Méditerranée gazette

Publié le par ottolilienthal

Millan Millan et le mystère des tempêtes méditerranéennes disparues : Partie 1

Bienvenue dans cette série en trois parties, Millan Millan et le mystère des tempêtes méditerranéennes disparues, où nous suivons la carrière de plus de cinquante ans du célèbre météorologue méditerranéen Millan M. Millan, en élargissant au passage notre vision du changement climatique.


J'aimerais introduire cette série par un scénario. Supposons que quelqu'un vous fasse remarquer que vous avez regardé le climat à travers une paire de lunettes à un seul verre. On vous les enlève du nez et on vous donne une nouvelle paire de lunettes à deux verres. Soudain, des parties du climat que vous ne pouviez pas voir auparavant apparaissent. En plus de l'atmosphère, vous voyez maintenant les paysages qui vous entourent et le sol sous vos pieds, non pas comme des victimes impuissantes, mais comme des moteurs actifs de ce que nous appelons le climat. Non seulement cela, mais vous voyez qu'à un moment donné, il n'y a pas si longtemps, la science a considéré le climat de la même manière. Ce n'est que plus tard, dans les années 1980, que les lunettes à verre unique ont été mises sous nos yeux et déclarées opinion scientifique officielle.

Ce sont là quelques-uns des enseignements que l'on peut tirer de la carrière et des travaux scientifiques de M. Millan, même si ce dernier utilise des métaphores différentes, en parlant d'une compréhension du climat "à deux pattes", par opposition à l'orthodoxie actuelle qui se limite à une seule patte, le CO2. Il nous montre également que l'eau, qui est au cœur du climat de la Terre, "engendre l'eau", que le sol est comme un "utérus" pour la pluie et le climat, et que la végétation agit comme une "sage-femme".

Je me rends compte que je lance beaucoup de métaphores ici, mais avec l'orthodoxie actuelle basée sur les données, les métaphores sont nécessaires pour nous aider à voir à travers le brouillard numérique. Quoi qu'il en soit, lisez la suite et les choses deviendront plus claires.

Millan Millan et le mystère des tempêtes méditerranéennes manquantes

Lorsque Millan M. Millan, spécialiste du climat méditerranéen, était enfant, son père l'emmenait avec lui lors de ses fréquentes parties de chasse à la perdrix dans le maquis sec du sud de l'Espagne, connu sous le nom de maqui, et s'arrêtait souvent pour lui montrer comment lire le temps environnant, en lui faisant remarquer qu'un "nuage qui se trouvait à un certain endroit le matin se déplaçait ailleurs l'après-midi, déclenchant une tempête de pluie".  Ils regardaient les orages se former dans le paysage et planifiaient leur retour à la maison pour éviter d'être mouillés. M. Millan était loin de se douter que 40 ans plus tard, la Commission européenne lui demanderait de comprendre pourquoi ces orages de l'après-midi, que lui et son père aimaient tant suivre à travers les collines, disparaissaient dans tout le bassin méditerranéen occidental, entraînant l'assèchement des cours d'eau dans leur sillage.

Le futur Dr Millan, directeur du Centre pour l'environnement méditerranéen, diplômé en mécanique des fluides, génie industriel, sciences aérospatiales, physique atmosphérique et spectroscopie, météorologie synoptique et prévisions météorologiques, allait en effet comprendre pourquoi les orages d'été n'étaient pas au rendez-vous. "Les perturbations de l'utilisation des sols (exploitation minière, expansion industrielle, déforestation, pavage) qui se sont accumulées au cours de l'histoire et se sont fortement accélérées au cours des 30 dernières années" ont rendu les terres incapables de supporter le climat de la région. Les tempêtes disparaissaient parce que la terre disparaissait, a montré M. Millan, ce qui a des conséquences considérables sur notre compréhension des causes humaines du changement climatique et sur la manière dont nous devrions y répondre.

Bien que salué par le lauréat du prix Nobel Paul Crutzen comme la découverte la plus importante en matière de changement climatique depuis vingt ans et publié dans le Journal of Climate de l'American Meteorological Association, entre autres1,2, son travail a été effectivement ignoré par le courant dominant de la science climatique, s'avérant, comme l'a dit M. Millan, "incommodant". Les modèles informatiques mondiaux axés sur le CO2, qui ont fini par dominer la science du climat, ne pouvaient pas voir les processus locaux, au niveau du sol, mis en évidence par Millan. Les hommes politiques, avec leurs projets de construction favoris et leur mandat de "croissance", les ont fuis.

Millan n'est pas le seul scientifique à tirer la sonnette d'alarme au sujet du "changement terrestre" en tant que cause humaine du changement climatique,3,4 mais, à 82 ans, c'est lui qui est là depuis le plus longtemps, suffisamment longtemps pour se souvenir d'une époque où la science avait ce qu'il appelle une vision "à deux jambes" du climat, avec une jambe pour le carbone atmosphérique et l'effet de serre, et une jambe pour les perturbations terrestres et les effets hydrologiques (les cycles de l'eau). Il s'avère que l'histoire de Millan répond également à ce mystère, comme nous allons le voir.

Le garçon, dont le père lui a indiqué son destin et qui l'a rencontré habilement, se sent néanmoins vaincu. "J'ai échoué, pour nous tous", m'a-t-il écrit un jour. Et en effet, le récit actuel sur le climat laisse complètement de côté le travail de Millan. Mais je ne pense pas que l'histoire soit terminée. La roue de la science se rapproche de la compréhension de Millan, au lieu de s'en éloigner, et les arguments scientifiques en faveur d'une vision bipède du climat ne cessent de s'étoffer. En fait, c'est le moment idéal pour raconter son histoire.

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M. Millan n'a pas cherché à résoudre le mystère de la disparition des orages d'été dans le bassin méditerranéen occidental. Comme pour une grande partie de son histoire, les principaux développements ont été le fruit du hasard.

En 1966, les universités espagnoles étaient en proie à des manifestations étudiantes et il voulait se concentrer sur ses études. C'est ainsi qu'à l'âge de 24 ans, il part pour le Canada afin de poursuivre ses études supérieures à l'université de Toronto. Dans l'attente des approbations universitaires, il cherche un emploi et le trouve rapidement auprès d'une société canadienne appelée Barringer Research Limited. Il s'y distingue très tôt en affinant la technologie qui équipera les détecteurs de métaux des aéroports du monde entier, ce dont il s'excuse aujourd'hui en plaisantant. Mais c'est un autre instrument, appelé COSPEC, qui l'a conduit à des découvertes scientifiques et professionnelles majeures et à un retour en Espagne.

Son instrument, toujours utilisé, permet aux scientifiques de cartographier les panaches de polluants qui se déplacent dans l'atmosphère, ce qui est devenu indispensable lorsque l'industrialisation rapide a commencé à asphyxier les villes avec la pollution. M. Millan a estimé qu'il pouvait améliorer l'application de son instrument en approfondissant ses connaissances en météorologie, notamment en ce qui concerne la façon dont les surfaces terrestres affectent les flux d'air, d'humidité et de chaleur, pour laquelle Ted Munn, professeur à l'université, était réputé. Munn était une figure importante de l'Organisation météorologique mondiale et un expert dans un domaine appelé biométéorologie, qui examine non seulement les effets du climat sur les systèmes vivants, mais aussi les effets des systèmes vivants sur le climat. L'accent est mis sur la couche la plus basse de l'atmosphère, appelée "couche limite", la couche en contact avec la surface de la Terre et directement affectée par elle. M. Munn a fondé et dirigé pendant vingt ans la revue scientifique Boundary Layer Meteorology. Ses ouvrages Descriptive Micrometeorology (1964) et Biometeorological Methods (1970) sont des classiques dans ce domaine.

La célébrité de Munn tient en partie aux compétences remarquables dont il a fait preuve pendant la Seconde Guerre mondiale, en établissant des prévisions météorologiques pour les forces alliées depuis l'île de Terre-Neuve, sans jamais perdre un avion ou un navire. Millan suppose qu'"il avait abandonné les systèmes à grande échelle avec lesquels il travaillait pendant la Seconde Guerre mondiale pour découvrir comment ces grands processus météorologiques étaient pilotés de la surface vers le haut". Il s'agit là d'un point essentiel. Le changement climatique est généralement décrit comme une flèche de causalité orientée vers le bas, de l'atmosphère vers le bas, la terre agissant comme un récepteur passif du changement climatique. Mais la flèche pointe également vers le haut, à partir de la terre, celle-ci se comportant non seulement comme un récepteur du climat, mais aussi comme un moteur du climat.

M. Munn a rapidement remarqué que son nouvel étudiant semblait déjà avoir une compréhension intuitive de la matière enseignée. "Il me donnait les explications scientifiques des observations de mon père", écrit Millan. De son côté, Millan, qui aime également les activités de plein air, était ravi de pouvoir sortir ses talents du laboratoire pour les mettre au service de la nature où, comme pour Munn, la météorologie prenait vie pour lui. Ils sont rapidement devenus des collègues et des amis dans le cadre d'un "tutorat et d'une coopération" qui durent depuis 45 ans.

En 1969, Millan s'est engagé à fond dans ses études, s'attelant à un programme d'études que Munn avait conçu spécialement pour lui, tout en suivant les cours de biométéorologie de Munn. Un jour, Munn lui a remis le projet d'un livre intitulé Inadvertent Climate Modification : Study of Man's Impact on Climate, une production conjointe du MIT et de l'Académie royale suédoise des sciences. Il s'agissait de la première évaluation scientifique d'envergure du changement climatique anthropique à l'ère du climat moderne, et Munn était l'auteur coordinateur d'un chapitre intitulé Climatic Effects of Man-made Surface Change (Effets climatiques des changements de surface provoqués par l'homme). Il a demandé à Millan de vérifier les concordances entre le texte, les références et les figures, une tâche qui a cristallisé le concept des deux jambes pour Millan, car il était clairement exposé dans le livre. Le premier paragraphe, par exemple, énumère les "effets climatiques des changements de surface provoqués par l'homme" et la "modification de la troposphère et de la stratosphère" comme des "domaines majeurs" à prendre en considération. Sous le titre "Activités humaines influençant le climat", les sous-sections relatives à la "contamination atmosphérique" et à l'"altération de la surface terrestre" sont traitées de manière à peu près égale. Sous la rubrique "Principales conclusions et recommandations", on trouve le chapitre de M. Munn intitulé "Effets climatiques des modifications de surface dues à l'homme", ainsi que les chapitres concernant les gaz à effet de serre dans l'atmosphère.

"L'idée était que les gaz à effet de serre et l'utilisation des sols contribuent tous deux au changement climatique, mais à des rythmes différents", écrit M. Millan. "L'utilisation des sols modifie immédiatement le cycle hydrologique, à petite ou grande échelle, en fonction de la perturbation. Les gaz à effet de serre sont déjà présents", ce qui signifie qu'ils se répandent à l'échelle mondiale et ne changent pas d'un jour à l'autre. Il parle de "deux taux d'interaction climatique et de deux mécanismes de base".

En ce qui concerne les changements terrestres, le mécanisme est hydrologique, le cycle de l'eau ; il se produit rapidement et à des échelles locales ou régionales. Si vous coupez une forêt à blanc, vous détruisez immédiatement le cycle de l'eau à cet endroit, et avec lui le mécanisme de refroidissement de la forêt. La vapeur d'eau (ainsi que le carbone) commence à brûler hors du sol et, en quelques heures, la température peut augmenter de plus de 20oC.

En ce qui concerne les gaz à effet de serre, le mécanisme est la propagation et l'augmentation à l'échelle mondiale des gaz qui absorbent le rayonnement sortant de grande longueur d'onde, l'effet de serre, et qui réchauffent régulièrement la planète. Il s'agit d'un processus lent ; la personne qui transpire dans la coupe à blanc ne le sentira pas, mais il est implacable. La concentration des gaz ne cesse d'augmenter, soumettant la planète entière à des changements d'une ampleur géologique difficilement envisageable.

Le fait est que ce n'est pas l'un ou l'autre, mais les deux. "Les deux jambes ne sont qu'un concept qui implique une composante atmosphérique (gaz à effet de serre) et une composante de surface (changement climatique). Un concept qui, écrit-il dans son livre, "est resté dans mon esprit pendant des années, me revenant vingt ans plus tard lorsqu'on m'a demandé d'étudier la question d'un déclin perçu des orages d'été autour du bassin méditerranéen occidental".

La demande pour l'instrument de Millan ne cesse de croître et, en 1974, des fonctionnaires de la Commission européenne (CE), organe opérationnel de l'Union européenne, lui demandent d'apporter son instrument et son expertise en Espagne pour les aider à suivre la propagation des polluants industriels sur la côte méridionale en pleine industrialisation. Il n'a pas tardé à accepter, et il était bientôt de retour chez lui, à quelques vallées de là où son père et lui avaient fait du trekking. C'est en installant des instruments de terrain dans le maqui qu'il a commencé à entendre parler des orages d'été. Les habitants de la région venaient lui faire des commentaires du genre "ce que vous essayez de faire semble intéressant, mais le vrai problème ici, c'est qu'il ne pleut plus autant qu'avant". Se souvenant du conseil de Munn de traiter les observations des habitants comme des données de terrain essentielles, il prenait toujours des notes minutieuses, qui s'avéreraient par la suite inestimables. Mais à l'époque, il s'occupait de pollution atmosphérique, et non de climat, et il ne pouvait donc pas faire grand-chose d'autre que d'évoquer ces observations lors de réunions avec des fonctionnaires de haut rang.

Finalement, en 1992, la question a attiré l'attention du chef d'unité pour l'environnement de la Commission européenne, le Dr Heinrich Ott. M. Millan était alors directeur du CEAM, le Centre méditerranéen d'études environnementales, un grand organisme de recherche scientifique. Lors d'une réunion portant sur des questions générales, les orages d'été ont été évoqués et Ott a demandé à Millan d'appliquer au problème les notes et les données qu'il avait recueillies sur le terrain pendant près de vingt ans. C'est ainsi que Millan est passé de directeur scientifique à détective scientifique.

Millan est un scientifique hautement technique et pratique, imprégné de physique et doté d'un cachet d'ingénieur. Pourtant, il se fait poète lorsqu'il décrit la manière dont le sol, l'eau et les plantes travaillent ensemble pour recycler l'eau, en employant le tercet : l'eau engendre l'eau, le sol est l'utérus, la végétation est la sage-femme.

Ce qu'il entend par "l'eau engendre l'eau", c'est que les paysages sains semblent cultiver l'eau. Bien sûr, l'eau ne peut pas être créée. Il y en a une quantité déterminée sur terre, et bien que nous pensions qu'elle est répartie entre les océans, les lacs, les rivières et les glaciers, elle se trouve également à l'intérieur des êtres vivants. Les humains sont constitués à 60 % d'eau, les oiseaux à 75 %, les poissons entre 70 et 84 %. Un chat typique pèse 67 %, tandis que les plantes et les arbres sont presque entièrement constitués d'eau, entre 80 et 90 %. La quantité d'eau qu'un paysage peut contenir est donc proportionnelle à la quantité de vie présente dans le paysage et le sol pour retenir l'eau qui arrive par impulsions périodiques des principales masses d'eau, comme les océans et les lacs, par l'intermédiaire des courants atmosphériques. Cette eau, une fois retenue, est retranspirée par la végétation dans l'atmosphère sous forme de vapeur pour former les nuages et les futures pluies. Ainsi, la même eau est recyclée à l'infini, de haut en bas, à travers les paysages. Alors que l'on pensait autrefois que la quasi-totalité de l'eau à l'intérieur des terres provenait des grandes masses d'eau et des circulations atmosphériques, on s'aperçoit aujourd'hui que 40 à 60 % de la plupart des pluies proviennent de ce recyclage, et que ce pourcentage augmente au fur et à mesure que l'on s'éloigne de l'intérieur des terres. C'est ce qu'on appelle le petit cycle de l'eau, et dans certains endroits, comme l'Amazonie, il est à l'origine de 80 % des pluies. Plus il y a de vie dans un paysage, plus il peut "extraire" d'eau des flux océaniques. C'est un cercle qui s'amplifie de lui-même : l'eau, à travers la vie, engendre plus d'eau, engendre encore plus de vie, recueille encore plus d'eau, et ainsi de suite, le résultat étant un refroidissement et une modération accrus du climat.

Le sol est l'utérus parce qu'il contient l'eau. Mais là encore, c'est la vie qui retient l'eau, la riche communauté microbienne souterraine qui fait la différence entre une terre compacte et imperméable et un sol absorbant et grumeleux. Imaginez le sol comme une éponge, maintenue ensemble mais pleine de minuscules cavités. Cette matrice contient des grains de sable, de l'argile et des minéraux, mais ce qui les lie en une éponge, c'est la vie, une pléthore stupéfiante d'invisibles et de presque invisibles : protistes et bactéries, nématodes et acariens du sol, et jusqu'à huit miles par pouce carré d'hyphes fongiques. Ce sont leurs exsudats et leurs corps en décomposition qui non seulement collent les particules entre elles, mais les maintiennent séparées, faisant ainsi de la place à l'eau, si essentielle à toute vie. Lorsque tous ces éléments fonctionnent ensemble, une boucle de rétroaction fortuite apparaît : plus il y a de carbone dans le sol, plus il peut contenir d'eau. Plus il y a d'eau dans le sol, plus la végétation peut pousser. Plus la végétation pousse, plus elle nourrit le ciel d'humidité et plus elle absorbe de carbone dans la vie et le sol. C'est un cycle vertueux, qui "engendre" l'eau et séquestre le carbone, invisible et souterrain, comme un utérus.

La végétation est la sage-femme, car elle envoie l'eau dans l'atmosphère sous forme de vapeur, où elle s'élève, se condense et retombe sous forme de pluie. Mais la végétation ne se contente pas d'envoyer de la vapeur d'eau, elle fournit également les graines des futures gouttes de pluie, appelées noyaux de condensation des nuages. Il s'agit de grains microscopiques de divers biotes, tels que des bactéries, des spores fongiques et des vapeurs libérées, qui ont tous un seuil de congélation particulièrement bas, ce qui accélère la condensation de la vapeur en eau et son retour ultérieur sur la terre sous forme de pluie. La végétation qui fait monter l'eau la fait également redescendre dans un autre cycle vertueux qui s'amplifie de lui-même.

Vous avez sans doute remarqué que l'eau occupe une place importante dans cette analyse. En effet, du point de vue du climat, l'eau est un élément essentiel. D'une part, elle possède la capacité calorifique la plus élevée de toutes les substances terrestres courantes et peut donc déplacer d'énormes quantités de chaleur. C'est pourquoi les courants océaniques sont si importants pour le climat mondial. Les océans ont absorbé d'énormes quantités de chaleur et les déplacent à présent, ce qui a pour effet d'amplifier les tempêtes et les sécheresses. Mais comme nous l'avons déjà mentionné, l'eau possède également une autre capacité : celle de changer de phase, de passer de l'eau à la vapeur et inversement, en échangeant de la chaleur à chaque étape.

Voici comment cela fonctionne. Lorsque l'eau passe de l'état liquide à l'état de vapeur (évaporation), il se produit un refroidissement, semblable à celui que nous ressentons lorsque nous transpirons sous l'effet de la brise. En effet, le changement de phase entre l'eau et la vapeur utilise de la chaleur, en la puisant dans l'environnement, ce qui se traduit par un refroidissement. La chaleur nécessaire pour transformer l'eau liquide en vapeur gazeuse, soit 540 calories par gramme d'eau, pénètre dans la vapeur sous la forme d'un potentiel chimique appelé chaleur latente, comme un ressort que l'on tire en arrière. Lorsque la vapeur s'élève et se condense en liquide, l'équation s'inverse, le ressort remonte et la même chaleur est libérée, mais plus haut dans l'atmosphère. Bien que la majeure partie de cette chaleur revienne sur terre à des kilomètres, voire des milliers de kilomètres, une partie s'échappe.

Les scientifiques utilisent le terme de transpiration pour désigner cette capacité des plantes à transformer l'eau en vapeur, mais on peut également considérer qu'il s'agit d'une sorte de transpiration. Le vert étant une couleur sombre, l'arbre ou la plante n'absorbe pas seulement la lumière du soleil pour la photosynthèse, mais aussi une bonne partie de la chaleur. Pour se débarrasser de cette chaleur, il transpire. Sous chaque feuille et chaque aiguille se trouvent des milliers de pores microscopiques appelés stomates, qui libèrent de l'humidité pendant la journée, ce qui permet à la plante ou à l'arbre et à son environnement de rester au frais. Ce processus nécessite d'énormes volumes d'eau : 100 litres par jour pour un arbre typique. L'évaporation d'un gramme d'eau nécessite 540 calories. À raison de 100 litres par jour pour un arbre typique, cela équivaut à un refroidissement de 54 000 kcal, soit deux climatiseurs d'hôtel fonctionnant toute la journée. Si l'on ajoute à cela le refroidissement par évaporation des sols, on peut se faire une idée de la puissance de refroidissement d'une forêt ou d'une zone boisée.

En gardant à l'esprit le terme de Millan, examinons ce qui s'est passé dans le bassin méditerranéen occidental, cette partie de la Méditerranée située à l'ouest de l'Italie, en particulier la région du sud-est de l'Espagne, où nous, les êtres humains, avons changé les choses depuis un certain temps.

Le bassin méditerranéen occidental était autrefois luxuriant, avec de vastes forêts de chênes, des sources et de vastes marais côtiers. Les premiers Romains disaient qu'un écureuil pouvait voyager d'un membre à l'autre, des Pyrénées au détroit de Gibraltar, sans jamais toucher le sol. Il y a deux mille ans, cette situation a commencé à changer sérieusement avec l'expansion constante de l'Empire romain. Les marais ont d'abord été asséchés pour lutter contre la malaria endémique, puis pour l'agriculture, avec une déforestation et une exploitation minière généralisées dans les montagnes. Au XVIe siècle, la plupart des forêts de chênes ont été abattues et l'agriculture de plaine s'est répandue plus haut dans les montagnes, en même temps que le pâturage et d'autres défrichements. Puis vint la révolution industrielle, suivie de la modernité. Dans les années 1950, l'urbanisation de masse a encore grignoté des terres au fur et à mesure que l'Espagne s'industrialisait. L'essor de l'industrie touristique a été particulièrement dévastateur pour les marais côtiers de l'Espagne, recouvrant de parkings et d'hôtels des maillons essentiels du cycle de l'eau. Puis, au début des années 1970, en raison des troubles au Moyen-Orient, les infrastructures pétrolières ont été déplacées du Moyen-Orient vers les côtes de l'Espagne, de la France et de l'Italie, ce qui a entraîné une "industrialisation intense des côtes".

Millan a été confronté à un système hydrologique à l'échelle du bassin en phase finale d'effondrement. Les sages-femmes n'avaient pas seulement été coupées, mais le régime climatologique qui permettait aux chênes d'autrefois de vivre était passé depuis longtemps. Il a été remplacé par un climat beaucoup plus sec, favorisant principalement le pinyon et le maquis, le maqui. Le sol a été en grande partie érodé, s'étendant par endroits sur de la pierre nue. La province voisine d'Almeria offre un exemple classique de la façon dont les choses peuvent mal tourner. Dans les années 1850, ses denses forêts de chênes ont été coupées à blanc pour alimenter les fours des fonderies de plomb. L'effondrement du désert a été si profond que la région est devenue un lieu de tournage pour les westerns spaghetti. M. Millan en est venu à penser que l'ensemble du bassin méditerranéen occidental se trouve à un tel point de basculement, en passe de devenir un désert de type Almeria, un point d'où il est très difficile de revenir. "Une fois que l'on a atteint la roche, dit-il, c'est fini.

Se souvenant du conseil de Munn d'écouter attentivement les observations des habitants, il s'est souvenu d'un jour où un vieil homme lui avait parlé d'un dicton local : "Cierzo a las siete, Solano a las diez, agua a las tres" : "Cierzo a las siete, Solano a las diez, agua a las tres". En gros, la brise de mer le matin à dix heures, la pluie l'après-midi à trois heures. Il pensa aux traces des nuages qu'il avait observés dans son enfance, se déplaçant de plus en plus haut dans les montagnes, gagnant en masse, laissant tomber la pluie dans l'après-midi. Le refrain était révélateur. En effet, les brises de mer arrivaient encore chaque matin vers dix heures, mais l'après-midi, vers trois heures, les tempêtes ne se matérialisaient pas. L'effondrement, a-t-il expliqué, s'est produit entre les deux.

En utilisant les données météorologiques traditionnelles, il a découvert un détail essentiel.  Lorsque les vents du matin se sont levés, leur teneur en eau était de 14 grammes par mètre cube d'air, ce qui n'est pas suffisant pour former des nuages qui, dans ces conditions spécifiques, nécessiteraient un niveau d'humidité de 21 grammes d'eau par mètre cube. Le reste de l'humidité, soit 7 grammes par mètre cube, doit provenir d'ailleurs, ce qui nous ramène à la terre.

Il fut un temps où cette même brise de mer passait au-dessus de vastes zones humides côtières s'étendant sur des kilomètres à l'intérieur des terres, recueillant la vapeur d'eau qui s'en dégageait. Puis, en se dirigeant vers les montagnes, elle gagnait encore plus d'humidité grâce aux grands chênes, chacun étant un château d'eau à lui seul. Au moment où il gravissait les dernières crêtes, il était saturé non seulement d'humidité, mais aussi de noyaux de condensation des nuages. On peut imaginer les têtes d'orage s'élevant, les panaches empilés s'élevant à trois kilomètres dans les airs, l'orage de l'après-midi pratiquement garanti, laissant tomber la pluie froide sur la terre, réhydratant la végétation, rechargeant les aquifères et les marais, et libérant leur chaleur latente pour qu'elle se dissipe au-dessus des montagnes.

Mais aujourd'hui, au lieu des marais et des chênes, la brise marine rencontre le béton, l'acier et le verre. Non seulement elle est privée de l'humidité dont elle a besoin pour former des tempêtes, mais elle est aussi balayée par la chaleur qui s'élève des matériaux fabriqués par l'homme, gagnant 16oC avant d'atteindre les montagnes. Ce qui atteint finalement les collines est constitué d'arbustes et de pignons épars, vestiges squelettiques des anciennes forêts de chênes. Non seulement il n'y a pas assez de vie évaporative (respiratoire) pour fournir les 7 grammes d'eau par mètre cube d'air manquants pour former le nuage de pluie, mais le réchauffement intense de la masse d'air signifie qu'elle a besoin d'encore plus d'humidité pour le faire. Aujourd'hui, quelques nuages se rassemblent en fin d'après-midi, s'élèvent, s'étendent, puis s'évanouissent. L'air chaud, humide et désormais pollué, au lieu de libérer la chaleur accumulée et de laisser tomber la pluie sur la terre pour reconstituer le système, repart simplement au-dessus de la mer Méditerranée.

Cela explique en gros la disparition des orages d'été, mais le processus ne s'arrête pas là. Les couches d'air humide et pollué s'accumulent au-dessus de la mer Méditerranée, couche après couche, jour après jour, trois à cinq jours d'affilée. Ces couches, chargées de puissants gaz à effet de serre tels que la vapeur d'eau et l'ozone, réchauffent progressivement la mer, de sorte qu'à la fin de l'été, la mer réchauffée commence à alimenter les tempêtes côtières, ainsi que les trajectoires des tempêtes qui descendent au-dessus de la Méditerranée en remontant vers l'Europe centrale. Ces trajectoires de tempêtes rassemblent les couches chaudes et humides et deviennent elles aussi suralimentées, contribuant ainsi aux inondations dévastatrices en Europe de l'Est.

Où sont passés les orages d'été ? Ils sont partis avec les forêts, les sols et les zones humides. Pourquoi les tempêtes côtières s'aggravent-elles ? En partie à cause d'une mer réchauffée par les effets hydrologiques des forêts, des sols et des zones humides en ruine. D'où viennent les pluies torrentielles qui s'abattent sur l'Europe centrale ? En partie de l'humidité accumulée au-dessus de la Méditerranée qui aurait dû se déverser sous forme de pluie sur les montagnes de l'intérieur. Que faire ? Premièrement, arrêter de détruire les forêts, les sols et les zones humides. Deuxièmement, commencer à restaurer les forêts, les sols et les zones humides. Ou, comme le dit Millan avec beaucoup d'imagination, commencer à "cultiver les tempêtes".

En 1995, Millan a terminé son analyse et a commencé à publier son travail et à faire des présentations. L'époque était grisante. Le lauréat du prix Nobel Paul Crutzen aurait considéré qu'il s'agissait de la science climatique la plus importante des vingt dernières années. Son mentor, Ted Munn, a parlé de son utilisation des cartes météorologiques traditionnelles comme d'une preuve, d'un "pistolet fumant". Des fonctionnaires de haut niveau de la Commission européenne ont également été enthousiasmés et lui ont rapidement demandé de contribuer aux chapitres de leurs rapports sur le climat expliquant comment les modèles climatiques ne tenaient pas compte des effets terrestres, et de parler à la communauté des modélisateurs des problèmes que posaient leurs modèles. Mais c'est là que les problèmes ont commencé. Les modélisateurs n'ont pas apprécié ses explications sur les erreurs de leurs modèles. Beaucoup refusaient tout simplement de croire ce qu'il leur disait, leur argument étant essentiellement que leurs modèles ne voyaient pas ce que ses recherches révélaient et que, par conséquent, cela n'existait pas. Ces missions n'étaient pas très agréables pour lui, et les choses allaient empirer.

Le GIEC l'a bientôt invité à contribuer à son troisième rapport d'évaluation, dont la publication était prévue pour 2002. Mais il s'est heurté au même conflit. Les modélisateurs "remettaient en question tous les résultats que nous présentions", a-t-il déclaré, décrivant une période d'argumentation et de production de rapports sans fin, dont il a fini par s'impatienter, quittant le GIEC.  "J'avais 80 bouches à nourrir au CEAM et pas le temps de discuter", se souvient-il.

L'environnement politique n'a pas aidé. Les politiciens préféraient de loin les nouvelles des modélisateurs à ce que Millan leur disait. La dernière chose qu'un politicien veut entendre, c'est que, quel que soit l'endroit où il aménage le terrain, que ce soit pour une école ou une usine, il endommage le climat. Ils préféraient ce que leur proposaient les modélisateurs, à savoir un problème dispersé à l'échelle mondiale pour lequel ils n'avaient aucune responsabilité locale ou régionale spécifique. Tant mieux si cela leur permet de promouvoir la croissance et de faire valoir leurs compétences en matière de création d'emplois. En effet, le cadre de solution qui leur était présenté - l'énergie "verte" - leur permettait non seulement de promouvoir le développement, mais aussi de prétendre être verts, un rêve devenu réalité pour les politiciens.

Il est important de considérer ici les deux côtés de cet argument scientifique.

D'un côté, nous avons Millan, dont les conclusions sont basées sur dix-huit années de données physiques utilisant plus de 50 tours météorologiques, des ballons aériens, des jauges et des avions instrumentaux. En outre, elles intègrent et s'appuient sur l'expérience vécue par les habitants de la région, en particulier les personnes âgées qui ont observé les changements le plus longtemps. Enfin, elle s'appuie sur un minimum de modélisation informatique. En d'autres termes, elle est empirique, fondée sur des preuves physiques et non sur des équations théoriques, et utilise des méthodes météorologiques standard et éprouvées depuis longtemps. Enfin, elle provient de sa propre patrie que, grâce à son père, il observe d'un œil météorologique depuis qu'il est enfant.

De l'autre côté, vous avez des individus assis derrière des écrans d'ordinateur, dans l'espace sans lieu d'un modèle informatique, consultant ce qui n'est en fin de compte qu'une simulation.

Comment en sommes-nous arrivés là ? On peut se poser la question. Comment le climat s'est-il retrouvé dans un ordinateur ? Qu'est-il arrivé à la jambe de terre et pourquoi ne le savons-nous pas ? Et pourquoi n'avons-nous pas le droit de porter nos propres jugements sur "la science" ?

Ces questions nous amènent à la deuxième partie de l'histoire de Millan, le drame scientifique qui se joue derrière elle.

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Après avoir entendu Millan parler pour la première fois en 2017, j'ai immédiatement récupéré une copie du rapport du MIT auquel il faisait référence et j'ai confirmé pour moi-même l'existence d'une compréhension du climat à deux pattes dans ses couvertures. Que s'est-il donc passé ? me suis-je demandé. Comment la jambe du changement climatique a-t-elle disparu de la narration, la jambe du CO2 devenant la seule cause humaine du changement climatique ? En commençant par le rapport MT, j'ai commencé à lire les textes de divers rapports sur le climat, en avançant dans le temps, à la recherche d'indices. Finalement, une image discernable a émergé, montrant comment le changement des terres a été laissé de côté dans le récit climatique.

L'année clé a été 1979, lorsque deux rapports climatiques très différents ont été publiés.

Le premier rapport a été produit par l'Organisation météorologique mondiale à l'occasion de son premier Congrès mondial sur le climat : Une conférence d'experts sur le climat et l'humanité. Bien qu'il emploie un langage archaïque, le titre indique une tentative scientifique de grande portée et de grande ampleur. Extrait de l'avant-propos : "Cette publication peut être considérée comme l'étude la plus approfondie et la plus complète du climat en relation avec l'humanité jamais publiée. C'est une affirmation raisonnable pour un rapport contenant 28 documents de synthèse et totalisant plus de 700 pages, qui constitue en quelque sorte un manuel de la pensée scientifique sur le climat à l'époque.

Comme dans le rapport du SMIC, les deux jambes sont placées côte à côte, et le discours d'ouverture de la conférence les résume parfaitement : "Nous modifions maintenant les processus radiatifs de l'atmosphère et peut-être sa circulation par l'émission des produits de notre société industrielle et agricole. Nous modifions maintenant les processus limites entre la terre et l'atmosphère par notre utilisation de la terre".

À partir de là, nous rencontrons des références répétées à l'évolution des sols comme cause humaine du changement climatique. Le premier document, dans le cadre d'une discussion sur "les impacts les plus pertinents pour le sujet du climat", place en tête de liste "la transformation de la surface terrestre de la planète par le déboisement, le labourage des steppes et des grandes plaines, la mise en valeur des terres, etc.

La section suivante du rapport, intitulée "Influences de l'homme sur le système climatique", comprend un document coécrit par nul autre que Ted Munn. L'article de Munn, intitulé "Human Activities that Affect Climate", commence ainsi : "L'humanité modifie l'environnement depuis plusieurs milliers d'années et certaines de ces modifications affectent le climat. Par exemple, chaque fois qu'une forêt est déboisée ou qu'une route est construite, les bilans thermiques et hydriques locaux sont modifiés". Il poursuit en exposant, comme dans le livre du MIT publié huit ans plus tôt, ce qui est clairement une approche à deux volets. "Le sujet de ce document est manifestement très vaste et est donc présenté en deux parties principales, comme suit : La première partie, par Munn, couvre les principaux impacts humains sur le climat, à l'exclusion de l'interférence de l'homme dans l'équilibre du dioxyde de carbone (C02) dans l'atmosphère ; et la deuxième partie, par Machta (son co-auteur), traite de manière exhaustive des aspects du changement climatique qui sont liés à l'équilibre du dioxyde de carbone".

Voilà, les deux jambes du changement climatique sont bien là. Il fait ensuite une observation surprenante concernant le rôle de la terre dans le climat : nous ne disposons d'aucune base, d'aucun "état de référence avec lequel comparer les conditions actuelles". En d'autres termes, nous avons tellement "changé" la surface de la terre que nous ne savons même pas comment nos climats sont censés fonctionner, quel serait ou devrait être leur état naturel. C'est une question qui a des implications très variées selon l'endroit où l'on vit.

Pour moi, ici dans le nord-ouest du Pacifique, cela signifie comparer un régime climatique dans lequel l'hydrologie régionale était autrefois alimentée par des géants de huit pieds d'épaisseur et de trois cents pieds de haut répartis de la mer à la montagne, à la mosaïque de coupes à blanc et de plantations d'arbres, coupées selon des rotations de quarante ans, qui se font actuellement passer pour des forêts dans cette région, en particulier dans les basses terres critiques sur le plan hydrologique. Cela signifie qu'il faut reconnaître que la plupart des marais côtiers et des estuaires, ainsi que leur fonction hydrologique, ont été recouverts d'autoroutes, d'extensions urbaines et suburbaines et d'une agriculture industrielle qui détruit les sols. Cela signifie qu'en plus du réchauffement général de la planète dû aux émissions de gaz à effet de serre, nous devons également prendre en compte la manière dont ces transformations foncières contribuent à la dessiccation et au réchauffement de nos forêts locales et régionales.

Ici, dans le nord-ouest, nous avons de la chance. Malgré ce que nous avons fait au paysage, notre proximité particulière avec l'océan Pacifique signifie que son apport régulier d'humidité se poursuit malgré tout, ce qui maintient les choses vertes, du moins en apparence. D'autres régions sont confrontées à des circonstances très différentes, en particulier celles qui dépendent de leurs sols et de leur végétation pour maintenir leur humidité. Ces endroits, comme le bassin méditerranéen occidental, sont confrontés à des circonstances plus difficiles.

L'un des articles les plus intéressants du rapport concerne le changement climatique au Sahara. Bien que le changement climatique ait été présenté comme un phénomène moderne de l'ère pétrolière, les auteurs, Julius S. Oguntoyinbo et Richard S. Odingo, scientifiques kenyans et soudanais, remontent un peu plus loin, entre 6 000 et 4 700 ans, lorsque "le Sahara connaissait un climat plus humide".  "La dessiccation du climat a probablement commencé bien avant 4700 ans avant notre ère, mais l'impact a apparemment été retardé en raison de nappes phréatiques plus élevées et d'oasis étendues. Ces sites constituaient des habitats adéquats pour la faune, les animaux domestiques, les êtres humains et leurs cultures."

Bien qu'une certaine forme de modification des terres par l'agriculture et l'élevage ait déjà été présente dans la région, peut-être depuis des milliers d'années, les auteurs suggèrent que la région, en raison de ses vastes oasis et aquifères, était suffisamment résiliente sur le plan écologique pour la tolérer, mais seulement jusqu'à un certain point. La modification du paysage par l'homme aurait pu faire pencher la balance, ce que des recherches ultérieures ont corroboré. "La période comprise entre 4700 et 3700 avant notre ère était aride", notent-ils, "la région devenant successivement plus sèche, en particulier pendant l'occupation romaine, et à une époque plus récente".

Il est intéressant de noter l'occupation romaine. Si l'on se fie à l'expérience du bassin méditerranéen occidental, cette période aurait été marquée par une intensification de l'utilisation des terres, avec l'assèchement des marais, l'exploitation minière des collines et l'abattage des forêts. Et comme nous l'avons noté, il s'agissait d'une période plus sèche.

La référence à des "temps plus récents" est encore plus intéressante. Après avoir noté que les peuples traditionnels de la région - les nomades touaregs, les agriculteurs haussaand et les pasteurs peuls - "avaient développé des systèmes sociaux, économiques, politiques et d'utilisation des terres qui leur permettaient de survivre dans le cadre des contraintes imposées par l'environnement de la région", ils décrivent comment "la colonisation européenne a introduit et imposé une variété de changements sociaux et économiques, qui... ont perturbé les relations symbiotiques qui s'étaient développées entre les groupes socio-économiques de la région". Parmi les mesures introduites, on peut citer l'encouragement des pasteurs à mener une vie sédentaire et l'introduction de l'économie de rente. L'expansion des zones cultivées s'est faite au détriment des pâturages situés plus au sud et donc mieux arrosés ; les terres en jachère ont été réduites, tandis qu'une grande partie du bushland, qui faisait traditionnellement partie des pâturages des pasteurs, a été incorporée à la zone agricole".

Aujourd'hui, le discours sur le climat attribue généralement les sécheresses sahariennes aux émissions de CO2, mais ces auteurs ont clairement mis l'accent sur l'utilisation des terres, soulignant le "surpâturage des déserts et de leurs marges" et "le refoulement des nomades de certaines parties des steppes (entraînant) la dégradation de la couverture végétale clairsemée des semi-déserts environnants, d'une part, et la perturbation de l'équilibre écologique des steppes cultivées, d'autre part". Le labourage des sols secs, en particulier, a également eu de graves conséquences".

Il y aurait beaucoup à dire sur le rapport de l'OMM, et il convient de noter qu'il consacre également beaucoup d'attention aux émissions de carbone, y compris un document de synthèse sur la base physique, détaillant ce qu'elle est et comment elle fonctionne. Mais il y a un autre rapport à prendre en considération, un rapport qui a suivi peu de temps après et qui s'est avéré bien plus important pour la trajectoire de la science du climat. Il s'agit de Carbon Dioxide and Climate : A Scientific Assessment, également connu sous le nom de "rapport Charney".

Jules Charney est le brillant mathématicien à qui l'on doit l'entrée des prévisions météorologiques dans l'ère de l'informatique, en élaborant les mathématiques qui sous-tendent la modélisation informatique qui a révolutionné les prévisions météorologiques modernes. Le calcul des nombres, qui aurait autrefois nécessité des stades remplis de mathématiciens, pouvait être effectué par des ordinateurs de plus en plus sophistiqués. Jules Charney a joué le rôle d'entremetteur, augmentant considérablement la capacité des prévisions météorologiques et jetant les bases des simulations informatiques fluides que nous considérons aujourd'hui comme allant de soi dans le bulletin météorologique du soir.

Au milieu des années 1970, l'augmentation des émissions de CO2 a attiré l'attention de l'Office of Science and Technology Policy des États-Unis, qui a demandé officiellement au National Research Council (NRC) - une institution centenaire privée et non partisane créée par le Congrès pour servir de "conseiller scientifique à la nation" - de se pencher sur la question. Le NRC a transmis la demande à son groupe interne de recherche sur le climat, qui a mis sur pied un groupe d'étude ad hoc composé de scientifiques et dirigé par Jules Charney. Le groupe ad hoc s'est installé à Woods Hole, dans le Massachusetts, et a commencé à passer en revue toutes les modélisations sur le CO2 réalisées à ce jour, en réévaluant les points faibles et en établissant une certaine moyenne des résultats. Il en est résulté un mince rapport de 22 pages, qui se rapproche le plus d'une déclaration définitive sur le CO2. Contrairement au rapport de l'OMM, qui, bien que très complet, n'offrait aucune prédiction claire concernant le CO2, si ce n'est la nécessité de poursuivre les recherches, ce rapport est ce qui se rapproche le plus d'une prédiction ferme. Selon ce rapport, si les concentrations de CO2 doublent, les températures mondiales augmenteront de 3 degrés centigrades.

C'était une bombe. Les médias disposaient d'un titre qui attirait l'attention et s'en sont emparés, les intérêts pétroliers et les écologistes s'alignant de part et d'autre de la conclusion, les uns attaquant, les autres défendant. En conséquence, une sorte de boucle de rétroaction sociale s'est mise en place. Plus le CO2 était nié comme cause du changement climatique, plus ses défenseurs le déclaraient, cimentant ainsi le sentiment du public que les gaz de carbone étaient la seule cause du changement climatique. Soudain, la jambe CO2 s'est retrouvée sous les feux de la rampe, tandis que la jambe changement de terre était cachée dans l'ombre, perdue dans le tumulte.

Charney et ses associés avaient-ils l'intention de présenter le CO2 comme la seule cause du changement climatique ? Probablement pas. Ils soulignent dans leur résumé et leurs conclusions que "nous avons limité nos considérations aux effets climatiques directs de l'augmentation constante des concentrations de CO2". Comme la plupart des scientifiques, ils ont compris que le climat ne se résume pas au CO2, mais ils se sont sentis en confiance, malgré la complexité du sujet, pour faire leur prédiction, "toutes choses égales par ailleurs".

C'est dans ce "toutes choses égales par ailleurs" que les choses se compliquent. En effet, dans "toutes choses égales par ailleurs", il y a la patte terrestre et les processus vivants qui l'entourent, bien trop complexes à l'époque pour faire l'objet d'une modélisation. Pourtant, une tentative de prévision des effets possibles de l'augmentation des concentrations de CO2 était clairement nécessaire, et attendre que toutes les incertitudes soient levées avant d'affronter le problème du CO2 signifierait probablement attendre qu'il soit trop tard pour faire quoi que ce soit à ce sujet. En outre, la mise de côté des incertitudes est une pratique courante dans la modélisation informatique, et elle peut aller dans les deux sens. Par exemple, lorsqu'il tente de modéliser les effets du changement climatique, un modélisateur peut exclure les effets du CO2 pour obtenir une image plus claire. Cette pratique fait partie du processus de modélisation et ne doit pas être considérée comme malhonnête. Cela nécessite toutefois un certain nombre d'explications, que le rapport Charney n'a pas fournies et qui n'ont pas été fournies depuis.

Quoi qu'il en soit, on peut imaginer la situation de l'OMM et des autres organisations internationales. Les Américains avaient fait une déclaration forte sur le CO2, alors qu'ils étaient loin d'un tel consensus scientifique. L'étendue de leur analyse, dont ils étaient si fiers, est soudain devenue un handicap. Le train du CO2 était sorti de la gare et ils étaient encore en train de trier les bagages de diverses incertitudes, souvent liées au changement des terres. Que faire ?

Lors d'une série d'ateliers et de conférences organisés entre 1980 et 1988, les principales organisations climatiques internationales, telles que l'OMM (Association météorologique mondiale), le PNUE (Programme des Nations unies pour l'environnement) et l'ICSU (Société internationale des unions scientifiques), ont tenté de lever leurs incertitudes concernant la jambe de CO2 et d'articuler leur propre consensus. Entre-temps, une structure organisationnelle pour la coopération internationale en matière de climat était nécessaire, et deux organisations ont été créées.

L'une d'elles, que nous connaissons tous, est le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). L'autre, le Programme international sur la géosphère et la biosphère (PIGB), n'est pratiquement connu de personne. La patte terrestre, avec tous ses processus complexes et difficiles à modéliser, y a été classée, mais dans un contexte linguistique différent. Plutôt que de traiter du "changement climatique", les travaux de ce groupe ont été qualifiés de "changement global".  En outre, il a reçu un dixième du financement du GIEC, a été largement ignoré par la presse climatique et, en 2015, a été fermé, transformé en une organisation privée appelée Future Earth.

Qu'est-il arrivé à l'approche bipolaire du climat ? C'est très simple. La partie terrestre s'est avérée "incommodante", comme le dit M. Millan, et les deux parties ont donc été séparées. La jambe CO2, défendue par le GIEC, est entrée sous les feux de la rampe pour sauver l'humanité, tandis que la jambe changement climatique, hébergée par le PIGB, est restée en arrière pour poursuivre des recherches ayant vaguement trait au "changement planétaire", du moins pendant un certain temps.

Pendant que ces machinations se déroulaient, M. Millan était à l'écart. Il avait fort à faire avec la pollution grave dans les villes côtières et les vallées de la Méditerranée, puis avec le mystère des orages d'été qui s'effondrent. Il n'était pas du tout au courant de ce qui se passait dans le domaine de la science du climat. Sa rencontre s'est plutôt faite aux deux extrémités opposées du processus. Il était là au début, lorsque la science moderne a commencé ses premières grandes enquêtes sur l'impact de l'homme sur le climat, illustrées par le rapport du MIT et de l'Académie suédoise des sciences, où il a repris le concept des deux jambes qui lui avait si bien servi en Méditerranée. Puis, en 1995, lorsqu'il a commencé à partager ses résultats, il s'est retrouvé à l'autre bout du processus, après que les deux jambes aient été administrativement séparées et que le CO2 soit devenu la cause officielle du changement climatique, la terre et la végétation étant rétrogradées au rang de puits de carbone et d'agent d'atténuation.

Le caractère convaincant ou important de ses observations n'avait pas vraiment d'importance. Le discours était déjà établi. Le CO2 comme cause. Les modèles de circulation générale comme oculaires. La physique (les mathématiques) comme base. Il avait des soutiens occasionnels au sein de la Commission européenne, et je suis sûr que de nombreuses personnes ont hoché la tête lors de ses présentations, mais l'architecture scientifique et politique ne pouvait plus s'adapter à ses idées. C'était comme s'il apportait une réponse ronde à une question carrée.

Comme on pouvait s'y attendre, la bataille a été longue et frustrante pour Millan. Et décourageante. "J'ai perdu", m'a-t-il écrit un jour, "pour nous tous". Il connaît bien les implications de son travail dans le monde entier, l'ampleur du bien qu'il pourrait faire, mais c'est dans son pays d'origine qu'il le ressent le plus vivement. Pour Millan, la satisfaction d'avoir résolu le mystère de l'orage d'été s'accompagne de la tristesse de connaître l'état réel de son environnement, ce qu'il devrait être, ce qu'il pourrait être et ce vers quoi il se dirige. Ce que Millan craint le plus, ce sont les retours d'information. Chaque orage d'été non réalisé, chaque échec du système à éjecter sa chaleur et à libérer son eau pour la vie en dessous, non seulement diminue cette vie, mais conduit à des orages plus puissants en automne, en hiver et au printemps. Ces tempêtes érodent encore davantage ce qui reste de la terre, approfondissant le cycle, tandis que la terre se rapproche de plus en plus du seuil critique à partir duquel elle s'effondre en désert.

J'essaie parfois d'imaginer à quel point les choses auraient pu être différentes si les deux conceptions du climat n'avaient pas été séparées. Il est difficile d'imaginer que les émissions de CO2 soient plus élevées. Malgré l'attention portée au problème du CO2, les émissions ont augmenté de près de 20 % depuis la création du GIEC en 1988. Pendant cette période, combien de sages-femmes sont passées sous la scie, alors qu'elles auraient pu être sauvées si elles avaient été considérées dans toute leur importance hydrologique ? Combien de sols ont été recouverts de béton ou érodés par l'exploitation des terres sans que personne ne se rende compte des conséquences climatiques ? Combien de terres auraient été protégées, et combien restaurées, si le public avait su à quel point leurs paysages locaux et régionaux sont essentiels à leur propre climat ? À un moment donné, Millan disposait d'un financement communautaire de 100 millions d'euros pour des efforts de restauration des terres, mais il n'a pas trouvé de preneur.

Aujourd'hui, le garçon, dont le père lui a littéralement indiqué son destin et qui, comme nous l'avons vu, l'a accompli avec un tel élan scientifique, se sent vaincu. Un jour, alors que nous communiquions sur la mort de Ted Munn en 2013, il a écrit : "Je viens de réaliser que je suis peut-être le dernier représentant vivant de la théorie bipède du climat". Mais l'histoire n'est pas terminée. Comme nous l'avons mentionné, la compréhension scientifique du climat de la Terre se rapproche de celle de M. Millan, au lieu de s'en éloigner. Déjà, le terme biophysique (le concept des deux jambes en un seul mot) devient courant dans la littérature scientifique. Les scientifiques, quant à eux, sont de plus en plus pointus dans leurs analyses. Le World Resources Institute, par exemple, a récemment publié un rapport déclarant que, en ce qui concerne "les effets de la déforestation autres que le carbone, la direction et l'ampleur de ces impacts sont suffisamment claires pour mériter une action urgente dès maintenant". Le titre de ce rapport est le suivant : "Not Just Carbon, Capturing All of Carbon : Not Just Carbon, Capturing All the Benefits of Forests for Stabilizing the Climate from Local to Global Scales" (Pas seulement le carbone, capturer tous les avantages des forêts pour stabiliser le climat, de l'échelle locale à l'échelle mondiale). C'est nous qui soulignons.

Pendant ce temps, les scientifiques et les citoyens unissent leurs forces et tracent des voies qui vont au-delà de l'histoire du CO2 uniquement. Des organisations telles que Climate Landscapes organisent des conférences pour rassembler les scientifiques, les citoyens et les journalistes autour de la perspective hydrologique et paysagère. Des organisations de citoyens, comme Biodiversity for a Livable Climate, compilent et synthétisent la littérature scientifique et proposent des cours au grand public, qui apprend la science par lui-même. Millan n'a peut-être pas réussi à modifier le cours de la bureaucratie scientifique, mais il a réussi à inspirer un nouveau récit sur le climat, qui n'en est encore qu'à ses débuts.

Personnellement, c'est l'élégance de son concept à deux pattes et la poésie de l'eau qui engendre l'eau, du sol qui est l'utérus, de la végétation qui est la sage-femme, qui m'ont attiré dans cette exploration. Et dans mes moments d'espoir, je pense que nous pourrions bien être à l'aube d'un nouveau mouvement, que si je devais lui donner un nom, j'appellerais un mouvement climatique vivant.

July 17, 2023

Sources:

  1. Millan, Millan et al, 2005, Climatic Feedbacks and Desertification: The Mediterranean Model, Journal of Climate, Volume 18, pp. 684-70.
  2. Millan, Millan, 2014, Extreme Meteorological Events and Climate Prediction in Europe, Journal of Hydrology, Volume 518, pp.206-224.
  3. Pielke, Roger Sr., 2009, Climate Change: The Need to Consider Human Forcings Besides Greenhouse Gases, Eos, Vol. 90, No. 45, pp. 413-414.
  4. Ellison, David, 2021, Working with Plants, Soils and Water to Cool the Climate and Rehydrate Earth’s Landscapes, UNEP Foresight Brief, pp. 1-7.
  5. 1971, Inadvertent Climate Modification: Study of Man’s Impact on Climate, MIT.
  6. 1979, Proceedings of the World Climate Conference: Conference of Experts on Climate and Mankind, World Meteorological Association.

 

 

Grèce : le prix de la démagogie

En rompant avec le populisme, le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis a fini par redresser son pays, non sans accrocs. Un avertissement pour la France.

Déjouant les pronostics, la Nouvelle Démocratie a largement remporté les élections législatives grecques du 21 mai avec 40,8 % des voix, loin devant Syriza (20 %), le Pasok (11,5 %) et le Parti communiste (7,2 %), tandis que les néonazis d'Aube dorée sont exclus du Parlement. Le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis entend tirer tout le parti de cette vague conservatrice en convoquant de nouvelles élections au début de l'été afin d'obtenir une majorité absolue à la Vouli, le Parlement grec, grâce à la prime de 50 sièges attribuée au vainqueur.

La victoire sans appel de la droite modérée est d'autant plus remarquable que Kyriakos Mitsotakis semblait affaibli tant par le scandale des écoutes d'opposants et de journalistes que par la catastrophe ferroviaire de Tempé du 28 février, dont le terrible bilan de 57 morts a mis en lumière le délabrement du réseau ferré. Ces secousses ont certainement contribué à l'abstention de 40 %. Elles n'ont cependant pas pesé lourd face à la volonté des Grecs de poursuivre le redressement et d'assurer la stabilité politique de leur pays, quatorze ans après la terrible crise financière qui fut proche d'emporter son économie et sa démocratie.

Le Premier ministre a d'abord été crédité du miracle économique qui a permis à la Grèce de se libérer dès 2022, avec deux ans d'avance, des prêts du FMI et de la tutelle de l'Union européenne. La croissance a atteint 5,9 % en 2022 et s'élèvera à 2,3 % en 2023. Le chômage a été ramené de 25 % à 10,8 % de la population active en dix ans. Les comptes publics ont affiché un excédent primaire de 0,1 % du PIB en 2022, permettant une spectaculaire diminution de la dette, qui a chuté de 208 % du PIB en 2020 à 171 % du PIB fin 2022 et pourrait être réduite à 135 % du PIB en 2026, passant en dessous de celle de l'Italie.

Hub logistique et énergétique

La sortie de crise a été portée par l'essor du tourisme, qui représente 20 % du PIB, mais aussi par le dynamisme des exportations, de la marine marchande et de la construction. Exploitant la nouvelle donne issue de la pandémie et de la guerre d'Ukraine, la Grèce, forte du retour des investissements étrangers (7,22 milliards d'euros) et des aides du plan de relance européen (31 milliards d'euros), se positionne désormais comme hub logistique et énergétique.

Kyriakos Mitsotakis a par ailleurs rétabli la position internationale de son pays. Il a repris le contrôle de la mer Égée et engagé une politique de maîtrise des flux migratoires, mettant en échec la tentative de Recep Tayyip Erdogan de transformer les réfugiés en arme de déstabilisation de l'Union. Il a également mis en place, notamment via le partenariat de sécurité conclu avec la France et concrétisé, par l'acquisition de 24 Rafale et de 3 frégates, une stratégie d'endiguement des ambitions impériales de la démocrature islamique turque en Méditerranée orientale, sans alimenter l'escalade. La Grèce, à travers un plan de réarmement qui affecte 3,5 % de son PIB à la défense, s'affirme ainsi comme le pays clé sur le front sud-est de l'Otan, face à la guerre hybride conduite par la Russie mais aussi la Turquie contre l'Europe.

Les électeurs grecs, tout en récompensant les progrès obtenus dans le relèvement du pays, ont aussi sanctionné Syriza et la volte-face effectuée à l'été 2015 par Alexis Tsipras qui, après avoir organisé un référendum pour appeler au rejet de l'accord avec l'Union, s'y rallia puis appliqua les mesures d'austérité exigées par les créanciers. Il ne fait pas de doute qu'il s'est comporté en homme d'État en se détournant de sa propre démagogie et en refusant la dévaluation et la sortie de l'euro, qui auraient définitivement ruiné et marginalisé la Grèce sans rétablir ses comptes publics et sa compétitivité. Mais il a perdu la confiance des Grecs qui n'accordent aucune crédibilité au repositionnement social-démocrate de Syriza.

La pauvreté touche 26 % de la population

De fait, en dépit de son renouveau, la Grèce continue de souffrir des séquelles de la pire crise financière d'un pays développé depuis le krach de 1929. Le PIB reste inférieur de 20 % à son niveau de 2007. Le salaire moyen a diminué de 30 %. La pauvreté touche 26 % de la population et les inégalités ont explosé avec la réduction des transferts sociaux et l'explosion des prix de l'immobilier. D'où l'importance de tirer toutes les leçons de cette tragédie.

Charles Péguy soulignait que « le triomphe de la démagogie est passager mais ses ruines sont éternelles ». La Grèce a acquitté le prix fort pour la démagogie qui la conduisit à profiter de son entrée dans l'euro pour accumuler un déficit et une dette publics de 12,7 et 126 % du PIB, sur fond d'un déficit de 16 % du PIB de sa balance courante, puis à céder aux illusions entretenues par la radicalité d'Alexis Tsipras. Les promesses populistes ont débouché sur le plan de restructuration le plus important (260 milliards d'euros de prêts du FMI et de l'Union) mais aussi l'un des plus durs de l'histoire du capitalisme. Mais la Grèce a aussi montré que le redressement est possible à la condition de disposer d'un leadership et d'un projet crédibles ainsi que de mobiliser les citoyens. En acceptant les efforts indispensables pour se maintenir dans l'euro et dans l'Union, les Grecs ont sauvé leur économie et leur démocratie tout en montrant l'attachement des Européens à la zone euro et en contribuant à sa pérennité.

Dans le contexte de remontée des taux d'intérêt, des risques souverains et des tensions sur le système bancaire, le krach de la Grèce rappelle que ni les pays développés ni la zone euro ne sont à l'abri des chocs. La stabilité financière n'est pas plus acquise que la paix ; elle suppose une vigilance et une discipline permanentes. Tout particulièrement au moment où la croissance stagne, où l'inflation s'envole, où les États européens sont confrontés aux coûts du choc énergétique, de la réindustrialisation, de la transition écologique, du réarmement et du vieillissement qui augmentera les charges de retraite et de santé de 4,8 % et 2,7 % d'ici à 2060.

 
 
 

L'avertissement s'adresse d'abord à la France, qui présente en grand toutes les pathologies de la Grèce de 2009 : un déficit de 5 % du PIB et une dette de plus de 3 000 milliards d'euros hors contrôle, adossés à une balance commerciale déficitaire de 7 % du PIB ; un État providence obèse et inefficace absorbant 34 % du PIB ; une productivité en baisse et une croissance potentielle nulle ; un climat social éruptif ; un État paralysé et une défiance croissante des citoyens envers la classe et le système politiques. Or, contrairement à la Grèce, la France constitue un risque systémique pour la zone euro. Les Français ne doivent donc pas attendre de se fracasser sur le mur de la dette pour choisir les réformes qui sauvent contre la démagogie qui détruit la prospérité, ensauvage la société et lamine les libertés.

 

https://www.lepoint.fr/editos-du-point/nicolas-baverez/grece-le-prix-de-la-demagogie-05-06-2023-2523010_73.php?M_BT=6286141392673#xtor=EPR-6-[Newsletter-Matinale]-20230605-[Article_3]

Mer Méditerranée : un réchauffement et des conséquences

La mer Méditerranée est en proie à un phénomène de réchauffement de ses eaux. Cette température plus chaude s’accompagne de l’arrivée de poissons habitués aux mers plus chaudes.

Depuis le début de l’été 2022, les eaux de la mer Méditerranée se sont grandement réchauffées. En moyenne, la température est 5 °C plus élevée que lors des autres saisons estivales. Ce phénomène est causé par les vagues de chaleur successives qui sévissent sur la France. "Elle est super bonne, elle est très chaude. C’est vraiment agréable", indique une baigneuse. Si cette température réjouit les vacanciers et les plongeurs, le réchauffement de l’eau laisse également apercevoir de nombreuses espèces de poissons, pourtant peu visibles habituellement dans la mer Méditerranée.

Des poissons venus de la mer Rouge

La quantité de poissons qui fréquentent les eaux méditerranéennes est en forte augmentation. Beaucoup viennent chercher une mer plus fraîche, mais d’autres sont attirés par la chaleur des eaux. Les barracudas, par exemple, nagent habituellement dans les eaux de la mer Rouge. "Ils sont présents dans une quantité anormale, je dirais. Il y en a vraiment beaucoup plus que d’habitude (…) Sur le long terme, je pense que ça aura des conséquences environnementales", décrit Mickael Youssouf, moniteur de plongée. Les craintes des scientifiques se portent sur un changement d’écosystème dans les eaux de la grande bleue.

C.Pain, P.Vaireaux, N.Thevenot - France 2
France Télévisions

https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/biodiversite/mer-mediterranee-un-rechauffement-et-des-consequences_5274058.html#xtor=EPR-2-[newsletterquotidienne]-20220725-[lesimages/image4]

En achetant des Rafale, la Grèce exploite le point faible de la Turquie

 Sur terre et sur mer, l'armée turque a le dessus. Mais dans les airs, les Grecs disposent d'appareils plus modernes et de pilotes plus aguerris.

Libye

Sans pétrole, le pays serait certainement un endroit paisible. Mais voilà, la malédiction se cache sous le sable.

En Libye, le grand gagnant du mois est la Turquie! Erdogan a réussi à donner un coup de main militaire efficace à Fayez al-Sarraj du Gouvernement d’accord national (GAN) et à repousser le général Khalifa Haftar qui désirait s'emparer de la capitale Tripoli.

Visiblement Recep Tayyip Erdogan a une stratégie globale qui englobe la Syrie et la Méditerranée. Historiquement, ce concept s'appelait l'Empire Ottoman et pour l'instant l'Europe n'arrive pas à riposter de manière ferme. A court terme, l’intérêt de la Turquie en Libye réside dans l’extraction de gaz et de pétrole offshore dans la Méditerranée grâce à un corridor spécial entre les deux pays qui lui permet de revendiquer des matières premières jusque là interdites. Le pétrole Libyen est également un détail qui vaut quelques sacrifices.

Du côté des supporters du général Khalifa Haftar, l'Egypte s'inquiète de l'avancée de la Turquie au Moyen-Orient. Du côté Russe, plus de 2’000 mercenaires Wagner, organisation fondée par Dmitri Outkine, prêtent main-forte au général. Ce dernier a battu en retraire après avoir dû mettre fin à son offensive sur la capitale. Comme à son habitude, la France tente de faire entendre sa voix et les Emirats Arabes Unis apportent un fort soutient.

In fine, la bataille pour le pétrole s’est dirigée vers Sirte, porte d’entrée des installations pétrolières. Les combattants de Wagner avaient lancé sans succès un assaut sur les champs de pétrole de Deir Eu-Zor. Finalement, la Russie et la Turquie se sont mis d'accord. La milice Wagner s'est installée dans le gisement pétrolier de Sharara. La compagnie pétrolière libyenne, NOC, avait redémarré la production à Sharara et El Feel, mais depuis tout semble à l'arrêt. Le partage du pétrole entre la Russie et la Turquie pourraient apporter des solutions d'autant qu'à Washington la préoccupation se focalise sur les prochaines élections.

Au total, la production pétrolière du pays stagne toujours proche de zéro alors que durant l’époque du Général Kadhafi le compteur indiquait 1,7 million.

(extrait de https://2000watts.org/index.php/energies-fossiles/peak-oil/1165-energies-economie-petrole-et-peak-oil-revue-mondiale-juin-2020.html)

La militarisation en Méditerranée orientale et la menace d’une guerre gréco-turque
La militarisation en Méditerranée orientale et la menace d’une guerre gréco-turque – CONTRETEMPS

 

De nombreuses forces aériennes et navales des Etats impérialistes occidentaux sont rassemblées dans la Méditerranée orientale. Cette «coexistence compétitive» de grands navires de guerre dotés d’une puissance de feu significative naviguant en permanence dans la région ressort clairement sur la carte 1, ci-dessous.

Les navires de la Marine états-unienne, qui opèrent à partir de la grande base navale de Souda, sur l’île de Crète, forment le plus fort contingent. Cette base est considérée comme étant d’une importance stratégique cruciale pour les Etats-Unis, en tant que principal pilier de son «arc d’endiguement» qui s’étend de la Pologne à Israël.

Récemment, le Parlement grec a approuvé un nouvel accord militaire entre la Grèce et les Etats-Unis [signé à Athènes le 5 octobre 2019 entre Mike Pompeo et Nikolaos Dendias, ministre des Affaires étrangères], qui rend permanente la présence de bases militaires américaines en Grèce. Ce qui place l’alliance entre les deux Etats au rang de «partenariat stratégique». Cet accord a été salué par Mike Pompeo et célébré par tous les partis politiques grecs – à l’exception de la gauche radicale, qui a protesté dans la rue contre l’accord.

L’accord a été systématiquement préparé par le gouvernement SYRIZA sous Alexis Tsipras, puis il a finalement été signé par le gouvernement de la Nouvelle Démocratie sous Kyriakos Mitsotakis. L’ambassadeur américain à Athènes, Geoffrey Payatt (un diplomate «hyperactif» qui a travaillé en Ukraine dans le passé…), a choisi de rendre hommage au rôle de pionnier d’Alexis Tsipras dans cet accord honteux, provoquant des commentaires amers de la part des politiciens de droite.

A l’intérieur du pays, outre la base de Souda qui ne cesse de s’agrandir, les Etats-Unis disposent désormais de grands aérodromes militaires modernes (comme le siège de l’OTAN à Larissa, dans la subdivision régionale qualifiée de périphérie de Thessalie), de bases de transport et de ravitaillement pour les forces d’«intervention rapide» et de bases fixes pour les «armes stratégiques» modernes (comprenant probablement les armes nucléaires dites «petites»). Evidemment, à ce propos, ces détails sont sujets au secret de la sécurité défense lors du débat parlementaire. Les Etats-Unis utilisent également le port d’Alexandroupoli (dans le nord de la Grèce) qui servira de station de manutention de GNL (gaz naturel liquéfié, important pour le transport maritime) et d’une station navale militarisée.

Dans le même temps, l’Etat français, dirigé par Emmanuel Macron, a établi une base navale permanente à Chypre et le navire français Charles de Gaulle patrouille dans les mers autour de Chypre. Le 29 janvier 2020, un «partenariat stratégique de sécurité» a été signé entre Emmanuel Macron et le premier ministre Kyriakos Mitsotakis.

Début février, dans la petite île de Skyros, au centre de la mer Egée, un exercice militaire conjoint a été mené avec la participation des forces grecques, états-uniennes et françaises. L’exercice simulait une opération de reconquête de l’île, contre un scénario imaginaire dans lequel elle avait été envahie auparavant.

Le lendemain, Mike Pompeo a rendu explicite le message: une éventuelle attaque militaire contre les positions grecques recevra une réponse «euro-atlantique», symbolisée par l’activité des forces armées états-uniennes et françaises dans la zone.

Cette alliance dispose également d’importantes forces locales sur le terrain. Au cours des dernières années, la diplomatie grecque a joué un rôle de premier plan dans la mise en place de deux «axes» supplémentaires. Il s’agit des fameuses «triades» entre Grèce-Chypre-Israël et Grèce-Chypre-Egypte. Les Etats qui composent ces «triades» coopèrent étroitement, ils ont adopté une position commune concernant le partage des zones économiques exclusives (ZEE – selon le droit de la mer, il s’agit d’un espace maritime sur lequel un Etat côtier exerce un droit souverain en matière d’exploration et d’usage des ressources) en Méditerranée orientale et ils déclarent ouvertement (avec des exercices militaires conjoints systématiques, entre autres…) qu’ils ont la force militaire d’imposer leur accord de partage dans la région.

La Grèce est un pays où la solidarité envers la cause palestinienne était traditionnellement grande. Aujourd’hui, alors que l’Etat d’Israël fait pression pour une «solution finale» [«accord du siècle» de Trump, entre autres] en Palestine, il est choquant de constater que l’on ne trouve quasiment aucun commentaire négatif dans les médias sur la politique de l’Etat israélien. La diplomatie de l’«axe» s’est avérée plus puissante que l’obligation de se tenir aux côtés des Palestiniens. Cela est vrai tant pour l’ancienne social-démocratie du PASOK que pour la nouvelle social-démocratie d’Alexis Tsipras.

Deux facettes des tensions entre la Grèce et la Turquie, avec leurs extensions géopolitiques

Deux facteurs sont à la base de ces développements :

Les tensions dans les relations entre le régime d’Erdogan en Turquie et les Etats-Unis ainsi que le camp occidental en général. Elles sont apparues au grand jour après l’échec de la tentative de coup d’Etat de 2016, qu’Erdogan considérait (à juste titre) comme «dirigé par les Américains». Les tensions existaient déjà – par exemple, la Turquie n’a pas permis aux Etats-Unis d’utiliser librement la grande base aérienne d’Incirlik, comme l’a fait l’Etat grec avec Souda… –, mais elles se sont accrues lorsque le gouvernement turc a commencé à travailler avec les Russes en Syrie. Elles ont atteint un point culminant lorsque la Turquie a obtenu des missiles S-400 Triumph russes [les Etats-Unis s’opposent à ce qu’un pays de l’OTAN s’en équipe; pour la raison essentielle de son système de détection aérien].

Cette polarisation ne peut être sous-estimée: elle se traduit déjà avec des répercussions politico-militaires en Syrie, en Libye [soutien au gouvernement Fayez el-Sarraj, alors que l’alignement derrière le général Khalifa Haftar des Etats-Unis, de la France, de l’Egypte… est patent] et en Méditerranée orientale. Toutefois, elle ne doit pas être considérée comme définitive. Alors que le Congrès américain a déclaré que l’achat de missiles S-400 était une insulte majeure pour les Etats-Unis (donc un point de rupture formelle dans les relations), la politique actuelle de Donald Trump laisse toujours la place à un éventuel lissage des relations avec la Turquie. Après tout, c’est un pays dont la situation géographique et l’énorme population en font un atout précieux pour l’OTAN. En outre, le régime de Tayyip Erdogan a peut-être survécu à trois tentatives de coup d’Etat ratées, mais il s’affaiblit à l’intérieur, en raison du ressentiment populaire (principalement l’opposition à des pratiques gouvernementales extrêmement autoritaires) et des difficultés financières de l’économie turque.

Le réalignement des relations diplomatiques dans la région – avec la détérioration des relations américano-turques et israélo-turques et l’amélioration consécutive des relations militaires et économiques américano-grecques et israélo-grecques – a pris son envol lorsque la géopolitique des hydrocarbures est entrée en jeu.

D’importants gisements de gaz naturel ont été découverts dans la région, à l’intérieur des ZEE israélienne et égyptienne. On suppose (puisque les recherches sont encore au stade préliminaire) que des gisements existent également à l’intérieur de la ZEE de Chypre, dans les zones au sud de la Crète et dans les régions maritimes entre la Grèce et l’Italie à l’ouest. A l’exception des zones occidentales (où l’ENI italienne est engagée, avec ses propres stratégies et alliances), les «gisements de gaz» du sud-est de la Méditerranée ont été concédés à un consortium de grandes transnationales occidentales, dirigé par l’américaine ExxonMobil et la française Total. La mission comprend la recherche, l’utilisation, l’extraction, le transport et le commerce des combustibles fossiles (principalement du gaz naturel et éventuellement du pétrole) qui seront trouvés.

Ces sociétés, en coopération avec Israël, l’Egypte, Chypre et la Grèce, ont conclu le plan de l’oléoduc EastMed (Eastern Mediterranean). Il s’agit d’un projet pharaonique. Il prévoit la construction d’un pipeline sous-marin de grande longueur, qui reliera Israël aux côtes italiennes, en contournant la Turquie tout en s’étendant sur un territoire ainsi que dans des eaux très profondes et soumis à de forts risques sismiques. Le coût d’un tel mégaprojet est inconnu, ses problèmes techniques sont sans précédent et sa rentabilité commerciale est douteuse. Par conséquent, de nombreux «experts», dont certains dirigeants des industries extractives, sont très prudents. Mais ces problèmes – qui pourraient s’avérer déterminants au bout du compte – sont pour l’instant repoussés dans le débat public, qui est entièrement axé sur la «géopolitique».

Pour construire la Méditerranée orientale sans la participation de la Turquie, il faut s’assurer que les ZEE d’Israël, de Chypre et de la Grèce soient géographiquement reliées. Cette connexion géographique servirait pour un pipeline qui unirait Israël aux rivages européens, en passant exclusivement par des territoires maritimes qui relèvent de la souveraineté des Etats qui font partie du plan. Cet accord de partage de la souveraineté sur les territoires maritimes, conclu par les «acteurs» régionaux et soutenu par les Etats-Unis et l’UE (la France jouant un rôle de premier plan), est visible sur la carte 2.

Ce qui reste à la Turquie est visible sur la carte 3, qui montre à quel point il est impossible d’imposer un tel «partage» de manière pacifique.

En bleu, la ZEE que l’«alliance East Med» reconnaît pour la Turquie.

Malgré tout cela, le plan EastMed a été officiellement signé par les gouvernements de Grèce, de Chypre et d’Israël le jeudi 2 janvier. Récemment, le Congrès américain a voté en faveur du East Med Act, qui déclare que ce plan est la politique énergétique officielle des Etats-Unis en Méditerranée orientale.

Le droit international

Ce plan a été mis en œuvre par une tactique de faits accomplis. De plus, il a été constamment justifié en invoquant le droit international et ses dispositions concernant les questions de souveraineté maritime. Mais l’«intrigue» s’est épaissie. Le gouvernement d’Erdogan, afin de rompre son isolement, a procédé à la délimitation des ZEE entre la Turquie et la Libye – plus exactement la partie de la Libye qui est contrôlée par le «gouvernement» de Fayez el-Sarraj (qui est formellement reconnu par les gouvernements occidentaux). Cette délimitation crée un «fragment» maritime sous souveraineté turque (voir carte 4), ce qui interrompt la continuité entre les ZEE de Chypre et de la Grèce, faisant ainsi du projet EastMed un rêve inaccessible.

Cet accord de délimitation échouera probablement, au même titre que le «gouvernement» libyen qui l’a cosigné (Athènes soutient déjà le «général» Khalifa Haftar en Libye…). Mais en attendant, la Turquie a demandé aux Nations unies d’enregistrer l’accord maritime signé avec la Libye, défiant ainsi toute personne qui le contesterait (principalement la Grèce et Chypre) de recourir au droit international et plus particulièrement à la Cour internationale de justice de La Haye.

La version turque du partage des eaux maritimes dans la zone entre Chypre et la Crète, à la suite de l’accord Turquie-Libye.

Cette évolution a provoqué un débat stratégique crucial au sein de la classe dirigeante grecque et de la bureaucratie étatique. Il existe un courant «sage et prudent», qui comprend certains sociaux-démocrates (comme l’ex-premier ministre Kostas Simitis et l’ex-dirigeant du PASOK Evangelos Venizelos), certains politiciens de droite (comme Dóra Bakoyánni [fille de l’ancien premier ministre Konstantinos Mitsotakis] et d’autres) et certains diplomates et «négociateurs» de l’Etat grec. Ils semblent se rendre compte que toute perspective réelle d’exploitation des hydrocarbures en Méditerranée orientale ne peut être réalisée que par un processus de «position commune» avec la Turquie. Ils soutiennent donc le recours à la Cour internationale de justice.

Mais une autre partie de l’establishment insiste pour profiter de l’alliance avec les Etats-Unis et la France et exploiter la conjoncture actuelle de l’isolement de la Turquie, afin de poursuivre un affrontement aboutissant au résultat suivant: le gagnant rafle tout. Ils maintiennent la possibilité d’une escarmouche militaire, espérant qu’elle sera facilement contenue et qu’elle ne dégénérera pas en une guerre gréco-turque totale.

Malheureusement, les choses sont encore plus compliquées que ce désaccord. La Cour internationale de justice peut être convoquée après que les Etats ayant fait appel se sont mis d’accord sur le fait que les décisions de la Cour seront considérées comme contraignantes pour les deux parties.

L’Etat grec ne reconnaît la compétence de la Cour que sur la question des frontières maritimes et, par conséquent, sur la délimitation de la ZEE. Il refuse catégoriquement toute discussion sur des questions relatives à l’extension de la souveraineté grecque qui a déjà été imposée unilatéralement. Il s’agit notamment de la militarisation des îles de la mer Egée orientale (en violation du traité de Lausanne, signé par la Grèce et la Turquie en 1923 pour «régler» les conflits de souveraineté dans la mer Egée), ainsi que de l’extension de la souveraineté grecque dans un grand nombre d’îlots et de rochers inhabités de la mer Égée, et, surtout, de l’extension unilatérale de l’espace aérien grec à 10 milles marins, au-delà des 6 milles des eaux territoriales grecques.

D’autre part, la diplomatie turque n’a aucune intention de faciliter les revendications grecques et elle met donc sur la table des négociations tous les conflits de souveraineté non résolus entre les deux Etats, y compris toutes les questions susmentionnées.

La concurrence autour des ZEE et des hydrocarbures s’étend à toutes les questions de souveraineté dans la mer Egée. Or, elles se sont avérées extrêmement dangereuses dans l’histoire des deux pays. Rappelons que l’«équilibre» actuel entre les deux Etats est le produit de 5 (!) guerres au cours du XXe siècle. Ainsi, la tendance à «réviser» l’accord actuel est très forte dans les deux pays.

Extractivisme et militarisme

L’amplification de la stratégie extractiviste est littéralement absurde dans les conditions de crise économique et sociale que connaissent les deux pays et face à la menace de la crise climatique mondiale et de la catastrophe environnementale.

En ce moment, une grande partie du territoire grec est utilisée comme «champ» par des compagnies minières, à la recherche de gaz naturel et de pétrole. Ce projet coûteux (et destructeur) portera probablement ses fruits à un moment où l’Europe sera moins «assoiffée» de gaz qu’elle ne l’est aujourd’hui et où l’intérêt pour le pétrole sera plus limité, comme l’a écrit un partisan expérimenté de l’extractivisme. Mais sous un capitalisme anarchique et vorace, les décisions sont basées sur les critères et la concurrence intercapitaliste actuels. Un exemple typique réside dans le plus gros investissement contemporain de la Compagnie publique grecque d’électricité. Il est s’effectue dans une grande mine de lignite en Macédoine occidentale. La mine devrait entrer en production dans le courant de l’année 2020, tandis que l’Etat grec a signé l’interdiction de l’utilisation du lignite, progressivement à partir de 2023 et totale d’ici à 2025.

En outre, la stratégie extractiviste dans les mers, entrelacée avec les questions de souveraineté de l’Etat sur celles-ci, est directement liée à un renforcement du militarisme.

La stratégie de l’«axe» en Méditerranée orientale a conduit l’Etat grec à consacrer, année après année, plus de 2% de son PIB pour les dépenses militaires de l’OTAN, devenant ainsi le plus gros acheteur d’armes de l’alliance euro-atlantique. Malgré la crise économique, la Grèce (tant sous Tsipras que sous Mitsotakis) modernise ses forces navales et aériennes, dans le but de conserver l’avantage technologique militaire. Le gouvernement a déjà soumis un «Mémorandum d’intérêt» pour l’achat d’avions américains F-35, très chers (seul Israël en possède dans la région). Il a signé une lettre d’intention pour l’acquisition de frégates françaises de type Belhara en octobre 2019. Même les sites web bellicistes, «liés» au commandement militaire, décrivent ces armes comme étant uniquement adaptées aux «guerres d’agression»…

La politique d’armement est liée au renforcement politique du militarisme. Dans les grands médias, il y a un défilé quotidien d’officiers militaires à la retraite et d’analystes faucons qui tentent de stimuler un climat de ferveur patriotique et de familiariser la population avec la perspective d’une guerre. Lors du débat parlementaire sur le budget annuel de l’Etat, SYRIZA a voté en faveur des dépenses militaires de Mitsotakis, défendant cette position sordide en invoquant la nécessité d’une «unité nationale pour faire face aux menaces qui pèsent sur le pays». Voici un autre aspect de la politique de Tsipras, que l’on pourrait formuler ainsi: un «Greek 1914».

La gauche radicale en Grèce est pleinement consciente de la nature brutale et oppressive du régime d’Erdogan. Après tout, la solidarité envers les réfugiés politiques turcs, les exilés et fugitifs kurdes ainsi que les réfugiés syriens était une tâche qui était constamment soutenue par les forces de la gauche radicale. Mais nous sommes obligés de placer nos espoirs dans la lutte contre ce régime auprès des mouvements sociaux et de la gauche qui sont actifs en Turquie.

Ici en Grèce, nous avons d’autres tâches: la confrontation avec le nationalisme grec, l’opposition aux politiques pro-guerre «chez nous», la résistance aux armements, au militarisme et à la collaboration avec les puissances impérialistes «dans notre pays», la dénonciation de l’extractivisme comme stratégie absurde et dangereuse. La Méditerranée orientale est redevenue une «poudrière». Toute guerre «ici» peut avoir des conséquences négatives et imprévues en Europe et dans le monde.

Traduit et publié initialement par À l’Encontre.

Antonis Davanelos, ancien membre du secrétariat de Syriza, fait partie de la direction de DEA (Gauche Ouvrière Internationaliste).

 

https://www.anti-k.org/2020/02/29/la-militarisation-en-mediterranee-orientale-et-la-menace-dune-guerre-greco-turque-contretemps/

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