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Nucléaire niouzes

Publié le par ottolilienthal

une commission d’enquête, un scandale… et après ?

Nicolas Sarkozy et François Hollande ont clos les travaux de la commission d’enquête sur la perte de souveraineté énergétique de la France. Une vaste tragicomédie.

Ils ont défilé à l'Assemblée nationale, cet hiver, comme les personnages d'une fresque théâtrale. En tout, 88 acteurs et témoins d'une épopée tragicomique qui aura conduit la France, en 2022, au bord du gouffre énergétique, contrainte d'importer, à prix d'or, une électricité qu'elle n'était plus capable de produire.

Les jeunes députés – le président de la commission Raphaël Schellenberger (Haut-Rhin, LR) et son rapporteur Antoine Armand (Haute-Savoie, Renaissance) ont tout juste 30 ans – voulaient savoir comment notre vénérable pays avait pu en arriver là…

En cent cinquante heures d'auditions, leurs aînés leur ont rejoué un spectacle effarant. Avec ses héros, des tartuffes, ses bouffons… Avec ses imbéciles et ses porteurs de lanternes. Jusqu'à l'apothéose : ce numéro de voltige livré par deux anciens présidents, juste avant le tomber de rideau.

« C'est vrai ou ce n'est pas vrai ? »

Arrivé très préparé, Nicolas Sarkozy endosse le costume de président visionnaire, à l'aise dans son personnage, alternant gravité et saillies ironiques. Lorsqu'il arrive à l'Élysée, en 2007, et décide d'un second EPR à Penly (Seine-Maritime), quel est l'état d'esprit, lui demande-t-on ? Pourquoi le projet est-il dans les limbes ?

« Le nucléaire a fait l'objet d'une campagne de dénigrement digne des chasses aux sorcières du Moyen Âge. C'était une hystérie médiatique, et collective », se souvient-il, comme pour souligner le courage qu'il aurait manifesté en soutenant quand même la filière, lui qui n'a « jamais changé d'avis », insiste-t-il, « sur le nucléaire ».

Il relit ses déclarations de l'époque, imprimées sur une fiche. Donne des dates. « Le 6 février 2009, à Flamanville, j'annonce mon intention de faire du nucléaire le moteur de la reprise économique. » Un rêve englouti par le tsunami qui balaiera Fukushima. À Angela Merkel qui confirme alors la fermeture de neuf centrales nucléaires en Bavière, il lancera : « Mais il vient d'où, le tsunami en Bavière ? » La salle rit.

Le spectacle est divertissant, le personnage familier. « C'est vrai ou ce n'est pas vrai ? » alpague plusieurs fois l'ancien président, forçant l'approbation. On entend des « oui, c'est vrai » en coulisse. « Ah, bah alors… on sait que c'est vrai ! »

« Droit dans le mur »

Certes, c'est sous sa présidence que l'Arenh (Accès régulé à l'électricité nucléaire historique) est mis en place – ce mécanisme qui contraint EDF à vendre à prix coûtant une partie de son électricité à ses concurrents, plombant ses capacités d'investissement. Mais que voulez-vous... « On peut être contre, mais ce n'est pas cela qui a détruit la filière », soutient-il.

L'accord de 2012 noué entre le PS et les Verts pour fermer 24 réacteurs, si ! « Ségolène Royal et François Hollande sont allés droit dans le mur en klaxonnant. […] J'avais prédit que la réduction de la part du nucléaire dans le mix électrique entraînerait une vague de délocalisations, que ce serait un cataclysme économique et une folie. »

Il vibrionne, assène quelques vérités cinglantes, éludant d'une pirouette sa part d'ombre – la libéralisation du marché de l'électricité, décidée sous Jospin mais qu'il mettra en œuvre, l'absence de commandes de nouveaux réacteurs, la guerre entre EDF et Areva, qu'il observe sans y mettre un terme…

Le « ce n'est pas moi » de Hollande

François Hollande, plus tard, a la même mémoire sélective. « J'ai toujours défendu la filière », soutient-il. La réduction de la part du nucléaire à 50 % du mix en 2025, inscrite dans la loi par Ségolène Royal, ne faisant l'objet d'« aucune trajectoire », ose-t-il, il était évident qu'elle ne s'appliquerait pas. Quel serait donc le problème ?

« Ce qui me frappe le plus, confiait au Point Raphaël Schellenberger à la veille de ce dernier round, c'est la légèreté avec laquelle ce sujet vital pour la nation était en réalité traité… » Une légèreté observée chez la plupart des acteurs – qui se sont révélés n'être que des acteurs, justement.

Des gens jouant le rôle qu'on leur avait assigné sans s'interroger sur le sens de leurs actions, des plus hauts fonctionnaires aux ministres, en passant par les conseillers ministériels ou les présidents d'institutions comme l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) ou RTE (Réseau de transport d'électricité). « Je ne m'attendais pas à voir étalées tant d'approximations », raconte, abasourdi, un autre membre de la commission.

Parjure ou ignorance ?

Le ton est donné dès la première audition, le 2 novembre, quand, pour la première fois, le discours antinucléaire le plus caricatural, celui que les Français entendent dans les médias depuis des décennies, doit reculer sous la menace d'être poursuivi pour parjure. Devant les députés, l'anthropologue Nathalie Ortar, directrice de recherche au ministère de la Transition écologique, affirme avec aplomb, sous serment : « Suite à Tchernobyl, on a eu des écoles où les enfants sont tombés massivement malades de leucémie. Cela a été étayé scientifiquement. De la même façon qu'il y a eu des morts massifs – on le sait aussi, cela a été étayé scientifiquement – de bergers en Corse. »

À LIRE AUSSILe grand déballage explosif de l'ancien patron d'EDF face aux députésSommée, dès le lendemain, dans un courrier officiel consulté par Le Point, d'indiquer ses sources aux parlementaires, la « scientifique » demandera que ses propos soient retirés, finissant par reconnaître, penaude, avoir fait preuve d'une « grave négligence » en relayant des rumeurs sans le moindre fondement.

Effaré, l'un des membres de la commission aura cette réflexion : « Cela démontre à quel point la propagande antinucléaire a pénétré ceux qui se prennent pour des scientifiques au sein de l'institution. » L'employée du ministère, dont les mots ont été retirés du rapport d'audition, ne sera finalement pas poursuivie pour parjure. « Peut-on sanctionner l'ignorance et l'incompétence ? » soupire le même député.

« Tout le monde savait »

De l'ignorance, de l'incompétence… mais aussi du cynisme et de la basse politique, les membres de cette commission hors norme, dont le sérieux est partout salué, en auront déterré par brassées. Il y a cet « accord de coin de table » de 2012 – ce sont les mots d'Arnaud Montebourg – actant la fermeture de 24 réacteurs et inscrit dans la loi « sans aucune analyse de besoin ou étude d'impact », confirmera Manuel Valls.

Il y a ces rapports écrits par le gestionnaire de réseaux RTE sous-estimant systématiquement les besoins énergétiques futurs, contre l'avis des experts et des scientifiques. Il y a ces alertes de l'ASN, des patrons successifs d'EDF, de l'Union française de l'électricité (UFE), du haut-commissaire à l'Énergie atomique Yves Bréchet s'inquiétant d'une baisse de la puissance pilotable installée, mettant en péril la sécurité d'approvisionnement du pays, remises en main propre à différents ministres et conseillers, et aussitôt enterrées.

À LIRE AUSSITransition énergétique : la France organise un « club nucléaire » en Europe « Tout le monde savait », confirmera Pierre-Marie Abadie, directeur de l'énergie au ministère de 2007 à 2014 et actuel patron de l'Andra au cours d'une audition hallucinante. « Pourquoi n'avez-vous pas collectivement démissionné ? » lui demande le rapporteur Antoine Armand. Pas de réponse autre qu'un silence gêné… Laurent Michel, patron de la direction énergie climat du ministère depuis fin 2012 et toujours en poste, s'en tiendra à une solide langue de bois pour nier tout problème.

Ravageuses pour l'image des politiques, les auditions des anciens ministres Dominique Voynet, Ségolène Royal ou Nicolas Hulot resteront dans les annales… Ce dernier répondant en bredouillant n'avoir pas eu connaissance d'un rapport capital remis en 2018 par l'ancien administrateur général du CEA Yannick d'Escatha et qui enjoignait à l'exécutif de lancer au plus tôt la construction de six réacteurs pour enrayer la perte de compétences de la filière. « Je ne sais pas, je ne crois pas… » « Si; si, vous l'avez eu », corrigera sa directrice de cabinet, qui confirmera aussi avoir aussitôt enterré le sujet.

« Sanction politique, pas pénale »

« Nous avons entendu deux catégories de personnes, analyse Raphaël Schellenberger, celles qui croyaient à la sortie du nucléaire et celles qui se sont habituées au pouvoir et qui sont encore là… » Comme l'actuel secrétaire général à la Planification écologique Antoine Pellion, conseiller de Ségolène Royal en 2014-2016 puis d'Emmanuel Macron à l'Élysée, défendant aujourd'hui une politique radicalement opposée à celle qu'il portait dans le passé. Ou l'ancienne directrice de cabinet de Ségolène Royal, Élisabeth Borne, actuelle Première ministre.

« Ils sont arrivés aux manettes convaincus qu'il fallait sortir du nucléaire. Aujourd'hui, ils essaient de dédramatiser les décisions prises, sans reconnaître leurs erreurs et en se persuadant que le nouveau projet d'Emmanuel Macron reste compatible avec un mix à 50 % de nucléaire. Ils ont complètement intériorisé ce plafond, et n'ont jamais compris l'effet délétère qu'il pouvait avoir sur la filière. »

À l'heure où l'exécutif, après une brusque prise de conscience, s'attelle à redresser la barre dans un contexte douloureux – EDF étant lesté de dettes et confronté à un lourd problème de corrosion sous contrainte –, le rapport de la commission d'enquête est particulièrement attendu.

La haute trahison, ce n’est pas d’avoir un programme politique débile et de vouloir le mettre en œuvre.Le président de la commission d’enquête Raphaël Schellenberger

Dans l'opposition, des voix se sont élevées pour réclamer des têtes… Elles seront déçues. « La haute trahison, ce n'est pas d'avoir un programme politique débile et de vouloir le mettre en œuvre », tranche Raphaël Schellenberger, qui souhaite avant tout que ces travaux servent d'enseignement pour l'avenir.

Une prochaine loi de programmation sur le climat et l'énergie doit fixer, au plus tard à l'automne, les grandes orientations énergétiques du pays pour les vingt ans à venir. « La sanction doit être politique, pas pénale », confirme une députée, membre assidue de la commission.

Le rapporteur Antoine Armand, qui a accumulé plus de 5 000 pages de documents annexes, a déjà commencé la rédaction de son rapport, en concertation avec les autres membres de la commission, qui ont réussi – le fait est assez rare pour être souligné – à travailler dans une ambiance apaisée, quel que soit leur groupe politique, sans jamais jouer d'effets de manche.

 
 
 

Le texte, qui doit être adopté le 30 mars, comprendra une série de propositions pour garantir un meilleur niveau d'information scientifique, « sécuriser les décisions » et éviter que des dérives politiques aussi graves puissent impacter des sujets de sécurité nationale. « Il faut un arc républicain pour la souveraineté énergétique », a récemment appelé le communiste Fabien Roussel. De l'autre côté de l'hémicycle, il a été entendu.

Emmanuel Macron enclenche le « chantier du siècle »

Le président réunit ce vendredi un conseil de politique nucléaire pour adopter une feuille de route opérationnelle dès l’été 2023. Enquête sur les hommes du futur chantier.

Il a déposé ses cartons à l'hôtel de Roquelaure, juste en dessous du bureau de la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher. Bien plus que les promesses d'Emmanuel Macron de relancer le nucléaire, un virage à 180 degrés amorcé en février 2022 à Belfort, la nomination de Joël Barre, neuf mois plus tard, au poste de délégué interministériel au nouveau nucléaire, a achevé de convaincre la filière : « Jusqu'à présent, on se demandait si le discours d'Emmanuel Macron n'était pas du pipeau », confie un industriel de premier plan. « Maintenant, on sait. » À l'Élysée, en lien direct avec l'hôtel de Roquelaure, une autre grande figure a été placée au plus près du président : Daniel Verwaerde, longtemps chargé des applications militaires au Commissariat à l'énergie atomique avant de devenir patron du CEA, s'est vu confier la mission d'organiser « une équipe de France du nucléaire le plus rapidement possible », précise-t-on au Château.

Un an après le discours de Belfort, l'équipe chargée de s'assurer que les six nouveaux réacteurs promis par le président, et potentiellement huit autres, est désormais en place. Et Emmanuel Macron, longtemps réservé à l'égard de l'atome dont il promettait une sortie progressive pendant son premier quinquennat, prêt à endosser son nouveau costume de « grand bâtisseur ». Adieu, Fessenheim, bonjour, Penly ! Le président rêve maintenant d'inscrire ses pas dans ceux du général de Gaulle et de couler le premier béton de la prochaine génération de réacteurs, celle qui assurera la prospérité de la France au long des prochaines décennies, avant son départ de l'Élysée, en 2027.

Être prêts dès quand les lois seront votées

Pour assurer son autonomie et son indépendance énergétique, rappellera le président ce 3 février, la France développera les énergies renouvelables, prônera la sobriété, et elle renouvellera, surtout, son parc nucléaire qui, en 2040, arrivera en fin de vie. Un chantier colossal, « probablement le chantier du siècle », admet-on à l'Élysée, alors que la filière, après des décennies de déprime et de sous-investissements, est dans un état piteux, illustré par les déboires de l'interminable chantier de Flamanville.

Alors que l'Europe traverse une crise énergétique sans précédent, tout en restant soumise à l'impératif de décarboner son économie, le calendrier presse : une nouvelle loi énergie-climat est attendue au deuxième semestre 2023, pour définir le futur mix énergétique de la France. Une nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) suivra, texte fondamental qui devra être prêt en juin et qui inscrira dans le marbre la nouvelle politique énergétique, alors que l'actuelle prévoit toujours la fermeture, d'ici 2035, de 14 réacteurs. Si des débats publics sont en cours pour évaluer la pertinence de ces choix et que la loi n'est pas encore votée, « on ne peut pas se permettre d'attendre pour préparer le terrain », estime la présidence de la République.

Autour d'Emmanuel Macron, ce vendredi, seront donc rassemblés tous les ministres concernés (Transition énergétique, Économie…), le délégué interministériel Joël Barre, des membres du CEA, pour discuter de l'état d'avancement des dossiers amorcés (une loi d'accélération du nucléaire est en cours d'examen au Parlement), et de ceux à venir. « Le président veut que ce conseil soit réuni autour de lui au moins une fois par an », précise son entourage… comme le prévoit la loi depuis un décret de 2008, loi qu'Emmanuel Macron n'avait jamais appliquée. L'envolée des prix de l'électricité depuis deux ans, puis la guerre en Ukraine ont renversé l'ambiance. « L'État s'est organisé pour piloter ce chantier de 60 milliards d'euros. Le président s'engage pleinement, parce que le nucléaire aura besoin d'une cabine de pilotage, et d'un chef à bord », emphase l'Élysée.

Joël Barre, ex-DGA expert des chantiers de long terme

Dans son bureau à la décoration spartiate, le nouveau « Monsieur Nucléaire », Joël Barre, décrit sa mission en termes clairs, opérationnels, précis : « La priorité des priorités, c'est que les EPR 2 sortent de terre à l'horizon fixé, sans reproduire les errements de Flamanville ». L'homme de 67 ans est carré, parle sans fioritures, et quand il y a un problème, il le dit. Polytechnicien, ingénieur de l'armement, il était jusqu'en juin dernier directeur général de l'armement (DGA). C'est-à-dire l'homme des chantiers de long terme, ceux qui exigent qu'on planifie des budgets colossaux et des moyens industriels sur trente ans. À son actif, le premier missile à charge nucléaire de la force de dissuasion aéroportée (il sera mis en service en 1986), ou le programme Hélios, premier satellite d'observation militaire européen.

« Affable », mais « exigeant », disent de lui ceux qui l'ont côtoyé, il a aussi l'habitude de tenir ses équipes la bride serrée. Depuis début décembre, une fois par semaine, les responsables du nucléaire d'EDF se déplacent dans son bureau, pour rendre compte à la fois de l'état actuel du parc, et de la mise en marche des futurs chantiers. L'ambiance est « fluide » : Joël Barre connaît bien Luc Rémond, le nouveau président d'EDF, qu'il avait recruté dans son équipe à la DGA, il y a une trentaine d'années. Comme il connaît intimement Daniel Verwaerde, son « antenne » à l'Élysée. À terme, sa délégation comptera une quinzaine de personnes, qui auront vocation à accompagner les chantiers jusqu'à ce que les centrales crachent leurs premiers électrons – à horizon 2035 ou 2040. Certains sont déjà recrutés, comme Vincent Le Biez, un ancien de l'Agence des participations de l'État, auteur d'un essai remarqué sur les liens entre sciences et philosophie politique, « X-Mines pur jus, la Rolls des grands commis de l'État », louange l'un de leurs interlocuteurs. D'autres suivront bientôt, spécialistes des process industriels, des finances ou de l'architecture administrative. « Je pense que jusqu'à présent, on a pu manquer parfois de vision d'ensemble et coordonnée », euphémise Joël Barre.

Une « revue de programme » à l'été 2023

La feuille de route à court terme est précise : l'équipe devra livrer, d'ici l'été 2023, une revue de programme complète du futur EPR 2. Le design du réacteur est-il bien calibré, sans « surenchère technologique » inutile ? Les technologies qu'il prévoit sont-elles suffisamment mûries, développées ? L'industrie est-elle capable de réaliser ce programme, en termes de compétences, de personnel, de matériaux, de dimensionnement des usines et des chaînes de montage ? Quels sont les projets d'EDF à l'export, à long terme ? Ces projets sont-ils compatibles avec le programme français ? Quels financements imaginer ? Les plans sont-ils compatibles avec les exigences de Bruxelles ? En parallèle, Joël Barre aura aussi la main, avec Daniel Verwaerde et une poignée de conseillers, sur les choix stratégiques concernant les petits réacteurs modulaires (SMR) promis par Emmanuel Macron, plusieurs modèles se disputant encore les budgets de recherche.

Tous ces points ne seront pas abordés ce 3 février. Mais pour Emmanuel Macron, il s'agit avant tout de prendre date, et de mettre son administration en ordre de bataille. Car « tenir l'intégralité des délais et des coûts est une priorité importante », insiste l'Élysée, chaque dépassement pouvant se chiffrer en centaines de millions, voire en milliards d'euros. Mais aussi parce que les choix qui seront tranchés l'automne prochain déclencheront une série de conséquences qui devront être mûrement pesées, et anticipées : approvisionnement en uranium, augmentation des capacités d'enrichissement, entreposage et de stockage des déchets… Les industriels, eux, se tiennent prêts. La commande de six gigantesques chaudières est attendue, chez Framatome, avant la fin de l'année.

Sur le nucléaire, tout le monde ment…

De Macron à Mélenchon ou Le Pen, chacun privilégie, pour résoudre la question cruciale des ressources énergétiques, le déni de la réalité.

Si le président, après la « fable de Fessenheim », a fait une volte-face spectaculaire sur le nucléaire, ses principaux opposants ne sont pas avares de fariboles grossières sur le sujet. Jean-Luc Mélenchon veut faire croire que nos centrales nucléaires ne fonctionnent pas en cas de grosse chaleur, tandis que Marine Le Pen, en guerre contre les éoliennes, prévoit la construction de deux nouvelles centrales nucléaires par an, un planning techniquement intenable.

« Fessenheim était une centrale sur laquelle il n’y avait plus de travail de maintenance depuis plus de cinq ans. Le choix le plus rationnel était de confirmer sa fermeture. »

Emmanuel Macron. Président de la République, le 5 septembre 2022 à l’Élysée

Incapable de reconnaître ses erreurs sur la politique énergétique conduite pendant son premier quinquennat (il planifiait alors la fermeture de 14 réacteurs d’ici à 2035), Emmanuel Macron, après un revirement spectaculaire en faveur de l’atome, a tout simplement décidé de récrire l’Histoire. Pour justifier la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, en 2020, à la veille d’une crise énergétique hautement prévisible, le président a inventé une fable : Fessenheim, à l’en croire, n’était plus en état de fonctionner, les opérations de maintenance ayant été stoppées avant son élection. 

Pris en avril 2017, juste avant l’élection d’Emmanuel Macron, le décret actant la fermeture de la centrale conditionnait l’arrêt des deux réacteurs à la mise en service de l’EPR de Flamanville ! Si EDF n’a pas préparé la centrale au quatrième examen décennal qui devait permettre de prolonger son exploitation de dix ans, une maintenance de très haut niveau a donc été effectuée, dans la perspective de plusieurs années d’attente. Les adaptations exigées par l’Autorité de sûreté nucléaire après Fukushima ont toutes été réalisées et, entre 2016 et 2019, pas moins de 313 millions d’euros ont été investis dans la maintenance. 

En manque de gigawatts. En réalité, à l’accord conclu en 2012 entre François Hollande et EELV sur la réduction du parc (et qu’Emmanuel Macron avait repris à son compte) se sont ajoutées d’autres motivations, reconnues à demi-mot par le président en septembre : « Fessenheim était […] à la frontière de l’Allemagne, qui n’est pas alignée avec nous sur le nucléaire »… Le gouvernement, en 2018, aurait pu choisir de faire marche arrière. « La décision de fermer Fessenheim était certes bien avancée, et il aurait fallu relancer les chantiers de prolongation, ce qui aurait pris du temps et aurait eu un coût politique. Mais la rationalité économique, technique et climatique était de la garder », tranchera l’expert en énergie Nicolas Goldberg. Alors qu’il a manqué à la France, ces derniers jours, environ 11 gigawatts de capacités pilotables installées pour passer les pointes de consommation, les 1,8 gigawatt de Fessenheim auraient été utiles… Ils auraient surtout évité l’émission de plusieurs millions de tonnes de CO2, la production de Fessenheim ayant majoritairement été remplacée, jusqu’à présent, par l’importation d’une électricité hautement carbonée en provenance des centrales à gaz et à lignite allemandes. Un fait si pénible à admettre publiquement, pour un gouvernement « vert », que le président lui préfère… une postvérité

« Il se trouve que le nucléaire, ça ne fonctionne pas quand il fait chaud ! »

Jean-Luc Mélenchon. Leader de LFI, le 16 juin 2022 sur France Bleu

Partisan d’une sortie totale du nucléaire dès 2045, le leader de La France insoumise se trompe d’argument : le nucléaire s’accommode très bien de la chaleur ! Une centrale nucléaire tourne à Abou Dhabi, où la température dépasse couramment les 40 °C, et la plus grande centrale des États-Unis, celle de Palo Verde, est installée en plein désert, dans l’Arizona. Pour refroidir ses réacteurs, un système, conçu en 1976, achemine les eaux usées de la ville de Phoenix, grâce à un tuyau long de 46 kilomètres, vers un immense réservoir, où toute une faune s’est développée. 

En réalité, selon la technologie choisie pour leur refroidissement, les centrales nucléaires ont besoin de plus ou moins d’eau. En France, les réacteurs installés en bord de mer, et certains le long de fleuves, ne disposent pas de tours de refroidissement. Pour refroidir leurs réacteurs, 50 mètres cubes d’eau par seconde sont détournés du fleuve, refroidissent le système, et retournent immédiatement (réchauffés de 4 à 8 degrés) se diluer dans les eaux… Compte tenu des volumes, pour les 18 réacteurs situés en bord de mer, aucun problème ne se posera jamais. Pour les réacteurs situés au bord de fleuves importants, comme le Rhône, dont le débit moyen varie de 600 à 900 mètres cubes par seconde, des problèmes ponctuels peuvent survenir : le débit du Rhône est descendu, cet été, à 330 mètres cubes par seconde. Si aucun réacteur n’a été arrêté, il a parfois fallu réduire la puissance pour éviter que les 99 % de l’eau prélevée qui retournent au fleuve ne le réchauffent à la sortie du condenseur. Pour préserver les écosystèmes, l’Autorité de sûreté nucléaire a fixé pour chaque centrale des seuils de température à ne pas dépasser, en amont et en aval, en fonction des études environnementales accumulées depuis quarante ans.

En circuit fermé. En bord de la Garonne, un fleuve particulièrement touché par le réchauffement climatique, la centrale de Golfech est ainsi régulièrement amenée à réduire, voire à stopper, sa production. Mais ces arrêts représentent une infime partie de la production nucléaire : les pertes de production liées à la chaleur ont représenté 0,3 % du total d’électricité nucléaire produite ces vingt dernières années. Très ponctuellement, selon RTE, l’indisponibilité a déjà pu atteindre 10 % de la capacité installée, et une récente étude publiée dans Nature Energy estime que les pertes de production mondiales liées aux indisponibilités climatiques pourraient atteindre près de 2 % en 2100. 

La solution est connue : au bord des fleuves ou des rivières dont le débit est plus faible, 30 réacteurs fonctionnent déjà en « circuit fermé », cela veut dire que seuls 2 mètres cubes d’eau par seconde sont prélevés pour compenser l’eau qui s’évapore des tours aéroréfrigérantes. Ce système de refroidissement utilise l’air ambiant, et non l’eau. Ils ne poseront aucun problème de sûreté, même si le débit des cours d’eau tombait à 20 mètres cubes par seconde. En 2050, l’intégralité du parc actuel aura été renouvelée ou adaptée, en tenant compte des contraintes imposées par le réchauffement climatique. Si le nouvel EPR, situé à Flamanville, en bord de mer, reste en circuit ouvert, les futurs réacteurs placés en bord de fleuve fonctionneront tous en circuit fermé

« Entre le nucléaire, l’hydroélectricité et l’hydrogène, nous pouvons être 100 % indépendants et 100 % décarbonés ! »

Marine Le Pen. Leader du Rassemblement national, le 22 mars 2022 sur BFMTV

La cheffe de file du Rassemblement national, en guerre contre les éoliennes, auxquelles elle reproche leur coût, leur intermittence et leur impact sur l’environnement, promettait pendant sa campagne un moratoire sur toute nouvelle construction et le démantèlement des parcs arrivés en fin de vie. Mais son plan pour les remplacer apparaît peu crédible, en l’état actuel de la science et des technologies. Ainsi, Marine Le Pen promet à la fois la prolongation des 56 réacteurs actuels jusqu’à 60 ans, et le renouvellement total du parc à un rythme soutenu : deux réacteurs seraient construits chaque année à partir de 2031. Un planning que même les plus convaincus des pronucléaires savent intenable : « Dans un monde idéal, on pourrait construire un réacteur par an entre 2035 et 2040, puis monter à deux réacteurs par an », confiait au Point l’ancien patron d’EDF Jean-Bernard Levy il y a quelques mois. En dehors du parc nucléaire, Marine Le Pen dit compter sur le développement de nouvelles capacités hydroélectriques, ainsi que sur l’hydrogène « vert », dont on ignore encore comment le produire en quantité, le transporter, et l’utiliser de manière sûre à grande échelle. En 2040, sans la moindre éolienne, la France risquerait de se retrouver dans le noir… ou contrainte de construire en catastrophe des centrales au gaz

Revirement
Le gouvernement renonce à l’objectif de réduction à 50% de la part du nucléaire dans la production d’électricité

Suivant la commission des affaires économiques du Sénat, le gouvernement a déposé lundi un amendement qui vise à supprimer l’objectif fixé par la loi de transition énergétique de 2015.

C’est un sacré revirement, un changement de cap majeur de la politique énergétique du pays. Le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires, discuté en séance publique au Sénat à partir de mercredi, prévoit désormais la suppression pure et simple de l’objectif de réduction à 50% de la part du nucléaire dans la production d’électricité (contre plus de 75% aujourd’hui).

Cet objectif de réduction à 50% était pourtant la mesure phare de la loi de transition énergétique de 2015, présentée comme «l’un des textes les plus importants du quinquennat» de François Hollande et censée esquisser un nouveau modèle de consommation et de production énergétique (plus de sobriété et d’énergies renouvelables, moins de fossile et d’atome). En 2019, l’échéance pour atteindre ces fameux «50 %» avait déjà été reportée à 2035, alors que la loi de 2015 prévoyait un horizon à 2025. Et ce, contrairement à une promesse de campagne d’Emmanuel Macron, qui avait promis de «garder le cadre» de la loi de transition énergétique.

Mais mercredi dernier, la commission des affaires économiques du Sénat, par la voix de son rapporteur, Daniel Gremillet (LR), a porté à cet objectif un coup potentiellement fatal (si le projet de loi était adopté en l’état). Cette commission a en effet largement amendé le projet de loi d’accélération du nucléaire. Afin, de son propre aveu, de «transformer» en «vision politique» le «texte technique» présenté en novembre par la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher (dont la rédaction peut encore évoluer, puisque après le Sénat, il devra aussi être examiné à l’Assemblée nationale).

 

D’un plafond à un plancher

Ainsi, donc, la commission des affaires économiques du Sénat a supprimé l’objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire dans la production d’électricité d’ici 2035. Mieux, elle a même inscrit dans le texte l’idée de «maintenir la part du nucléaire dans la production d’électricité à plus de 50 % à l’horizon 2050», passant du principe d’un plafond à celui d’un plancher.

Ce qui semble parfaitement convenir au gouvernement, puisque ce dernier vient de déposer lundi un amendement visant lui aussi à supprimer l’objectif précis et chiffré de 50 % de nucléaire dans le mix électrique, pour le remplacer par un objectif très vague consistant à «diversifier le mix électrique en visant un meilleur équilibre entre le nucléaire et les énergies renouvelables».

 

Outre la suppression de l’objectif de 50 %, le Sénat a aussi supprimé le plafond de 63,2 GW de capacité nucléaire installée prévu dans la loi de 2015, ce à quoi le gouvernement ne s’oppose pas. Cette disposition impliquait, en creux, de fermer des réacteurs nucléaires si l’Etat souhaitait en construire de nouveaux, afin de respecter ce plafond.

Objectif de décarbonation

Insistant sur la «décarbonation» du mix électrique plutôt que sa diversification, changement de terme qui permet de faire la part belle au nucléaire – puisqu’on peut théoriquement décarboner toute la production d’électricité grâce au nucléaire sans avoir recours à une diversification incluant les énergies renouvelables, pourtant elles aussi décarbonées –, le Sénat précise que cet objectif de décarbonation suppose la construction de réacteurs nucléaires. Et avance même un chiffre : «La construction de quatorze réacteurs pressurisés européens.» Alors que l’application de la loi de 2015 supposait la fermeture de 12 réacteurs (la France en compte aujourd’hui 56).

 

Le projet de loi «d’accélération du nucléaire» vise donc bien, à ce stade, à modifier en profondeur les objectifs de la politique énergétique française… alors même qu’un débat public relatif à ces objectifs est encore en cours, organisé par la Commission nationale du débat public. L’empressement du gouvernement à faire voter cette loi sans attendre la fin de ce débat, en actant la suppression de l’objectif de 50 % de nucléaire, pose question.

Coralie Schaub

publié le 17 janvier 2023
« S'ils étaient au pouvoir, les opposants au nucléaire changeraient d’avis »

ENTRETIEN. Le texte d’accélération de la filière, qui arrive au Sénat, confirme le soutien de l’Élysée à l’atome et irrite l’Allemagne, décrypte Dominique Louis, le patron d’Assystem.

Sur le chemin rugueux d'une souveraineté énergétique retrouvée, le gouvernement avance une marche après l'autre… Après l'adoption, en première lecture, le 10 janvier, du projet de loi d'accélération des énergies renouvelables, le texte visant à accélérer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires arrive, mardi 17 janvier, au Sénat.

Un symbole pour le gouvernement qui, après avoir longtemps défendu le recul progressif du nucléaire, a brusquement viré de bord, Emmanuel Macron promettant la construction d'au moins six nouveaux réacteurs EPR pendant sa campagne. Très technique, le texte de onze articles devrait être adopté sans encombre par la Chambre haute, avant d'arriver à l'Assemblée, où il promet de déchaîner les débats.

Car il devance un calendrier hautement éruptif : la Commission nationale du débat public (CNDP), dirigée par Chantal Jouanno, examine en ce moment même l'opportunité de construire, ou non, six nouveaux réacteurs de type EPR2. Et la vraie discussion aura lieu lors de la première loi de programmation énergie climat, dont l'adoption, espérée en juillet 2023, fixera les grandes orientations du mix électrique pour les prochaines décennies.

Une nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) suivra, l'actuelle actant toujours la fermeture de douze réacteurs nucléaires d'ici à 2035. « L'objectif », a précisé la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher devant les sénateurs, est de couler le premier béton « d'ici à la fin du quinquennat ».

« C'est un texte très concret, mais aussi très politique, qui s'adresse à l'opinion pour montrer que le gouvernement fait le job », tranche Dominique Louis, patron du leader européen d'ingénierie nucléaire Assystem, l'un des premiers acteurs de la filière nucléaire française.

Fondée en 1966 pour accompagner le démarrage du premier parc, son entreprise est au cœur des enjeux de souveraineté énergétique – premier sous-traitant d'EDF, elle est au front pour assurer la réouverture du parc ou réaliser le grand carénage, qui verra prolonger la durée de vie des réacteurs.

La parole de Dominique Louis est rare, mais il suit, en expert, l'évolution des débats sur l'avenir du nucléaire français, à l'aube d'un réel renouveau mais confronté à une somme de défis que ce tout premier texte n'effleure pas. Quels sont-ils ? Le débat public sur notre futur énergétique souffre-t-il d'angles morts ? Comment appréhender le bras de fer qui oppose la France à l'Allemagne sur le nucléaire ? Entretien.

Le Point : Depuis son discours de Belfort en février 2022, Emmanuel Macron n'a pas concrétisé sa promesse de lancer en France la construction de réacteurs nucléaires. Le texte d'accélération qui arrive au Sénat est un premier marqueur. En êtes-vous satisfait ?

Dominique Louis : Il faut être admiratif du chemin parcouru. Depuis la publication, à la fin de l'année 2021, du rapport de RTE sur les « futurs énergétiques 2050 », qui détaillait pour la première fois les impasses scientifiques et techniques de scénarios à 100 % d'énergies renouvelables, les débats ont retrouvé un peu de rationalité, et aujourd'hui un texte est présenté pour permettre d'accélérer la construction de centrales nucléaires.

Quel renversement ! Ce cheminement s'explique, en grande partie, par le conflit ukrainien : nécessité fait loi. L'opinion a brusquement pris conscience que l'énergie est un sujet central et que sa rareté et son prix pouvaient ébranler toute la société. On entend beaucoup moins certains experts « gourous » qui avaient la faveur des médias.

La crise actuelle a montré l'urgence de renforcer nos capacités propres de production d'électricité. Le texte présenté est-il vraiment de nature à accélérer les choses ?

C'est un texte très concret, qui devrait permettre de raccourcir les délais avant que ne démarre la construction. D'une part, il simplifie les procédures d'urbanisme, de sorte que l'on pourra commencer les travaux de terrassement et la construction des bâtiments annexes, dès qu'on aura l'autorisation environnementale, avant le décret autorisant la construction des réacteurs eux-mêmes. En gros, on devrait gagner deux ans, peut-être même davantage.

D'autre part, il sécurise juridiquement les projets en uniformisant les recours, qui iront directement au Conseil d'État. C'est essentiel : souvenons-nous des violences et recours en cascade qui avaient conduit, au début des années 1980, à l'annulation du projet de centrale de Plogoff [au printemps 1981, entre 50 000 et 100 000 personnes manifestaient contre un projet de centrale près de la pointe du Raz, dans le Finistère, finalement annulé par François Mitterrand, NDLR].

Il faut éviter que la justice soit instrumentalisée pour faire de l'obstruction. Car je suis persuadé que certains militants et politiques antinucléaires ne vont pas renoncer. Maintenant, qu'on ne se leurre pas : ce texte ne va pas changer fondamentalement les choses. Le principal défi reste celui de la construction. Comment faire en sorte de ne pas mettre quinze ans pour construire ? C'est aux industriels de répondre.

On sait que la filière a beaucoup perdu en main-d'œuvre et en compétences…

Assystem recrute 2 500 ingénieurs par an, la formation n'est pas un sujet bloquant. Pendant presque vingt ans, on a expliqué à cette filière qu'on allait la faire disparaître dans les trente prochaines années. Pas de quoi faire rêver d'une carrière d'ingénieur, de technicien ou d'ouvrier soudeur ! Mais on voit bien que, dès lors qu'il existe un projet qui s'inscrit en plus dans la protection du climat, les recrutements reviennent. Quant à la formation, c'est un problème de court terme, que la filière saura régler.

On ne peut pas tout attendre du gouvernement, c'est aux entreprises de se montrer suffisamment attractives et de proposer les bons salaires. En réalité, les vrais défis vont porter sur les délais et les coûts. Nous devons rapidement passer de la construction de quelques prototypes à une construction en série.

Il va falloir détailler l’ambition de la filière pour les cinquante prochaines années, car cela va peser sur son dimensionnement.

Dans ce contexte, annoncer la construction de six nouveaux réacteurs EPR, comme l'a fait Emmanuel Macron, est un peu court pour entrer dans cet effet de série. Framatome, qui fabrique les chaudières, doit savoir rapidement s'il faudra en faire six ou vingt pour pouvoir relancer ses investissements et adapter ses usines. Son plan de charge aujourd'hui intègre, par exemple, les futurs réacteurs anglais…

Quelle sera, par ailleurs, la feuille de route d'EDF à l'international ? De nombreux pays veulent développer le nucléaire, comme l'Arabie saoudite, l'Inde, la Pologne, la Suède, les Pays-Bas, etc. De quelle façon notre filière sera-t-elle impliquée ?

Le fait de donner cette visibilité est fondamental. Or cette feuille de route n'est pas claire. Si tout le monde a en tête qu'on construira forcément plus de six EPR, il va falloir détailler l'ambition de la filière pour les cinquante prochaines années, car cela va peser sur son dimensionnement. Ce n'est pas un problème à court terme, mais il faut s'y préparer.

Une cellule interministérielle dédiée au nouveau nucléaire a été créée le 8 novembre, dirigée par l'ancien directeur général de l'armement Joël Barre, un homme qui a l'habitude de gérer les plannings et les budgets à très long terme. Pour ceux qui vivent ces sujets de l'intérieur, c'est une excellente nouvelle.

Qu'attendez-vous du prochain débat sur l'avenir du mix énergétique de la France ?

Les discussions vont permettre de poser clairement sur la table un certain nombre de problématiques. Quelle sera notre stratégie pour 2050 ? On voit d'ores et déjà que le fait d'avoir un système de production d'électricité mixant nucléaire et renouvelable n'est pas simple à faire fonctionner. Par ailleurs, comment résoudre le problème de l'emprise foncière ?

Quand on explique qu'on veut construire 50 parcs éoliens offshore, avec chacun une soixantaine d'éoliennes, il faut se demander où on va les mettre ! Ce plafond de verre est sous-estimé, et il concerne de la même façon le nucléaire. Les partisans du tout nucléaire plaident pour la construction d'une trentaine d'EPR. Mais où les construire ? Ce débat aura lieu, il est incontournable pour prévoir le long terme. Mais il n'est pas nécessaire de le trancher aujourd'hui.

Que voulez-vous dire ?

L'essentiel est d'enclencher le renouvellement du parc nucléaire, et de mettre le pays dans la bonne direction. Il y aura toujours des gens qui militeront pour une sortie totale du nucléaire mais ils sont minoritaires. On voit clairement deux tendances se dessiner chez les écologistes, entre ceux pour qui le dogme fondateur reste le rejet du nucléaire, et ceux qui n'y sont pas accrochés. Ce sont ces derniers qui rallieront le maximum d'opinions.

De toute manière, les décisions n'engageront les gens au pouvoir que sur le court terme. Nous sommes déjà en train de construire massivement du renouvelable, dont la durée de vie est de vingt ans. C'est une bonne chose, car cela permettra de répondre à l'urgence en nous laissant dix ans pour décider, ou non, d'en construire davantage.

Et, fondamentalement, équiper les toitures de panneaux solaires est une mesure excellente. Mais il ne serait pas astucieux, aujourd'hui, de prendre des décisions définitives, même si la construction d'un grand nombre de réacteurs nucléaires me paraît assez inéluctable, car nous allons être très vite confrontés au problème du coût de l'énergie.

Quel mix imaginez-vous ?

Le problème du renouvelable, c'est son côté aléatoire. Si vous avez de la chance, que l'hiver est doux et qu'il y a du vent, tout va bien. Vous pouvez presque arrêter vos centrales nucléaires ! Mais, si l'hiver est froid, sans vent ? Nous devrons décider où mettre le curseur. Je le déplore, mais je pense que l'autosuffisance à 100 % est impossible, sauf à reposer à 100 % sur du nucléaire. À partir du moment où l'intermittence entre en jeu, un déséquilibre s'installe.

Peut-être faudra-t-il accepter un modèle où nous exporterons notre électricité 80 % du temps et l'importerons les 20 % restants pour passer une pointe ? On voit bien que la réponse des Allemands est de construire beaucoup de centrales à gaz, qu'ils démarrent au moment de passer la pointe. J'espère, pour le climat, que la France n'en construira pas, mais alors elle devra acheter son électricité à l'extérieur.

Dans le contexte que nous connaissons, Emmanuel Macron doit certainement regretter la fermeture de Fessenheim… Mais je pense qu'aujourd'hui le problème est pris par le bon bout. Maintenant, il va rester la problématique de Bruxelles et des Allemands.

 Un conseil des ministres franco-allemand doit se tenir le 22 janvier, sur fond de crise larvée entre nos deux pays sur la question énergétique. L'Europe, comme l'Allemagne, s'oppose systématiquement aux textes visant à soutenir le développement des sources d'électricité bas carbone, car elles englobent le nucléaire français. Cette opposition est-elle tenable ?

L'Allemagne est en train d'expulser les habitants d'un village pour agrandir une mine de charbon à ciel ouvert. Personne n'exproprie les gens d'un village pour cinq ans ! J'en ai l'intime conviction : les Allemands ont une stratégie de long terme largement basée sur les énergies fossiles, pour au moins trente à cinquante ans. S'ils n'étaient pas tenus par les Verts, je pense qu'ils feraient marche arrière en soutenant que les rejets de CO2 ne sont pas si graves que ça.

Nos voisins se sont trompés en pensant que la France allait, elle aussi, sortir du nucléaire et ne faire que de l'éolien. Ils n'avaient pas prévu ce récent revirement en faveur de l'atome, qui fait que nous sommes aujourd'hui beaucoup plus proches de la politique énergétique britannique.

La France peut-elle imposer son choix ?

C'est un problème de volonté politique, et je pense que nos gouvernements feront le job, car la pression sur les prix de l'énergie va devenir insoutenable. S'il était élu en 2027, je suis sûr que même un opposant au nucléaire changerait d'avis : il n'y a pas d'alternative au nucléaire en France. Cela risque de créer des frictions avec l'Allemagne. On voit se développer un ressentiment contre Berlin qui a mis toute l'Europe dans l'embarras en se tournant vers le gaz russe il y a 30 ans, en dépit des avertissements.

Les Allemands ont pensé qu'en situation de paix avec la Russie ils pourraient exporter leurs produits à valeur ajoutée et leurs machines-outils tout en bénéficiant d'une énergie bon marché. C'était assez égoïste de leur part. C'est pour cela que ceux qui réclament aujourd'hui qu'on ne recrée pas une situation de conflit avec l'Allemagne s'aveuglent à nos dépens.

Oui, la relation avec l'Allemagne va se tendre. Mais la France n'est pas isolée : la Suède et même les Pays-Bas veulent relancer le nucléaire. Il ne restera en Europe que l'Allemagne, le Luxembourg et l'Autriche pour s'y opposer.

Aujourd'hui, Berlin cherche, par tous les moyens juridiques et internationaux, à s'opposer au programme nucléaire polonais, au nom de la sécurité de sa frontière. L'enjeu pour nos voisins est de défendre leur compétitivité industrielle. Nous devons, nous aussi, défendre la nôtre.

La France doit-elle sortir du marché européen de l'électricité, comme le réclament les oppositions ?

À force de faire des tarifs spéciaux pour tout le monde – les boulangers, les ébénistes, etc. –, il va bien falloir que quelqu'un paye. Je ne vois pas comment éviter une réforme en profondeur de ce marché, car, compte tenu de ce qu'est l'économie française, le prix de l'électricité va devenir insoutenable pour nombre d'acteurs économiques.

 
 
 

Le système actuel, qui lie le prix de l'électricité au dernier moyen de production appelé, a été conçu à une époque où l'énergie était abondante, dans l'objectif suivant : celui dont la production n'était pas écoulée faisait baisser les prix ! La crise du gaz a inversé les choses. Et cette crise va durer. D'autres pays, en Europe, militeront pour réformer profondément ce système, il n'y a pas d'alternative.

 

 

Fabien Bouglé dénonce la politique énergétique désastreuse de la France

Invité de Ivan Rioufol sur CNEWS le 11 décembre 2022, le spécialiste en politique énergétique Fabien Bouglé met en évidence les rôles joués par les lobby écologistes tels Greenpeace, WWF, ainsi que par les industries éolienne et du gaz allemands, pour infiltrer le gouvernement français et mettre fin à la toute puissance de la technologie nucléaire de notre industrie.


En moins de deux décennies, en menant une politique énergétique désastreuse, les gouvernements français successifs ont transformé la France, puissance mondiale indépendante en terme d'industrie et de technologie nucléaire, en une succursale sous dépendance de l'Allemagne et des USA.

La politique énergétique française a été infiltrée et sabotée de l'intérieur au sein même du gouvernement pour promouvoir les énergies dites "renouvelables" et mettre fin à l'hégémonie de l'énergie nucléaire. Quelques noms pour illustrer cet état de fait.
Corinne Lepage, Ministre de l'Environnement sous Jacques Chirac au milieu des années 1990, a mis tout en oeuvre pour fermer le réacteur nucléaire superphenix, fleuron de la technologie française. Elle est depuis avocate des promoteurs du marché éolien.

Dominique Voynet, ministre de l'environnement sous Lionel Jospin, qui avait pour mission de promouvoir le nucléaire, a déclaré dans un entretien avoir sciemment saboté et fait supprimer l'énergie nucléaire de la liste des énergies d'avenir lors d'un congrès de négociations de l'Union Européenne en 2000 à Bruxelles. Elle avait contribué auparavant à faire fermer superphenix en 1998. Il s'agit clairement d'un acte de haute trahison de la part d'une personnalité politique.

Le député François Brottes, rapporteur pour la mise en place de la baisse du nucléaire à 50%, et du développement des éoliennes sous le gouvernement de François Hollande, est nommé président de Réseau de Transport d'Électricité (RTE) de 2015 à 2020. Un des principaux détracteurs de l'énergie nucléaire est donc installé au coeur de la poltique énergétique de la France.


Xavier Piechaczyk, qui lui succède en tant que directeur du RTE, a pour collaboratrice la militante écologiste déléguée générale de France Énergie Éolienne (FEE), Pauline Le Bertre.


Xavier Piechaczyk est aujourd'hui responsable de Ecowatt, pour expliquer aux Français comment gérer les pénuries d'électricité.

Emmanuel Macron et Élisabeth Borne ont signé en juillet 2020 la fermeture des deux réacteurs nucléaires de Fessenheim, ainsi que l'arrêt de 14 centrales nucléaires.

Fabien Bouglé rappelle que la rentabilité des éoliennes est désastreuse, elles sont plus chères, plus nombreuses et inefficaces depuis le constat de diminution de vent ces dernières années en Europe qui limite grandement l'efficacité de ces équipements. Il faut également noter que l'industrie éolienne n'a rien d'écologique, l'injection de millions de tonnes de béton dans les sous-sols marins détruit un éco-système vivant d'une valeur inestimable sur des surfaces considérables.

Pourtant, l'éolien continue d'être aux coeur des revendications des écologistes.
L'ONG écologiste radicale Greenpeace, habituée aux actions coups de poings, est au centre de la politique énergétique européenne. En infiltrant l'appareil d'état allemand, ses militants ont pu également influencer et oeuvrer à la mise en place d'une politique décisionnaire en faveur des énergies "renouvelables" en France.

Ancien directeur des campagnes de Greenpeace France, le député écologiste européen Yannick Jadot fut condamné en 2005 pour atteinte aux intérêts supérieurs de la nation pour sa participation à l"opération plutonium", l'espionnage de sous-marins nucléaires français dans la rade de Brest. Il a grandement contribué pendant des années avec Europe Écologie Les Verts (EELV) à faire pression sur les institutions pour imposer l'énergie éolienne dans les campagnes et les mers françaises.

Jennifer Morgan, directrice de Greenpeace International de 2016 à 2022, a quitté ses fonctions le 28 février 2022 pour occuper le poste de représentante spéciale pour la politique climatique internationale auprès du gouvernement allemand, elle est également vice-ministre du ministère fédéral des Affaires étrangères en Allemagne sous la direction du ministre Annalena Baerbock.


Frans Timmermans, vice-président de la commission européenne, a pour bras droit un ancien militant de Greenpeace.


L'Office Franco-Allemand pour la Transition Énergétique (OFATE) est une structure de valorisation du modèle énergétique allemand dont le siège se trouve au ministère de l'économie à Berlin, et les locaux de la direction se trouvent à Paris au ministère de la direction de l'énergie et du climat, dirigée par un Allemand écologiste.
Greenpeace, WWF, les lobby du gaz (GRDF) et des éoliennes qui livrent une véritable bataille anti-nucléaire contre les états français et allemands, sont des organisations membres de l'OFATE. Il s'agit clairement d'une ingérence étrangère dans les affaires de la politique énergétique et industrielle de la France.

Avec la réduction drastique de la production nucléaire, pour la première fois depuis plus de 40 ans, on est obligé d'importer de l'énergie, ce qui plombe notre compétitivité industrielle ainsi que notre déficit commercial, accentuant une perte de souveraineté considérable. Aujourd'hui on importe 11 térawattheures par an d'énergie électrique provenant d'Allemagne, ce qui représente 3 à 4 milliards d'euros de dépenses publiques.

La technologie d'avenir Astrid, qui utilisait les déchets des autres centrales nucléaires comme combustible pour alimenter les réacteurs nucléaires de type superphénix de quatrième génération, a été définitivement abandonnée le 30 août 2019 par le gouvernement Macron. Astrid pouvait pourtant assurer 1000 à 3000 ans d'indépendance énergétique grâce aux déchets nucléaires.


L'industriel américain Bill Gates a repris le projet Astrid, garantissant aux USA cette souveraineté énergétique future.

Donc, si cet hiver, Elisabeth Borne vous explique gentiment que pendant quelques heures durant la journée vous n'aurez plus d'électricité, n'en soyez pas surpris !

 

ezechiel
samedi 17 décembre 2022

https://www.agoravox.tv/tribune-libre/article/fabien-bougle-denonce-la-politique-95991

 

Jacques Percebois : « Il faut un sursaut de la France »

Selon l’économiste spécialiste de l’énergie, pour relancer le nucléaire, la réponse passe par les compétences... et les mathématiques.

Dès 2012, dans un rapport fouillé, le spécialiste de l'énergie Jacques Percebois, directeur du Centre de recherche en économie et droit de l'énergie (Creden), avait alerté les autorités sur les risques menaçant l'avenir énergétique du pays : règles de marché bancales, sous-investissements, attentisme dans les décisions de renouveler ou de prolonger le parc nucléaire, perte de compétences… Un rapport qui avait été rapidement enterré. Aujourd'hui, il espère un « réveil » français.

Le Point :La crise que nous vivons, aggravée par la guerre en Ukraine, couvait depuis longtemps. N'était-elle pas prévisible ?

Jacques Percebois : Nous avions des éléments isolés, qui se sont subitement agrégés pour donner une situation difficile. Après la Seconde Guerre mondiale, la grande préoccupation de l'État était l'indépendance énergétique. Cette indépendance a longtemps été garantie grâce au charbon national, mais celui-ci était coûteux. Quand l'économie française a opté pour la mondialisation, elle s'est tournée vers le pétrole, bon marché. Puis les chocs pétroliers nous ont fait prendre conscience que, si l'on voulait à la fois une énergie bon marché et la souveraineté nationale, la seule solution pour la France était le nucléaire. Ce choix s'est avéré excellent, car il a garanti aussi bien la compétitivité de notre économie que notre indépendance. Mais progressivement, à partir des années 1990 et de la libéralisation des marchés énergétiques, l'illusion a grandi que l'on pouvait faire produire nos biens partout dans le monde, qu'il suffisait de les transporter, et que cette mondialisation apporterait la paix à l'échelle internationale. Nous avons fait trois erreurs que nous payons aujourd'hui. La première, c'est qu'on a subordonné la politique énergétique à celle de la concurrence. On a cru que le marché pourrait résoudre tous les problèmes. La Commission européenne s'est donné pour priorité de lutter contre les monopoles et contre les performances des grands énergéticiens français qu'étaient EDF, Engie et Total, qui déplaisaient à nos voisins. La deuxième erreur, c'est que, à partir des années 2010, on a de plus en plus privilégié une vision écologique et non pas industrielle des choix énergétiques. On a considéré que l'énergie devait être subordonnée aux considérations environnementales, parce que l'environnement avait la priorité. Nous avons sacrifié notre industrie, et indiscutablement fragilisé l'industrie nucléaire française. Notre troisième erreur est plus politique : nous n'avons pas suffisamment défendu notre atout nucléaire. Après Fukushima, en 2011, la France a eu le nucléaire honteux , notamment vis-à-vis de l'Allemagne.

Nos dirigeants se sont-ils aveuglés ?

Je pense que, en privilégiant le marché, on a privilégié une vision à court terme des choix énergétiques. Le mot « planification » était proscrit.

On a aussi le sentiment d'une réflexion politique qui est déconnectée des réalités physiques. Nos stratégies ont longtemps été fondées sur l'idée que la consommation d'électricité allait baisser, qu'on allait vers davantage de sobriété…

On peut reprocher à beaucoup d'avoir pensé qu'on pouvait aller vers une très forte réduction de la consommation d'électricité. Car ils ont oublié que, si l'on veut sortir des énergies fossiles et électrifier les usages, que ce soit dans les transports, dans l'habitat ou dans l'industrie, on doit au contraire l'augmenter considérablement. Et il faut bien la produire ! Les échanges d'électricité aux frontières restent marginaux, même si on en parle beaucoup, et la production demeure essentiellement nationale. Le gestionnaire Réseau de transport d'électricité (RTE) a, dans ses prévisions, sous-estimé les besoins. Plus personne ne défend les scénarios d'un mix 100 % renouvelable, qui ont longtemps semblé avoir la préférence de RTE. Mais, en pariant sur l'hypothèse qu'on allait fermer des réacteurs alors qu'il aurait fallu en construire, nous avons fait des choix discutables - par exemple le fait qu'on ait abandonné le projet Astrid, qui préparait la quatrième génération de réacteurs et sur lequel nous étions en pointe. Nous n'avons pas maintenu nos compétences, et les prix que nous subissons aujourd'hui risquent d'aggraver la délocalisation de certaines activités industrielles.

Les finances d'EDF peuvent-elles être apurées ?

L'Arenh, ce dispositif qui oblige EDF à brader une large part de sa production à ses concurrents, a fragilisé les comptes d'EDF. Mais on constate un problème plus général, spécifiquement français, de lien entre l'État et les entreprises publiques. L'État a toujours eu tendance à considérer l'entreprise publique comme une vache à lait, et en même temps comme le bras séculier de sa politique. Le problème à gérer maintenant si l'on veut relancer le parc nucléaire, c'est celui des compétences. La réponse doit commencer au lycée, en redonnant toute leur place aux mathématiques.

Est-ce qu'on peut encore redresser les choses ?

Il faut l'espérer, et commencer par sauver le soldat nucléaire tout en favorisant le développement des énergies renouvelables qui peuvent être mises en production rapidement. À l'heure actuelle, à court terme, on risque en effet d'avoir des problèmes de pénurie. Mais les centrales nucléaires vont refonctionner. Pour l'avenir, il faut une politique qui appuie l'efficacité énergétique et offre l'énergie à son juste prix tout en aidant les plus défavorisés. Mais on a besoin d'un sursaut de la France, qui ne doit pas être à la remorque de l'Allemagne. Nous payons un peu aujourd'hui le choix allemand. La France a encore beaucoup d'atouts, elle se doit de les protéger.

 

Propos recueillis par

 

 

Réacteur de Brennilis : histoire d’un chantier qui n’en finit pas

Arrêtée en 1985, la centrale nucléaire bretonne n’a toujours pas été entièrement démantelée. La faute aux recours juridiques et à un manque d’anticipation.

En 2038, lorsque les visiteurs s'aventureront du côté de Brennilis, ils pourront contempler le vaste marais du Yeun Elez avec le lac Saint-Michel et les monts d'Arrée en toile de fond. Panorama qui ne figure aujourd'hui que sur des photos prises avant 1962. Cette année-là, grues et pelleteuses l'ont défiguré pour y construire la première, et unique, centrale nucléaire à réacteur à eau lourde refroidi au gaz carbonique de 70 mégawatts. Autant dire une étincelle à côté des 900 à 1 500 MW développés, plus tard, par la technologie à eau pressurisée qui, plus efficace, aura finalement raison des turbines bretonnes, stoppées dès 1985, sur lesquelles auront travaillé jusqu'à 200 personnes.

C'est à partir de là que l'histoire s'est vraiment mise à bégayer, avec un projet de démantèlement si interminable qu'il donne le vertige : entre la première chape de béton coulée et le déclassement total du site (prévu, lui, pour 2040), soixante-dix-huit années se seront écoulées pour seulement… dix-huit d'exploitation ! Si le prototype peut donc être considéré comme une tentative avortée, pas question en revanche de rater la suite, c'est-à-dire son démantèlement complet. Pour EDF, l'enjeu est énorme. Pas seulement en raison du coût (de l'ordre de 850 millions d'euros), mais parce que l'opération - première mondiale pour ce type d'installation -, est surveillée de près à l'étranger dans un secteur très concurrentiel. « On a cette chance d'avoir en France EDF qui est constructeur, exploitant et démanteleur, ce que n'a pas l'Allemagne, par exemple, indique Franck Fahy, directeur du projet de déconstruction de Brennilis. On a tout intérêt à développer ce savoir-faire avec une capacité à le vendre à l'export. » 

(Mauvais) exemple. Un « savoir-faire » contesté par les opposants au nucléaire qui, après avoir tout fait pour bloquer les opérations, agitent le chantier en (mauvais) exemple. « Ils ne savent pas faire », assène la porte-parole locale du réseau Sortir du nucléaire Chantal Cuisnier. Alors qu'EDF conçoit ce chantier pharaonique comme une vitrine internationale, la militante pointe, elle, le manque d'anticipation de la filière. « À l'époque, on pensait d'abord à construire, moins à déconstruire », reconnaît Franck Fahy. Résultat, lorsque les machines se sont arrêtées, tout le monde s'est retrouvé face à un problème complexe : comment démanteler un site abritant des déchets radioactifs dont la durée de vie s'évalue en milliers d'années ? « Qu'allons-nous laisser à nos descendants ? » s'interroge de son côté Bernadette Lallouet. Pour la présidente de l'association Vivre dans les monts d'Arrée, le « retour à l'herbe » brandi comme un slogan par les gestionnaires de la centrale n'est qu'une illusion. « La radioactivité reste », assure Chantal Cuisnier. En réalité, arrêtée depuis plus de trente-cinq ans, la centrale ne contient plus de combustible depuis vingt-cinq ans ni aucun déchet hautement radioactif.

Aujourd'hui y sommeillent toujours 6 000 tonnes de déchets « faiblement radioactifs », selon l'Andra. Le reste a déjà été évacué au terme du long processus de mise à l'arrêt de la centrale, bouclé en 1992. Cette première phase achevée, la suite s'est révélée plus compliquée car, entre-temps, l'État a changé de stratégie. À l'arrêt de Brennilis prévalait la doctrine d'un « démantèlement différé » consistant à attendre, une fois les combustibles retirés, une baisse naturelle de la radioactivité avant de s'attaquer au site. Mais sous l'impulsion de l'Autorité de sûreté nucléaire qui s'inquiète de possibles dispersions, la doctrine change au début des années 2000 pour un « démantèlement immédiat ». « Avec l'ouverture des centres de stockage, on devenait en capacité de le faire », éclaire Franck Fahy. Mais cette volonté d'aller plus vite s'est heurtée à une foule d'obstacles juridiques. Le chantier, qui avait démarré pour ôter les premiers éléments non radioactifs en plus des combustibles, s'est alors mis à avancer au ralenti.

Blocages. Le réseau Sortir du Nucléaire tente de bloquer un premier plan de démantèlement. Motif : EDF n'avait « pas démontré l'intérêt d'un démantèlement immédiat »... Et l'emporte grâce à une erreur administrative : le gouvernement avait oublié de transposer en droit national une directive européenne sur les études d'impact. Le Conseil d'État annule tout. Une nouvelle enquête publique est lancée, et la commission locale d'information (CLI) des monts d'Arrée créée. L'organe public est chargé d'étudier la faisabilité des manœuvres planifiées par EDF. « Nous sommes là pour vérifier que tout est conforme. » En 2009, un nouveau dossier pour un démantèlement est soumis à enquête publique. Verdict : rejeté, en raison des recours visant le chantier du site d'entreposage devant accueillir les déchets ! Va donc pour un démantèlement « partiel »... Une décennie plus tard, nouvelle tentative, nouvelle enquête publique relative à un démantèlement complet. Le projet est détaillé dans un document de plus de 2 500 pages et le public a 49 jours, entre le 15 novembre 2021 et le 3 janvier 2022, pour en prendre connaissance. Le 7 mars dernier, la préfecture du Finistère prononce sa décision : avis favorable sans réserve. Le décret doit être publié à l'automne 2023.

Cela ne signifie pas que les bulldozers vont entrer tout de suite en action. « À partir de maintenant, il y aura encore dix-sept ans de travaux, et c'est la complexité de ce démantèlement qui explique cette longueur », restitue Jacques Brulard, de la CLI. De fait, ce qu'il reste à déconstruire est surtout l'imposante cuve qui renfermait les combustibles, surmontée d'un dôme haut de 56 m. « Il a fallu de nombreuses heures d'étude sur un prototype pour concevoir le moyen automatisé d'intervenir dans un espace restreint, car les murs sont un enchevê- trement complexe de béton armé et de tubes », remarque Franck Fahy. Avant de passer à l'action, une simulation de découpe a été menée à l'institut de recherche technologique Jules-Verne de Nantes, où une maquette à l'échelle 1/2 a été faite.

Opération risquée. Mais ce qui est pratique avec le virtuel, c'est qu'il écarte tout risque d'incendie, car, dans la vraie vie, les matériaux composant l'armature sont très inflammables. « J'espère qu'il n'y aura pas trop d'accidents, comme en 2015 lors de la découpe des échangeurs », note Chantal Cuisnier. Des salariés avaient alors souffert des fumées à la suite d'un incendie accidentel. Aucune radioactivité n'avait été mesurée, mais pour l'activiste, cela aurait dû constituer un argument de plus en faveur du maintien de l'installation en l'état avec le reste des déchets confinés sur place, en attendant que la radioactivité diminue avec le temps. L'ancienne doctrine, en somme...

Sauf que le temps, en matière d'atome, est une donnée élastique. Or, concernant une structure vieillissante, le risque de dégradation est à considérer, notamment avec des conditions climatiques de plus en plus extrêmes. Comme ce 19 juillet. Alors que les monts d'Arrée sont en proie aux incendies, les 80 salariés de la centrale sont invités à quitter les lieux, enfumés. Finalement, les flammes n'atteindront pas, pour cette fois, le site. Mais la répétition probable d'épisodes similaires dans les années à venir constitue, là aussi, un argument de poids. Cette fois en faveur d'un démantèlement complet immédiat. Il ne fait que commencer

 
Électricité : enquête sur une débâcle

Pourquoi la France, qui était en avance sur le nucléaire, se trouve prise au dépourvu ? Retour sur vingt-cinq ans de lâchetés et de gâchis…

Cette fois, ils veulent des noms. Alors que des dizaines de milliers d'entreprises menacent, au seuil de l'hiver, de mettre la clé sous la porte, étranglées par des hausses stratosphériques de leurs factures d'électricité, l'opposition déboule sur le champ de bataille sabre au clair, exigeant des réponses. Pourquoi notre parc nucléaire, un fleuron de 56 réacteurs, se retrouve-t-il en partie en rade à l'instant le plus critique, EDF se montrant incapable d'accélérer ses opérations de maintenance et de régler en urgence un problème de corrosion ? Qui a conçu ce système européen de fixation des prix si contesté, pénalisant lourdement une France qui s'était assurée, justement, de ne pas trop dépendre du gaz russe ? Était-il pertinent de fermer des capacités de production d'électricité « pilotables » pour demander aujourd'hui aux Français de « mettre des pulls » ?

« Il faut établir les responsabilités », tempête dans les médias le chef de file des députés LR à l'Assemblée, Olivier Marleix, qui s'apprête à ouvrir en grande pompe, le 26 octobre, une commission d'enquête sur « les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France ». « Si les efforts normaux avaient été faits pour revitaliser la filière, nous serions aujourd'hui le Qatar de l'électricité en Europe », grince un ancien haut fonctionnaire, qui n'aura cessé d'alerter sur les tensions à venir, aujourd'hui ulcéré de voir politiques et industriels se renvoyer la responsabilité du fiasco. « La crise ukrainienne n'a fait que révéler des années d'errements. Il est temps d'ouvrir le dossier, de remonter la chaîne des décisions et des non-décisions, et de nommer les responsables », pense-t-il.

Une « opération vérité » qu'au sein même de la majorité, certains appellent de leurs vœux… Tout en redoutant qu'elle tourne à la vendetta politique. « Une nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie doit être votée au printemps, et nous devons éviter de reproduire les mêmes erreurs », concède un député Renaissance, qui participera à la commission. « Je suis prêt à balayer devant ma porte : il est clair que fermer Fessenheim n'était pas d'une inspiration lumineuse. Mais les hésitations qu'on reproche à Emmanuel Macron ont concerné tous les gouvernements, de droite comme de gauche… » De fait. Retour, en quelques dates clés, sur trente années d'affaiblissement de la filière nucléaire française.

1997, la fin de Superphénix

Ont-ils compris, à l'époque, qu'ils venaient de mettre le doigt dans un engrenage qui allait conduire à une profonde révision de nos politiques énergétiques ? Le 19 juin 1997, le Premier ministre Lionel Jospin, appelé à Matignon par Jacques Chirac après sa victoire aux législatives, confirme la promesse faite aux Verts pour les rallier à sa « majorité plurielle » : le surgénérateur de Creys-Malville, prototype de réacteur de quatrième génération à neutrons rapides qui commençait tout juste à fonctionner de manière satisfaisante, après avoir connu depuis 1985 une exploitation chaotique, sera abandonné.

La ministre de l'Environnement Dominique Voynet signe elle-même l'arrêté de fermeture quelques mois plus tard, applaudie par l'ensemble de la mouvance antinucléaire, comme par ses prédécesseures Ségolène Royal et Corinne Lepage, qui avaient multiplié entraves et recours juridiques pour le débrancher. La rupture est brutale : capable d'utiliser 100 fois plus efficacement qu'actuellement l'uranium naturel et de « brûler » les déchets nucléaires les plus problématiques, notamment le plutonium et certains produits de fission, Superphénix était la promesse, poursuivie par la France depuis le premier jour, d'un « nucléaire durable »… et à ce titre, la bête noire des opposants à l'atome. Les raisons invoquées à l'époque - coût prohibitif, échec industriel - seront toutes démenties par une série de rapports, confirmant le caractère strictement politique de la décision.

À cet instant, « le terreau extrêmement puissant du consensus politique autour du nucléaire civil se fissure », analyse un membre du gouvernement d'alors. Au sein du cabinet de Dominique Voynet, les militants antinucléaires exultent… Comme les pronucléaires du gouvernement Jospin, auxquels la portée de l'événement échappe totalement. « On avait truffé le cabinet de Voynet d'espions socialistes, tout le monde se méfiait de tout le monde… Mais on ne s'est pas du tout rendu compte de la rupture que ça représentait. »

Sous la pression des militants écologistes, Lionel Jospin renonce également au projet de construction d'un nouveau réacteur au Carnet, en Loire-Atlantique, dont la mise en service aurait permis de fermer la très polluante centrale à charbon de Cordemais - toujours debout, elle tournera, cet hiver, à plein régime. Conseillée par Bernard Laponche, un pilier de la mouvance antinucléaire qui a rejoint son cabinet, Dominique Voynet entame en parallèle une campagne active en faveur du gaz et des « technologies modernes d'utilisation du charbon », appelant la France à « jouer un rôle actif » dans la construction des grands gazoducs internationaux… À Bruxelles, elle s'oppose, contre l'avis de Lionel Jospin, à ce que le nucléaire soit inclus dans les mécanismes du développement propre. L'Allemagne de Gerhard Schröder, qui vient de décider de sortir du nucléaire au profit du gaz, est portée aux nues. En 2002, le candidat des Verts à la présidentielle franchit pour la première fois la barre des 5 % au premier tour… Une consécration.

 

2004, l'EPR « honteux »

Studios de France Inter, le 8 mai 2002. Roselyne Bachelot, nommée la veille ministre de l'Environnement, s'installe face au journaliste Stéphane Paoli pour sa première interview. « Quelle est votre position sur le nucléaire ? » l'interroge un auditeur. Sa réponse va déclencher le premier scandale du gouvernement Raffarin. Roselyne Bachelot énonce placidement, à rebours des discours ambiants, que le nucléaire étant « la source d'énergie la moins polluante », elle entend en faire, avec les renouvelables, un pilier dans « sa lutte contre le réchauffement climatique, qui constitue aujourd'hui la principale menace pour la planète ». Le tollé est formidable. « Le gouvernement est aux mains du lobby nucléaire », tempête l'écologiste Noël Mamère, quand la presse dénonce « la gaffe écolo de Mme Bachelot ».« J'avais transgressé le tabou ultime », se souvient l'intéressée, encore estomaquée de la violence des attaques qui suivront son intervention. En dehors d'Alain Juppé, personne, au gouvernement, ne la soutient… « L'éventualité d'être catalogué comme "nucléocrate" terrorisait tout le monde. »

Apparues dans les années 1990 « quand on a constaté un surdimensionnement du parc nucléaire », les premières hésitations vis-à-vis de l'atome se sont rapidement transformées en opposition assumée, souligne l'historien de l'énergie Yves Bouvier. Au même moment, la libéralisation du marché de l'énergie, voulue par Bruxelles, offre un formidable tremplin aux fournisseurs alternatifs et aux énergies renouvelables. « À partir du moment où l'on envisage un marché structuré autour d'entreprises privées, le nucléaire n'a plus sa place », analyse l'historien. Et la gauche comme la droite, qui cherchent à rafraîchir leur image, font aux écologistes modernes, sympas, furieusement à la mode, des yeux de Chimène. « La question du réchauffement climatique et de la nécessaire électrification des usages, à l'époque, n'était absolument pas prise en compte, en dehors d'une minorité que personne n'écoutait, souligne Alexis Quentin, délégué syndical CFE Énergies. On comptait sur une baisse importante de la consommation d'électricité, et on n'envisageait pas de renouveler le parc nucléaire avant 2020… » Quelle contradiction, dès lors, à ce que la mouvance antinucléaire, prônant la décroissance, épouse la cause de la lutte contre le réchauffement climatique ?

Au sommet de la Terre de Johannesburg, Nicolas Hulot souffle à l'oreille de Jacques Chirac des mots qui feront date : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. […] Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. » Le piège se refermera des années plus tard : « En associant le combat des antinucléaires à la lutte contre le réchauffement climatique, nous nous sommes privés du meilleur outil pour le combattre », soupire l'ancien président de l'Assemblée nationale Bernard Accoyer, aujourd'hui à la tête de l'ONG Patrimoine, nucléaire et climat (PNC).

En coulisses pourtant, la situation du parc français commence à inquiéter - déjà. « Depuis 1998, la ligne du gouvernement était de faire baisser les tarifs de 1 % par an », raconte un ancien cadre d'EDF, « et nous étions nombreux à penser que c'était de la folie furieuse, car nous voyions nettement arriver le mur d'investissements devant nous, pour prolonger et renouveler le parc… » La perte de compétences est une constante source d'angoisse. Face à la fermeture du marché intérieur, les industriels se sont tournés vers l'export pour maintenir leur savoir-faire. Le projet d'un réacteur de troisième génération EPR, lancé avec l'allemand Siemens sur injonction de François Mitterrand (le président socialiste, qui voulait un « acte fort » pour sceller l'amitié franco-allemande, jettera à la poubelle un projet plus raisonnable sur lequel travaillait EDF), d'une complexité inouïe, alimente les querelles au sein de la filière, la nouvelle entité Areva, présidée par Anne Lauvergeon, s'étant mise en tête d'en vendre partout - en assumant elle-même les risques financiers, au besoin. En concurrence directe avec Areva sur le marché international, EDF, fragilisée, perd quelques contrats. Dans ce contexte tendu, Jacques Chirac hésite, tergiverse… Et finalement décide, en 2004, de lancer la construction d'un seul EPR, à Flamanville. Lorsque le chantier démarre, des années plus tard, les compétences sont déjà perdues.

2007, le Grenelle de la décroissance

« Il pensait faire un coup politique… Et on a vu Saturne dévorer ses enfants », se désole un ancien proche de Nicolas Sarkozy. Dans l'exaltation de la campagne présidentielle, celui-ci avait signé le pacte de Nicolas Hulot, et promettait rien de moins qu'une « révolution écologique » ! Lorsque s'ouvre le Grenelle de l'environnement, à l'automne 2007, toutes les ONG de l'écologie politique sont autour de la table, rassemblées par le nouveau ministre d'État à l'Écologie, l'enjôleur Jean-Louis Borloo, chargé de la délicate mission de se concilier ce beau monde, tout en gardant la main sur les fondamentaux. Le nucléaire, officiellement, est exclu des débats. Sauf que…

Le Grenelle va offrir aux antinucléaires et aux tenants d'un système décroissant une formidable caisse de résonance, au moment où la compétence « énergie » échappe à Bercy pour rejoindre le ministère de la Transition écologique. « Jean-Louis ne connaissait rien au sujet, il a épousé les thèses qu'on lui présentait », soutient l'un de ses anciens alliés. « Ce transfert de la gestion de l'énergie et du nucléaire a eu des conséquences considérables dans l'appareil d'État », confie au Point l'un des dirigeants d'EDF. « À partir de cette date, on ne parle quasiment plus de nucléaire. Les instances administratives, chargées de planifier les besoins à moyen terme, disparaissent, et le secrétariat passe à la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC). Et les réunions s'arrêtent ! »

Nicolas Sarkozy confirmera tout de même la construction d'un deuxième EPR à Penly. Mais un rapport remis en 2010 au gouvernement, s'interrogeant sur la pertinence qu'il y aurait à diversifier les technologies en construisant des réacteurs de moindre puissance, est aussitôt classé « secret-défense » - une façon commode d'enterrer le sujet. En 2011, quelques mois après le drame de Fukushima, Jean-Louis Borloo confie : « Je suis convaincu que la France n'a pas besoin de cet EPR si elle parvient à réduire massivement sa consommation énergétique tout en augmentant sa production d'énergies renouvelables. La réduction du nucléaire doit se faire de manière progressive. Une sortie totale ne peut s'envisager avant 2040. » Quasiment du Ségolène Royal dans le texte.

2012, le « pacte vert »

L'accord de gouvernement négocié pendant la campagne présidentielle entre Martine Aubry et Cécile Duflot, que François Hollande puis Emmanuel Macron reprendront à leur compte, achève de faire basculer la politique énergétique vers un désengagement du nucléaire : il prévoit d'abaisser de 75 % à 50 % la part du nucléaire dans le mix électrique d'ici à 2025… C'est-à-dire la fermeture de 17 à 20 réacteurs, estimera la Cour des comptes. L'objectif est inscrit dans la loi de transition énergétique portée en 2015 par Ségolène Royal… Et la machine s'affole. « L'échéance de 2025 est très rapidement apparue intenable », avoue un conseiller de l'époque, qui croit encore possible, alors, de la tenir pour 2035.

Nommé à la tête du gestionnaire de réseaux RTE par François Hollande, le député socialiste François Brottes s'attache à crédibiliser la politique choisie, produisant des études rassurantes sur l'équilibre futur du système électrique. « La fermeture des centrales au fioul et au charbon, depuis 2012, a représenté 13 gigawatts. La fermeture annoncée de Fessenheim et, potentiellement, de cinq tranches au charbon représenterait 5 GW supplémentaires », admet-il en 2019 devant les députés. « Or le pic de consommation en 2018 était de 96,66 GW. On aura donc fermé l'équivalent de 19 % des besoins au moment des pics de consommation. » Il n'anticipe toutefois pas de problème, estimant que « le développement du solaire et de l'éolien répond aujourd'hui aux enjeux de sécurité de l'approvisionnement et de sûreté du système électrique ». L'hiver suivant, alors qu'un anticyclone s'abat sur l'Europe pendant de longues semaines, la France est contrainte d'importer massivement son électricité, notamment depuis les centrales à lignite (le plus polluant des charbons) allemandes.

L'autorité indépendante de sûreté nucléaire tente bien d'alerter, chaque année, avec constance, sur le risque majeur de se priver de marges, alors qu'il va falloir gérer les réexamens de sûreté d'un parc vieillissant et faire face à d'éventuels aléas… En vain. Sur le bureau de François Hollande comme sur celui d'Emmanuel Macron les rapports se succèdent, émanant de l'Académie des sciences, de celle des Technologies, de parlementaires… « J'ai écrit 4 000 pages de rapports, sur la coexistence du nucléaire et des énergies renouvelables, sur les travaux à lancer pour qu'elle soit possible, sur le stockage des déchets, le démantèlement, sur le programme de recherches Astrid », confie Yves Bréchet, haut-commissaire à l'énergie atomique de 2012 à 2018. Remis en mains propres à différents conseillers, comme Stanislas Reizine, passé de l'Élysée au groupe Suez, ou Antoine Pellion, aujourd'hui secrétaire général à la Planification écologique après avoir conseillé Ségolène Royal, François Hollande et Jean Castex. Également destinataire de tous les rapports, le directeur général de la DGEC, Laurent Michel… Aucun ne donnera suite.

2018, Astrid aux oubliettes

Lassé d'alerter dans le vide, Yves Bréchet finit par claquer la porte en 2018, quand Emmanuel Macron décide de l'arrêt, sans aucun débat, du programme de recherche sur les réacteurs Astrid. En construction à Marcoule (Gard), ce prototype de réacteur de quatrième génération, relancé par Jacques Chirac en 2006 après l'arrêt malheureux de Superphénix, avait pour objectif de « fermer le cycle » du nucléaire, c'est-à-dire de réduire considérablement les déchets produits en réutilisant le plutonium, et d'offrir à la France une indépendance électrique de plusieurs siècles en permettant d'utiliser son énorme stock d'uranium appauvri. « L'exécutif jette aux oubliettes soixante années de recherche scientifique », s'indigneront, dans un rapport au vitriol, les députés et sénateurs rassemblés au sein de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. « Cette décision, prise sans débat alors que l'on sait que notre consommation électrique va considérablement augmenter dans un contexte de réchauffement climatique, est incompréhensible, jugera le député LREM Thomas Gassilloud. Les intérêts à long terme du pays ne semblent pas avoir été pris en compte. » Au même moment, un rapport commandé par Bercy à l'ancien administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique Yannick d'Escatha somme le gouvernement de commander au plus tôt trois paires de réacteurs EPR, sous peine de voir la filière sombrer. Il est classé secret-défense… Et rapidement enterré.

2022, le virage de Belfort

Jusqu'à ce que la crise énergétique contraigne le gouvernement à un brusque revirement. En février 2022, en pleine campagne électorale, Emmanuel Macron s'engage à commander six nouveaux réacteurs, avec une option sur huit autres, reprenant le scénario d'un mix à 50 % de nucléaire en 2050 élaboré par RTE (dont le nouveau président, Xavier Piechaczyk, fut le conseiller « énergie » de François Hollande). « En même temps », le président promet un développement sans précédent des énergies renouvelables. Diversement accueillie, l'annonce, pour l'instant, n'a pas été suivie de commandes, alimentant les doutes sur la volonté réelle d'Emmanuel Macron de la concrétiser. Et certains questionnements demeurent. Pourquoi, par exemple, limiter l'ambition à 14 réacteurs, compte tenu de l'ampleur des besoins et alors qu'il faudra à terme remplacer l'ensemble du parc ? « La filière a dit clairement que c'était sa limite, elle ne peut pas faire davantage », affirme, gênée, une source proche de l'exécutif, qui justifie l'absence de commande par le fait que « le design de l'EPR 2 n'est pas prêt. Qu'ils fassent leur boulot, et on commandera… » Ambiance.

« Je n'ai jamais dit cela », confiait au Point, la mine sombre, le patron d'EDF Jean-Bernard Levy, quelques mois à peine avant d'être remercié, sur fond de conflit ouvert avec un exécutif rejetant sur sa « mauvaise gestion » la responsabilité de la crise. « Dans un monde idéal, un monde où les gouvernements successifs garderaient la même politique et cesseraient de faire du stop-and-go, on pourrait construire un réacteur par an entre 2035 et 2040, puis monter à deux réacteurs par an. On saurait le faire ! Il faut planifier les bureaux d'études, les besoins en génie civil, les lignes d'assemblage… Tout est possible », avançait alors Jean-Bernard Levy. Sous réserve - l'un des plus grands défis pour EDF - de former une petite armée d'ingénieurs, de soudeurs, de robinetiers…

 
 

Le design de l'EPR 2, remis au gouvernement au printemps 2021, n'attend plus que les premières commandes pour être finalisé, et s'adapter aux sous-traitants qui seront alors choisis. L'entreprise, qui affiche des pertes historiques, aura-t-elle les moyens de les honorer ? Peut-être, « si l'État actionnaire cesse de se comporter comme un fonds de pension californien en demandant à EDF des dividendes massifs, en se servant sur la rente pour combler le déficit, et en lui demandant de vendre à prix cassé à ses fournisseurs », suggère Cécile Maisonneuve, conseillère auprès du centre énergie et climat de l'Institut français des relations internationales. « Cette ambiguïté de l'État actionnaire ou stratège, qui change de casquette en fonction des circonstances, n'a pas aidé EDF. » Un constat partagé d'un bord à l'autre du spectre politique : pour sauver la filière, il faudra, avant tout, changer de paradigme §

L’Ademe, lobby antinucléaire ?

Si la plupart de ses études sont d’excellente qualité, certaines ont fait sortir de leurs gonds les scientifiques les plus mesurés : fin 2018, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) concluait que la France pourrait tirer 100 % de son électricité des énergies renouvelables d’ici à 2050, sans que cela lui coûte plus cher qu’avec le nucléaire. Une affirmation aussitôt démentie par les spécialistes, dénonçant les lourdes impasses techniques et économiques d’un document pourtant destiné à « éclairer les politiques publiques ». L’Ademe, alors sous la présidence de l’ancien militant des Verts Arnaud Leroy (également architecte du volet énergie du programme d’Emmanuel Macron en 2017), aurait-elle tenté de « manipuler l’opinion », comme le dénoncera dans Le Monde le journaliste scientifique Sylvestre Huet ?

Publiée deux ans plus tard, une étude beaucoup plus sérieuse du gestionnaire de réseau RTE invalidera la thèse. Sans dissiper les doutes sur l’agenda de l’Ademe, havre historique des chercheurs de la mouvance antinucléaire. « Lorsque le programme Messmer de construction du parc est lancé en 1974, la CFDT se structure autour des mouvements alternatifs et antinucléaires, à l’inverse de la CGT », explique l’historien de l’énergie Yves Bouvier. À la recherche d’alliés en 1979, François Mitterrand s’en rapproche. Bernard Laponche, architecte de la ligne antiatome de la CFDT, rejoint sa campagne et vivra comme une « trahison », dira-t-il, la mise à l’écart des antinucléaires après l’élection. 

Pour consoler ses soutiens, François Mitterrand crée l’Agence française pour la maîtrise de l’énergie (AFME) – un organisme rassemblant notamment l’Agence pour les économies d’énergie et le Commissariat à l’énergie solaire – et la dote de moyens importants pour réfléchir à un nouveau modèle de société, basé sur la sobriété… La première agence officielle de décroissance est née ! Bernard Laponche la présidera trois ans, ouvrant partout des antennes et surveillant les recrutements. Devenue l’Ademe en 1991 après de nouvelles fusions, elle a le plus souvent été présidée par des personnalités hostiles au nucléaire, et ses études sont notoirement favorables aux énergies renouvelables§ 

Renouvelables : la France en retard

En dépit des 120 milliards d’euros dépensés pour développer l’éolien et le photovoltaïque, la France n’a pas atteint ses objectifs de déploiement des énergies renouvelables, définis par la programmation pluriannuelle de l’énergie. Au 30 juin 2022, notre parc éolien atteignait une puissance installée de 20 GW, loin derrière l’objectif de produire 24,1 GW d’ici à fin 2023. Et la puissance du parc photovoltaïque atteignait 15,2 GW, contre un objectif de 20,1 GW. Emmanuel Macron ambitionne de porter, d’ici à 2050, la puissance installée du solaire et de l’éolien en mer respectivement à 100 GW et à 40 GW. Une hausse sans précédent, indispensable pour décarboner l’industrie. Elle ne pourrait toutefois pas empêcher les coupures d’électricité cet hiver, et ne les empêchera pas les hivers à venir : nos 7 000 éoliennes ont produit moins de 2 % de l’électricité consommée en janvier, pendant l’intense vague de froid assortie d’un anticyclone

 

 

Par
les trois quarts des Français soutiennent le nucléaire, selon un sondage

75% des personnes interrogées soutiennent l'énergie nucléaire, 65% seraient favorables à la construction de nouveaux EPR, contre 51% il y a près d'un an. La crise actuelle, qui pèse sur le pouvoir d'achat des Français, expliquerait ce résultat.

Depuis l'explosion des prix de l'énergie, le nucléaire aurait le vent en poupe. Selon un sondage de l'Ifop commandé par le JDD, dont les résultats ont été publiés par nos confrères le samedi 17 septembre, 75% des personnes interrogées seraient favorables au nucléaire. 65 % d'entre elles seraient même favorables à la construction de nouveaux réacteurs, contre 51 % selon un sondage d'octobre 2021. Dans toutes les catégories d'âge et d'orientation politique, la proportion des personnes en faveur de cette énergie est majoritaire, avec des différences notoires. Les partisans du nucléaire représentent 53% des personnes se déclarant de EELV, 66% des sondés votant à gauche, contre 88% pour ceux votant à droite. Les plus jeunes soutiennent moins que les plus âgés cette énergie - 69 % pour les moins de 35 ans, contre 84 % pour les plus de 65 ans. Les Français refuseraient de manière nette le "scénario à l’allemande où on abandonne la production d’énergie nucléaire", analyse Frédéric Dabi, directeur général opinion à l’Ifop, auprès de nos confrères.

Autres éléments à noter : la moitié des sondés estime que le nucléaire est propre et utile à la lutte contre le changement climatique, pendant que l'autre pense l'inverse. "Sur le nucléaire, ce n’est pas la fin du monde qui crée l’adhésion, mais bien la peur pour le portefeuille", analyse Frédéric Dabi chez nos confrères. Depuis plusieurs mois, le contexte national de très fortes tensions en matière d'approvisionnement électrique inquiète les Français. De premier exportateur d'électricité en Europe, l'Hexagone est désormais devenu importateur, 32 réacteurs nucléaires sur 56 étant à l'arrêt fin août en raison d'opérations de maintenance prévues et des arrêts liés à des problèmes de corrosion. Le prix de l'électricité bat des records, atteignant les 1.000 euros le mégawattheure contre moins de 100 euros il y a un an.

Dans ce contexte, 67% des personnes interrogées disent que l'énergie nucléaire est bon marché, et 81% d'entre elles estiment qu'elle est indispensable à l'indépendance énergétique de la France. Concernant sa dangerosité, les choses sont moins tranchées. Alors que 71 % des interrogés estiment qu'il s'agit d'une énergie fiable, 62 % des sondés pensent qu'elle est dangereuse. "Il y a donc des personnes qui perçoivent le nucléaire comme fiable et dangereux à la fois", analyse Frédéric Dabi. L'Ifop a réalisé un sondage en ligne pendant deux jours, auquel un échantillon de 1.003 personnes représentatif de la population française majeure, selon la méthode des quotas, a répondu, explique le JDD.

 

 

https://www.capital.fr/economie-politique/energie-les-trois-quarts-des-francais-soutiennent-le-nucleaire-selon-un-sondage-1446465

Macron face au poison lent du nucléaire

La future commission d’enquête parlementaire sur la souveraineté énergétique veut mettre le gouvernement sur le gril… Avec l’aide de Nicolas Sarkozy.

« Si je suis convoqué, je viendrai », a discrètement fait savoir l'ancien président Nicolas Sarkozy au patron du groupe Les Républicains Olivier Marleix, décidé à « établir les responsabilités de la perte de souveraineté énergétique » du pays, alors que les prix de l'énergie flambent et que la France est menacée de rationnements cet hiver. La commission d'enquête, réclamée à grands cris par le député d'Eure-et-Loir, aura bel et bien lieu : les Républicains ont exercé leur « droit de tirage », procédure qui permet à chaque groupe d'obtenir une commission d'enquête par an. Ne reste plus au bureau de l'Assemblée nationale qu'à la valider : la commission devrait être sur pied mi-octobre, et prévoit d'étaler ses travaux sur six mois.

Un poison lent pour Emmanuel Macron, bruyamment désigné comme « coupable » par les oppositions qui lui reprochent ses longues tergiversations sur la stratégie énergétique du pays. « Qui nous a conduits à la crise actuelle ? L'opinion publique est saturée depuis des années de discours mensongers. Il faut une fois pour toutes nommer les responsables », tempête Olivier Marleix, qui dénonce depuis des années le dépeçage industriel de la France en général, et en particulier le rôle joué par l'ancien ministre de l'Économie, un certain Emmanuel Macron, dans la vente des turbines d'Alstom à l'américain General Electric (la justice a été saisie), que l'État français, via EDF, rachètera sept ans plus tard pour deux fois leur prix de vente.

« Cette crise aurait dû être le moment de gloire du nucléaire français ! »

« Rendez-moi mon Macron », s’insurge l’essayiste américain Michael Shellenberger, pour qui la « fin de l’abondance » cache un échec du politique.

« La fin de l'abondance et de l'insouciance » : c'est la terrible prédiction du président de la République française. Pourquoi ? Parce que l'Union européenne s'est dangereusement rendue dépendante du gaz russe. Or ces derniers ont décidé de mener une guerre de conquête en Ukraine qu'il est impensable de soutenir, même indirectement, en continuant à acheter de l'énergie à Vladimir Poutine. Le problème de la déclaration d'Emmanuel Macron, c'est que l'abondance énergétique en Europe ne dépend de Vladimir Poutine que parce que nous l'avons bien voulu, nous explique Michael Shellenberger, essayiste américain et défenseur d'un nucléaire qui permettrait de sortir du défi climatique par le haut. Selon lui, la crise énergétique est due avant tout à l'incompétence des dirigeants occidentaux. Entretien explosif.

Le Point : Pensez-vous, comme Emmanuel Macron, que nous arrivons à la fin de l'abondance en Europe ?

Michael Shellenberger : Bien sûr que non, c'est absurde. Qu'Emmanuel Macron et EDF aient échoué à entretenir correctement les joyaux du système énergétique européen, à savoir les centrales nucléaires françaises, voudrait dire que les Européens doivent devenir pauvres ? C'est factuellement faux. Le problème est d'origine technique, les soudures des tuyauteries n'ont pas été correctement inspectées. Il s'agit de machines ! Ce n'est pas de la sorcellerie et c'est loin d'être aussi difficile que de lancer un télescope dans l'espace, de faire de la fusion nucléaire ou d'envoyer un robot sur Mars. On parle de tuyaux soudés ensemble. Évidemment, il faut que ce travail soit bien fait, qu'il soit régulièrement inspecté. Mais ce sont des machines, ni plus ni moins. Je suis très déçu par Emmanuel Macron. Il y a un an, il produisait une superbe vidéo concernant son plan France 2030, rappelant les prouesses technologiques dont la France était capable. Que lui est-il arrivé ? Qui est cet imposteur, si facilement défait par une question de maintenance du parc nucléaire ? Rendez-moi le Macron de 2021 !

Pourtant, la crise géopolitique et énergétique que nous vivons est bien réelle.

Oui, mais ç'aurait justement dû être le moment de gloire de l'industrie nucléaire française. Et il se passe le contraire ; cela me fend le cœur. L'échec des centrales au moment où l'Europe en a le plus besoin est une conséquence directe de la négligence et du dédain pour le nucléaire, associés à une passion délétère pour les énergies renouvelables. EDF a investi des milliards d'euros dans l'éolien, ce qui a conduit à augmenter la consommation de gaz. Le nucléaire a été démonétisé, l'éolien et le photovoltaïque ont été portés aux nues. On en voit les conséquences maintenant. Les chefs d'État, Emmanuel Macron inclus, doivent préparer leurs populations à un hiver rigoureux.

Une partie de la responsabilité incombe aussi à Joe Biden et Justin Trudeau, qui n'ont pas produit assez de gaz naturel pour compenser l'embargo russe, alors qu'on en dispose d'assez en Amérique du Nord pour alimenter l'Europe pendant mille ans ! L'augmentation de leur production ne prendrait qu'un an, pas davantage. Malgré la disponibilité de ces réserves de gaz et la simple nécessité d'entretenir les centrales nucléaires, Emmanuel Macron adopte une grille de lecture malthusienne.

Mais comment pourrait-il y avoir une fin de l'abondance, si ce n'est de notre propre fait ? Emmanuel Macron suggère que cette fin est subie, mais c'est faux ! Il faut absolument que l'Europe se sèvre du gaz russe. Le fait que vous achetiez à l'Allemagne de l'électricité produite à partir du charbon devrait être un sujet de honte nationale. C'est choquant, triste, et c'est surtout la démonstration éclatante de l'influence démesurée qu'exercent les tenants d'une politique malthusienne. Votre président devrait affirmer, au contraire, que cela prouve qu'il faut plus de centrales nucléaires, qu'il faut entretenir celles qui existent avec attention, qu'il faut cesser de dénigrer ceux qui travaillent dans le nucléaire. J'ai parlé à de nombreux anciens responsables du parc nucléaire d'EDF. Ils m'ont dit être partis parce qu'ils étaient mal considérés depuis que la France a pris en 2015 cette décision délirante d'abaisser à 50 % du mix énergétique national le taux d'électricité produite par le nucléaire. Cette baisse impliquait évidemment une augmentation de la consommation de gaz. Les Français n'ont pas une aussi grande responsabilité que les Allemands dans la situation actuelle, mais ils sont loin d'être innocents. La France a augmenté sa consommation de gaz alors même que le continent devenait de plus en plus dépendant de la Russie pour son approvisionnement.

 

Pourtant, personne en France n'a suggéré d'exploiter le gaz de schiste qui se trouve sous nos pieds…

Oui ! Vous aviez, selon l'EIA [l'Agence américaine d'information sur l'énergie, NDLR], presque 4 000 milliards de mètres cubes de gaz de schiste récupérables dans vos sous-sols en 2015. Mais là n'est pas le problème : avec du nucléaire, pas besoin de gaz, ou très peu. La France pourrait alors exporter ses stocks vers ses voisins névrosés d'outre-Rhin.

Que pensez-vous de la décision du gouvernement français de construire quatorze nouveaux EPR ?

J'en suis évidemment ravi. C'est le chemin de l'abondance ! J'ajouterais que je ne suis pas convaincu par le design de ces réacteurs, qui est le reflet de la paranoïa autour du nucléaire civil. Il aurait fallu en rester à celui de Framatome 1200, qui était très bien. Cela dit, maintenant que le design existe, il faut y aller ! Il faut augmenter le nombre de ces réacteurs afin d'en faire baisser les coûts de construction.

Construire des EPR est sans doute une bonne solution de long terme, mais avant qu'ils ne soient fonctionnels, que conseilleriez-vous ?

L'Europe a besoin de gaz maintenant : à cause du nihilisme climatique qui est en train de détruire la civilisation occidentale, Biden et Trudeau ont refusé d'augmenter la production de gaz de schiste. Ils sont prisonniers de zélotes de la cause climatique. En juin, lors du G7, Macron a annoncé à Joe Biden, devant des journalistes, que les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite ne produiraient pas plus de pétrole, sous-entendant que les États-Unis devaient s'en charger. Sans surprise, Biden n'a pas compris le message et a simplement demandé à son tour à l'Arabie saoudite d'en produire davantage. Mais ils ne veulent pas le faire ! Ils aiment que le prix du baril soit élevé.

Il faut faire preuve d’un peu d’ambition !

Les Français sont trop diplomates, il faut être plus américain ! Être plus direct, convoquer le Donald Trump qui sommeille en vous et aller réclamer du gaz aux États-Unis. Il faut que Macron s'exprime devant le Congrès et propose un échange de procédés techniques, avec des entreprises américaines qui aideraient à l'exploitation du gaz de schiste en France et des ingénieurs français qui contribueraient à la construction de nouvelles centrales nucléaires aux États-Unis. Il faut faire preuve d'un peu d'ambition !

 

Pourquoi avons-nous choisi de ne pas exploiter le gaz et le pétrole de schiste en Europe ?

L'ancien secrétaire général de l'Otan, mais aussi Hillary Clinton, affirment que Poutine a financé les activistes anti-gaz de schiste en Europe. Même si l'on n'a pas accès aux preuves, on ne peut pas exclure qu'ils se trompent. Mais ce sont des sources sérieuses ! Poutine lui-même a fait de la désinformation au sujet du gaz de schiste. La fracturation hydraulique n'est pas un danger écologique. Il faut simplement traiter les eaux usées, ce qui n'est pas difficile. C'est une technologie très efficace, qui a une empreinte écologique faible. Les conflits d'intérêt ne s'arrêtent pas là : Tinne Van der Straeten, la ministre belge de l'Énergie, travaillait au sein d'un cabinet d'avocats qui a notamment défendu Gazprom.

Selon certains environnementalistes, les énergies renouvelables nous mettent en harmonie avec la nature. Il s’agit d’une véritable infantilisation, symptomatique d’une décadence assez profonde.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que de nombreux environnementalistes sont des fanatiques. C'est ce que Pascal Bruckner appelle le « fanatisme de l'Apocalypse ». Ils voient certains carburants comme intrinsèquement bons ou mauvais. Personnellement, je pense que le charbon est bon s'il sert à sortir des gens de la pauvreté ; mais mauvais, s'il est brûlé en Europe de l'Ouest. Le nucléaire est vu par certains comme véritablement démoniaque. Inversement, selon eux, les énergies renouvelables rétablissent l'harmonie avec la nature. Il s'agit d'une véritable infantilisation, symptomatique d'une décadence assez profonde. C'est d'ailleurs pour cela que la crise de l'énergie, aussi douloureuse soit-elle, est positive : elle va réveiller les Européens, même si le continent risque de se diviser sur la question. La réponse à une crise de l'abondance est une hausse de la production d'énergie, pas une baisse !

Propos recueillis par

Crise de l'énergie : "Macron et Borne sont les plus grands fossoyeurs du nucléaire français", accuse le député LR Pierre-Henri Dumont

Le député Les Républicains affirme que la situation énergétique actuelle "est le fruit d'une dizaine d'années de désinvestissement massif dans le nucléaire".

"Emmanuel Macron et Elisabeth Borne sont les plus grands fossoyeurs du nucléaire français", accuse Pierre-Henri Dumont, député Les Républicains du Pas-de-Calais, mercredi 31 août sur franceinfo. Selon lui, la situation énergétique actuelle "est le fruit d'une dizaine d'années de désinvestissement massif dans le nucléaire qui permettait de garantir la souveraineté énergétique de notre pays".

"Ils ont vendu les turbines à General Electric avant de les racheter deux fois le prix, ils ont fermé Fessenheim et prévoient toujours de fermer 12 réacteurs supplémentaires", affirme député LR. Si Pierre-Henri Dumont ne regrette pas les sanctions européennes prises contre la Russie, il estime qu'"elles n'auraient pas eu le même impact si nous étions préparés".

 

"Emmanuel Macron, d'abord sous François Hollande, puis en tant que président de la République, a affaibli la France."

Pierre-Henri Dumont, député LR

à franceinfo

Le député du Pas-de-Calais défend une nouvelle fois la proposition de son parti Les Républicains "de découpler le prix du gaz et de l'électricité sur le marché de l'énergie européen". Cela permettra selon lui "de faire baisser les prix" et de continuer d'assumer "les valeurs" de la France contre la Russie qui "bafoue le droit international".

 

Radio France
 
Publié

https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/19h20-politique/crise-de-l-energie-macron-et-borne-sont-les-plus-grands-fossoyeurs-du-nucleaire-francais-accuse-le-depute-lr-pierre-henri-dumont_5322520.html#xtor=EPR-2-[newsletterquotidienne]-20220902-[lespluspartages/titre2]

Les mini-réacteurs nucléaires mobiles seront bientôt une réalité

La Défense américaine a officialisé la construction de son premier générateur atomique portable.

Où qu'elle aille, l'armée américaine a besoin d'énergie. De beaucoup d'énergie. Afin de pouvoir se déployer n'importe où sans avoir à se soucier de générer toute cette électricité, le département de la Défense (DoD) américain a une idée originale: toujours transporter avec soi une centrale nucléaire.

Jusqu'ici à l'état de projet, le DoD a officiellement annoncé le 15 avril que son bureau des capacités stratégiques allait mettre en œuvre la construction d'un micro-réacteur «de quatrième génération» au sein du Laboratoire national de l'Idaho, un État du nord-ouest des États-Unis.

Baptisé «Project Pele», ce premier prototype aura pour but de «démontrer s'il peut fonctionner dans des conditions réelles d'utilisation» et s'il «correspond aux exigences et spécifications du DoD».

Afin qu'un réacteur nucléaire puisse être portatif, il faut non seulement qu'il soit beaucoup plus petit que les réacteurs classiques, mais aussi qu'il soit capable de démarrer et s'arrêter en un rien de temps.

L'armée souhaite donc que son réacteur produise une puissance comprise entre 3 et 5 mégawatts, puisse être démarré en quelques jours et s'arrêter en moins d'une semaine. Pour se faire un ordre d'idée, les centrales nucléaires classiques, qui alimentent la France en énergie, ont une puissance de 900 à 1.450 mégawatts.

Avantage stratégique et commercial

Ces réacteurs pourront ainsi être transportés à bord d'un train, d'un camion ou même d'un avion afin de rendre autonome en énergie une base militaire, n'importe où dans le monde. Le DoD affirme cependant qu'il ne sera pas le seul bénéficiaire des résultats du projet Pele.

Alors que les États-Unis comme le reste du monde réfléchissent aux manières de sécuriser leur approvisionnement en énergie, les réacteurs nucléaires miniatures sont souvent évoqués comme une façon de mettre en place une source d'énergie «propre» beaucoup plus rapidement qu'avec une centrale classique.

Dans un communiqué de presse, Jeff Waksman, le directeur du projet Pele, estime que son mini-réacteur «pourrait changer la donne aux États-Unis, à la fois pour le DoD et le secteur commercial».

Un réacteur fonctionnel n'est toutefois pas pour tout de suite puisque l'entreprise qui le construira n'a pas encore été choisie. Le DoD annoncera plus tard dans l'année qui des deux entreprises encore en lice, BWXT Advanced Technologies et X-Energy, a remporté l'appel d'offres.

Au-delà de cette limite, votre bobard n’est plus valable

Depuis l’invasion de l’Ukraine, on entend moins les discours diabolisant l’Europe ou le nucléaire. Mais il reste encore quelques illusions tenaces.

"...Enfin, il y a le nucléaire. On savait depuis des années que l'atome civil était indispensable si l'on voulait vraiment lutter contre le réchauffement climatique. Le rapport du Réseau de transport d'électricité de l'an dernier a confirmé que, sans lui, ce serait extrêmement difficile, voire impossible, surtout si l'on souhaitait réindustrialiser le pays. S'ajoute désormais à cet impératif celui du sevrage par rapport au gaz russe. N'oublions pas que le programme nucléaire français répondait à ses débuts à une préoccupation d'indépendance énergétique. Nous y sommes. Ainsi, l'exercice de contorsionniste de Yannick Jadot, qui manifeste devant l'ambassade de Russie à propos de l'Ukraine tout en continuant à justifier laborieusement la sortie du nucléaire à terme, nous fait mal pour lui. Il est des baratins qui vieillissent mal."

Étienne Gernelle

(extrait de l'article ci dessous)

https://www.lepoint.fr/editos-du-point/etienne-gernelle/gernelle-au-dela-de-cette-limite-votre-bobard-n-est-plus-valable-24-03-2022-2469430_782.php?M_BT=6286141392673#xtor=EPR-6-[Newsletter-Matinale]-20220324-[Article_5]

Sûreté, coût, nouveaux EPR... On a vérifié les affirmations de six candidats à la présidentielle sur le nucléaire

L'atome est devenu un thème majeur de la course à l'Elysée. Franceinfo revient sur les déclarations de plusieurs candidats à la fonction suprême en matière d'énergie nucléaire.

Il irradie les débats de campagne, en vue du scrutin de 2022. Avec la hausse des prix de l'énergie, l'urgence climatique et le vieillissement du parc de centrales françaises, le nucléaire s'est imposé comme une problématique majeure de la course à l'Elysée. Impossible pour les candidats de l'esquiver. Pour tenter d'y voir plus clair, franceinfo a vérifié les affirmations de six d'entre eux.

Sur l'historique des accidents nucléaires en France

"Il n'y a jamais eu d'accident nucléaire en France."

Eric Zemmour, candidat du parti Reconquête

sur BFMTV

C'est faux. L'ancien journaliste l'a répété deux fois lors d'un débat face à Jean-Luc Mélenchon, le 23 septembre sur BFMTV (à 1h33 et 45 secondes dans cette vidéo).

Or, si la France n'a effectivement jamais connu d'accident nucléaire majeur, le pays a tout de même enregistré deux accidents de niveau 4 sur l'échelle Ines – International nuclear event scale –, qui va de 0 à 7. Ces événements, qui sont jusqu'à aujourd'hui les plus graves jamais recensés en France, sont survenus le 17 octobre 1969 et le 13 mars 1980, rappelle l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Ils ont touché la même centrale, celle de Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher), située entre Blois et Orléans.

Pour évaluer la gravité de ces événements, revenons sur la composition de l'échelle d'Ines, résumée dans ce document (en PDF) de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Les événements de niveaux 1 à 3, qualifiés d'"incidents", n'ont pas de conséquence significative. Les événements de 4 à 6 sont des "accidents" ("ayant des conséquences locales" pour le niveau 4, puis "ayant des conséquences étendues" et enfin "grave"). Pour le niveau le plus élevé, le 7, on parle d'"accident majeur". Jusqu'à maintenant, seuls deux accidents de ce type ont été enregistrés dans le monde : celui de la centrale de Tchernobyl (Ukraine, alors URSS), en 1986, et celui de la centrale de Fukushima (Japon), en 2011. Deux centrales dont la conception était, par ailleurs, différente de celle des centrales françaises.

Les accidents de niveau 4, comme ceux connus à la centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux, n'entraînent "pas un risque radiologique important hors du site nucléaire", a précisé l'IRSN dans une note spécifique de 2015 (en PDF). En 1969 comme en 1980, les accidents dans cette centrale ont eu pour conséquence une radioactivité trop importante dans le caisson d'un des deux réacteurs, en raison de deux problèmes distincts. Les réacteurs touchés ont été arrêtés. De lourdes opérations de nettoyage ont été effectuées. Après l'accident de 1969, le réacteur a été redémarré un an plus tard, en octobre 1970. En 1980, l'autre réacteur de la centrale a été sévèrement endommagé et a dû être mis à l'arrêt pendant plus de trois ans. Dans les deux cas, cependant, personne n'a été irradié et aucune trace de radioactivité n'a été détectée en dehors de la centrale. Les deux réacteurs en question ne sont aujourd'hui plus en fonctionnement : ils ont été définitivement arrêtés au début des années 1990. Les deux réacteurs actuels de Saint-Laurent-des-Eaux n'ont pas subi d'accidents.

Dans son rapport sur l'année 2020, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) répertorie 1 142 événements dans les centrales nucléaires françaises (1 035 de niveau 0, 105 de niveau 1 et 2 de niveau 2).

 

Sur les mesures d'urgence en cas d'alerte dans une centrale

"S'il arrive quoi que ce soit à la centrale nucléaire qui est en amont de la capitale [celle de Nogent-sur-Seine, dans l'Aube], il faudra évacuer 12 millions de personnes et ne pas revenir dans le secteur avant 20 000 ans."

Jean-Luc Mélenchon, candidat de La France insoumise

lors d'un meeting

C'est très exagéré. Jean-Luc Mélenchon a lancé cette affirmation le 5 décembre, lors d'un meeting à La Défense (Hauts-de-Seine). Il avait déjà avancé l'évacuation de 12 millions de personnes sur RTL, le 8 novembre, ou encore face à Eric Zemmour.

Mais plusieurs points sont contestables. Tout d'abord, le député de La France insoumise, qui encourage la "sobriété énergétique", induit en erreur en mettant tous les problèmes au même niveau, en disant : "s''il arrive quoi que ce soit". "Ce n'est pas au moindre incident que l'on procède à une évacuation de la population aux abords d'une centrale", relève auprès de franceinfo Tristan Kamin, ingénieur en sûreté nucléaire.

Surtout, l'estimation de 12 millions de personnes évacuées en cas d'accident au sein de la centrale auboise est très discutable, estime Tristan Kamin. "Jean-Luc Mélenchon prend l'hypothèse qu'en cas d'accident, tous les habitants, de l'Ile-de-France puis jusqu'à Rouen, ou jusqu'au Havre, devront être évacués, ce qui est complètement fantasque", commente Tristan Kamin.

La distance entre Nogent-sur-Seine et Le Havre est de 300 km. Ce rayon d'évacuation s'avère bien plus élevé que lors des plus importantes catastrophes nucléaires de l'histoire, à Tchernobyl et à Fukushima, les deux seuls "accidents majeurs" (c'est-à-dire au niveau 7 sur l'échelle Ines). En Ukraine, les autorités locales avaient décidé d'évacuer les habitants dans un rayon de 30 km autour de la centrale. Au Japon, ce rayon d'évacuation a été de 20 km dans un premier temps, puis s'est élargi à 30 km.

Par ailleurs, la plupart des spécialistes assurent qu'une centrale nucléaire française ne pourrait pas exploser comme celle de Tchernobyl. Néanmoins, si un accident majeur survenait à la centrale de Nogent-sur-Seine, justifiant l'évacuation de la population, plusieurs étapes sont définies par le Plan Particulier d'Intervention (PPI). D'abord, comme l'a détaillé Le Figaro (article payant), une première évacuation dans un rayon de 2 km autour de la centrale aurait lieu. Elle concernerait seulement plusieurs centaines d'habitants. Puis, éventuellement, une autre évacuation surviendrait dans un rayon de 5 km, qui concernerait alors 8 000 habitants. Ensuite, selon la gravité de la situation ou encore les conditions météorologiques, le ministère de l'Intérieur pourrait prendre de nouvelles mesures adaptées. Si l'on prenait un rayon de 20 km autour de la centrale de Nogent-sur-Seine, cela ne concernerait que 75 000 habitants. Et en prenant un rayon de 80 km, comme le préconise l'ONG Greenpeace, cela concernerait 2,2 millions de personnes. Un chiffre largement inférieur à celui avancé par Jean-Luc Mélenchon.

Sur l'apport du nucléaire dans la lutte contre la précarité énergétique

"Il y a 3 millions de Français en situation de précarité énergétique. Le parc nucléaire répond à ces difficultés."

Fabien Roussel, candidat du Parti communiste français

dans "Le Point"

C'est discutable. Fabien Roussel, candidat communiste qui prône le maintien du nucléaire et le développement des énergies renouvelables, a fait cette déclaration dans un entretien au Point (article payant), en mai.

Qu'en est-il ? Le parc nucléaire français permet effectivement à l'Hexagone de bénéficier d'une électricité moins chère que nos voisins européens. Selon les chiffres d'Eurostat, en France, elle coûte 19 cents le kilowatt-heure, contre 30 cents en Allemagne, 28 en Belgique, 23 en Espagne. Une différence de prix qui peut, en partie, soulager des personnes qui peinent à chauffer leur logement.

Mais pour Charlotte Mijeon, du réseau Sortir du nucléaire, le candidat PCF s'attaque à la précarité énergétique de la mauvaise façon. Selon elle, elle est "liée à la précarité en général, mais aussi à la production et à la consommation d'électricité". Elle rappelle qu'historiquement, en France, "la mise en place du parc nucléaire est allée de pair avec une incitation au chauffage électrique, qui est très consommateur et coûteux pour les ménages les plus modestes".

"Non seulement le nucléaire a incité à l'utilisation du chauffage électrique, mais il a freiné la mise en place de mesures favorisant l'efficacité énergétique", abonde-t-elle. Et d'insister : "La vraie réponse à la précarité énergétique est abordée lorsque l'on cherche des solutions pour que les ménages ne soient plus contraints de consommer autant pour se chauffer." Notamment en améliorant l'isolation des habitations.

Sur le coût de l'énergie produite par les réacteurs EPR

"L'énergie nucléaire, je parle de l'EPR, coûte deux fois plus cher que les énergies renouvelables."

Yannick Jadot, candidat d'Europe Ecologie-Les Verts

sur franceinfo

C'est en partie vrai. Yannick Jadot l'a affirmé lors d'un débat de la primaire écologiste, en septembre, sur franceinfoComme l'avait alors expliqué franceinfo, lorsqu'il parle de l'EPR, il évoque celui de Flamanville (Manche). Or, ce dernier a fait l'objet d'un rapport de la Cour des comptes en 2020. Le coût de l'électricité qui sera produite par cet EPR (en 2023, sauf nouveau retard) y est estimé entre 110 euros et 120 euros par mégawatt, soit un montant proche du tarif négocié avec l'EPR de Hinkley Point, au Royaume-Uni.

Ce tarif est effectivement deux fois plus cher que celui des énergies renouvelables. Pour l'éolien terrestre, le mégawatt est environ à 60 euros, selon l'Ademe, l'agence de la transition écologique. Pour les panneaux solaires, le prix du mégawatt est entre 40 et 80 euros, selon la surface de la centrale photovoltaïque. Ces tarifs devraient baisser d'ici à 2050, selon l'Ademe, grâce notamment au développement de la filière.

Mais une importante nuance doit être apportée : l'EPR de Flamanville a été épinglé pour le coût de sa construction. En France, le prix a été multiplié par environ 3,5 par rapport à l'estimation initiale. Ce surcoût pèse "sur la rentabilité", souligne la Cour des comptes.

De façon générale, calculer le coût des différentes énergies s'avère délicat. L'indicateur souvent utilisé est appelé, en anglais, LCOE. Il désigne le coût moyen de l'électricité par technologie. RTE et l'Agence internationale de l'énergie (AIE), ont estimé, dans un rapport (en PDF) publié en janvier, que cet indicateur présentait des limites : il ne tient "pas compte des coûts environnants pour assurer la sécurité d'alimentation et les autres exigences techniques". Or, selon ces deux organismes, "tout chiffrage économique devra ainsi prendre en compte l'ensemble des coûts associés à une part élevée d'énergies renouvelables, dont ceux liés au stockage [de l'électricité produite], à la flexibilité de la demande et au développement des réseaux".

Sur la nécessité de construire six nouveaux EPR en France

"Pour moi, il est clair qu'il nous faudra six EPR."

Valérie Pécresse, candidate Les Républicains

sur France Inter

"Je construis six EPR et je rouvre Fessenheim."

Marine Le Pen, candidate du Rassemblement national

sur franceinfo

C'est discutable. Valérie Pécresse, la candidate LR, et Marine Le Pen, celle du Rassemblement national, sont sur la même ligne sur cette question. La première, qui défend également les énergies renouvelables, l'a notamment montré sur France Inter, le 6 décembre. De son côté, Marine Le Pen, qui souhaite le démantèlement des éoliennes, l'a répété le 15 novembre sur franceinfo.

Pour Valérie Pécresse, construire ces six nouveaux EPR est nécessaire "pour atteindre l'objectif qui est de produire 60% d'électricité en plus". Une importante hausse de la consommation électrique est en effet attendue en France dans les décennies à venir. "Avec le développement de la voiture électrique, nous prévoyons que le secteur des transports devrait augmenter sa consommation d'électricité de 600%. Pour l'industrie, c'est une augmentation de 60%", a déclaré sur franceinfo Xavier Piechaczyk, président de RTE.

Interrogé sur la nécessité de construire six nouveaux EPR en France, Thierry Bros, spécialiste des questions énergétiques, ne tergiverse pas. "On devra le faire, d'une façon ou d'une autre. Soit on le fait, et on arrive à une énergie décarbonée. Soit on ne le fait pas et nous n'aurons pas d'énergie décarbonée", a-t-il affirmé sur franceinfo

Pourtant, un horizon sans ces nouveaux EPR est bien envisageable, comme le montre RTE (Réseau de transport d'électricité) dans son rapport détaillant six scénarios pour atteindre la neutralité carbone dans la production d'électricité d'ici à 2050. En effet, trois d'entre eux ne font pas appel à de nouveaux EPR. Le premier, qui imagine 100% d'énergies renouvelables à cette échéance, suppose une sortie totale du nucléaire avec un rythme de développement du photovoltaïque, de l'éolien et des énergies marines "poussés à leur maximum". Deux autres conservent une part de nucléaire provenant des réacteurs déjà existants. "Tous les scénarios que nous avons testés sont des chemins possibles pour le pays. Parmi eux, il y a des scénarios qui tendent vers le 100% renouvelable, mais tous les scénarios n'ont pas les mêmes atouts et les mêmes limites", poursuit Xavier Piechaczyk.

>> Nucléaire, énergies renouvelables... Ce qu'il faut retenir du rapport de RTE sur l'avenir de l'électricité en France à l'horizon 2050

L'idée de construire six nouveaux EPR flotte dans l'air depuis quelques années. Elle a été évoquée dès 2018 dans un rapport remis à l'exécutif. EDF a planché, dès l'année suivante, sur cette "hypothèse de travail" à la demande du gouvernement. Ce scénario impliquerait des chantiers d'une dizaine d'années, pour un coût total de 46 milliards d'euros. Sans attendre l'aval de l'exécutif, EDF a commandé, en février 2021, d’importantes pièces pour ce type d'installations

Quelques mois plus tard, alors que l'exécutif évoquait une possible accélération du calendrier, Emmanuel Macron a donné son feu vert lors de son allocution du 9 novembre. "Nous allons, pour la première fois depuis des décennies, relancer la construction de réacteurs nucléaires dans notre pays", a-t-il déclaré. Sans préciser la date du début des chantiers, ni le nombre de réacteurs envisagés.

France Télévisions
 
Publié

 

 

https://www.francetvinfo.fr/societe/nucleaire/vrai-ou-fake-surete-cout-nouveaux-epr-on-a-verifie-les-affirmations-de-six-candidats-a-la-presidentielle-sur-le-nucleaire_4875187.html#xtor=EPR-2-[newsletterquotidienne]-20211216-[lestitres-coldroite/titre6]

Nucléaire

La pénurie d’uranium pousse les prix à la hausse ce qui est un régal pour les propriétaires de mines qui devraient extraire 125 millions de pounds en 2021. La demande d’uranium devrait passer de 162 millions de pounds cette année à 206 en 2030 et 292 en 2040 selon l’Association Mondiale du Nucléaire.

Du côté des producteurs les extractions devraient diminuer de 15% d’ici à 2025 et de 50% d’ici à 2030 à cause du manque d’investissements et de la difficulté de trouver de l’uranium.

Pour les spéculateurs, l’uranium est du pain béni ! Le fonds vautours, Sprott Inc a lancé un trust afin de spéculer sur l’uranium. Le fonds a amassé 24 millions pounds d’uranium et a parfois acheté jusqu’à 500'000 pounds (livre) par jour. Le pari à la hausse devient une opportunité financière majeure.    Après avoir roupillé pendant des années vers les 20$, le prix de l’uranium a explosé à presque 50$ la livre.

Du côté des traders de WallstreetBets, ils se sont jetés dessus comme un labrador devant un os. Cameco a pris jusqu’à 75% depuis août et le futur sur l’uranium +40%.
 

La pénurie d'uranium est une opportunité d'achat pour les spéculateurs

https://2000watts.org/index.php/energies-fossiles/peak-oil/1226-energies-economie-petrole-et-peak-oil-revue-mondiale-septembre-2021.html

Cordemais-Fessenheim : échec au climat

            Fin de partie pour le projet Ecocombust. La centrale de Cordemais ne sera pas convertie à la biomasse. EDF jette l'éponge face aux coûts de l'opération...

            Il ne s'agit pas d'une véritable surprise pour qui connaissait un peu ce projet qui pouvait paraître intéressant sur le papier mais qui n'avait pas de vraie dimension industrielle. On sait aussi que le bilan environnemental était loin d'être aussi séduisant qu'affiché par certains : une part de charbon restait nécessaire et le projet n'était pas bas carbone, l'approvisionnement en combustible biomasse même de récupération présentait un impact environnemental conséquent, ...

            Fin de l'illusion donc et retour au pragmatisme.

            Pour autant, on nous annonce que la centrale va devoir continuer à fonctionner au charbon au moins jusqu'en 2024 (voire 2026 dixit RTE), et pour des durées limitées, pour assurer la sécurité du réseau... tiens donc !

            Lorsqu'il s'est agi de fermer 2 réacteurs de Fessenheim il y a un an, il n'y avait aucun problème de réseau puisque la centrale de Cordemais allait continuer à fonctionner... soi-disant avec de la biomasse. Mais sans Cordemais, ça devient problématique.

           Chacun aura donc compris la manipulation :

  • on vous raconte une fable sur une centrale charbon qui va devenir propre ;
  • on ferme la centrale de Fessenheim pour faire plaisir à des électeurs écolo qu'il faut séduire et à nos voisins allemands (mais pas pour faire plaisir au climat, chacun l'a compris) ;
  • on attend un peu pour que la ficelle ne paraisse pas trop grosse ;
  • on annonce que le projet de conversion de la centrale charbon est abandonné pour des raisons x ou y ;
  • on se désole de devoir la maintenir en service (pour des durées limitées, rassurez-vous) au nom de la continuité de service.

… et le tour est joué : on a fermé la centrale nucléaire qui produit en toute sûreté une électricité fiable et décarbonée et on maintient en service (mais pour des durées limitées rassurez-vous) la centrale charbon qui est le mode de production le plus émetteur de CO2 (ce sera un million de tonnes de CO2 par an qui seront émis par cette centrale).

            On fait même monter au créneau les élus locaux, écologistes compris, qui s'inquiètent de la perte de 500 emplois liés à la future fermeture de Cordemais... après avoir supprimé d'un trait de plume près de 2 000 emplois à Fessenheim alors que rien, en dehors de considérations électoralistes de court terme ne justifiait cette décision.

            En février 2020, une dizaine de ministres se retrouvaient dans une tribune publiée dans la presse pour se féliciter de la fermeture du premier réacteur de Fessenheim, considérant qu'il s'agissait « d'une étape historique ». Nous avons aujourd'hui la confirmation que c'était, en l’occurrence, un bien triste épisode d'une funeste histoire écrite par des politiciens calculateurs loin d'être à la hauteur de leurs responsabilités vis à vis du climat.

Nous sommes bien face à une grande arnaque et à un mauvais coup prémédité contre le climat.

 

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Zion Lights : "Chaque fermeture de centrale nucléaire est un crime contre la planète"

Ex-opposante au nucléaire, Zion Lights soutient désormais l'atome. Présidente des Voix du Nucléaire, Myrto Tripathi tente de mobiliser la société civile française sur ce sujet. Interview croisée.

Le nucléaire est-il une chance pour le climat ? Depuis plusieurs mois et alors que les plans de relance post-Covid font la part belle à la question de la transition énergétique, le débat autour du rôle que pourrait jouer l'atome dans l'équation énergétique ne cesse de monter dans la société civile. En France évidemment, vu le poids historique joué par la filière nucléaire (70% de la production électrique environ) et la volonté affichée par le gouvernement de réduire cette part à 50% d'ici 2035.  

Les discussions passionnent aussi au-delà de nos frontières, au Royaume-Uni par exemple, où le poids du nucléaire est certes largement moins important (20% de la production), mais où la question du renouvellement du parc actuel se pose de façon aiguë. Activiste du secteur de l'environnement depuis une quinzaine d'années, la Britannique Zion Lights est une des grandes figures de ces débats. Ex-porte-parole de l'association Extinction Rebellion, celle qui était naguère opposante au nucléaire, a effectué un virage à 180 degrés et est désormais convaincue que l'atome est indispensable pour atteindre les objectifs climatiques.  

Ex-cadre dans le secteur du nucléaire (chez Areva et Framatome) qu'elle a quitté pour occuper des fonctions de conseillère auprès de l'ex-ministre de l'environnement Brice Lalonde avant de devenir dirigeante d'une organisation environnementale, Myrto Tripathi a de son côté créé l'association Les Voix du Nucléaire il y a deux ans en France; Objectif : mobiliser la société civile sur la défense de l'atome. Les deux activistes se confient pour l'Express.  

Zion, vous avez travaillé pendant plusieurs années comme porte-parole d'Extinction Rebellion, organisation dans laquelle vous portiez une position antinucléaire. Après avoir quitté ce mouvement, vous vous êtes engagée auprès d'Environmental Progress, une association pro nucléaire. Que s'est-il passé ?  

Zion Lights : C'est une évolution assez naturelle de ma conscience environnementale. Je travaille comme activiste depuis 15 ans, et après avoir alerté pendant de nombreuses années sur le risque climatique, il me semblait important de m'engager en faveur de solutions viables. Le nucléaire en est une.  

Dans la presse anglo-saxonne, vous expliquez quand même avoir été dupée par certains activistes sur l'impact climatique du nucléaire...  

Z.L : Lorsque vous êtes impliqué dans l'écologie, vous êtes antinucléaire par principe. Vous ne questionnez pas cette position, vous vous contentez de vivre avec. J'étais jeune et je croyais également sans vérifier ce que les gens autour de moi disaient à propos des radiations et des déchets nucléaires. Plus tard, en me documentant sur ce sujet, j'ai appris que ces choses étaient en réalité fausses. Et j'ai découvert également que les gens avec qui j'avais fait campagne ne voulaient pas entendre la vérité.  

C'est comme le déni climatique, il y a une sorte de "déni nucléaire" au Royaume-Uni. Beaucoup de gens veulent croire qu'il est possible d'avoir un mix électrique qui fonctionne avec 100% d'énergies renouvelables, ce qui est faux. Et quand j'évoque le nucléaire comme une option, cela les contrarie. Les choses évoluent cependant dans le bon sens, nous sentons qu'il y a une fenêtre d'opportunité pour dialoguer sur ce sujet, que les pays préemptent à nouveau cette question. 

D'où la participation, avec les Voix du nucléaire, à l'événement place de la République à Paris fin septembre, qui réunit des membres de la société civile et des experts pour promouvoir l'énergie nucléaire... 

Z.L : Oui. Environmental Progress a l'ambition de structurer un mouvement au niveau mondial de défenseurs de la cause nucléaire. Le moment est assez opportun. Avec les grèves pour le climat, le mouvement autour de Greta Thunberg depuis 2018, on sent que les jeunes sont très préoccupés par la question climatique.  

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Myrto Tripati : L'événement faisait partie d'un mouvement plus large, "Stand up for Nuclear" organisé dans 45 villes et plusieurs dizaines de pays. L'idée sous-jacente est de montrer qu'il y a une part significative de la population civile, ne représentant rien d'autre qu'elle-même, qui est ouvertement pro nucléaire. Cela permet de casser cette image largement relayée par les opposants, que nous serions l'instrument ou les porte-parole de lobbys industriels. Au contraire, la société civile à une vraie compréhension des bénéfices du nucléaire, à savoir une énergie qui contribue à la transition énergétique, à l'amélioration de la qualité de l'air, à la création d'emplois non délocalisables, et de la production d'une électricité à bas coût. Le deuxième objectif, c'est de mettre fin au tabou. L'urgence climatique nous impose de parler de ce sujet. En France, près de 86% des 18-34 ans en France pensent que cette technologie à un impact néfaste sur le climat. C'est juste catastrophique. Car ces jeunes, qui sont les décideurs d'aujourd'hui et de demain, placent le changement climatique au coeur de leur préoccupation. Nous devons faire de la pédagogie pour que leur choix soit parfaitement éclairé sur cette question.

Le débat sur le nucléaire semble désormais très polarisé et ancré dans le marbre chez les anciennes générations. Il semblerait que les jeunes n'ont pas toujours de religion sur le sujet. C'est là aussi une opportunité pour vous ?  

M.T : Dans un sens oui. La génération précédente a été marquée de façon profonde par les mouvements antinucléaires (en Allemagne et en France, notamment) des années 70. Ce sont d'ailleurs ces mouvements qui sont à l'origine du sentiment antinucléaire, qui n'existait pas vraiment au moment de la création des premières centrales dans les années 60 et 70. Les jeunes générations voient bien que nous vivons avec le nucléaire depuis maintenant des décennies. Ils comprennent de façon pragmatique que la peur qui a pu être légitime au lancement des grands plans, ne s'est jamais matérialisée. Enfin, il ne faut pas oublier que cette génération est née avec les fakes news. Ils sont très sensibilisés à la vérification de l'information. Or l'histoire du nucléaire est liée depuis toujours aux fakes news. Il n'y a pas d'industrie générant plus de fausses informations, de croyances erronées, que celle-ci.  

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Z.L : Au Royaume-Uni, la population n'a pas d'opinion si tranchée sur le sujet, pas que les jeunes. Ils ne sont pas radicalement opposés, mais pas fervents supporters de la technologie. Donc c'est plutôt encourageant pour notre action. Mais nous avons fort à faire pour convaincre, car l'opposition au nucléaire parle très fort, et depuis bien plus longtemps que nous. Je m'efforce à rééquilibrer la balance en communiquant beaucoup sur les réseaux sociaux, dans la presse.  

Mais le nucléaire est un sujet technique. Il y a des experts dans chaque camp, et il est parfois difficile pour le grand public de se faire une opinion, encore plus d'en changer... 

M.T : C'est justement la raison pour laquelle nous avons créé Les Voix du Nucléaire, nous souhaitons ouvrir le débat de manière pacifiée. Le nucléaire n'est pas plus technique que l'ensemble des technologies qui nous entourent, les avions, les ordinateurs, les smartphones. En le rendant technique, on s'empêche d'en parler et on laisse le champ libre aux opposants, qui ont déjà un large écho dans l'opinion publique.  

Z.L : Il y a des gens qui ne changeront jamais d'avis sur le sujet. C'est vrai pour de nombreuses questions. Il y a plusieurs années, j'ai écrit un livre sur les enfants, qui comportait un chapitre sur les vaccins. Je me suis fait attaquer par les antivaccins, qui soutenaient que j'étais payé par Big Pharma. La plupart des gens n'ont aucune culture scientifique et vous imposent leurs idées reçues, leurs vagues croyances. Quand vous vous appropriez un sujet, vous devez être honnête et humble. Retourner à la bibliothèque, étudier le sujet en profondeur, ne pas rester à la surface. Le point positif c'est que ces derniers temps, de plus en plus de scientifiques sortent de leur tour d'ivoire pour défendre l'énergie nucléaire. Cela nous aide beaucoup.  

Au final, le plus important n'est-il pas de convaincre les politiques ? L'impulsion publique est fondamentale dans la construction de nouvelles centrales, car la sphère privée à elle seule ne peut en assumer les coûts. La logique court-termiste dans laquelle nous vivons n'est-elle pas rédhibitoire pour cette industrie ? 

M.T : Le politique est essentiel en effet. Comme tout projet d'infrastructure de long terme, le nucléaire a besoin d'investissements massifs au lancement. C'est vrai pour le nucléaire comme pour les aéroports, les lignes de train ou la Philharmonie de Paris. La puissance publique donne aux industriels mais aussi aux financiers la garantie que la décision politique ne viendra pas modifier leurs perspectives de retour sur investissement. Donc oui, le court-termisme est un vrai problème. Les politiques sont élus pour 5 ans, quand la construction d'une centrale dure en théorie de 7 à 8 ans. Le sujet nucléaire est à la base un sujet technique et scientifique qui est pris en otage par le politique. Dans nos démocraties, il est au coeur de nombreux débats entre partis. C'est un instrument régulièrement utilisé pour faire basculer un vote, nouer des alliances. Mais la vraie question n'est pas tellement celle du temps politique. C'est une bataille d'opinion publique. Si vous avez une majorité de soutiens, le coût d'une décision positive sur le nucléaire prise par le politique s'abaisse mécaniquement.  

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Z.L : Je discute régulièrement avec nos responsables, ils supportent tous l'énergie nucléaire, y compris notre Premier ministre. Mais dès lors qu'il s'agit de prendre des décisions importantes et engageantes sur le long terme, ils n'arrivent pas à franchir le pas. C'est un vrai risque, car les projets de centrale peinent à trouver les financements, et certains de nos partenaires industriels, comme EDF, hésitent à se retirer du pays faute d'impulsion. Aujourd'hui, l'électricité nucléaire représente 20% de notre mix électrique, mais d'ici 2030, nous allons fermer 14 réacteurs. Deux réacteurs beaucoup plus puissants (Sizewell C et Hinkley Point C) sont censés les remplacer...mais vu comme les choses avancent au plus sommet de l'Etat, il n'y a presque aucune chance d'y parvenir à cette échéance.  

Mais cette baisse du nucléaire ne pourrait-elle pas être compensée par le solaire et l'éolien ? Au Royaume-Uni comme partout dans le monde, ces énergies deviennent aussi compétitives en matière de coût que le nouveau nucléaire, dont la facture a par exemple dérapé en France à Flamanville. Que répondez-vous à ceux qui jugent le nucléaire trop cher et trop lent à produire ?  

M.T : Je ne veux pas opposer le photovoltaïque et l'éolien au nucléaire. Toutes les technologies bas carbone ont du sens. Mais si l'on doit faire un choix, alors il me semble que le nucléaire est bien plus compétitif dans un contexte comme celui du réseau électrique français. Je m'explique : le coût de la matière première n'est pas le seul facteur à prendre en compte dans le choix d'une énergie. Bien sûr, le vent et le soleil sont gratuits, mais il faut également prendre en compte la construction de l'infrastructure électrique pour accueillir cette production décentralisée, avoir les énergies de secours quand vous n'avez ni vent ni soleil et assumer le prix que cela vous coûte. Les défenseurs des renouvelables oublient souvent de le faire. Nous devons calculer sur l'ensemble du système et pas seulement les coûts de production

Z.L : C'est l'épouvantail utilisé par les antinucléaires, mais cela n'a aucun sens pour moi. Quand vous écoutez les arguments des écologistes, et même d'une grande partie de la population, ils expliquent que le changement climatique n'a qu'un seul but, la réduction des émissions de CO2. Si on suit cette logique, la question des coûts est secondaire. Au Royaume-Uni, on a également un problème avec l'intermittence des renouvelables. Récemment, il y a eu une vague de chaleur qui a réduit drastiquement la production éolienne et donc électrique. Nous avons dû utiliser de l'électricité produite par le charbon. En pleine crise climatique. C'est inacceptable. Le charbon est la pire des solutions en termes de pollution de l'air, ou pour les gens qui vivent à côté des centrales. Et c'est ridicule alors qu'il existe une solution pilotable, le nucléaire, dont les centrales peuvent fournir pendant 80 ans une énergie décarbonée. Il n'y a rien qui peut s'y comparer. 

Il y a également la question des déchets nucléaire. N'est-ce pas un problème insoluble de l'équation nucléaire ?  

Z.L : On ne peut pas nier la question des déchets nucléaire. Mais cette problématique repose également sur un mythe tenace. J'étais autrefois antinucléaire, et comme tout le monde, j'avais en tête cette idée d'une industrie sale, où les déchets n'étaient pas recyclés ou globalement mal gérés. Un peu comme dans Les Simpsons. C'est tout le contraire. Le traitement des déchets nucléaires est l'un des plus contraignant au monde. Aux Pays-Bas, ils ont même un musée où ils entreposent certains déchets à très faible radioactivité. C'est intéressant car ils renversent l'image associée aux déchets et cassent cette image d'Epinal d'une industrie mal gérée. Des croyances notamment dues à la pop culture. Au contraire, on ne parle jamais des déchets liés au démantèlement des panneaux solaires, ou encore des processus d'extraction des métaux rares nécessaires à la construction des panneaux qu'il faut bien sortir de terre.

M.T : Toutes les activités humaines génèrent des déchets, le CO2 est un déchet. Pour moi il s'agit d'un faux débat. Si vous êtes préoccupés par la notion de déchets, commencez par jeter un oeil à la pollution de l'air liée aux centrales à charbon. Chaque année, elle tue 10.000 personnes en Europe. Prenez également l'impact des déchets plastiques sur la biodiversité, des polluants chimiques que nous n'arrivons pas toujours à gérer. Ce ne sont pas des risques à horizon de 100.000 ans et dont la réalisation n'est qu'hypothétique comme la radioactivité liée au nucléaire. Ce sont des faits tangibles, immédiats. J'ajoute que la France avait un programme visant à réutiliser les déchets nucléaires comme carburant pour les réacteurs avec son programme Astrid. Celui-ci a été suspendu... 

En France, le parc est quand même vieillissant, certaines centrales atteignent les 40 ans, ce qui pourrait poser un problème de sécurité... 

M.T : Il faut bien distinguer l'âge sur le papier de l'âge de l'infrastructure. Il y a de gros travaux de maintenance sur les centrales. Et vous avez l'Autorité de Sûreté nucléaire, un organe indépendant de l'industrie, qui donne pour 10 ans, tous les 10 ans, un agrément pour la prolongation de durée de vies des centrales. D'ailleurs, la veille de la fermeture de la centrale de Fessenheim (le 29 juin dernier, NDLR), qui était la doyenne des centrales à 43 ans, cette autorité a indiqué qu'il s'agissait d'une des meilleures centrales françaises en matière de sécurité.  

La volonté de la France de réduire la part de production nucléaire à 50% de son mix électrique, ou la Belgique de sortir du nucléaire d'ici quelques années doit vous faire sursauter.  

M.T : C'est une décision qui n'a aucun sens. Nous allons réduire nos capacités de production d'une énergie déjà bas-carbone pour la remplacer par deux énergies intermittentes qui ne sont pas calibrées pour être utilisées à très grande échelle sur le réseau électrique. Cela ne se justifie ni pour le climat, ni pour des raisons de sécurité, ni pour des raisons économiques et encore moins politiquement dans les territoires ou ces centrales sont implantées. C'est en contradiction complète avec l'ambition de ces deux Etats de réduire leurs émissions de CO2. En Belgique, cela résultera dans l'ouverture de centrale à gaz subventionnées par l'État. C'est ridicule.  

Z.L : J'ai une opinion encore plus radicale. Pour moi, chaque fermeture de réacteur est un crime contre l'humanité dans ce contexte de crise climatique. Notre planète se réchauffe, et chaque acte qui va à l'encontre de la baisse globale des émissions est selon moi un crime contre la planète. Nous avons la chance d'avoir cette technologie. Nous devrions aider les pays en voie de développement comme en Afrique ou en Inde à l'obtenir car ce sont eux qui vont souffrir le plus des effets du changement climatique, et ils n'ont pas d'infrastructures pour y faire face.  

 

Le bon mix énergétique : le contre-exemple allemand

. Prix du KWh le plus élevé de l'Europe, sécurité d'approvisionnement non assurée, risque de pénurie..., le choix énergétique d'Angela Merkel de tourner le dos au nucléaire après la catastrophe de Fukushima est vivement critiqué par la Cour des comptes allemande d'autant qu'il fragilise la production industrielle du pays.

Dans son second rapport sur la « transition énergétique » qui vient d'être publié, la Cour des comptes allemande étrille littéralement la politique énergétique d'Angela Merkel. La chancelière avait en effet décidé en 2011, après l'accident de Fukushima, de supprimer la production d'énergie nucléaire en Allemagne et de la remplacer par des énergies intermittentes et, à court terme, par du charbon.

Deux fois plus cher qu'en France

Le bilan de la Cour des comptes d'outre-Rhin est plus que sévère : la sécurité d'approvisionnement en électricité n'est plus assurée, il existe un risque de pénurie d'électricité et les coûts sont hors de contrôle. Les ménages allemands paient le KWh le plus cher d'Europe, à 30,9 centimes, soit près de deux fois plus cher qu'en France où il est à 17,8 centimes. Devant l'augmentation des prix de l'énergie pour les entreprises, la Cour des comptes voit une menace pour l'activité industrielle allemande. Il est même prévu, en cas de pénurie d'électricité, une indemnisation des entreprises qui renonceraient volontairement à produire... Or, ces avertissements arrivent à l'heure où la compétitivité allemande est remise en cause dans certains secteurs, par exemple dans l'automobile qui éprouve des difficultés à prendre le tournant du véhicule électrique.

Au moment où nous assistons à un besoin croisant en électricité dans la vie quotidienne, et à la veille de la généralisation des véhicules électriques, la Cour des comptes allemande critique la sous-évaluation de ce besoin par le gouvernement. Cela va d'une mauvaise appréciation de la population allemande à 75 millions de personnes en 2030 alors que les statistiques comptent plutôt sur 77 à 78 millions de personnes, au retard dans la construction des infrastructures d'énergie renouvelable, à une mauvaise acceptation des éoliennes par la population et à une vision trop optimiste des conditions météorologiques pour la production d'énergie renouvelable, en passant par une sortie plus rapide que prévue du charbon.

Politique opportuniste ou idéologique

La situation en Allemagne montre qu'en termes de politique énergétique, les décisions de politique opportuniste - à l'époque la chancelière Merkel cherchait à récupérer le vote « vert » - ou l'idéologie - la fermeture de la centrale de Fessenheim en France - ne sont pas bonne conseillère et se heurtent au principe de réalité.

La lutte contre le réchauffement climatique nécessite de réduire drastiquement les rejets de CO2 et l'utilisation des sources d'électricité qui en rejettent le plus. L'innovation permet de développer l'exploitation des sources d'énergie renouvelable et de développer les batteries, qui sont indispensables pour gérer les énergies intermittentes. Pour autant, il s'agit de rester pragmatique et réaliste.

Avec son parc nucléaire, la France dispose d'une source d'énergie qui présente de nombreux avantages, au-delà de sa disponibilité de jour comme de nuit et quelles que soient les conditions climatiques. En plus d'une certaine indépendance énergétique, même si les prix du pétrole ne fluctuent plus dans les proportions des crises précédentes, l'énergie nucléaire permet à la France de disposer d'un des rares avantages compétitifs dont son industrie peut profiter, à savoir une électricité bon marché. A l'heure du plan de relance et de la volonté politique post-Covid d'engager une « reconquête industrielle », cet avantage comparatif ne peut être que souligné.

Besoin du nucléaire, énergie décarbonnée

Devant l'urgence de lutter contre le réchauffement climatique, nous avons besoin de toutes les énergies décarbonées disponibles, tout particulièrement de l'énergie nucléaire. Le bon mix n'est pas idéologique mais celui qui permettra d'utiliser et d'équilibrer toutes les ressources faiblement émettrices en CO2

 

 Laurence Daziano,  maître de conférences en économie à Sciences Po, est membre du Conseil scientifique de la Fondation pour l'innovation politique

https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/le-bon-mix-energetique-le-contre-exemple-allemand-885723.html

 la guerre secrète pour l’indépendance française

Alors que les débats se concentrent sur des sujets aussi cruciaux que la composition de l'équipe de France de foot, il y aurait pourtant matière à informer les Français sur des enjeux qui détermineront leur vie dans les décennies à venir. La question, comme souvent, est de savoir si la France va renoncer à l’indépendance et au maintien d’un service public qui bénéficie aux usagers.

Alors que la crise du coronavirus a démontré le risque majeur pour la France de perdre toute capacité d’action et toute autonomie véritable dans les domaines de l’industrie, de l’alimentation, de la recherche… on est ravi de constater que les débats se concentrent sur des sujets aussi cruciaux que le retour de Karim Benzema en équipe de France de football ou les plaintes en diffamation de Gérald Darmanin contre Audrey Pulvar et réciproquement. Le sens de l’essentiel.

Il y aurait pourtant, pour qui voudrait s’y pencher, matière à informer les Français sur des enjeux qui détermineront leur vie dans les décennies à venir. Les discussions ont lieu, comme souvent, dans les couloirs de la Commission européenne à Bruxelles comme dans ceux du ministère des Finances, à Bercy, le plus loin possible des citoyens. Et la question, comme trop souvent, est de savoir si la France va renoncer à l’indépendance, à la protection de ses savoir-faire et au maintien d’un service public qui bénéficie aux usagers pour un prix acceptable. On parle investissements, écologie, production… bref, il faut clarifier, expliquer, informer, et ça, c’est beaucoup plus fatigant qu’un débat sur le rappeur qui chante la Marseillaise.

Vous avez dit taxonomie ?

Il y a d’abord le bras de fer auquel se livrent la France et l’Allemagne autour d’un mot barbare : la taxonomie. Pour faire simple, il s’agit de décider à l’échelon européen quelles seront les activités considérées comme « durables » et qui auront donc droit à des aides d’État et, par ricochet, à des emprunts à taux préférentiel. Bref, un label absolument indispensable pour espérer faire perdurer des filières nécessitant des investissements très lourds. Le premier rendu de copie de la Commission, le 21 avril, ne comportait pas le nucléaire, l’Allemagne, l’Autriche et le Luxembourg refusant de le voir inscrit dans la liste des énergies durables.

« Si la France devait perdre cette bataille, c’est bien sûr son indépendance énergétique qui serait menacée, mais aussi son influence internationale au moment où de très nombreux pays développent leur parc nucléaire. »

Un comble quand on sait que l’Allemagne espère en revanche y voir figurer le gaz, c’est-à-dire un hydrocarbure. Les tractations se poursuivront tout l’été, mais c’est bien l’avenir de la filière nucléaire qui est en jeu. Et c’est d’autant plus paradoxal que l’Union européenne affiche des ambitions pharaoniques sur l’hydrogène. La production d‘hydrogène nécessite une grande quantité d’électricité, que l’Allemagne prétend importer, notamment depuis des parcs photovoltaïques dans le Sahara. Tout, plutôt que de s’appuyer sur le savoir-faire industriel français…

Menace sur l'indépendance énergétique

Entendons-nous bien : si la France devait perdre cette bataille, c’est bien sûr son indépendance énergétique qui serait menacée, mais aussi son influence internationale au moment où de très nombreux pays développent leur parc nucléaire. L’Ukraine (comme c’est étonnant !) vient de choisir une technologie américaine pour ses futurs petits réacteurs. Pendant ce temps, chaque jour apporte son lot d’annonces sur les retards et les surcoûts de l’énorme EPR de Flamanville, technologie qui sera déjà dépassée quand elle sera enfin en état de fonctionnement. Preuve que la France n’a pas besoin de l’Allemagne pour se tirer une balle dans le pied. Avec, à la manœuvre, des patrons – Anne Lauvergeon, Henri Proglio… – et des présidents.

« Le sujet semble technique. Mais, dans une démocratie sensée, il serait au cœur de la future campagne présidentielle. Sauf si l’on préfère parler composition de l’équipe de France de foot. »

La guerre fratricide entre Areva et EDF sur fond de manipulations depuis l’Élysée par Nicolas Sarkozy n’a fait qu’affaiblir les deux géants français. Depuis, ce sont François Hollande puis Emmanuel Macron qui ont choisi d’abandonner la filière nucléaire pour complaire à la frange dogmatique des écologistes. Le coup d’arrêt au projet Astrid, réacteur de 4e génération, permettant de retraiter les déchets des autres réacteurs, et donc de ne plus dépendre d’un approvisionnement extérieur en uranium, est une faute majeure. La focalisation sur l’EPR, trop cher, trop lourd, au détriment d’Astrid ou de ces petits réacteurs modulaires qui sont l’avenir, se paiera au prix fort.

Coups de boutoir contre EDF

Mais il y a plus grave. La France possède avec EDF le premier opérateur nucléaire au monde. Un opérateur bien mal en point, il est vrai, plombé, donc, par l’EPR et par les injonctions délirantes à libéraliser le marché de l’énergie. Pour résumer, les instances européennes réclament depuis vingt ans la mise en concurrence des services publics. Comme EDF est seul à produire l’énergie, il la vend à prix coûtant à ses concurrents. Une aberration. Et la cause d’une explosion de la facture pour les usagers.

D’où le projet dit « Hercule », dont le but était de séparer d’un côté les activités nucléaires, de l’autre les énergies renouvelables associées à la vente d’électricité et, dans une troisième entité, l’hydroélectrique. Un démantèlement à la demande de la Commission. Devant la fronde, le ministre de l’Économie a officiellement reculé. Le projet Hercule est abandonné au profit d’un « grand EDF » dont on peine à voir en quoi il sera véritablement différent, puisque l’injonction à se plier aux règles du marché reste la même. D’où la manifestation organisée par la CGT ce mardi à Flamanville.

Le sujet semble technique. Mais, dans une démocratie sensée, il serait au cœur de la future campagne présidentielle. Sauf si l’on préfère parler composition de l’équipe de France de foot.

La Farn, le superpompier du nucléaire

REPORTAGE. Créée après l’accident de Fukushima, la Force d’action rapide nucléaire (Farn), unité unique au monde, peut intervenir en 12 heures en cas d’accident grave.

La patronne du bistro posé sur l'aérodrome de Saint-Sylvain, pas très loin de Saint-Valery-en-Caux (Seine-Maritime), continue à servir des verres, imperturbable. Pourtant, dehors, c'est presque une ambiance de guerre. Balayé par les vents, un hélicoptère bedonnant tourne sans cesse, qui pose et enlève d'énormes colis ; à côté, une barge ficelée sur une remorque attend, prête à servir ; pas très loin, un camion équipé d'un bras articulé déplace des arbres arrachés et des pylônes pliés en deux ; un peu partout, des hommes casqués slaloment entre trois immenses tentes kaki, semblables aux modèles militaires. La Force d'action rapide nucléaire (Farn) est à l'action. Ce 20 janvier, les hommes qui composent cette unité d'élite ont fort à faire : à cinq kilomètres de là, ils doivent coûte que coûte refroidir le réacteur 4 de la centrale de Paluel. Une panne électrique générale a coupé le système de refroidissement d'eau. Si la mission échoue, la catastrophe nucléaire guette.

On l'aura compris, tout cela n'est qu'un exercice. L'accident est fictif. Les hommes de la Farn s'entraînent, comme ils le font trois à quatre fois dans l'année. Ils doivent se tenir prêts à intervenir, dans n'importe quelle centrale nucléaire de France, en douze heures. Ces hommes savent tout faire : dégager une route jonchée d'arbres ou de gravats, alimenter en eau, en électricité ou en air un réacteur – c'est le cœur de leur mission –, et même prendre le contrôle d'une centrale nucléaire si les agents habituels ne peuvent plus le faire. L'unité a été créée après l'accident de Fukushima, il y a tout juste dix ans. Depuis le 1er janvier 2016, ses 300 membres sont répartis entre un état-major, basé à Saint-Denis, et quatre services régionaux situés auprès de quatre centrales, dont celle de Paluel.

En colonnes, comme au GIGN

Chacune de ces bases régionales dispose de cinq « colonnes » – un terme du GIGN –, composées de quatorze équipiers. En permanence, quatre sont prêtes à partir. Tout est minuté, avec une discipline quasi militaire. En cas d'alerte déclenchée par l'état-major, une première équipe légère se déploie sur la zone et établit la première base ; elle est rejointe, douze heures plus tard, par une première colonne, puis, après le même délai, par une seconde. Très choyées, les équipes de la Farn disposent d'un arsenal à faire pâlir d'envie un régiment du génie : soixante-huit véhicules lourds (camions semi-remorques, camions-grues…), quarante-quatre véhicules légers (pick-up 4x4, barges de débarquement…), un hélicoptère, plus une batterie de drones, robots et autres petits engins aptes à pénétrer dans une zone irradiée. Manipulés à distance, les robots de la société peuvent ainsi entrer dans une enceinte nucléaire et actionner, par exemple, des vannes, même en cas de forte irradiation.

Arrêt du nucléaire : la Cour des comptes fustige l'impréparation de l'État

La juridiction financière publie un rapport qui critique le manque d'anticipation de l'arrêt des centrales nucléaires, dont celle de Fessenheim.

Site du gouvernement : Arrêt d'un réacteur à Fessenheim : une première étape pour réduire la part de l’énergie nucléaire
Commentaire de Jean-Marc Jancovici : "
A la question "pourquoi fermer Fessenheim" le gouvernement répond d'abord : "C’est la plus ancienne centrale française".

Donc l'âge signifierait danger ? Mais l'ASN, qui a précisément le mandat de dire si une centrale est bonne pour le service, n'avait rien contre l'âge de Fessenheim. Incidemment les modèles équivalents aux USA sont partis pour fonctionner 60 ans.

Que le gouvernement fasse croire qu'il serait à même d'avoir un jugement techniquement plus fondé que celui de l'ASN relève de l'imposture, sauf à aller jusqu'au bout de la logique et dissoudre l'ASN pour incompétence. Tant que nous y sommes, pourquoi ne pas le faire ?

Puis, un peu plus bas, arrive le mensonge, bien gras et bien dodu : "Ce projet vise à faire du Haut-Rhin un territoire de référence à l’échelle européenne en matière d’économie bas carbone.".

Que l'on fasse du bas carbone en supprimant du bas carbone, voilà qui est trop fort : est-ce que les shadoks y avaient seulement pensé ?

Le mensonge et l'imposture n'étant pas des motifs de démission aussi puissants que les sextapes, il faut croire qu'ils sont beaucoup moins dangereux pour l'avenir !

NB : des fois que le site soit modifié après publication de ce post, on trouvera plus bas deux copies d'écran pour attester que je n'ai pas rêvé."
(publié par Joëlle Leconte)

 

https://www.facebook.com/jeanmarc.jancovici/posts/10159035025192281

Le cri d'alarme de l'ancien haut-commissaire à l'énergie atomique

Yves Bréchet alerte sur l'avenir du nucléaire, « fleuron » de l'industrie française, aujourd'hui victime de l'idéologie comme du déclin de l'État stratège.

 
 

Première nucléaire : le silence assourdissant des médias

 

Le premier réacteur de troisième génération (EPR) connecté au réseau dans le monde est d’origine française. Il a atteint sa pleine puissance le 30 octobre 2018 dans le silence assourdissant des  grands médias.

Seraient-ils gênés par un succès français, surtout en Chine ?

Caisse de résonance

Deux employés d'une centrale nucléaire qui se brulent légèrement les mains avec un jet de vapeur (non radioactive) est un « évènement » consciencieusement rapporté dans les grands médias, y compris télévisés.

Mais la première mondiale de la connexion au réseau, le 29 juin 2018 en Chine (Taishan), du premier réacteur nucléaire EPR de conception française depuis 40 ans est quasiment passée sous silenceNi TF1, ni Le Monde, ni ARTE n'en ont fait leur une. Il s'agissait pourtant d’un évènement historique : c’est le premier réacteur occidental de nouvelle génération (GEN III) à fonctionner au monde.

La moindre inauguration d’une « ferme » éolienne donne lieu à un rappel du nombre (surestimé) de foyers alimentés par une électricité non carbonée (quelques milliers, mais en réalité aucune de manière sûre et continue). En revanche, un réacteur comme l’EPR permettra d’alimenter en électricité fiable, sûre et décarbonée plus de 4 millions de foyers chinois. Mais qui s’y intéresse ?

Il est certainement plus “vendeur” de se délecter des difficultés rencontrées sur l'immense chantier de construction du même réacteur EPR à Flamanville et de brocarder les « aristocrates de l’atome ».

Certes, Taishan, en Chine, c'est loin.

Fukushima au Japon aussi, et c'est même encore plus loin. Pourtant, l'accident (qui n'a provoqué aucun décès) de la centrale de Fukushima suite au tsunami (qui a provoqué, lui, 20.000 morts) a été traité par les médias comme si c'était cette centrale qui était à l'origine des victimes. Certaines associations antinucléaires bien soutenues par de grands médias publics célèbrent même des “anniversaires” de Fukushima tous les ans en liant vicieusement (ou intelligemment selon le point de vue) la centrale aux 20.000 morts du tsunami.

En Chine, premier marché nucléaire mondial, 16 réacteurs sont en construction.

L'EPR est le quarantième réacteur à être mis en service dans ce pays. Le lendemain 30 juin (hasard du calendrier ?), le premier réacteur américain de troisième génération (AP1000) a été connecté au réseau à Sanwen, suivi par un autre du même type le 8 août, puis par un troisième le 24 août.

Le premier réacteur AP1000 connecté en fin juin a atteint sa pleine puissance le 14 août.

Entre temps, début juillet, un réacteur « sinisé », dérivée du réacteur français de 900 mégawatts (MW), a été mis en service sur le site de la centrale nucléaire de Yanjiang qui compte désormais 5 réacteurs.

Ça ne chôme pas l’été en Chine !

Maîtriser le cycle du combustible

Comme la France, la Chine veut maîtriser toute la chaîne du traitement du combustible nucléaire, de la fabrication au stockage. Un accord a été signé en juin 2018 avec ORANO (ex AREVA) qui participera à la construction d’une usine de retraitement du combustible usé sur le modèle de celles de La Hague dans la Manche et de Melox dans le Gard.

La volonté de la Chine de suivre la même voie que la France dans la stratégie du recyclage du combustible montre la pertinence de ce choix fait il y a plus de 40 ans et notre expertise dans ce domaine.

Les grands médias « étourdis »

Les médias ont sans doute été « étourdis » par tous ces travaux d’Hercules en Chine, ou bien sont-ils tout simplement étourdis au point de ne pas voir la montée du nucléaire dans ce pays et dans le monde ?

Peut-être se bouchent-ils le nez devant cette réalité qui offusque leur parti-pris antinucléaire ? « Couvrez ce sein que je ne saurais voir ! » (Tartuffe de Molière).

Il est tellement plus facile et réconfortant d’évoquer seulement leurs investissements dans les éoliennes et les panneaux photovoltaïques (dont la Chine nous inonde).

Le nucléaire en ordre de marche en France

Le Groupement des Industriels Français de l’Energie Nucléaire (GIFEN) a été créé en juin 2018. Il est composé d’une trentaine d’acteurs du nucléaire et sera chargé d’établir une feuille de route pour la filière nucléaire et de porter sa voix en France et dans le monde.

Peu de Français le savent mais, depuis 2012, la France développe un petit réacteur modulaire compact (SMR pour Small Modular reactor) de 150 MW à 170 MW par module dérivé du réacteur éprouvé K15 qui équipe nos sous-marins lanceurs d’engins à propulsion nucléaire. Il peut y en avoir 2 à 4 par site.

Ce SMR est destiné à étoffer l’offre à l’exportation au côté du réacteur de moyenne puissance (ATMEA 1 / 1100 MW) dont 4 exemplaires ont été vendus à la Turquie, et du réacteur de grande puissance (EPR / 1600 MW) vendu à la Finlande, la Grande-Bretagne et… la Chine.

L’Inde devrait acquérir 6 EPR dans les prochains mois et d’autres pays sont intéressés (Pologne, République Tchèque, Arabie-Saoudite).

En avant !

En France, les SMR revitalisent la filière nucléaire en favorisant le maintien des compétences de pointe, et en attirant les jeunes ingénieurs sur des projets innovants et concrets.

Les composants seront assemblés et testés en usine, sur le modèle des chantiers navals, et non plus sur le chantier, ce qui pourrait réduire à 3 ans la construction après la pose du premier béton.

La France n’est pas seule sur ce créneau et de nombreux projets SMR sont en cours dans le monde. La société américaine NuScale est la plus avancée pour le moment. Elle propose des centrales multi-SMR qui pourraient accueillir jusqu’à 12 modules de 60 MW.

Il y a aussi en France le projet du démonstrateur de réacteur surgénérateur de quatrième génération ASTRID ainsi que les recherches en cours pour un réacteur à fusion ITER.

Faire résonner le tambour du scandale pour dénoncer les défauts relève souvent d’un journalisme partisan et facile pour conforter une idéologie antinucléaire, et puis… « ça fait vendre ».

Pendant ce temps, le travail remarquable d’équipes talentueuses et les grandes réussites techniques se déroulent dans le silence assourdissant des médias.

 

 Michel Gay

https://sciencetechaction.tumblr.com/post/179825722775/premi%C3%A8re-nucl%C3%A9aire-le-silence-assourdissant-des

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