Red Team
Les guerres du futur : énergie, ADN… et si tout dérapait ?
Les auteurs de SF et de BD réunis dans la « Red Team » pour imaginer les guerres de demain racontent un combat sans énergie dans un monde rationné en joule post-2050 ou un Tchernobyl vert provoqué par la libéralisation des manipulations génétiques. Imaginer l'avenir est l'un des exercices militaires les plus difficiles.
Et si l'armée devait intervenir dans des « Tchernobyl verts » et décontaminer les forêts pour sauver les hommes…
Par Anne Bauer
Amateurs de science-fiction, ne passez pas votre chemin. La saison 2 de la « Red Team » a été dévoilée jeudi soir. Quelles pourraient être les guerres de demain ? A quoi doivent se préparer les armées à l'horizon 2060 ?
La question peut paraître saugrenue à l'heure où l'artillerie lourde la plus classique pilonne les villes du Donbass. Pourtant la guerre en Ukraine montre déjà un certain manque d'anticipation de la part de l'armée française, sur les drones, l'utilisation des réseaux sociaux, la décentralisation du commandement, la gestion des flux et des stocks, l'accessibilité à des communications sécurisées.
La saison 2 de la « Red Team » voit, elle, beaucoup plus loin. Sous l'impulsion de l'Agence de l'innovation de défense (AID), l'équipe des Rouges, celle des « méchants », a été constituée avec une douzaine d'auteurs de science-fiction, de dessinateurs et de scénaristes. A charge pour ces hommes et ces femmes éloignés des milieux militaires d'imaginer les conflits d'un futur proche, afin de défier les stratèges de l'armée.
Les premiers scénarios mettant en difficulté les armées françaises ont été publiés en janvier dans un livre intitulé « Red Team, ces guerres qui nous attendent 2030-2060 ». A la surprise générale, il s'en est vendu 25.000 exemplaires !
Des mondes imaginaires… mais des menaces réelles
La méthode est pour le moins originale. Les auteurs sont réunis sous la houlette de l'université Paris Sciences et lettres (qui regroupe les Mines, Normale sup, le CNRS, l'Inria, etc.), qui met à leur disposition les meilleurs chercheurs, pour bien évaluer de possibles points de rupture technologiques.
Les scénarios se mettent par écrit mais aussi en image et vidéos. In fine, le but est bien de susciter dans les états-majors, à la direction générale de l'armement et chez les industriels une réflexion, qui bouscule les paradigmes.
A quoi bon construire un char si demain l'énergie est rationnée ou manquante ? A quoi sert le porte-avions face à la menace hypervéloce ? « L'idée est d'imaginer des conflits à partir de menaces qu'on perçoit déjà, explique Emmanuel Chiva, patron de l'AID. L'exercice reste ancré, il ne s'agit pas non plus d'aller sur des terrains totalement imaginaires comme la télédéportation ou le voyage dans le temps. »
Empêcher les militaires de dormir
Décloisonner les genres, faire appel à l'imaginaire du monde des arts et des lettres, tout en s'appuyant sur des fondements scientifiques solides, « nos scénarios doivent juste empêcher les militaires de dormir », confirme l'écrivain Laurent Genefort.
Red Team Défense
Dans la première édition, la « Red Team » avait par exemple exploré la dislocation de la société à l'ère numérique, imaginant un monde où chaque citoyen choisit son champ perceptif aux dépens du réel, une balkanisation des perceptions qui mettait en danger la cohésion des armées. Quelques semaines la réalité a rejoint la fiction : le patron de Facebook, Mark Zuckerberg lançait le métavers !
Alerté, le ministère des Armées a depuis lancé le projet Myriade pour étudier les guerres cognitives et résister aux techniques de manipulation des cerveaux et émotions.
Dans certains scénarios, il n'y a ni chars, ni avions
Dans cette seconde édition, pénurie d'énergie et manipulation du vivant sont au coeur des scénarios. « Basse énergie, après la nuit carbonique » s'interroge sur le combat militaire dans un univers où l'énergie serait strictement rationnée, tandis qu'« une guerre écosystémique » imagine que les manipulations génétiques sont à la portée d'un très grand nombre de citoyens, engendrent des biohackers et conduisent à des écocides. Dans ces deux scénarios, ni les chars ni les avions de chasse ne servent à grand-chose.
Imaginez : en 2035, conformément aux avertissements du GIEC sur le changement climatique, une profusion de feux plonge le monde dans la nuit carbonique. Une catastrophe telle qu'en 2038, tous les Etats signent enfin un traité de décarbonation, qui cette fois limite drastiquement l'usage de l'énergie, contraignant l'armée à respecter des seuils d'unités de joules. Comment mener une guerre bas carbone ? Surtout en cas d'asymétrie énergétique, face à un adversaire qui ne respecterait pas le rationnement international ?
« Après la nuit carbonique »
Cette guerre écosystémique remet en cause le rôle traditionnel de l'armée, car il s'agit d'une guerre sans cause, où il faut protéger des territoires pour remédier à des écocides.
Virginie Touray, chercheuse et auteur.
Des soldats doivent mener une opération d'exfiltration dans un pays voisin attaqué. Ils sont équipés d'une combinaison Enskin, qui se recharge grâce à l'énergie cinétique du mouvement et l'énergie thermique du corps. Mais l'adversaire a, lui, développé des « wenzy », des nuées de drones moustiques chargés de sucer l'énergie du combattant. Les soldats progressent. Trop lentement, leurs stocks d'énergie s'épuisent…
Quand les DNA printers prennent le pouvoir
Imaginez encore : la cinquième révolution industrielle, tirée de la biotech, a conduit à une libéralisation du vivant. Les citoyens peuvent s'offrir des imprimantes à ADN pour améliorer leur santé. Mais très vite, des biohackers arrivent et la libéralisation des manipulations génétiques induit un Tchernobyl vert ! « Cette guerre écosystémique remet en cause le rôle traditionnel de l'armée, car il s'agit d'une guerre sans cause, où il faut protéger des territoires pour remédier à des écocides », explique Virginie Touray, chercheuse et auteure.
Le scénario met en scène des bioguérilleros qui développent des « Pétrichnikov » (la kalachnikov boîte de pétrie) pour manipuler le vivant à distance ainsi qu'un système de communication par le mycélium des forêts pour détecter la présence des ennemis. « Là, j'ai vraiment fait des cauchemars », confie Emmanuel Chiva.
« Guerre écosystémique »
Pour la préparation militaire, imaginer les surprises stratégiques est capital. Mais une tâche quasi-impossible. Rappelons qu'en dépit des forces massées par les Russes aux portes de l'Ukraine, l'armée française ne croyait toujours pas à l'invasion à la veille du 24 février.
(publié par Cyrus Farhangi)