Le "syndrome d'imposture", ce mal qui ronge la vie des femmes

Publié le par ottolilienthal

"Je ne vais jamais y arriver, je ne suis pas à la hauteur de mes collègues, je ne mérite pas ma place...". Dans une longue étude culturelle et psychologique (*), la psychothérapeute Anne de Montarlot et la journaliste Elisabeth Cadoche décryptent le "syndrome d'imposture", qui bride aujourd'hui la carrière de nombreuses femmes.

C'est quoi ce syndrome ?

Le syndrome d'imposture se caractérise par un doute de soi chronique, une peur permanente de l'échec. Les personnes qui en souffrent ne se croient jamais à la hauteur, et malgré un bagage intellectuel solide, craignent sans cesse d'être démasquées pour leurs incapacités. Lorsqu'elles réussissent, elles attribuent leurs succès à la chance, à la gentillesse des autres ou encore à une erreur de jugement en leur faveur. Mais jamais à leur propre mérite.

Le mal était sous-jacent avant, mais il a été identifié cliniquement en 1978, grâce au travail de deux psychologues américaines, Pauline Rose Clance et Suzanne Imes.

"Ces deux étudiantes se sont rendu compte que leurs camarades féminines étaient enfermées dans une logique d'échec, très critiques envers elles-mêmes", nous explique Anne de Montarlot, psychothérapeute et coautrice du "Syndrome d'imposture" (*). "Elles se sont dit : "Mais qu'est-ce que c'est que ce truc qui nous paralyse, nous les femmes ?" Et elles ont décidé d'étudier ce phénomène."

Pourquoi touche-t-il surtout les femmes ?

C'est scientifiquement prouvé : les hommes ont tendance à surestimer leurs capacités, tandis que les femmes les sous-estiment, conclut une étude de l'université américaine de Cornell. Le psychologue David Dunning a par exemple montré que les garçons ne réagissaient pas comme les filles à une mauvaise note : ils pensent davantage que l'épreuve était trop dure, l'examinateur trop sévère, tandis que les filles remettent immédiatement en question leurs capacités, estiment qu'elles ne sont tout simplement pas à la hauteur.

Des femmes puissantes parmi les victimes

Michelle Obama, Simone Veil... Les femmes victimes du syndrome d'imposture sont souvent des femmes brillantes. "Elles sont puissantes, mais minoritaires, pas dans la norme. Donc elles se sentent seules, et par conséquent pas à leur place", explique Anne de Montarlot.

Simone Veil, par exemple, au moment de son entrée au gouvernement "était convaincue de ne pas tenir longtemps ; elle se disait Je vais commettre une grosse bêtise et on me renverra très vite", cite l'experte dans son livre.

L'ancienne Première dame et journaliste politique Valérie Trierweiler confie aussi dans l'ouvrage : "Tout le monde a cru, quand je suis devenue une personne publique, que j'étais très sûre de moi, alors que c'est tout l'inverse. Après trente ans de métier [...] quand je fais une interview, j'ai toujours peur de ne pas poser la bonne question."

Plusieurs facteurs sont à l'origine de cette auto-dévalorisation récurrente des femmes.

Ce syndrome est déjà le produit de l'Histoire, qui relate les hauts faits des hommes, mais oublie largement les femmes, cantonnées aux rôles de mères silencieuses et de ménagères de l'invisible. "A contre-courant des précédents récits, une récente étude a par exemple conclu qu'à la préhistoire, les femmes n'étaient pas cantonnées aux tâches domestiques : au contraire, près de la moitié d'entre elles allaient à la chasse au gros gibier !", souligne Anne de Montarlot

Il est entretenu par les stéréotypes persistants de la société, qui enferment encore malgré tout la femme dans un rôle de mère, et plus largement de "tour de contrôle de la sphère privée", qui du coup a du mal à se mettre en avant dans la sphère publique. En outre, les complexes physiques, alimentés par les superwomen des réseaux sociaux, contribuent à saper la confiance des femmes en elles. 

Enfin, "l'éducation des petites filles, à qui on apprend encore surtout à être douces, sages, discrètes, alors qu'on tolère davantage d'un petit garçon un côté brouillon, bagarreur", analyse Anne de Montarlot. "A l'école, on remarque que les garçons lèvent plus souvent le doigt que les filles. Pourtant elles savent très bien leurs leçons, mais elles n'osent pas intervenir à moins d'être sûres de donner une réponse parfaite !"

Quelles conséquences dans le monde du travail ?

"Il y en a deux principalement", détaille Anne de Montarlot : "le burn out et la procrastination. Parce que le syndrome d'imposture fait douter de ses capacités, il induit un surtravail, explique l'experte. De plus, la personne qui en souffre ne demande pas d'aide, qu'elle vit comme une nouvelle preuve de son insuffisance. Et ça ralentit l'équipe."

Par ailleurs, ce mal paralyse sa victime. Du fait de la peur de l'échec, celle-ci va donc remettre à plus tard un rendez-vous important, retarder une négociation de salaires, et même parfois refuser une promotion, convaincue de ne pas être à la hauteur. Sans doute, ce syndrome d'imposture explique-t-il au moins une partie du déséquilibre hommes-femmes aux postes de direction.

Les signes qui doivent vous alerter

Il existe plusieurs profils de femmes victimes du syndrome d'imposture. Le plus fréquent est celui de la "perfectionniste", explique Anne de Montarlot.

"Celle-là ne tolère pas le moindre échec. Elle frémit à l'idée que son incompétence soit mise au jour et surcompense pour éviter cette honte. Lorsqu'elle réussit, elle n'attribue pas son succès à ses compétences, mais l'explique par le fait qu'elle a dû fournir trois fois plus d'efforts que les autres." 

Vous êtes sans doute dans ce cas-là si :
- vous êtes surchargées de travail et ne vous souciez pas du temps investi ;
- vous êtes réticentes à vous lancer dans de nouveaux projets tant que vous ne vous vous sentez pas prête à 100% ;
- vous focalisez excessivement sur tout ce qui ne va pas et vous ne vous pardonnez rien ;
- vous avez du mal à déléguer, car vous avez besoin de contrôler pour, croyez-vous, éviter les erreurs ;
- vous supportez mal la critique extérieure. 

Des ravages aussi dans la vie personnelle

Ce syndrome d'imposture n'a pas que des conséquences sur la carrière des femmes, il ternit aussi la vie en couple. En introduisant notamment de la jalousie : car celles qui en souffrent ne se sentent pas dignes de l'amour de leur compagnon, elles redoutent souvent le moment où celui-ci va prendre conscience de son erreur et anticipent parfois même une rupture.

Dans leur ouvrage, Anne de Montarlot et Elisabeth Cadoche lient même syndrome d'imposture et violences sexuelles. "Car une femme qui n'a pas confiance en elle a du mal à dire non", explique la psychothérapeute. "Elle va consentir, sans vraiment vouloir". Un problème qui touche notamment les adolescentes : selon une étude de Santé publique France, 10,7% des filles (contre 6,9% des garçons) estiment que leur premier rapport sexuel était "accepté mais pas vraiment souhaité".

(*) "Le Syndrome d'imposture, pourquoi les femmes manquent tant de confiance en elles ?", Anne de Montarlot et Elisabeth Cadoche (Ed. Les Arènes)

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