiaques encourues par des millions de patients, la magistrate a également réclamé une peine de trois ans de prison ferme contre l’ex-numéro 2 du groupe Servier, Jean-Philippe Seta. Une amende de 200.000 euros a été demandée à l’égard de l’Agence de sécurité du médicament, jugée « défaillante » par le ministère public dans ce dossier.
« Acharnement », « jusqu’au-boutisme » et « cynisme »
Au cours d’un réquisitoire technique et implacable, Aude Le Guilcher a fustigé « l’acharnement » et le « jusqu’au-boutisme » déployés par le laboratoire depuis le début de ce scandale sanitaire et jusqu’aux derniers jours de ce procès majeur. « Les laboratoires Servier ont démultiplié à l’envi les demandes de contestation et recours comme rarement on le voit dans le cadre d’une affaire correctionnelle », a-t-elle déploré en préambule. Un « inlassable combat procédurale » qui illustre, selon elle, une firme « prête à tout pour maintenir, coûte que coûte, le Mediator sur le marché ».
Tout au long de l’instruction et dès les premières alertes émises par des médecins prescripteurs du Mediator ou dans diverses études scientifiques, les laboratoires Servier se sont attachés, selon le parquet, à « jeter le discrédit » et « rejeter leur propre responsabilité sur d’autres ». « Mais à qui appartenait-il, si ce n’est au laboratoire Servier, d’alerter ? Personne ne connaît mieux son médicament qu’une firme qui le produit, et qui plus est quand il s’agit d’une molécule maison », a lancé Aude Le Guilcher aux prévenus.
Dissimulations et tromperies
Pour le ministère public, les laboratoires se sont rendus coupables de toutes les infractions qui leur étaient reprochées. Dès la mise sur le marché du Mediator en 1976, l’entreprise Servier s’est illustrée, selon la magistrate, par une volonté de « tromper » et « dissimuler ». Commercialisé comme un adjuvant au traitement du diabète mais fréquemment détourné comme coupe-faim, le Mediator aurait été prescrit à près de cinq millions de patients pendant plus de trente ans. Retiré du marché en novembre 2009 alors que des alertes ont émergé dès le milieu des années 90, ce médicament est accusé d’avoir provoqué des maladies du cœur et des poumons et est tenu pour responsable de centaines de morts.
« Les patients consommateurs et les médecins prescripteurs ont été laissés totalement dans l’ignorance tant sur la nature réelle du produit – un anorexigène – que sur ses risques. Ce défaut d’information a eu des conséquences désastreuses puisqu’il n’a pas permis aux médecins de faire le lien entre le Mediator et des valvulopathies ou des cas Hypertension Artérielle Pulmonaire (HtAP) », a poursuivi la procureure. Pour le parquet, c’est cette dissimulation initiale, cette « faute originelle » qui a entraîné la commission de toutes les autres infractions – de la tromperie aux homicides ou blessures involontaires.
Des questions sans réponse
Installées quelques rangs devant de la magistrate, face aux prévenus, plusieurs parties civiles ont attentivement écouté ces réquisitions particulièrement attendues. Une attente mesurée par Aude Le Guilcher qui a toutefois averti : « Si la justice pénale a bien pour objectif de parvenir à la manifestation de la vérité, elle ne saurait avoir la prétention de toujours y parvenir complètement (…) Dans ce dossier, malgré l’ampleur des investigations réalisées (…) certains questionnements et attentes légitimes de la part des parties civiles et plus largement de nos concitoyens, resteront sans réponse ».
Lors de son réquisitoire, l’actuelle cheffe du pôle santé du parquet de Paris a également pointé la responsabilité de l’agence nationale de sécurité du médicament. Une agence jugée « incapable de prendre les mesures qui s’imposaient au vu du rapport bénéfice risque pour les patients », « incapable d’être à l’écoute et de tirer les conséquences des alertes nombreuses qui venaient de l’extérieur » et « incapable de percer ce brouillard » volontairement distillé par la firme, a-t-elle vilipendé.
Concentrées sur la responsabilité du laboratoire, ces réquisitions ne signent pas tout à fait la fin de ce procès titanesque. Egalement mis en cause dans ce dossier, plusieurs anciens responsables et experts des autorités de santé sont soupçonnés de conflits d’intérêts avec les laboratoires Servier. Un second volet qui sera développé ce mercredi par sa collègue du parquet, Cristina Mauro. Les avocats de la défense eux clôtureront ces neuf mois de débat. Le procès doit se terminer le 6 juillet.
..le volet « trafic d’influence » renvoyé en septembre Après deux mois d’interruption, le procès a repris mardi mais l’absence du principal prévenu a entraîné la disjonction de ce volet emblématique. Place aux plaidoiries, à partir du 9 juin...
Le procès du Mediator s'est ouvert il y a un peu plus de quatre mois, le 23 septembre dernier, devant le tribunal correctionnel de Paris. Poursuivis notamment pour tromperie aggravée, et homicides et blessures involontaires, les laboratoires Servier sont mis en cause dans la mort de centaines de patients, traités avec ce médicament. Présenté comme un antidiabétique, le Médiator était largement prescrit comme coupe-faim, pour aider à maigrir.
Durant cette première partie de procès, le groupe Servier a essuyé de nombreuses critique venues des victimes, mais aussi de plusieurs témoins.
Le dernier en date, c'est Xavier Bertrand. Le président de la région Hauts-de-France venait d'être nommé ministre de la Santé, en 2009, lorsque le scandale a éclaté. Il est venu déposer jeudi, et il n'a pas été tendre avec l'entreprise. "La compassion était un mot étranger qui leur était totalement étranger", a-t-il notamment fustigé, dénonçant une "volonté de dissimulation" du groupe. "Dès le début, j'avais le sentiment qu'on allait se faire balader par Servier", ajoute l'ancien ministre.
Avant lui, le Dr Irène Frachon, qui a lancé l'alerte, est venue au début du procès raconter comment elle a mis au jour les décès liés au Mediator, et sa lutte avec l'Agence française pour la sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), dans "une ambiance de pression et de menaces absolument invraisemblable". Accusant surtout Servier d'avoir "acheté le silence" des victimes, elle a dit être "inconsolable".
Isabelle, qui a pris du Mediator pendant "onze longues années", est l'une des victimes venues déposer à la barre, au début du mois. Son médecin lui avait présenté le médicament comme le "produit miracle" pour sa surcharge pondérale. "Je n’ai perdu aucun kilo", lâche cette ex-guichetière de La Poste. Elle qui avait un "coeur de sportif" sera opérée en 2007 pour un "double remplacement" des valves cardiaques. A sa maladie se sont ajoutés un divorce, plusieurs dépressions, une cinquantaine d’arrêts de travail et un temps partiel aménagé avec perte de salaire. "C’est toute votre vie qui est foutue", lâche-t-elle.
Plus atypique, le témoignage de Chantal Audu, 59 ans, a marqué le procès. Elle fait partie des quelque 400 participants à un essai clinique des laboratoires Servier demandé par les autorités sanitaires pour évaluer l’état cardiaque de patients ayant pris du Mediator. Quand éclate le scandale du Mediator, cette Landaise ne se sent pas "concernée", malgré l’inquiétude de son cardiologue. En 2006, elle avait bien donné son consentement pour un "protocole à l’aveugle" pour traiter son diabète, sur les conseils de son généraliste, "un ami" avec qui elle partageait souvent "des plateaux de fruits de mer". Jamais le nom du Mediator n’est évoqué, ni les risques encourus. Quand on lui diagnostique une insuffisance cardiaque en 2011, elle se bat "six mois" pour récupérer son dossier médical et constate, "surprise", que sa dernière échographie du coeur a tout simplement "disparu"... "Victime sans le savoir» du Mediator, Chantal Audu a «le sentiment d’avoir été un "cobaye" des laboratoires Servier.
L'Agence du médicament, un prévenu embarassant et embarassé
Son rôle est de veiller à ce que les Français puissent prendre leurs médicaments sans risque. Or, c'est pour "homicides involontaires par négligence" que l'Agence nationale de sécurité du médicament (ex-Afssaps) est jugée dans le procès du Mediator. Un véritable camouflet pour l'institution.
"Ce produit a été utilisé en dehors de ses indications légales. Le caractère anorexigène (du Mediator, NDLR) n'était pas connu de l'Agence", s'est défendu Jean-Michel Alexandre, l'un de ses cadres jusqu'en 2000.
A la barre, les anciens de l'Afssaps appelés à témoigner étaient sur la défensive. Ils ont décrit une agence aux services cloisonnés, débordés, avec des salariés très spécialisés, qui ne communiquent pas entre eux. "Tout le monde faisait au mieux. Il y avait une charge de travail importante, c'est comme les urgences aujourd'hui !", a ainsi expliqué Arielle North, responsable des affaires réglementaires jusqu'en 1998.
Comme le rapportait Le Monde fin novembre, l'ex-numéro 2 de Servier, Jean-Philippe Seta, a présenté des regrets à la barre. Cet homme de 66 ans est le seul prévenu physique poursuivi pour tromperie et homicides involontaires -le fondateur du groupe, Jacques Servier, est en effet mort en 2014.
"Je suis écrasé, bouleversé par ce cortège de tragédies" a déclaré Jean-Philippe Seta, expliquant qu'il "assumerai[t]". "La seule chose que je souhaite démontrer, c'est qu'il n'y a jamais eu de manquement délibéré ou de faute intentionnelle", a-t-il ajouté. L'ancien directeur général a notamment pointé le travail de l'Afssaps, qui ne se serait pas assez inquiété. "Nous n'avons pas assez rué dans les brancards", juge Jean-Philippe Seta.
En procès devrait entrer bientôt dans une nouvelle phase. A partir de la mi-février, le tribunal devrait concentrer ses travaux sur les conflits d'intérêt reprochés à d'anciens experts des autorités de santé, en lien avec Servier dans leurs activités.
Il était arrivé depuis deux jours au ministère de la Santé, en novembre 2010, quand le scandale a éclaté.
«Le premier responsable, c'est Servier»: l'ex-ministre de la Santé Xavier Bertrand a dénoncé jeudi 6 février à Paris au procès de l'affaire Mediator une «volonté de dissimulation» et les «manoeuvres» du groupe pharmaceutique, ayant conduit selon lui à ce scandale sanitaire.
Xavier Bertrand est arrivé depuis deux jours au ministère de la Santé, en novembre 2010, quand le scandale éclate. On évoque alors «à la radio» au moins 500 morts en lien avec la prise de ce médicament, un antidiabétique largement prescrit comme coupe-faim, se remémore-t-il à la barre du tribunal correctionnel.
Ce sont presque cinq millions de personnes qui ont consommé du Mediator pendant les 33 ans de sa commercialisation par Servier, jusqu'à son retrait en novembre 2009, en raison de risques cardiaques. La «priorité», c'est alors d'informer les patients, affirme l'actuel président (ex-LR) de la région des Hauts-de-France.
Pour «faire toute la lumière sur le drame», le ministre a diligenté l'Inspection générale des affaires sociales (Igas). Le rapport d'inspection, remis en janvier 2011, est accablant pour le laboratoire - qui le jugeant «partial» a voulu l'écarter des débats -, mais aussi pour le système du médicament, qui a «failli» gravement, souligne M. Bertrand. Une série de mesures seront prises pour réformer le système du médicament, visant à une plus grande transparence entre experts et laboratoires. L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (Afssaps) est rayée de la carte et remplacée en 2012 par l'ANSM, également sur le banc des prévenus.
Le groupe pharmaceutique a reproché à l'audience à Xavier Bertrand d'anciens propos qualifiés d'«accusatoires» sur la «responsabilité première et directe» des laboratoires. Il les a assumés et répétés : «Qui a produit le Mediator? Qui par ses manoeuvres a empêché d'y voir clair? Le premier responsable, c'est Servier».
Il a évoqué notamment «l'attitude» du groupe, qui avait de son propre chef retiré le Mediator en Espagne et Italie, en 2003 et 2004, parce qu'il ne voulait pas selon lui «qu'une quelconque comparaison soit faite avec deux autres médicaments, deux coupe-faims», l'Isoméride et le Ponderal, retirés en 1997 en raison de leur toxicité.
«Il y a une volonté de dissimulation de certains faits», tonne Xavier Bertrand. «Je ne suis pas juge, je suis témoin», précise-t-il, coupé par l'un des avocats du groupe Servier, François de Castro: «Vous êtes accusateur!». «Vous avez toujours stigmatisé les laboratoires Servier, vous portez atteinte à la présomption d'innocence!», a enchaîné avec véhémence Me Hervé Temime, autre défenseur de la firme.
«Mais si tel est le cas, pourquoi aucune action (en diffamation, ndlr) n'a été engagée à mon encontre», lui rétorque Xavier Bertrand.
Plus tôt, il taclait l'incapacité du groupe à «assumer ses responsabilités» envers les victimes.
Les laboratoires Servier sont notamment jugés pour «tromperie aggravée» et «homicides et blessures involontaires», une dernière qualification également retenue contre l'Agence du médicament, poursuivie pour avoir tardé à suspendre le Mediator. Douze personnes morales, dont des anciens experts, comparaissent également jusqu'à fin avril.
Par Le Figaro avec AFP
Les laboratoires Servier commencent à répondre, cette semaine, à une nouvelle accusation : le fait d'avoir escroqué la Sécurité sociale et les mutuelles.
C'est un courrier du 7 décembre 2009 adressé par les laboratoires Servier à Philippe Lechat, directeur de l'évaluation des produits pharmaceutiques au sein de l'Agence nationale du médicament, de 2007 à 2012, et à son homologue portugaise, Cristina Sampaio. Dans cette lettre de huit pages, rédigée en anglais, que Le Point a pu consulter, deux cadres du groupe pharmaceutique (Mathieu Weitbruch et Patricia Maillère) tentent de convaincre leurs interlocuteurs, alors chargés d'une enquête européenne sur le Mediator, de l'efficacité de ce produit dans le traitement du diabète, alors même que ce dérivé d'amphétamine vient d'être retiré de la vente sur le marché français, en raison de sa dangerosité.
En cette année 2009, le Portugal a été chargé par l'autorité européenne responsable de la surveillance des produits de santé (l'EMA) d'examiner la possibilité d'interdire le Mediator à l'échelle du continent. La direction du groupe Servier a beau pointer le fait que le Mediator représente alors une part infime de son chiffre d'affaires, elle tente, une dernière fois, d'éviter que ce produit dont elle a écoulé plus de 110 millions de boîtes, entre 1976 et 2009, soit interdit.
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Évoqué, pour la première fois, le 14 janvier dernier, lors de la déposition devant le tribunal correctionnel de Paris de Philippe Lechat, ce courrier illustre l'opiniâtreté avec laquelle les dirigeants du groupe Servier ont tenté, en dépit d'études cliniques pointant la toxicité du Mediator, de maintenir l'inscription de ce produit au rang de « médicament » puis d'« adjuvant » dans le traitement du diabète. Contacté, à plusieurs reprises au cours du mois de janvier, le laboratoire pharmaceutique n'a pas souhaité réagir sur ces points.
C'est au titre de sa prétendue efficacité dans l'abaissement du taux de glycémie des personnes qui en consommaient que le benfluorex (son nom générique) a été remboursé, dès 1976, par la Sécurité sociale. « Le Mediator agit au carrefour des métabolismes lipidique et glucidique. Il combat ainsi plusieurs facteurs fondamentaux liés au risque athérogène », expliquait alors doctement la notice rédigée par son fabricant.
Mis en vente au prix de 5 euros, la boîte, le Mediator a bénéficié d'un taux de remboursement de 65 % de 1976 à 2009. Et jusqu'à 100 % lorsqu'il était prescrit à des diabétiques. « Ce n'était pourtant pas un antidiabétique, mais seulement un anorexigène », pointe le cardiologue marseillais Georges Chiche, qui a, le premier, signalé les dégâts causés par la métabolisation de son principe actif sur les valves cardiaques, notamment. Comme l'a souligné, le 13 janvier, l'ancien vice-président de la Commission d'autorisation de mise sur le marché des médicaments Jean-François Bergmann, au cours d'un témoignage « à charge » des laboratoires Servier, la reconnaissance des effets antidiabétiques du Mediator se fondait sur l'effet principal des anorexigènes. Ces produits sont en effet des coupe-faim. Or, « lorsqu'on ne mange pas, on fait forcément diminuer sa glycémie en forçant l'organisme à puiser dans ses réserves », a expliqué ce professeur de médecine, qui a siégé, de 1996 à 2002, à la Commission de la transparence, l'organisme chargé d'évaluer « le service médical rendu » par les médicaments.
« Dès la fin des années 1960, Jacques Servier avait compris que ce positionnement sur le marché des antidiabétiques pouvait être rentable. Dans une note datée de 1969, il écrit ainsi que cette qualité d'antidiabétique est de nature à lui permettre d'écouler 400 000 boîtes par mois », relève Georges Holleaux, avocat de la Sécurité sociale, qui estime avoir été escroquée en remboursant un produit qui n'aurait jamais dû être qualifié de médicament. « C'est sur la base de ces prétendues propriétés thérapeutiques que le Mediator a été pris en charge si longtemps par l'assurance-maladie », tonne l'homme de loi, qui précise que « le remboursement du Mediator était, bien sûr, un facteur de succès et de popularité de ce produit ».
Les caisses primaires d'assurance-maladie ne sont pas les seules à demander aujourd'hui des comptes au groupe Servier. « Des dizaines de mutuelles ont également remboursé ce prétendu médicament au titre du régime complémentaire », expose Hélène Lecat, l'avocate de six mutuelles du Groupe VYV, parmi lesquelles figurent la MGEN (mutuelle de l'Éducation nationale) ou Harmonie mutuelle… « Sans compter que mes clients ont, évidemment, payé les frais médicaux liés à l'aggravation de l'état de santé des personnes ayant consommé du Mediator », complète la jeune femme. « Les malades qui se sont vu prescrire du Mediator, parfois sur de très longues périodes, ont le sentiment d'avoir été instrumentalisés par le laboratoire pharmaceutique dans le cadre d'une vaste escroquerie, impliquant aussi des responsables des autorités de santé peu scrupuleux », complète l'avocat de plus de 370 victimes Charles Joseph-Oudin.
Dans ces conditions, le discours de Jacques Servier prononcé en janvier 2011, lors de la cérémonie de vœu, à ses employés résonne de manière particulière. « Les diabétiques sont des malades sympathiques », affirmait-il alors. L'enregistrement de ses propos avait suscité une certaine émotion, chez les parties civiles, lorsqu'il avait été diffusé, le 27 novembre, dans l'enceinte du palais de justice. Cinq millions de personnes ont consommé du Mediator, en France, pendant les trente années où il a été disponible en pharmacie. Combien d'argent cela représente-t-il ? Le chiffrement est en cours.
« Mais les montants de cette escroquerie sont faramineux », relève Hélène Lecat. Les débats consacrés à ce sujet vont débuter le 5 février. Les premières estimations devraient alors émerger. « Nous aborderons aussi la question de la responsabilité du groupe Servier dans un domaine qui dépasse de très loin la simple question patrimoniale. Nous parlerons de la confiance trahie entre les malades et l'industrie pharmaceutique, d'une part. Mais également entre les patients et les autorités de santé », conclut l'avocate, qui plaide, dans ce dossier avec d'autant plus de conviction, qu'elle est, elle-même, diabétique.

Les avocats des parties civiles chiffrent les indemnités des patients qui estiment avoir été trompés par les laboratoires Servier.
Par Baudouin EschapasseComment indemniser les victimes d'une tromperie ? Combien donner aux malades du Mediator pour réparer les dommages qu'ils ont subis ? Et dans quelle proportion chiffrer les préjudices de ceux qui, ayant consommé ce produit pharmaceutique toxique, n'ont pas, pour autant, développé de pathologie associée ? Au terme de plus de quatre mois et demi de débats, la question affleure aujourd'hui à chacune des audiences du tribunal correctionnel qui doit déterminer les responsabilités pénales dans cette affaire. Après dix-huit semaines de débats, une vérité judiciaire s'esquisse progressivement dans ce procès-fleuve des laboratoires Servier, de ses dirigeants, mais aussi de l'Agence du médicament et de ses experts. La nature toxique de la molécule intervenant dans le benfluorex, commercialisé de 1976 à 2009, n'est plus contestée par la défense.
Pour les victimes, les mensonges du groupe Servier sautent désormais aux yeux. « Les avocats des laboratoires se sont enfermés dans une défense qui consiste à nier, contre toute évidence, que ses dirigeants n'ont pas dit la vérité. Ou, à tout le moins, pas toute la vérité », relève Martine Verdier, avocate d'une centaine de victimes qui intervient dans ce dossier depuis plus de dix ans. La plupart de ses confrères, intervenant pour les parties civiles, semblent être sur la même longueur d'onde.
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Les instructions données par écrit par Jacques Servier à ses équipes commerciales semblent leur donner raison. Notamment une note interservices de 1969, saisie lors de perquisitions effectuées en 2012 au siège du laboratoire. Dans ce document, le fondateur du groupe enjoint à ses équipes commerciales de ne pas dévoiler la nature « anorexigène » du Mediator. Plusieurs fois évoqué lors du procès qui a débuté le 23 septembre, « cet écrit traduit clairement la volonté de cacher au public, mais aussi aux autorités de santé, la parenté existant entre le Mediator et l'Isoméride ou le Pondéral, retirés de la vente en France en 1997 en raison de leur toxicité », évoque Georges Holleaux, l'un des avocats des parties civiles.
« Dissimulation », « camouflage », « enfumage », les mots prononcés à la barre par les experts sollicités par les parties civiles, notamment par Jean-François Bergmann, le 13 janvier, et Philippe Lechat, le 14 janvier, accréditent cette thèse. Si la direction du groupe Servier explique ne plus être dans le déni sur la toxicité du Mediator, elle se refuse néanmoins à reconnaître avoir menti… Du moins sciemment. Elle se contente, pour l'heure, d'avancer une « erreur d'appréciation » dans le bilan bénéfice-risque de ce qui a longtemps été présenté comme un médicament antidiabétique et se révèle être un simple « coupe-faim ».
Au fil des dépositions des victimes, mais aussi de celles de nombreux professeurs de médecine et de pharmacie qui se sont penchés sur cette molécule, se précise pourtant le fait que la dangerosité de sa consommation était connue de très longue date. Certains experts la font remonter, au vu d'études que le groupe Servier prétend ne pas avoir lues, au début des années 1970.
La métabolisation dans l'organisme de son principe actif provoque des maladies graves : la valvulopathie (qui se traduit par une destruction progressive des valves cardiaques) et une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) dont l'évolution se révèle souvent fatale pour les malades qui se sont vu prescrire ce produit. Il ressort des témoignages entendus, à commencer par celui d'Irène Frachon, que 2 000 morts environ ont été causées par ce produit.
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Audience après audience se dessine le scénario qui a conduit les autorités à permettre la mise sur le marché du Mediator : un intense lobbying du laboratoire auprès des autorités. Le témoignage de l'épidémiologiste Catherine Hill, entendue le 23 janvier par le tribunal correctionnel de Paris, a éclairé les magistrats sur le climat dans lequel travaillait l'Agence du médicament. Les juristes des laboratoires Servier multipliaient ainsi les courriers à leurs interlocuteurs de l'Agence.
Les pièces versées au dossier indiquent que cet incessant lobbying du groupe Servier a fini par payer. « Le Mediator n'a ainsi pas été classé dans la catégorie pharmacologique des anorexigènes en raison des indications thérapeutiques revendiquées par les laboratoires », relève l'avocate Sylvie Topaloff. « Ce qui a détourné l'attention des médecins chargés de son évaluation et empêché que ceux-ci ne se penchent sur les effets indésirables que provoquait la molécule du benfluorex sur le cœur et les poumons des patients qui en consommaient », poursuit Charles Joseph-Oudin.
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Pour les avocats des mis en cause, Servier n'aurait rien fait d'autre que de se comporter comme tous les laboratoires pharmaceutiques de la place. Reste aujourd'hui à savoir pourquoi les experts n'ont pas réagi plus vite lorsque les premiers signaux d'alerte ont été lancés. Là où l'Agence du médicament française autorisait la mise sur le marché du Mediator en 1976, la Belgique refusait, de son côté, qu'il soit mis en vente en 1978.
Dès 1995, la parenté chimique du benfluorex et de la fenfluramine (intervenant dans l'Isoméride et le Pondéral) aurait dû conduire à s'interroger sur la sécurité d'emploi de celui-ci. La déposition du cardiologue marseillais, Georges Chiche ainsi que les témoignages des dirigeants de la revue médicale Prescrire qui n'ont cessé de tirer la sonnette d'alarme depuis 1998 démontrent que les effets indésirables du Mediator auraient dû être pris en compte plus tôt. Aux États-Unis, le même produit a ainsi été interdit dès 1997. En Suisse, il a disparu des pharmacies en 1998. En Espagne, en 2003. Et en Italie, en 2004. En France, il aura fallu attendre novembre 2009 !
Les défaillances des dispositifs de pharmacovigilance hexagonaux sont patentes. Les experts ont beau se renvoyer la balle, les faits sont là. Sur les 5 millions de personnes exposées au Mediator, plus de 10 000 hommes et femmes demandent aujourd'hui à être indemnisés. Mais comment les dédommager ? C'est tout l'enjeu des débats des prochains jours au palais de justice. Pour justifier leurs demandes, les avocats des victimes, à commencer par Charles Joseph-Oudin qui représente 376 patients, s'appuient largement sur deux jurisprudences qui ont marqué le droit de la santé ces dernières années: celle de l'affaire dite du « sang contaminé » établie entre 1999 et 2003 et celle de l'amiante qui a fait l'objet d'un retentissant arrêt de la Cour de cassation en 2010.
Dans la première affaire qui résulte du drame sanitaire qu'a constitué la contamination de milliers de personnes (souvent hémophiles) par le virus du sida et de l'hépatite C, au cours de transfusions sanguines, dans les années 1980 et 1990, la reconnaissance de la responsabilité du Centre national de transfusion sanguine et de ses dirigeants a été suivie par l'établissement d'un barème d'indemnisation. Les magistrats ont alors retenu le fait que « les victimes avaient subi deux types d'atteintes : l'une physique (l'atteinte à leur intégrité corporelle), l'autre contractuelle (la relation de confiance légitime que peut avoir un patient pour un établissement de santé ayant été rompue) », explique Charles Joseph-Oudin. « Toutes les personnes transfusées ont alors été indemnisées, qu'elles aient contracté le virus du sida ou pas », se rappelle Georges Holleaux, qui s'était battu à l'époque pour ces victimes.
Dans les nombreux procès de l'amiante, les magistrats ont établi que l'épée de Damoclès sur la tête des personnes ayant été exposées tout au long de leur vie professionnelle à des particules cancérigènes constitue une anxiété préjudiciable. Cette jurisprudence a établi l'existence d'un « préjudice d'angoisse » indemnisable. Elle sera également avancée par les avocats des victimes. « Le caractère exceptionnel des infractions commises appelle une réparation exceptionnelle », avance Charles Joseph-Oudin.
« Nous sommes ici dans une affaire de tromperie gravissime : ce n'est pas une affaire de téléphone dont la batterie s'épuise plus vite que ne le dit la publicité. Nous parlons de produits de santé et de vies amputées par des médicaments », poursuit-il, soulignant qu'il retiendra que le mobile des mensonges de Servier était de faire de l'argent sur le dos des diabétiques. « Le mensonge a été double », surenchérit Martine Verdier. « On a fait passer un produit dangereux pour un médicament. Et tout cela pour rien puisque ce médicament ne soignait rien », soupire-t-elle. « Le mobile est crapuleux », enchaîne Charles Joseph-Oudin, qui dénonce la spirale dans laquelle des experts se sont retrouvés entraînés pour « couvrir » ce mensonge.
Les avocats des victimes du Mediator demanderont 100 000 euros de dommages et intérêts pour chacune des victimes asymptomatiques et 200 000 euros pour celles dont la santé a été irrémédiablement altérée par le Mediator. Des montants cohérents avec ceux obtenus dans l'affaire du « sang contaminé » (70 000 à l'époque), sachant que le mensonge des autorités avait, à l'époque, duré moins longtemps. « Là, on a menti pendant trente ans », souligne Martine Verdier. « Le but est de s'assurer qu'un tel crime ne profitera pas au groupe pharmaceutique qui l'a commis », pointe Charles Joseph-Oudin. « Sur la période que couvre le tribunal, le groupe a gagné 579 millions d'euros. Si l'on veut vraiment dissuader les laboratoires pharmaceutiques de recommencer, il faut frapper fort », assène-t-il.
Du côté des laboratoires Servier, on avance qu'au 31 décembre 2019 le groupe pharmaceutique a pris ses responsabilités en proposant des indemnisations à 3 803 patients « pour un montant total de 182,2 millions d'euros, dont 152,5 millions ont d'ores et déjà été versés ». Une affirmation que plusieurs associations appellent à relativiser en dénonçant un « double discours de Servier » sur ce sujet.
Lors de sa déposition, hier, l'ancien vice-président de la Commission d'autorisation de mise sur le marché des médicaments a accablé le groupe Servier.
Jean-François Bergmann est un témoin clé dans le procès du Mediator. Il a, en effet, coprésidé la Commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM) des produits pharmaceutiques de 2003 à 2012. Ce médecin de 65 ans, qui a fait l'essentiel de sa carrière à l'hôpital Lariboisière à Paris, avait précédemment été vice-président de la Commission de la transparence, l'organisme chargé d'évaluer « le service médical rendu » par les médicaments de 1996 à 2002.
Dans ces deux positions, il a pu voir les efforts mobilisés par le groupe Servier, fabricant du Mediator, pour obtenir non seulement le feu vert des autorités pour commercialiser ce dérivé d'amphétamine, pourtant toxique, mais aussi et surtout pour garantir son remboursement par la Sécurité sociale. Présenté par le laboratoire pharmaceutique comme un médicament antidiabétique, ce produit a, de fait, été remboursé, pendant près de trente ans, pour 65 % de sa valeur par le régime d'assurance maladie (obligatoire et complémentaire). Et même à 100 %, lorsqu'il était prescrit à des diabétiques.
Le groupe Servier avait « un positionnement atypique » dans le paysage hexagonal, a-t-il commencé. « Si l'on observe les médicaments développés par ce laboratoire, on se rend compte qu'il s'est concentré sur trois types d'organes ou, du moins, trois types de fonctions : la première, neuro-psychique, qui englobe le traitement de la dépression, de l'excitation ou de la faim ; une deuxième qui porte sur les fonctions vasculaires, notamment l'hypertension ; une troisième qui couvre les fonctions métaboliques comme le diabète », a-t-il déclaré. Les « médicaments » développés par cette entreprise ont été présentés, à tour de rôle, dans chacune de ces catégories, donnant l'impression d'être interchangeables. Ce que le professeur a résumé d'une formule : « C'étaient des couteaux suisses. »
« Il suffit de consulter les notices-patient des produits Servier pour s'en rendre compte », a-t-il poursuivi. « Les indications thérapeutiques contenues à l'article 4.1 de ces notices et les propriétés pharmacodynamiques, présentées dans leur article 5.1, n'ont souvent rien à voir », a souligné M. Bergmann. Arguant de résultats de tests réalisés sur les rats ou les lapins, la plupart des médicaments de Servier se trouvaient « proposés dans » ou « indiqués pour » différents traitements, parfois très éloignés des effets attendus initialement des molécules qui les composaient. Il en a cité trois exemples.
Le Mediator était, on le sait maintenant, un coupe-faim (ou anorexigène). Ce qui n'a pas empêché le groupe Servier de le « vendre » comme un antidiabétique car, « lorsqu'on ne mange pas, on fait forcément diminuer sa glycémie en forçant l'organisme à puiser dans ses réserves ». Le Pneumorel, à l'origine un anti-inflammatoire, a été commercialisé, à partir de 1973, en tant que sirop « antitoux ». Il a fini par être retiré du marché, en toute discrétion, en novembre dernier, en raison de sa dangerosité. Dernier exemple, un produit contre les hémorroïdes (le Daflon) des mêmes laboratoires Servier, toujours en vente aujourd'hui, est présenté à la fois comme un remède contre les problèmes capillaires cutanés, les saignements (métrorragie) chez les femmes portant un stérilet et la baisse d'acuité du champ visuel d'origine vasculaire. Une véritable panacée !
Le professeur a émis un jugement sans appel sur le catalogue de médicaments produits par le laboratoire, suscitant des réactions outrées sur les bancs du public, où étaient installés une poignée de salariés du groupe venus soutenir Jean-Philippe Seta, ex-numéro deux du groupe, et Emmanuel Canet, représentant légal de l'entreprise, qui comparaissent devant le tribunal correctionnel de Paris depuis le 23 septembre.
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Appelé à se concentrer sur le Mediator par la présidente du tribunal, Sylvie Daunis, le médecin a souligné, lors des questions-réponses avec les avocats des parties civiles, qu'« on ne peut pas comprendre la crise du Mediator sans comprendre comment fonctionne le groupe Servier ». Un groupe que le praticien hospitalier a qualifié de « particulièrement difficile à gérer ». L'une des avocates de victimes, Sylvie Topaloff, lui a demandé de préciser pourquoi il présentait cette entreprise en ces termes. « À l'hôpital, il y a toujours 20 % des malades qui font 80 % des problèmes. Pour le groupe Servier, c'est un peu la même chose. C'est le laboratoire qui, en permanence, revient à la charge (après une commission), modifie une virgule dans un compte rendu de réunion, demande un ajout dans une communication », a émis le professeur, rappelant à la barre « les échanges pénibles (qu'il avait eus) avec l'avocat de Servier » quand l'instance qu'il coprésidait s'était penchée sur les effets indésirables du Protelos (un médicament désormais cantonné au traitement de l'ostéoporose sévère, NDLR). « Avec ce laboratoire pharmaceutique, tout n'est qu'argutie et discussions interminables. Au bout d'un moment, c'est éreintant », a-t-il conclu.
Les représentants des laboratoires Servier ont riposté en sous-entendant que le professeur aurait sans doute eu la dent moins dure avec le groupe Servier si Bergmann avait été rémunéré par lui. François de Castro, défenseur du laboratoire, a ainsi énuméré les nombreux groupes pharmaceutiques avec lesquels le vice-président de la Commission de l'AMM a collaboré. Pêle-mêle : Sanofi, Novartis, GSK, Bayer ou encore Nicomède. Ce à quoi le professeur Bergmann lui a rétorqué que ces contrats de « conseil en développement » chez les groupes cités figuraient tous dans sa « déclaration d'intérêts ». Et que c'est lui qui ne voulait pas travailler pour Servier.
Poussé dans ses retranchements sur un éventuel mélange des genres, le professeur a assuré que « les liens d'argent pèsent moins que les liens affectifs », citant une étude réalisée sur un produit Sanofi où il avait été « investigateur principal » alors même qu'il était rémunéré par le même laboratoire. « Cela ne m'a pas empêché de dire que leur médicament était mauvais. Dans ce genre d'étude, vous ne pouvez pas mentir. Vous avez un groupe A et un groupe B. Chaque groupe prend le médicament ou un placebo. Les statistiques sont là pour trancher la question de son efficacité », a-t-il affirmé, n'en accusant pas moins Servier d'études « biaisées ».
Reste que le plus terrifiant de son témoignage a résidé dans la description de la manière dont travaillait, jusqu'en 2012, l'instance chargée de l'instruction des dossiers de médicaments. Outre le fait que l'intéressé a confié à la barre n'avoir jamais lu son règlement intérieur et a reconnu, de facto, que les dispositions éthiques qui y figuraient étaient appréciées de manière élastique. « Seules les personnes ayant un lien d'intérêt majeur avec un laboratoire s'abstenaient de prendre part aux débats », a-t-il concédé. Et la nature de ce lien était appréciée au cas par cas.
L'instance semblait, par ailleurs, très sous-dimensionnée par rapport à la masse et à l'ampleur des décisions à prendre. « Nous étions un peu noyés », a reconnu le médecin, décrivant les séances de la Commission d'autorisation de mise sur le marché comme hâtivement préparée. Le professeur a ainsi cité l'exemple d'une séance de 2011 (« Nous en comptions deux par mois, en général le jeudi ») où chaque membre avait reçu, le lundi précédent, près de 619 pages de documentation sur chacun des 51 médicaments examinés ce jour-là. Trois jours pour lire 619 pages ! « Sans compter les dossiers que nous découvrions en réunion : sur table », a-t-il indiqué, précisant que chaque décision se prenait alors en moins de… vingt minutes. « C'est-à-dire dans des conditions difficiles. Surtout pour des gens qui font ça bénévolement », a admis Jean-François Bergmann.
Les proches de Pascale Saroléa, décédée en 2004 d’une valvulopathie après une prise de Mediator, témoignaient ce jeudi devant le tribunal correctionnel de Paris
Les mots ont jailli comme un flot. Quinze ans après la mort subite de sa mère, Lisa Boussinot n’a rien oublié de cette nuit du 8 mars 2004. « Je vais vous raconter ce qu’il s’est passé, parce que j’étais là et parce que ma mère est morte dans mes bras », a-t-elle lancé à la cour ce jeudi, trois mois après l’ouverture du procès du Mediator.
Avec son père Frédéric et son frère Guillaume, cette avocate de 36 ans est à l’origine de la première plainte déposée pour « homicide involontaire » dans ce scandale visant les laboratoires Servier. Leur mère et compagne, Pascale Saroléa, est décédée à 51 ans d’une rupture des cordages des valves cardiaques après deux années de prise régulière de Mediator. Tour à tour ce jeudi, ils sont venus dire leur « colère » à l’égard des laboratoires Servier et leurs attentes, après dix ans de combat judiciaire.
« Je vais mourir »
Les débats techniques menés depuis plusieurs mois devant le tribunal correctionnel de Paris ont laissé place ce jeudi au récit implacable, presque insoutenable, des dernières minutes de Pascale Saroléa. « Je suis dans ma chambre et j’entends, vers 1h du matin, des bruits inhabituels. Je monte, je retrouve mes parents debout. Ma mère est très agitée, complètement affolée, elle crie, elle se plaint de ne plus pouvoir respirer », relate Lisa Boussinot. Jusqu’à l’arrivée des pompiers appelés par son père, la jeune fille, âgée à l’époque de 21 ans, tente de rassurer sa mère.
« J’essaie de l’apaiser, je savais pas qu’elle était en train de mourir en fait. Elle n’arrivait pas à reprendre son souffle et de la mousse blanche et rosée sortait en abondance de sa bouche et de son nez », poursuit la fille de la victime.
« Au moment où les pompiers arrivent, ma mère me regarde et me dit " je vais mourir ". Et j’ai senti son dernier souffle ».
Dans la salle, le public est pétrifié. Au premier rang, la pneumologue de Brest à l’origine de l’affaire, Irène Frachon, peine à cacher son émotion.
« Pour nous, au départ, c’était une fatalité »
Si ce décès a été si « brutal » pour toute la famille, c’est que « rien ne le laissait présager », a tenu à rappeler Frédéric, le compagnon de Pascale Saroléa. Plusieurs rapports d’expertise ont en effet démontré que la quinquagénaire ne souffrait d’aucun trouble cardio-vasculaire avant sa prise de Mediator. Soucieuse de perdre un peu de poids après avoir arrêté de fumer, cette inspectrice de l’Education nationale, « gaie, engagée et dynamique », entame sa prise du médicament en 2002. Un an plus tard, elle commence à souffrir de difficultés respiratoires. Une hypertension artérielle lui est diagnostiquée, puis une insuffisance aortique. À aucun moment, le Mediator n’est identifié comme source de ces troubles.
« Pour nous, au départ, c’est une fatalité. On sait qu’elle est décédée d’un œdème pulmonaire, mais c’est tout. Alors on se dit que c’est la faute à pas de chance. On encaisse pendant six ans avant de découvrir le livre d’Irène Frachon », raconte la fille de Pascale Saroléa. C’est son père, Frédéric, qui tombe cette année-là sur un article publié dans le Nouvel Observateur. Très vite, la famille contacte Irène Frachon et lui transmet les éléments du dossier médical de la victime. « Elle nous confirme que ça ressemble à ce qu’elle dénonce dans son livre ». La fatalité laisse place à la colère : « On comprend qu’il y a des responsables derrière la mort de ma mère décédée à 51 ans. Et on veut savoir la vérité », explique la jeune femme à la barre.
Sanctionner « les manquements du passé »
Mise en relation avec l’avocat Charles-Joseph Oudin, la famille est la première à porter plainte pour homicide involontaire dans ce dossier. Un statut qui va entraîner, de la part des Laboratoire Servier, une contre-attaque violemment vécue par Lisa Boussinot. « Jacques Servier a tenu des propos très violents à l’égard de la victime que je suis. Il avait qualifié les trois personnes décédées dans ce dossier, dont ma mère, d’incident bruyant et de chiffres marketing », se souvient-elle. Qualifiant la gouvernance de l’entreprise de « mafieuse », elle a tenu à dénoncer à la barre le « système Servier » : « Dans ce système, les vies abîmées, on s’en fout. On crie au complot, à une instruction à charge. Ça veut dire quoi ? Que moi, la fille d’une victime, je fais aussi partie d’un clan qui a comploté contre Servier ? ».
Après des années d’enquête, le lien entre le Mediator et le décès de Pascale Saroléa a finalement été établi par l’Oniam (Office national d’indemnisation des accidents médicaux), un expert judiciaire et l’instruction. Face aux trois magistrats désormais chargés de juger l’affaire, Lisa Boussinot a émis un ultime souhait : « Vous avez une mission d’œuvre de justice très délicate. Avec mon père et mon frère, ce qu’on attend maintenant, c’est que vous sanctionniez les manquements du passé. Et par cette sanction, que l’on s’assure que ça ne se reproduise plus. »
« Le laboratoire n’a pas perçu le niveau de risque comme il l’aurait dû ». Cette phrase a été prononcée à la barre par Emmanuel Canet, représentant de Servier au procès du Mediator. Le laboratoire, qui a commercialisé pendant 33 ans le Mediator, un médicament tenu pour responsable de centaines de morts, a concédé avoir eu « une mauvaise appréciation du risque » et avoir fait « une erreur d’analyse ».
Le laboratoire comparaît notamment pour tromperie, homicides et blessures involontaires.
Servier charge l’Agence du médicament
Emmanuel Canet parle de la « responsabilité » du laboratoire mais charge systématiquement l’Agence du médicament, qui compte également parmi les prévenus pour sa passivité jusqu’en 2009. « L’analyse nous la faisons de façon conjointe avec l’Agence. Nous ne sommes pas les seuls », dit celui qui dément que le laboratoire ait eu « la volonté de tromper ou de dissimuler » afin de maintenir le médicament sur le marché. « On n’a pas pris conscience qu’on se trouvait dans une situation semblable à celle des fenfluramines », affirme-t-il, loin de convaincre les parties civiles.
En 1997, Servier a retiré de la vente deux médicaments coupe-faim, l’Isomeride et le Ponderal, de la famille des fenfluramines, après le recensement de nombreux cas d’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), une maladie rare et grave. Ils contenaient de la norfenfluramine, une substance toxique également présente dans le Mediator.
« Pas une évidence à l’époque »
« Les patients et les médecins ont-ils été suffisamment informés des effets secondaires du Mediator ? », interroge la présidente Sylvie Daunis. « L’information n’a pas été à la mesure du risque », reconnaît Emmanuel Canet. Mais « ce qui paraît être aujourd’hui une évidence ne l’était pas à l’époque », se défend-il.
« A tort, nous n’avons pas fait d’études cas témoins », affirme le représentant de Servier. Les cas connus d’HTAP et de valvulopathie étaient trop peu nombreux, selon lui.
Il a fallu attendre 2009 et la pneumologue Irène Frachon pour que le scandale éclate. Dans un premier temps, le laboratoire a demandé une restriction de prescription au lieu d’un retrait du médicament.
Mais au procès, dix ans plus tard, Emmanuel Canet répète : la décision du retrait « était la bonne. Il fallait la prendre ».
20 Minutes avec AFP
Plusieurs victimes du Mediator, entendues jeudi par le tribunal, ont raconté comment ce médicament, commercialisé pendant 33 ans, avait « gâché » leur vie.
Lorsque les malades du Mediator ont pris la parole, au matin du 21 novembre, un grand silence s'est fait dans la salle Victor-Hugo, au deuxième étage du nouveau palais de justice de Paris. Stéphanie Mellet, 49 ans, a ouvert la journée par de bouleversants sanglots.
Submergée par l'émotion et la colère, cette petite femme en long kilt rouge a demandé à plusieurs reprises pardon à la présidente du tribunal pour ces instants où les pleurs l'ont empêchée de poursuivre sa déposition. « Vous n'avez pas à vous excuser, madame », lui a, à chaque fois, répondu Sylvie Daunis, qui préside depuis le 23 septembre les débats du procès du scandale du Mediator. « Je suis venue crier mon désespoir, vous dire ma souffrance. J'attends beaucoup, beaucoup de ce procès », a insisté Stéphanie Mellet, soutenue par son avocat Charles Joseph-Oudin.
Le Mediator, qui était présenté comme un antidiabétique, a largement été prescrit comme coupe-faim. Utilisé par cinq millions de personnes pendant les 33 ans de sa commercialisation, il est tenu pour responsable de centaines de morts.
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Après s'être vu prescrire trois comprimés par jour, pendant trois ans, Stéphanie Mellet a reçu un courrier de la Sécurité sociale fin 2009, au moment où le Mediator a été retiré du marché. « On m'a demandé de passer une échographie cardiaque », dit-elle. L'examen a révélé que ses valves cardiaques étaient irrémédiablement abîmées. « À tout juste 40 ans, on m'a annoncé que mon cœur était malade et qu'à tout moment, je pouvais tomber dans la rue et mourir. Comprenez-vous ce que cela veut dire ? C'est terrifiant ! »
Tête rentrée dans les épaules, les deux seuls prévenus présents, Michel Detilleux, médecin à l'hôpital Cochin, sollicité par le laboratoire comme expert, et Emmanuel Canet, représentant légal de Servier, se sont alors tassés un peu plus sur leur siège. Jean-Philippe Seta, président opérationnel du groupe Servier, et Dominique Martin, directeur général de l'Agence du médicament (nommé après le retrait du Mediator), quant à eux, ne sont pas venus ce jeudi matin.
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« Je suis fatiguée dès le réveil. J'ai l'impression d'avoir soixante ans. Je ne peux plus faire de vélo, ni de marche à pied. Je suis en colère, bourrée de haine. On m'a donné un produit qui devait me guérir. Au lieu de ça, on m'a empoisonnée et j'ai maintenant une épée de Damoclès au-dessus de la tête », a poursuivi Mme Mellet.
Ce qu'elle a retenu de la consultation au cours de laquelle son endocrinologue lui a prescrit le Mediator, c'est son extrême brièveté : « Ça n'a duré qu'un quart d'heure », résume-t-elle. Autre détail frappant à ses yeux : le fait que « le docteur avait la boîte bleue (de ce composé amphétaminique) posée sur son bureau ». Le groupe pharmaceutique lui a écrit à deux reprises pour lui proposer une indemnisation. Elle a refusé. « C'était trop facile », s'énerve-t-elle, dix ans plus tard.
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Michel Due, 76 ans, lui succède à la barre. Ce retraité du BTP raconte, à voix presque basse, comment sa vie a, pour lui aussi, basculé à cause du Mediator. « J'étais un grand sportif. Je ne peux maintenant même plus jouer aux boules », glisse-t-il. Essoufflé, fatigué, sujet à des malaises, il a dû se faire opérer à cœur ouvert. « Depuis, ma valve mécanique fait tic-tac dans ma poitrine. Cela me réveille la nuit. »
Face aux prévenus présents, le septuagénaire ne s'emporte qu'à un seul moment. « Ils faisaient quoi avec nous ? Ils gagnaient de l'argent et nous utilisaient comme cobayes ! » lâche-t-il, avec rage, avant d'ajouter : « Sauf que d'habitude, les cobayes ne payent pas, mais se font payer. »
Rappelant le coût de sa prothèse cardiaque (30 000 euros) et le prix du traitement qu'il doit désormais suivre (16 000 euros par mois, selon ses dires), Michel Due raconte ensuie le coma dont il a miraculeusement réchappé après son opération. Le retraité souligne, à plusieurs reprises, que sa vie est irrémédiablement gâchée.
Même constat chez Odette Tedga, 59 ans, qui a pris de l'Isoméride (également commercialisé par Servier) jusqu'à son interdiction en 1997, puis du Mediator de 1999 à 2005. « Je ne comprends pas la tromperie », explique cette Franco-Camerounaise qui n'a pas été indemnisée par les laboratoires. « Pour l'être, il faut le demander », lui rétorque la présidente du tribunal. Sans emploi (« j'étais aide à la personne, mais je ne peux plus »), cette mère de quatre enfants vit aujourd'hui des minima sociaux.
Patricia Picot, 67 ans, a pris du Mediator pendant vingt ans. Opérée en 1994, elle s'est vu prescrire « ce poison », comme elle le nomme désormais, à sa sortie d'hôpital alors même qu'on venait de lui changer ses valves cardiaques. Il a ensuite fallu lui en implanter d'autres, mécaniques celles-là, dont le bruit l'angoisse en même temps qu'il la rassure. Patricia aussi a cru mourir. « Après mon opération [comme elle ne se réveillait pas], on a dit à mes filles que c'était fini. Je ne sais pas comment je suis revenue. En tout cas, je me sens très diminuée », dit-elle.
Ancien fonctionnaire au ministère de l'Intérieur, Jean-Marc Le Dréan, 63 ans, vient, pour sa part, témoigner en mémoire de son père, décédé en 2011. Il lit l'historique médical du disparu dont trois valves ont été atteintes après qu'il a été sous Mediator de 1996 à 1999 puis de 2007 à 2008.
Il compare le groupe Servier au docteur Petiot, un des plus célèbres tueurs en série du XXe siècle, guillotiné en mai 1946 après sa condamnation pour le meurtre de 27 personnes, principalement des juifs qui essayaient de fuir la Gestapo. « Je sais que je vais peut-être un peu loin et que ce raccourci peut être brutal », reconnaît-il, la voix tremblante de colère et d'émotion. « Mais, dans les deux cas, le mobile était mercantile », ajoute-t-il. Se tournant vers la présidente du tribunal correctionnel de Paris, il exprime publiquement ce que plusieurs victimes, rassemblées ce matin-là autour d'Irène Frachon silencieuse, n'ont cessé de formuler face aux journalistes qui les interrogent depuis le début du procès.
« Je souhaite que l'existence du laboratoire soit mise en cause », assène-t-il. « Rien ne fera revenir les morts. La disparition de cette entreprise serait l'unique moyen de nous assurer qu'elle ne recommencera pas de telles abominations », conclut-il.
À une autre victime du Mediator, Sylvie Daunis avait dit, peu de temps avant : « Le tribunal essayera de prendre la décision la moins mauvaise possible. » En attendant son jugement qui devrait tomber en avril prochain, le groupe Servier, accusé de « tromperie aggravée » et de « blessures et homicides involontaires », doit commencer à répondre à ces accusations à partir de la semaine prochaine.
La revue « Prescrire » a décortiqué les 108 millions d'euros distribués entre 2012 et 2018 par le laboratoire pharmaceutique français fabriquant le Mediator.
Le titre est sobre : « La firme Servier, un financeur de poids du monde médical ». Mais le contenu de l'article publié dans Prescrire ne va pas faire que des heureux. La revue professionnelle Prescrire, qui affirme dans chaque numéro son indépendance vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique, n'en a cure.
L'article, publié dans son édition de novembre, précise d'emblée que l'une des conséquences positives du scandale du Mediator, un médicament antidiabétique largement prescrit comme coupe-faim, a été l'instauration, en France, d'un système de transparence sur les divers avantages octroyés par les firmes pharmaceutiques aux autres acteurs du domaine de la santé. « Après un retard dans sa mise en place, et avec des limites pratiques importantes, le site Transparence santé permet d'avoir accès aux informations individuelles transmises par les firmes », peut-on lire. Quant au site Euro for Docs, qui est une initiative citoyenne, il donne la possibilité d'avoir accès à ces données « de manière agrégée et mieux exploitable pour réaliser des études ».
Pour en savoir plus, consulter notre dossier Mediator, anatomie d'un scandale
À partir de ses sources, Prescrire a établi que, selon ses déclarations, la firme Servier a distribué 108 millions d'euros aux différents acteurs de la santé entre 2012 et 2018, dont 11 millions pour sa filiale Biogaran, spécialisée dans les médicaments génériques. Les principaux bénéficiaires sont, par ordre décroissant, les académies, sociétés savantes et organismes de conseil (53 millions d'euros), les professionnels de santé (25 millions, dont plus de 6 pour les seuls cardiologues et 3 pour les médecins généralistes), la presse et les médias (17 millions) et les étudiants en santé (7 millions). Quant aux associations de patients et d'étudiants, elles ont reçu respectivement 100 000 et 50 000 euros.
La revue Prescrire s'intéresse particulièrement au cas de l'Académie nationale de médecine, qui a bénéficié de largesses pour un montant total de 150 000 euros entre 2014 et 2018, au titre de dons, rémunérations et bourses, ainsi que pour un prix « Académie nationale de médecine-Servier ». L'auteur rappelle à cette occasion que, lors de l'instruction préalable au procès Mediator, un membre (Jean-Roger Claude) de la commission d'autorisation de mise sur le marché de l'Agence française du médicament avait déclaré : « J'affirme que je n'ai jamais rien caché. La moitié de l'Académie de médecine était en lien avec Servier. » L'auteur conclut en regrettant que, malgré l'affaire Mediator, à l'instar de l'Académie, beaucoup de professionnels de santé ainsi que leurs diverses institutions et organisations aient continué à profiter des avantages de cette firme, comme si de rien n'était.
Par Anne Jeanblanc
Dans La fille de Brest, biopic consacré à la vie d’Irène Frachon, on la voyait notamment nager dans l’Atlantique et applaudir son fils après un concert de batterie. Mais il s’agissait d’un film. Ce mercredi, la pneumologue a plutôt choisi de projeter une photo de valve cardiaque en sale état et de commenter des schémas de molécules chimiques. Il s’agissait cette fois de témoigner devant la 31e chambre du tribunal correctionnel de Paris qui se penche depuis le 23 septembre et jusque fin avril sur le scandale sanitaire du Mediator.
Mais sur grand écran en 2016 ou derrière la barre d’un tribunal aujourd’hui, l’objectif de la pneumologue reste le même : convaincre les juges que les laboratoires Servier ont gravement trompé les patients avec le Mediator et que beaucoup d’entre eux en sont morts. Pas tous. Ce mercredi, plusieurs malades du médicament coupe-faim avaient fait le déplacement pour écouter celle à qui ils vouent une admiration sans borne.
Comme si Hercule Poirot avait rejoint le service du Dr House
Même s’il fallait s’accrocher… Étude randomisée, bénéfice-risque, benfluorex et fenfluramine : l’exposé de la spécialiste était ardu, touffu et technique. Mais implacable pour qui veut bien tenter de comprendre pourquoi 500 à 2.100 personnes selon les études, vont peut-être, à terme, mourir d’avoir pris un jour un simple médicament pour perdre du poids.
Pour en arriver là, il a fallu du temps à Irène Frachon. Tout une vie, pourrait-on dire. A la barre, la docteure a donc commencé par détailler ses études. Puis son passage à l’hôpital Béclère où elle découvre « une pseudo-épidémie d’hypertension artérielle pulmonaire » due à l’Isoméride, l’ancêtre du Mediator déjà produit par les laboratoires Servier. Avant d’en venir à son arrivée à Brest, « un beau pays » où elle suivait son mari spécialiste des cartes marines.
C’est là qu’elle a commencé à découvrir des cas de valvulopathies. « Nous sommes alors en 2007. Mais je suis pneumologue. Je n’avais jamais vu une valve cardiaque. Du coup, je descends au bloc opératoire et je prends des photos des valves. Le chirurgien me dit "Ben rien, elles sont foutues…" » C’est plus compliqué que cela. Irène Frachon compare les photos, ouvre tous les livres d’échographie cardiaque et se rappelle au mauvais souvenir de l’Isoméride qui l’avait marqué pendant sa jeunesse. Comme si Hercule Poirot avait rejoint le service du docteur House.
La photo du cœur de Marie-Claude projetée sur écran géant
A ce moment-là de son exposé, la pneumologue sait bien qu’elle est dure à suivre. Mais elle s’en moque. Elle s’adresse à un tribunal censé être spécialisé. Et pour maintenir l’attention de l’auditoire, elle distille les effets de manche. Ici, elle mime avec les mains le clapet d’une valve mitrale. Là, elle farfouille dans sa grosse pochette rouge pour trouver le document avant d’avouer qu’elle le connaît de toute façon par cœur. Simple autant qu’efficace.
Et puis, contrairement aux prévenus qui donnent l’adresse du cabinet de leur avocat, Irène Frachon, elle, n’a pas peur de dire au tribunal qu’elle habite boulevard de la corniche à Plongouvelin (Finistère). Et c’est aussi révélateur de sa simplicité, de son état d’esprit. De l’affection qu’elle porte aux patients, finalement. Ainsi, quand elle projette la photo d’un cœur ouvert sur l’écran du tribunal, elle explique qu’il s’agit de celui de Marie-Claude, une patiente qu’elle appelle toujours par son prénom, plus de dix ans après sa mort…
C’est pour elle et pour toutes les autres victimes qu’Irène Frachon se bat. Pour elles qu’elle a expliqué, ce mercredi, que les laboratoires Servier avaient « falsifié » ses propres articles scientifiques au moment de les traduire. Pour elles, qu’elle a dénoncé les pressions subies par les lanceurs d’alerte. Pour elles qu’elle souhaite que les responsables soient condamnés.
Pour cela, il faudra patienter jusqu’à la fin du procès prévu au mois d’avril. Irène Frachon ne craint pas d’attendre. Elle a consacré sa carrière à ce sujet. Et elle a conservé des congés pour pouvoir assister à la plupart des audiences… A Sylvie Daunis, la présidente de la 31e chambre, ce mercredi, elle a précisé : « Il faut aller au fond des choses ! ». Son témoignage a été longuement applaudi.
"Combien de morts ?", demandait le livre d'Irène Frachon sur le Médiator
Vincent Vantighem
INTERVIEW Le médecin et directeur de « Prescrire », auditionné dans le procès Mediator ce mercredi, raconte quel rôle a joué cette revue pour lancer l’alerte
Dès 1997, la publication avait prévenu de l’inutilité du Mediator et des risques pour les patients. Mais il aura fallu attendre fin 2009 pour que ce médicament du laboratoire Servier soit retiré du marché. Bruno Toussaint, médecin et directeur de la revue Prescrire (financée par les abonnements de pharmaciens et médecins), est auditionné ce mercredi 9 octobre par le tribunal correctionnel de Paris, où se tient, pendant six mois, le procès hors-norme du Mediator. Pour 20 Minutes, il revient sur ses souvenirs et analyse les conséquences de ce scandale sanitaire. Et martèle : « Tout était prévisible ».
Comment avez-vous été alerté sur la dangerosité du Mediator ?
En 1986, un médecin, abonné, nous a posé par courrier une question : « Est-ce que le Mediator est vraiment utile pour le diabète ? » Or, dans la littérature scientifique, il n’y avait pas beaucoup de preuves. En 1990, on comptait de nombreuses molécules coupe-faim sur le marché, qui se terminaient en « orex », et notamment le benfluorex, présent dans le Mediator, prescrit pour le diabète et l’excès de gras dans le sang. Puis, en 1995, une étude de grande ampleur montre que tous les coupe-faim augmentent le risque d’hypertension artérielle pulmonaire, une maladie de la circulation du sang dans les poumons qui est mortelle. Deux ans plus tard, la France interdit ces coupe-faim. En revanche, le Mediator reste autorisé pour le diabète.
A partir de 1997, on décide d’étudier à fond ce médicament, alors que beaucoup de médecins commencent à se poser des questions. On publie deux dossiers qui prouvent qu’il n’y a aucune preuve que le Mediator réduise le risque de complications dans le diabète comme dans l’excès de gras dans le sang. Et qu’il existe par contre des effets indésirables. Il est donc inutile et manifestement dangereux. Nous écrivons qu’il y a des raisons de reconsidérer son remboursement par l’Assurance Maladie et même sa présence sur le marché. Mais le médicament reste autorisé et remboursé.
Dans les années 2000, les soupçons se multiplient…
En effet. En 2003, nous publions un dossier sur l’ensemble des amphétaminiques comme le Mediator. La même année, en Espagne, une étude se penche sur le cas d’une femme opérée car elle présentait des valves du cœur très abîmées et elle avait pris du Mediator. C’était visible, là, ça devient flagrant.
En 2005, un nouveau cas de maladie des valves cardiaques est repéré, cette fois à Toulouse. A chaque fois que nous voyons passer une information sur le Mediator, nous la répercutons dans Prescrire. Et c’est en voyant notre dossier qu' Irène Frachon fait le rapprochement entre ce qu’elle lit et ce qu’elle voit chez ses patients. Comme nous, elle est effarée de voir que ce médicament coupe-faim reste sur le marché, au motif qu’il est utile pour le diabète. C’est le début de son combat.
Est-ce qu’on peut considérer que votre revue a fait office de lanceur d’alerte ?
Dans une certaine mesure. On a fait notre travail, qui est de montrer aux médecins et aux pharmaciens l’absence d’intérêt et les dangers de certains médicaments. Nous avons rassemblé les données scientifiques fiables. Mais nous n’avons pas lancé l’alerte, ni organisé une conférence de presse. On n’est pas Wikileaks !
Le Mediator est finalement retiré du marché fin 2009…
Soit douze ans après notre premier dossier de 1997 ! Un des enjeux de ce procès sera de répondre à la question : Pourquoi cela a-t-il été aussi long entre les constats et la prise de décision ?
Est-ce que vos conclusions ont été contredites ?
Nous n’avons reçu aucune remise en cause de ce que nous avons publié. En 2005, le directeur de l’Agence du médicament nous a écrit – fait unique depuis notre création, en 1981 – pour nous dire que tout était sous contrôle. En gros, « le Mediator, on s’en occupe », sauf qu’il n’écrit pas un mot sur les valves cardiaques…
Est-ce que ce scandale a marqué l’histoire de la revue ?
Une fois que le scandale du Mediator est devenu très médiatique, vers 2010, on a vu l’ampleur du désastre. Des abonnés nous ont écrit pour nous remercier : « grâce à la revue, je n’en prescrivais plus ». Et le scandale du Mediator nous a donné beaucoup de visibilité : en 2011, d’un coup, des milliers de médecins se sont abonnés.
Un scandale de ce type peut-il encore arriver aujourd’hui ?
Il existe encore des médicaments à retirer. Les problèmes exposés par le désastre du Mediator existent toujours. On a tendance à demander des études complémentaires avant de retirer un médicament du marché. Pendant ce temps-là, les gens restent exposés aux risques. Si l’on donnait la priorité aux patients, il faudrait choisir le principe de précaution.
Y a-t-il tout de même certaines choses qui ont changé depuis les révélations sur le Mediator ?
Ce procès, d’une ampleur inédite, met en lumière les conséquences des conflits d’intérêts. Des gens ont été opérés du cœur ou sont même décédés parce que les liens étaient trop étroits entre le laboratoire et certains médecins. Depuis, un site a été créé, où tout le monde peut voir les liens entre d’un côté tel médecin, pharmacien ou association de patients, et de l’autre une firme pharmaceutique. Ce qui aide à voir l’ampleur du problème, qui est malheureusement toujours d’actualité. Certes, les petits cadeaux ont été interdits [depuis 2002, un laboratoire ne peut offrir un présent d’une valeur supérieure à 30 euros], mais une entreprise du médicament peut encore inviter un médecin à un congrès, au restaurant… Cependant, on voit des avancées. Il y a de plus en plus de généralistes qui refusent de recevoir les visiteurs médicaux [qui informent sur un médicament au cabinet]. De plus en plus d’étudiants en médecine ont compris que cette proximité avec les laboratoires leur faisait perdre leur indépendance.
Dans les choses positives aussi, il y a la possibilité pour les patients de déclarer eux-mêmes un effet indésirable d’un traitement, ce qui améliore nettement la connaissance des médicaments. Car les patients notifient les choses autrement que les soignants. L’ANSM est plus transparente qu’avant et prend davantage en compte l’intérêt des patients. Mais beaucoup de décisions se prennent au niveau européen. Or si en France, certaines choses ont changé, au niveau européen, beaucoup moins.
Propos recueillis par Oihana Gabriel
INTERVIEW. Bruno Toussaint dirige la revue médicale indépendante « Prescrire ». Il a régulièrement alerté les autorités sur les dangers du Mediator depuis 1999.
Son témoignage au procès du Mediator, le 9 octobre, a bousculé la défense des laboratoires Servier. Il a aussi mis en cause la responsabilité de l'Agence du médicament qui a autorisé la commercialisation de ce produit dangereux et pointé du doigt les médecins l'ayant prescrit. Bruno Toussaint, directeur de la revue médicale indépendante Prescrire, créée en janvier 1981, dénonce depuis vingt ans la nocivité des coupe-faim à base d'amphétamines. Il regrette de ne pas avoir été entendu. Le médecin, devenu journaliste, a redit devant le tribunal correctionnel de Paris les réserves que lui inspirent les relations qu'entretiennent les laboratoires pharmaceutiques et certains membres de la communauté médicale… Le procès en cours conduira-t-il à changer ces pratiques ? Bruno Toussaint livre au Point son analyse.
Le Point : Votre revue a invité les autorités de santé à reconsidérer le maintien sur le marché du Mediator dès mai 1997. Quelles raisons vous ont poussé à cette mise en garde ?
Bruno Toussaint : Le Mediator a été mis sur le marché en 1976, avant la création de Prescrire, donc nous n'avons pas eu l'occasion de l'examiner comme nous le faisons pour tous les nouveaux médicaments. Et comme pendant longtemps il n'y avait pas de publication sur ses effets nocifs, nous n'avions guère l'occasion d'attirer l'attention sur ses dangers. En 1990, nous avons signalé que, derrière le nom commercial Mediator, se cache le principe actif nommé benfluorex. Et dans le système de dénominations communes internationales (DCI) des médicaments, construit par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), cette terminaison en « orex » signifie qu'il s'agit d'un coupe-faim, d'un anorexigène, même s'il était vendu comme antidiabétique et anti-« gras ».
Quand a-t-on découvert la dangerosité du benfluorex ?
En 1995, une grande étude internationale a confirmé que les coupe-faim augmentaient le risque d'une maladie grave, l'hypertension artérielle pulmonaire. Les autorités françaises ont alors restreint l'utilisation des coupe-faim, mais pas du Mediator. Et elles ont interdit les préparations magistrales à base de coupe-faim, y compris le benfluorex. Devant cette contradiction, nous avons décidé d'examiner à fond le dossier. Mi-septembre 1997, devant le nombre de signalements de maladies des valves cardiaques aux États-Unis, deux anorexigènes de Servier ont cessé d'être commercialisés (le Ponderal et l'Isoméride), mais toujours pas le Mediator.
Vous avez renouvelé votre message d'alerte à de nombreuses reprises : en 1999, 2003, 2005, 2006, 2008 et 2009, parfois plusieurs fois dans l'année. Comment expliquer que vous n'ayez pas été entendu ?
C'est vrai que nous avons attiré l'attention sur le Mediator à chaque fois que nous le pouvions, pour aider les médecins et les pharmaciens à protéger les patients, malgré l'obstination de Servier à commercialiser ce produit en France. Nous avons été entendus par des médecins, comme Irène Frachon, qui raconte dans son livre comment elle a lu dans Prescrire que le Mediator, à base de benfluorex, est en fait un amphétaminique. Mais l'inertie de l'Agence française du médicament a été incroyable. On espère que le procès en cours va expliquer ce qui s'est passé.
Comment ont réagi les laboratoires Servier lors de la publication de vos mises en garde ?
À chaque fois qu'une firme nous écrit pour contester un de nos textes, nous publions son courrier et notre réponse. Pour Mediator, nous n'avons rien eu à publier.
Votre journal dénonce régulièrement des médicaments dangereux commercialisés dans notre pays. Est-ce à dire que l'Autorité du médicament et le dispositif de pharmacovigilance sont défaillants ?
Les médicaments ont tous plusieurs effets sur le corps. En médecine, on essaye d'exploiter les effets qui peuvent être positifs, mais les autres effets sont là aussi, et parfois ils sont majeurs, et non « secondaires » comme on dit parfois. Ces effets nocifs doivent être listés sur la notice de chaque médicament, au point que leur lecture est parfois inquiétante. Ces mentions ne veulent pas dire que ces effets indésirables vont survenir systématiquement, mais qu'ils ont été observés au moins chez quelques personnes. Leur manifestation est difficile à prévoir. Chaque patient réagit différemment en fonction de son métabolisme, mais aussi d'autres médicaments qu'il peut éventuellement consommer. Ces problèmes sont toujours à prendre en compte quand on prend un médicament.
Les prend-on assez en compte ?
Les autorités devraient en tenir compte aussi. Mais elles s'appuient surtout sur les dossiers construits par les firmes pharmaceutiques. Résultats, les autorités ont tendance à surestimer l'efficacité des médicaments, et à sous-estimer leurs dangers. Et la réglementation européenne n'exige pas de preuve que les nouveaux médicaments apportent un progrès sur ceux qu'on a déjà. Donc, il arrive sur le marché beaucoup de médicaments pas très utiles, et ensuite, il faut des années avant de voir l'ampleur réelle de leurs dangers.
5 % des hospitalisations sont liées à un problème lié aux médicaments.
Combien de morts sont imputables aux médicaments dans notre pays, chaque année ?
Les estimations sont imprécises. Il n'y a pas eu d'étude très récente sur le sujet. Une estimation prudente tourne autour de 20 000 décès par an en France. La moitié de ces morts seraient évitables, selon l'étude française ENEIS 2 (« enquête nationale sur les événements indésirables graves liés aux soins »), menée par les autorités de santé. Plusieurs études estiment qu'environ 5 % des hospitalisations (soit une sur vingt) sont liées à un problème lié aux médicaments.
Quelle est l'ampleur du phénomène à l'échelle du continent ?
Un « mémo » de la Commission européenne de 2008 estime que 197 000 personnes meurent chaque année des effets nocifs des médicaments dans les États membres de l'Union européenne (qui compte environ 500 millions d'habitants). Si l'on rapporte cela à la population française, cela ferait environ 25 000 décès dans l'Hexagone par an.
S'agissant du Mediator, les projections statistiques évaluent autour de 2 000 le nombre de personnes mortes des suites des pathologies provoquées par le benfluorex. A-t-on une idée du nombre de morts parmi les consommateurs de deux autres coupe-faim commercialisés par les laboratoires Servier, le Ponderal et l'Isoméride ?
À ma connaissance, aucune étude n'a été publiée à ce jour sur cette question. Les outils statistiques de l'Assurance maladie ne permettent pas d'émettre d'évaluation, car le Ponderal et l'Isoméride n'étaient pas remboursés par la Sécurité sociale. Mais on sait que ces médicaments exposent aux mêmes risques cardiaques et pulmonaires que le Mediator.
Alors que débute lundi le procès pénal du médicament qui aurait tué environ 2 000 personnes, Irène Frachon revient sur ce scandale sanitaire.
C'est un procès hors norme qui débute, lundi 23 septembre, à Paris : celui des laboratoires pharmaceutiques, Servier en tête, et des professionnels de santé qui ont permis la commercialisation d'un produit suspecté de provoquer de très graves maladies cardiaques et pulmonaires. Compte tenu du nombre de victimes et de la complexité de l'affaire, six mois de débats sont prévus. À la veille de la première audience, Irène Frachon, pneumologue au centre hospitalier de Brest qui a lancé l'alerte sur le Mediator, livre au Point ses quatre vérités.
Le Point : Le benfluorex, plus connu sous le nom de Mediator, est à l'origine d'un immense scandale sanitaire. Combien de personnes ont été victimes de ce produit toxique ?

Irène Frachon, pneumologue au CHU de Brest, a alerté les autorités de la dangerosité du Mediator dès 2007.
© FRED TANNEAU / AFP
400 ? Si aucun autre passager n'a été repêché, par ailleurs…
C'est ça. Nous avons 400 morts ou disparus. Cette statistique, c'est la mortalité attribuable au naufrage. Les 15 morts récupérés dans l'eau ou sur les côtes, c'est la mortalité directement imputable au cas par cas à la catastrophe.
Si nous reprenons ces deux catégories, quelles sont les statistiques ?
Entre 1976 et en 2009, près de 5 millions de personnes se sont vu prescrire du Mediator. En croisant plusieurs bases de données de l'Assurance maladie, on a pu calculer la surmortalité induite par les pathologies provoquées par cette molécule et estimer le nombre total de décès dus au Mediator, pendant toute la durée de commercialisation et au-delà, à environ 2 000 morts.
Pourquoi cette mortalité ?
Parce que ce prétendu médicament est, en réalité, un poison. Si l'on résume à grands traits, ce produit se dégrade en une molécule toxique : la norfenfluramine. Cette molécule, de la famille des amphétamines, provoque des problèmes de santé gravissimes : des valvulopathies cardiaques et de l'hypertension artérielle pulmonaire.
Ce n'était pas un traitement efficace contre le diabète : c'était juste un coupe-faim.
Au début des années 1990, la toxicité d'autres médicaments du laboratoire Servier (l'Isoméride et le Pondéral) avait été établie, ce qui avait d'ailleurs conduit au retrait de ces produits. Comment le Mediator, dont le principe actif est de même nature, a-t-il pu rester en vente ?
C'est ce qu'établira le procès qui commence.
Vous avez joué un rôle majeur dans la révélation des dangers du Mediator. Comment avez-vous découvert l'ampleur du problème ?
J'ai plongé dans cette affaire à partir de 2007. Cette année-là, en prenant en charge une femme en surpoids souffrant d'une maladie rare, j'ai réalisé que son médecin lui avait prescrit du Mediator pour traiter son diabète. Cela m'a intriguée. Plus tôt dans ma carrière, j'avais vu des patientes atteintes de la même pathologie après avoir recouru à un coupe-faim de chez Servier. J'ai enquêté et j'ai découvert que le Mediator était une forme de « repackaging » de ce produit connu sous le nom d'Isoméride.
Lire aussi Mediator : l'étrange choix de l'Académie de médecine
Ce n'était donc même pas un médicament contre le diabète ?
Il y avait un double mensonge. Ce n'était pas un traitement efficace contre le diabète : c'était juste un coupe-faim. Et, par ailleurs, on avait dissimulé la dangerosité de cette molécule qui n'est, encore une fois, rien d'autre qu'une amphétamine trafiquée.
Comment se fait-il que l'Agence du médicament n'ait rien vu ?
Le moins que l'on puisse dire, c'est que ses experts ont été mauvais. Certains le reconnaissent aujourd'hui.
Certains ont-ils choisi de fermer les yeux ?
Plusieurs experts de cet établissement public devront répondre à la justice de potentielles prises illégales d'intérêts. « Prise illégale d'intérêts », c'est le parfum de la corruption !
C'est-à-dire ?
Certains experts auprès de l'agence étaient, dans le même temps, consultants, parfois occultes, de Servier.
Le laboratoire Servier a gagné autour d'un milliard d'euros avec le Mediator.
Les agences étrangères, elles, n'ont pas attendu 2009 pour réagir…
Oui. Les Belges n'ont jamais donné l'autorisation de mise sur le marché au Mediator. En Suisse, les autorités ont demandé à trois reprises au laboratoire Servier en quoi la molécule du Mediator différait de ses coupe-faim toxiques. Faute de réponse, elles s'apprêtaient à sévir lorsque la direction du laboratoire a décidé de retirer de la vente ce produit. Officiellement parce qu'il ne s'en vendait pas assez en Suisse. Ce qui a empêché un signalement de pharmacovigilance.
Et en Espagne ?
Dès 2003, un cas de valvulopathie grave survenu dans ce pays a fait l'objet d'une publication scientifique. Là encore, Servier a décidé de lui-même de retirer du marché le Mediator avant tout signalement aux autorités européennes. Il convient d'ailleurs de préciser que cela ne pourrait plus se reproduire aujourd'hui. Dès qu'un produit est retiré de la vente, même à l'initiative du labo, c'est désormais considéré comme un signal d'alerte en matière de pharmacovigilance.
Combien d'argent le laboratoire Servier a-t-il gagné avec le Mediator ?
Les estimations tournent autour d'un milliard d'euros.
Avez-vous le sentiment de ne pas avoir été entendue assez tôt ?
Ma hiérarchie directe a été formidable. Le directeur du CHU m'a soutenue dès le début. Au-dessus, c'est une autre histoire.
Avez-vous eu des pressions de la part de Servier ?
Mon livre a été censuré sur un référé de Servier. Nous avons gagné en appel, ensuite, c'étaient des droits de réponse longs comme le bras à chaque interview… Mais ils n'ont plus osé m'attaquer frontalement !
Quelle leçon tirez-vous de cette affaire ?
J'ai porté l'alerte sur le Mediator. Au tribunal, désormais, de juger cette affaire. Je suis citée comme témoin au procès par le parquet et par Servier et, à ce titre, m'abstiendrai de m'exprimer publiquement pendant toute la durée du procès.
Propos recueillis par Baudouin Eschapasse
Alors que débute lundi le procès pénal du médicament qui aurait tué environ 2 000 personnes, Irène Frachon revient sur ce scandale sanitaire....
Depuis les premières indemnisations en 2012, Servier a versé au total 131,8 millions d’euros aux victimes dans l'affaire du Mediator, selon un décompte arrêté au 30 août sur le site Internet du groupe. Mais, en mars, le laboratoire pharmaceutique a saisi la justice pour obtenir le remboursement par l’Etat de 30 % des indemnisations déjà versées aux victimes du médicament, a-t-il indiqué mercredi....
Un chiffre record dans l'affaire du Mediator dévoilé ce matin par le Parisien / Aujourd'hui en France. Les laboratoires Servier ont versé près de 116 millions d'euros aux victimes avant même la tenue du procès au pénal pour "tromperie", "escroquerie" et "homicides et blessures involontaires" le 23 septembre prochain. Il doit durer 6 mois et 4 000 personnes devraient se constituer partie civile. La facture pourrait donc s'alourdir pour Servier jusqu'à 141 millions d'euros au moins.
3.600 malades indemnisés depuis 2011
Depuis 2011, Servier indemnise les victimes sans attendre l'issue des procédures en justice. Interrogée dans les colonnes du Parisien / Aujourd'hui en France, Irène Frachon, lanceuse d'alerte sur le Médiator, dénonce des indemnisations par "pur calcul". Les victimes déjà indemnisées s'engagent à ne pas témoigner au pénal.
116 millions d'euros : c'est un record en matière d'indemnisation médicale en France à mettre en parallèle tout de même avec les 4 milliards d'euros de chiffres d'affaire annuel du groupe pharmaceutique.
Le Mediator aurait fait des centaines de morts
Le Mediator, retiré de la vente en 2009, a été prescrit pendant plus de 30 ans. Largement utilisé comme coupe-faim, il est soupçonné d'avoir fait plusieurs centaines de morts. Selon les différentes études, l'antidiabétique des laboratoires Servier pourrait être responsable à long terme de 500 à 2.100 morts.
mercredi 10 avril 2019 à 6:46
Mediator: L'Etat condamné pour la première fois à indemniser une plaignante
Elle recevra 22.885 euros, soit un tiers du montant total de la réparation...
JUSTICE La Cour de cassation reproche au laboratoire Servier d’avoir continué la commercialisation du médicament malgré les suspicions et sans information sur ces risques…
- C’est la première fois que la responsabilité civile des laboratoires Servier est reconnue dans le scandale du Mediator.
- La Cour de Cassation estime que Servier n’a pas assez informé les patients sur les risques encourus avec cet antidiabétique.
- La Cour de cassation confirme la condamnation de Servier à indemniser une patiente à hauteur de 7.650 euros, alors qu’elle en demandait plus de 40.000.
La Cour de cassation a pour la première fois validé la responsabilité civile des laboratoires Servier, fabricants du Mediator, pour avoir maintenu la commercialisation d’un médicament qui « présentait un défaut » faute d’information sur ses risques, selon un arrêt consulté vendredi par l’AFP.
>> A lire aussi : «La Fille de Brest»: «J’ai revu ceux qui se sont occupés de mon cas», raconte une victime du MediatorUne « suspicion de risques »
Pour les magistrats de la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire, les laboratoires Servier ne pouvaient « invoquer un risque de développement pour s’exonérer de leur responsabilité » au titre du caractère défectueux du médicament.
Dans sa décision rendue mercredi, la Cour estime que « l’état des connaissances scientifiques ne permettait pas d’ignorer les risques d’HTAP (hypertension artérielle pulmonaire) et de valvulopathies induits par le benfluorex », le principe actif du Mediator, entre 2006 et 2009, période au cours de laquelle il avait été consommé par une malade. « Au regard des données scientifiques de l’époque et du rapport bénéfice-risque qui en était attendu, ce médicament n’offrait pas la sécurité à laquelle elle pouvait légitimement s’attendre compte tenu notamment de l’absence d’information figurant sur la notice », estime la Cour de cassation.
Or, notent les magistrats, jusqu’en 2009, date du retrait tardif du Mediator, les informations sur les effets indésirables ne faisaient pas mention des risques d’apparition d’une HTAP et d’une valvulopathie. En rejetant le pourvoi des laboratoires, la Cour de cassation confirme la condamnation de Servier à indemniser cette femme à hauteur de 7.650 euros - elle en demandait plus de 40.000 -, décidée en première instance à Nanterre en octobre 2015, puis en appel à Versailles en avril 2016.
L’avocate de la malade, Me Martine Verdier, s’est félicitée de cet « arrêt de principe qui confirme la défectuosité du Mediator et scelle définitivement la responsabilité de Servier ». Servier a de son côté estimé que cette décision « ne change rien à notre détermination à faire face à notre responsabilité vis-à-vis des gens qui ont été touchés » par les effets secondaires du Mediator, selon les termes de Sylvie Delassus, la directrice de la communication des laboratoires Servier.
Le Mediator pourrait être à l’origine de 1.520 à 2.100 décès
Et « elle ne préjuge absolument pas de ce qui sera conclu au procès pénal », a-t-elle déclaré à l’AFP. Prescrit pendant plus de 30 ans à cinq millions de personnes en France, cet antidiabétique, largement utilisé comme coupe-faim, pourrait être à l’origine de 1.520 à 2.100 décès à long terme, selon une expertise judiciaire.
Ce scandale sanitaire révélé en 2007 par le médecin Irène Frachon a connu fin août l’épilogue d’un long feuilleton judiciaire au pénal avec le renvoi devant le tribunal correctionnel des laboratoires Servier et de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Au total, 11 personnes morales et 14 personnes physiques seront jugées.
20 Minutes avec AFP
L'ancienne sénatrice Marie-Thérèse Hermange, mise en examen dans l'affaire du Mediator pour avoir fait relire le rapport sénatorial par un proche des laboratoires Servier, vient d'être nommée au comité d'éthique de l'Académie de médecine...
Que Choisir, mars 2017
Irène Frachon : « Dans l’affaire du Mediator, les criminels ne sont toujours pas inquiétés »
Suite au décès de certains de ses patients, victimes d’hypertensions artérielles, Irène Frachon, pneumologue au CHU de Brest, commence à mener une enquête médico-policière sur le Mediator dès 2007. Avec l’aide de collègues, elle parvient à prouver les effets toxiques de ce médicament et contraint le laboratoire Servier à le retirer de la vente en 2009. Sept ans plus tard, la bataille est loin d’être terminée : le procès pénal se fait toujours attendre, et les victimes peinent à se faire indemniser. A l’occasion de la sortie du film La fille de Brest (170 000 entrées en une semaine), qui raconte cette affaire, Basta ! s’est entretenu avec une lanceuse d’alerte déterminée, pour ses patients, à mener la bataille jusqu’au bout.
Basta ! : « Après la révélation du scandale, c’était bien pire que ce que j’avais imaginé », dites-vous. Jusqu’à aujourd’hui, combien de malades ont-ils été touchés par le Mediator ? Combien ont été indemnisés ?
Irène Frachon : Le Mediator était commercialisé depuis 1976, une grande partie des victimes sont donc disparues aujourd’hui. L’alerte a été donnée en 2009-2010 et les gens qui se manifestent aujourd’hui forment la pointe émergée de l’iceberg. Environ 2 800 patients ont à ce jour été reconnus officiellement comme victimes du Mediator, quelques centaines ont eu de lourdes opérations cardiaques à cœur ouvert et quelques dizaines en sont morts. Sachant que les morts qui sont reconnus aujourd’hui individuellement sont souvent décédés après 2009... Mais on estime que le Mediator a provoqué la mort de 2 000 patients. Ainsi que des dizaines de milliers de victimes de maladies cardiaques. C’est monstrueux.
Comment se fait-il qu’il n’y ait toujours pas eu de procès pénal contre le laboratoire Servier, qui produisait ce médicament ?
Parce que les mécanismes de défense des criminels en col blanc sont à l’œuvre. Ces derniers, quand ils sont incriminés ou mis en examen, paient des cabinets d’avocats très prestigieux, des pénalistes-virtuoses. Ils dépensent sans compter pour que ces cabinets d’avocats fassent jouer de manière dévoyée tous les droits de la défense. Sur les aspects procéduraux, ce sont des contestations multiples, des demandes d’annulation et de contre-expertise, des contestations devant la chambre de l’instruction, puis devant la cour de cassation, et ainsi de suite. Ils essaient de mettre en route un cercle infernal de contestation qui empêche la justice d’avancer. Ils font feu de tout bois sur le plan procédural puisque sur le fond, ils sont à poil, et ils le savent.
Certains de vos confrères rechignent à délivrer aux victimes du Mediator des certificats de prescription de ce médicament, ou même à les recevoir ou effectuer des demandes d’indemnisation. Pourquoi ces attitudes ?
Les médecins sont obsédés par le risque judiciaire, par la responsabilité médico-légale. Au début de l’affaire du Mediator, la responsabilité des prescripteurs a été mise en cause. J’ai beaucoup combattu pour que ce ne soit pas le cas. Mais c’était un retour de bâton judiciaire pour ces médecins, qui l’ont très mal vécu. Ils ont d’abord eu un réflexe d’auto-défense. La première technique d’autodéfense est de ne pas reconnaître avoir prescrit le Mediator. Énormément de victimes se trouvent face à des médecins qui ont perdu les ordonnances, les dossiers, ou la mémoire. Pour les victimes, c’est absolument effrayant.
Cela révèle une attitude corporatiste primaire du corps médical, et c’est quand même très décevant. Il y a aussi eu un réflexe destiné à protéger certains de leurs avantages auprès des milieux industriels (voir par exemple notre enquête sur les études observationnelles). Tout cela n’est pas très en accord avec la vocation médicale, qui est de servir l’intérêt des patients avant tout. Il s’agit d’un énorme gâchis, car dans les faits Servier a également trompé les prescripteurs.
Le film La fille de Brest montre tout de même le soutien, pas seulement de votre famille, mais aussi de vos collègues médecins...
Oui, heureusement, il y a des collègues, notamment au CHU de Brest, qui se sont levés et qui m’ont rejoint au début de mon combat. Ils se sont mis au travail et sont devenus des experts de la question, se sont engagés à leurs risques et périls. Mais ce n’est pas la majorité et je trouve cela très dur à avaler. Beaucoup sont malheureusement restés du mauvais côté du manche.
C’est en ce sens que vous parlez de « trahison des élites médicales » ?
Oui, et je le maintiens. Les grandes sociétés savantes, l’académie de médecine, les grands responsables – notamment hospitalo-universitaires – de la santé publique en France, n’ont jamais pris les positions très fermes que j’attendais, vis à vis des laboratoires Servier mais aussi en faveur des victimes. Ils laissent les choses se dérouler, voire contribuent à les obscurcir. Il y a des manipulations, un peu de déni, voire du négationnisme. C’est parfaitement indigne.
Mais ce n’est pas le cas de tout le monde. A l’été 2015, j’ai lancé sur internet le manifeste des 30.Grâce à cette action, j’’ai pu être rejointe par de très grands médecins qui ont appelé le corps médical à réagir, à couper les liens avec Servier. Mais, au final, l’initiative est quasiment resté lettre morte.
Comment expliquez-vous que les agences sanitaires ont, pour reprendre vos termes, laissé « le drame se produire, en connaissance de cause » ?
La corruption, l’influence. Dans cette affaire, on atteint quand même un sacré niveau de compromission ! C’est impressionnant. Certains experts de l’agence de sécurité du médicament sont mis en examen parce que d’une main, ils donnaient des avis sur les autorisations de mise sur le marché des produits, et de l’autre ils recevaient des honoraires de Servier en contrepartie de « conseils stratégiques ». On navigue en pleine collusion ! Mais tout est suspendu au procès. C’est infernal, on n’en sort pas. Jusqu’à présent, ils sont tous présumés innocents. Même Servier, qui peut continuer à vendre ses drogues, souvent suspectes. On marche sur la tête dans cette histoire, je suis effarée.
La loi Bertrand sur la « sécurité sanitaire du médicament » adoptée en 2011 a-t-elle permis de faire évoluer ces agences sanitaires ?
La loi Bertrand est importante : il y a beaucoup plus de transparence et d’exigences d’indépendance pour les experts. Ce qui n’est pas sans poser problème parce qu’il est très difficile de trouver des experts indépendants dans un monde qui est en réalité presque totalement lié à l’industrie pharmaceutique ! Nous sommes face à une sorte d’équation impossible à résoudre : la recherche d’experts indépendants dans un milieu qui ne l’est pas. Cela pose beaucoup de problèmes à ces agences, qui peinent à se reconstruire. Là encore, la mise en suspens du procès pénal est dramatique, car il y a une page à tourner après, du moins je l’espère, un jugement exemplaire. L’agence est toujours mise en examen, et la justice pénale ne se prononce pas : comment se refonder alors que ce crime n’est pas jugé, alors que les défaillances de l’agence ne sont pas reconnues par la justice ?
Il s’agit selon vous de « mettre fin à une pharmaco-délinquance hors norme ». Quels changements d’envergure vous semblent nécessaires pour éviter, à l’avenir, d’autres scandales sanitaires comme celui du Mediator ?
Il faut que le monde médical remette chacun à sa place et soit moins poreux à l’influence des labos. A ce propos, il ne faut pas mettre dans le même panier les collaborations scientifiques, dans le cadre d’essais cliniques transparents, et les stratégies marketing qui se déversent sans contrôle et sans filtre sur le monde médical. Il y a quand même une sacrée distance entre ces deux postures là. Nous avons besoin de faire basculer la posture du monde médical vers plus d’étanchéité avec le monde de l’industrie, sans évidemment toucher à l’innovation thérapeutique, bien au contraire. Moins de gaspillage conduit à plus de recherche !
Ce problème de la perméabilité se pose dès la formation en médecine, où les étudiants sont, dites-vous, « biberonnés par l’industrie pharmaceutique ».
Oui, la formation en médecine est également à revoir. Il faudrait réglementer de manière extrêmement rigoureuse les liens entretenus par l’industrie avec les étudiants et les internes (lire notre article sur le sujet). Avec la sortie du film sur le Mediator, je suis contactée par énormément de facultés de médecine. Tours, Nice, Saint-Étienne, Marseille, Bordeaux, ou encore Strasbourg. Les étudiants en médecine sont très demandeurs de débats et très réceptifs. Ce n’est pas non plus des centaines d’étudiants qui déferlent. Mais il se passe quelque chose, un germe critique au sein de ces jeunes étudiants.
Dans l’affaire du Mediator, les visiteurs médicaux ont servi de courroie de transmission des laboratoires, afin de pousser les médecins à prescrire ce médicament en tant que coupe faim, alors que le Mediator est un anti-diabétique. Faut-il mieux encadrer cette profession, voire même la supprimer ?
La visite médicale, ce sont les représentants commerciaux des labos qui vont démarcher les médecins hospitaliers, libéraux, partout, avec de solides techniques de démarchage, très pugnaces. Il est très difficile de les arrêter parce qu’ils sont payés pour ça : ils ont même appris des stratégies de contournement face à l’hostilité croissante des médecins à les recevoir. Heureusement, les médecins ont identifié ces stratégies. Les labos mettent désormais tous leurs moyens, non plus sur la visite médicale, qui est en train de régresser, mais sur les leaders d’opinion, c’est-à-dire les grands professeurs hospitalo-universitaires qui deviennent de véritables représentants de commerce pour l’industrie pharmaceutique.
A ce sujet, j’attends beaucoup de la parution prochaine d’un décret qui va permettre de lever le voile sur le montant des conventions passées entre les industriels et ces médecins. Ce décret ne rendra pas ces liens illégaux, mais risque quand même de les rendre illégitimes en révélant un problème d’impartialité de ces médecins, ce qui n’est pas rien.
Sept ans après avoir lancé l’alerte, y a t-il des choses que vous conseilleriez à d’autres lanceurs d’alerte ou que vous feriez différemment ?
Je ne ferais rien différemment de ce que j’ai fait, car j’avais beaucoup anticipé les risques. En fait, je pense que je suis assez trouillarde : je me suis vraiment préparée à une guerre. Je ne me suis pas lancée dans le désordre, droit devant, sans savoir scruté les arrières, sans avoir réfléchi. J’ai énormément consolidé toutes mes alertes, que ce soit sur le plan scientifique ou sur le plan pénal. J’ai pris des précautions : un avocat, un éditeur courageux, j’ai contacté la presse. Il faut garder son sang froid, rester très déterminé. Il y a beaucoup de lanceurs d’alerte qui me demandent comment j’ai fait pour que l’alerte fonctionne. Ma réponse est terrible : c’est 2 000 morts.
Aujourd’hui, vous êtes beaucoup plus offensive, moins prudente dans vos propos. On sent votre colère...
J’en ai ras le bol. Ce n’est pas normal que l’on en soit seulement là, aujourd’hui, en 2016. Que malgré l’affaire du Mediator, Servier ait toujours les mains libres, que les criminels ne soient pas inquiétés et qu’ils soient même accueillis partout, qu’ils refusent les indemnisations aux victimes ou les contestent centime après centime. Six ans plus tard, on marche toujours sur la tête, et cela m’insupporte. Le film raconte l’histoire de Corinne. Mais des Corinne, il y en a des centaines, c’est monstrueux.
Propos recueillis par Sophie Chapelle, avec Simon Gouin
Photo : CC Utherian.
Irène Frachon, Mediator 150 mg, combien de morts ?, éditions dialogues, juin 2010, 152 pages, 15,90 euros.
La réalisatrice Emmanuelle Bercot et la pneumologue lanceuse d'alerte Irène Frachon étaient les invités de Patrick Cohen pour évoquer le scandale du Mediator, devenu un film qui sort en salles la semaine prochaine.
L'occasion d'évoquer le combat de la pneumologue pour faire reconnaître le préjudice subi par plus de 2000 patients. "Face à moi, ce n'était pas des malades, mais des gens empoisonnés", explique-t-elle. "Ce que j'ai ressenti, ce n'est pas l'empathie habituelle du médecin : c'est l'effroi face au crime". Tout en saluant la mobilisation autour de cette affaire, "l'engagement successif d'improbables citoyens, qui ont permis que cette histoire bascule", et pour aboutir à la condamnation au civil des laboratoires Servier.
Le procès avait d'ailleurs été l'occasion de dénoncer les liens avec l'agence du médicament, où "Servier menait la danse et faisait la loi", selon Irène Frachon. Une institution réformée depuis, mais dont l'évolution est difficile : "recruter des experts qui ne soient pas issus de l'industrie pharmaceutique aujourd'hui, c'est quasi impossible".
De son côté, la réalisatrice Emmanuelle Bercot salue "quelqu'un d'exceptionnel qui a attiré des gens exceptionnels", estimant que la société et elle-même ont souvent du mal à mener ce type de combats. "Il y a un peu une passivité ambiante, une démission. Les gens attendent beaucoup qu'on règle les problèmes pour eux".
Irène Frachon : "Les victimes du Mediator ne sont pas des malades : ce sont des gens empoisonnés"
La réalisatrice Emmanuelle Bercot et la pneumologue lanceuse d'alerte Irène Frachon étaient les invités de Patrick Cohen pour évoquer le scandale du Mediator, devenu un film qui sort en salles...
https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20/l-invite-de-8h20-18-novembre-2016
La pneumologue brestoise se prononce pour une "législation permettant de sanctionner toute atteinte à l'expression d'une alerte légitime".
Les lanceurs d'alerte doivent être protégés et il faudrait pouvoir "punir ceux qui les attaquent", clame Irène Frachon, la pneumologue brestoise qui avait prouvé la nocivité du Mediator, lundi dans une tribune du quotidien Le Monde. Irène Frachon intervient en évoquant le lanceur d'alerte Antoine Deltour, dont le procès s'ouvre mardi au Luxembourg. Il "risque jusqu'à 10 ans d'emprisonnement et plus d'un million d'euros d'amende", pour avoir dénoncé "les conventions scandaleuses passées par des grandes entreprises, notamment françaises, pour contourner les impôts des pays où elles exercent leurs activités".
Mais elle souligne que dans l'affaire du "coupe-faim" du laboratoire Servier, "maquillé en antidiabétique", le Mediator, "jamais ceux qui ont pu étouffer ce scandale et ont permis ainsi qu'il dure des années n'ont été inquiétés". "Jamais à ce jour le laboratoire Servier, comme les experts de l'Afssaps (ancien nom de l'agence du médicament), garants de la sécurité du médicament, n'ont été sommés de rendre des comptes" des attaques "visant successivement tous les lanceurs d'alertes".
Elle rappelle les pressions subies en 1999 par un cardiologue marseillais, le Dr Georges Chiche, "premier lanceur d'alerte" sur le Mediator, retiré du marché en 2009, dix ans après. "Le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté, chantait Béart en 1968", écrit-elle. Elle rappelle aussi la censure sur son livre Mediator 150 mg combien de morts ?, Servier ayant obtenu en justice dans un premier temps la suppression de la mention "combien de morts ?", avant que cette mention ne soit rétablie en appel.
Mais la facture de 25 000 euros, coût de la réédition du livre censuré est restée à la charge de l'éditeur, note-t-elle. "Pouvoir condamner les inqualifiables méthodes d'intimidation d'un laboratoire criminel, dès 1999, aurait sauvé des centaines de vies humaines", poursuit-elle. Le Dr Frachon se prononce donc pour une "législation permettant de sanctionner fermement toute atteinte à l'expression d'une alerte légitime" et pour "punir" ceux qui tentent bâillonner les témoins de dérives menaçant l'intérêt général. "Le premier qui dit la vérité doit être protégé !" conclut-elle.
Source AFP
Irène Frachon veut punir ceux qui attaquent les lanceurs d'alerte
Les lanceurs d'alerte doivent être protégés et il faudrait pouvoir "punir ceux qui les attaquent", clame Irène Frachon, la pneumologue brestoise qui avait prouvé la nocivité du Mediator, lund...
" La fille de Brest ", un film sur Irène Frachon
Irène Frachon est un personnage de la réalité mais dont le combat dans le cadre de l'affaire du Médiator semble relever de la fiction tant il laisse sans voix. Dans un livre, sortie en 2010 aux...
http://www.lobbycratie.fr/2016/02/24/la-fille-de-brest-un-film-sur-irene-frachon/
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Médiator : fiasco sanitaire et faillite d'un système / France Inter
Lorsqu'elle éclate, l'affaire du Médiator, laisse très vite peu de doute sur sa nature. Elle n'est pas qu'un simple dossier où l'avidité des fabricants de médicaments l'a emporté sur les int...
Mediator: L'Etat va indemniser des victimes que Servier refuse de payer
20 Minutes avec agences Le laboratoire Servier a affirmé, ce mercredi, avoir " déjà versé près de 12 millions d'euros d'indemnisations aux victimes du Mediator ", sur les 20 millions du montan...
Mediator: Les laboratoires Servier enfin devant la justice civile
SANTE Deux victimes demandent une indemnisation... M.P. avec AFP Sept ans après l'éclatement du scandale Mediator, la justice civile va se prononcer sur la culpabilité ou non des laboratoires ...
Une pétition signée par trente personnalités du monde médical appelle les médecins à cesser leurs collaborations avec le laboratoire Servier, alors que l’affaire Mediator traîne en longueur. Le généticien Axel Kahn, l’expert en bioéthique Israël Nisand, le député (et cardiologue) Gérard Bapt, l’ancien président de Médecins sans frontières Rony Brauman, des figures de la Résistance… Le « Manifeste des 30 », signé par trente médecins, philosophes et personnalités, entend « rappeler au laboratoire Servier et à la profession médicale leurs obligations légales et morales ».
Nallet n'a toujours pas été cravaté
"Stupeur", "grand désarroi", ce sont les mots employés par le docteur Irène Frachon, à l'origine du scandale et du retrait du Mediator, à l'adresse de François Hollande, après avoir remarqué qu'Henri Nallet figurait dans la promotion de la Légion d'honneur du 14-juillet ("Le Figaro", 5/8).
Une sidération -partagée par les victimes du médicament de Servier- qui a fait son petit bonhomme de chemin, puisque l'ancien ministre de François Mitterrand ne peut porter la cravate de commandeur, se contentant, pour l'heure, du ruban de témoin assisté dans l'affaire du coupe-faim.
Procédure très rare, la réception de remise de médaille a été "différée", sur proposition du grand chancelier de la Légion d'honneur, afin que les "qualifications du bénéficiaire", soient "à nouveau vérifiées"
Un coup dur pour Stéphane Le Foll, ministre de l'Agriculture,qui, à la demande de l'Elysée, avait proposé Nallet aux honneurs, alors que ce dernier reste soupçonné de trafic d'influence dans une affaire qui aurait fait entre 500 et 2 000 victimes (cf ci dessous)
Commandeur ? Mais comment donc !
Le Canard Enchainé, 12/08/2015
Un coup de génie. En élevant, le 14 juillet, Henri Nallet au rang de commandeur de la Légion d'honneur, le gouvernement a remis dans la lumière un brillant sujet. Témoin assisté dans l'affaire du Médiator, Henri Nallet a réussi un bel exploit : entre 1997 et 2013, il a touché pas moins de 2,7 millions d'euros de Servier pour ses précieux conseils. Avoir été ministre socialiste de l'Agriculture et de la Justice lui donnait, il est vrai, une forte compétence dans le domaine du médicament...Son boulot, a-t-il expliqué aux juges qui le soupçonnaient, en 2013, de trafic d'influence, consistait à "échanger" avec le patron de Servier, "sur les questions communautaires et internationales". Rien à voir avec un carnet d'adresses qui se monnaie...
Les victimes du Mediator, qui attendent encore le procès, s'en étranglent et veulent saisir le Conseil d'Etat pour casser ce décret de promotion. Car l'ex-ministre symbolise à lui seul le joyeux mélange des genres qui suinte de l'affaire : "personne n'oubliera que M. Nallet a poursuivi ses lucratives activités de conseil en lobbying auprès de Servier jusqu'en 2013, et ce malgré l'éclatement au grand jour du drame du Mediator, fin 2010", écrit Irène Frachon dans une lettre ouverte au Président, appelant Hollande à "ne pas permettre une telle promotion". Pour un 14-juillet, c'est la fête...
En mars, le gouvernement avait déjà fait une fleur -plus discrète- à Henri Nallet en lui offrant, à 76 piges, la présidence du Haut Conseil de la coopération agricole.
Un fromage, une breloque, et bientôt le Panthéon ?
IB
Le Canard Enchaîné, 22/07/2015