Merkel, le bilan incertain

Publié le par ottolilienthal

L'Allemagne se trouve aujourd'hui dans une impasse économique, politique et stratégique qui conduit à réviser à la baisse le bilan des seize années de pouvoir d'Angela Merkel. La chancelière s'est contentée de gérer la rente des réformes effectuées par Gerhard Schröder tout en accumulant les erreurs, de la déflation de la zone euro à la politique d'apaisement vis-à-vis de la Russie – à qui fut confié 55 % de l'approvisionnement gazier – et de la Chine, en passant par la sortie du nucléaire et l'ouverture des frontières de l'Union aux migrants.

https://www.lepoint.fr/editos-du-point/l-allemagne-un-homme-malade-qui-se-soigne-25-09-2023-2536779_32.php

En Allemagne, le bilan de Merkel de plus en plus contesté

L’ancien ministre Wolfgang Schäuble critique ouvertement la politique menée par l’ex-chancelière à l’égard de la Russie de Vladimir Poutine.

Quelle image les Allemands garderont-ils d'Angela Merkel ? Celle d'une grande chancelière qui a favorablement marqué l'histoire de leur pays ou celle d'une politicienne ayant accumulé les erreurs stratégiques vis-à-vis de la Russie et précipité la quatrième économie mondiale dans la crise ? Depuis le début de la guerre en Ukraine, une ombre est venue ternir le bilan des seize années au pouvoir de celle qui bénéficia longtemps d'une cote de popularité inégalée dans son pays et à l'étranger.

Les interrogations pleuvent : comment a-t-on pu arriver à une situation pareille ? Comment Angela Merkel, qui parle russe couramment et qui de tous les dirigeants internationaux est celle qui fut la plus proche de Vladimir Poutine, a-t-elle pu se tromper à ce point ? Comment a-t-elle pu, en 2008, poser son veto à l'entrée de l'Ukraine et de la Géorgie dans l'Otan et donner le feu vert à la construction du gazoduc Nord Stream 2 quelques jours seulement après l'invasion de la Crimée ? C'est la place dans les livres d'histoire de celle qui fut en son temps la femme la plus puissante au monde qui est en jeu.

Aujourd'hui c'est Wolfgang Schäuble, 80 ans, ancien ministre des Finances d'Angela Merkel et chantre de la rigueur budgétaire en Europe, qui met en cause les mérites de l'ex-chancelière. Après avoir fait son propre mea culpa et reconnu avoir commis lui-même des erreurs de jugement dans la politique à l'égard de la Russie, ce vieux routier très respecté de la vie publique allemande regrette le manque d'autocritique d'Angela Merkel. Depuis le début de la guerre en Ukraine, en effet, elle se mue dans un silence de plomb. Wolfgang Schäuble va même plus loin : il n'est pas sûr qu'Angela Merkel mérite l'étiquette de « grande chancelière » ni que l'histoire la classera dans la même lignée que ses prédécesseurs Konrad Adenauer, Willy Brandt et Helmut Kohl.

«Nous ne voulions pas voir les choses en face »

Dans une interview accordée au journal économique Handelsblatt, Wolfgang Schäuble pense qu'il est encore trop tôt pour rendre un jugement définitif sur cette question. Il se dit « surpris » que l'ex-chancelière ne soit toujours pas en mesure aujourd'hui de reconnaître les erreurs commises par son parti, la CDU, vis-à-vis de la Russie et « furieux » de l'aveuglement dont a fait preuve son parti. « Nous ne voulions pas voir les choses en face », regrette-t-il en racontant qu'au lieu de débattre, alors qu'il était encore ministre de l'Intérieur, avec son homologue russe sur la lutte contre le terrorisme islamiste, il aurait mieux fait de « regarder ce que la Russie était en train de faire en Tchétchénie ».

Il regrette aussi que l'Allemagne ait ignoré les mises en garde du président polonais Lech Kaczynski qui avait prévenu : « D'abord la Géorgie, ensuite l'Ukraine, puis la Moldavie, les États baltes et enfin la Pologne. » « Il avait raison », reconnaît aujourd'hui Wolfgang Schäuble, qui souligne que « ce n'est pas seulement Merkel qui voulait le gaz russe bon marché. Les entreprises, les citoyens, tout le monde l'a accueilli à bras ouverts »

C'est la première fois qu'une grande pointure de la politique allemande critique aussi ouvertement l'ex-chancelière. Il est vrai qu'Angela Merkel, 68 ans, a quasiment disparu de la scène publique depuis qu'elle a pris sa retraite, en septembre 2021. On sait qu'elle voyage en Italie accompagnée par un historien de l'art et qu'elle écrit ses Mémoires à quatre mains avec sa loyale assistante et conseillère Beate Baumann. Rien de plus. Et surtout plus aucune déclaration publique. Angela Merkel avait promis de se retirer complètement de la scène et de ne plus commenter l'actualité. Promesse tenue. Mais ce silence devient de plus en plus embarrassant en ces temps de crise.

Le silence de Merkel

Au mois de juin, Angela Merkel s'exprimait pour la première fois depuis son départ de la chancellerie. Elle défendait la décision de construire le second pipeline Nord Stream 2, acheminant le gaz russe sous la Baltique et qui n'est jamais entré en fonction. « Je croyais, déclarait-elle, aux relations à travers le commerce avec la seconde puissance nucléaire du monde. » Une décision prise de concert avec les milieux économiques, qui préféraient opter pour le gaz russe, « meilleur marché que le gaz liquéfié en provenance d'Arabie saoudite, du Qatar, des Émirats arabes et, plus tard aussi, des États-Unis ».

En octobre, lors d'une réunion à Lisbonne, elle récidivait en affirmant que sa décision de faire appel au gaz russe avait été la bonne à l'époque pour permettre l'approvisionnement du pays en énergie bon marché durant la période de transition énergétique, la fameuse energiewende. « On agit toujours selon le contexte dans lequel on se trouve », se justifiait-elle. En bref, il est toujours facile de refaire l'histoire a posteriori. Depuis, silence.

C'est d'ailleurs un procès fait à l'ensemble de la classe politique au pouvoir, tout particulièrement durant les années Merkel, qui bat son plein en ce moment en Allemagne alors que les Allemands osent à peine allumer leur chauffage de peur de se retrouver avec une facture de gaz astronomique à la sortie de l'hiver. Olaf Scholz, vice-chancelier et ministre des Finances de 2018 à 2021, eut beau se poser en grand défenseur de la construction de terminaux pour gaz naturel liquéfié sur les côtes de la mer du Nord, il n'en reste pas moins qu'il approuva lui aussi, au début de son mandat au gouvernement, la construction de Nord Stream 2, qualifiant le gazoduc de « projet économique purement privé ». C'est seulement deux jours après l'attaque russe sur l'Ukraine qu'il annonça l'arrêt du projet. Dans le collimateur aussi, le président Frank-Walter Steinmeier (SPD) qui, en tant que ministre des Affaires étrangères d'Angela Merkel, cautionna sa politique vis-à-vis de la Russie. Sans parler de Gerhard Schröder, l'initiateur des gazoducs Nord Stream et l'ami intime de Vladimir Poutine.

 

 
 
 

Il faudra peut-être patienter jusqu'à la publication de ses Mémoires, prévue en octobre 2024, pour qu'Angela Merkel sorte de son silence. Elle laissait savoir récemment : « Je me réjouis de partager avec un grand public ma réflexion sur les décisions centrales que j'ai prises. »

De quoi nous mettre en appétit

 

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article