Sous le regard de Bernard Maris....

Publié le par ottolilienthal

“En France, le professeur de finance Christian Walter, actuaire de surcroît, est le grand pourfendeur du développement des mathématiques financières et de cette « illusion de maîtrise du risque ». Il porte ce combat depuis une date bien ancrée dans sa mémoire. Le 19 octobre 1987, le Dow Jones dévisse de 22 % en une journée. À l’époque, il est gérant de portefeuilles à la banque CCF. « Un collègue polytechnicien venait d’essuyer d’un coup 40 millions de francs de perte. Il avait pourtant installé un système de contrôle des risques et pensait qu’il était totalement protégé. Il a fini par avouer : « J’ai été trahi par les modèles. » Les exemples de gestionnaires, floués par le sentiment de sécurité donné par l’argument scientifique, sont légion…”

“En 1997, les professeurs Myron S. Scholes et Robert C. Merton décrochent le Nobel d’économie pour avoir développé une formule de valorisation d’options sur actions, toujours employée par les quants. L’année suivante, Long Term Capital Management, un fonds spéculatif dont ils sont administrateurs, s’effondre et doit être renfloué à hauteur de 3,65 milliards de dollars par un groupe de banques.

Parfois, l’erreur du quant est plus élémentaire. En 2011, le fonds de gestion AXA Rosenberg est condamné à verser plus de 240 millions de dollars à ses clients, après une simple erreur de codage dans le modèle de risque…”

https://www.vanityfair.fr/article/23-ans-et-deja-un-salaire-a-six-chiffres-bienvenue-dans-le-monde-merveilleux-des-quants

Les économistes se sont
beaucoup trompés en 2021

 

2021 aura été l’année de toutes les surprises. Et voici résumé en 5 séries de graphiques les plus beaux contre-pieds qui ont pris à défaut nombre d’économistes, nous compris.


Le paramètre entrepreneurial sous-estimé

C’était une certitude, une avalanche de défaillances devait déferler en 2021 et laminer le tissu productif, affaiblissant notre croissance potentielle. Bilan, fin novembre 2021, en cumulé sur 12 mois, moins de 27 000 sont dénombrés. Jamais aussi peu de défauts n’ont été comptabilisés. Malgré l’abandon progressif des dispositifs de soutien, les chiffres de défaillances des derniers mois de 2021 restent inférieurs à ceux observés en 2019 et 2020. Il n’y a donc à ce stade aucun signe d’une reprise de la sinistralité ou d’une vague de faillites à venir. Non seulement les défaillances ne se sont pas dressées sur le chemin du rebond, mais tout au contraire c’est une véritable vague de créations qui est venue amplifier le rebond et le redéploiement rapide de l’économie vers les opportunités d’affaires liées à la Covid (transport, poste, logistique, immobilier, etc.). Ce paramètre entrepreneurial, sous-estimé, aura permis à l’économie française de renouer avec son niveau de PIB d’avant crise en fin d’année, alors même que les secteurs névralgiques, du transport, de l’automobile, du divertissement ou du tourisme demeuraient très en deçà de leur pleine capacité.


C’est inespéré donc déroutant : l’emploi salarié surplombait à la fin de l’été de 1% son niveau d’avant-crise, avant même que l’activité ne se soit totalement normalisée. Cette progression est portée par une puissante vague d’embauches : +13% entre juillet et septembre sur les flux moyens de 2019, que ce soit pour les CDD de plus d’un an ou les CDI. Ces recrutements en CDI révèlent que les entreprises investissent et se repositionnent de façon pérenne sur les nouveaux marchés boostés par la Covid-19.


Dans le même esprit, l’investissement. En progression de plus de 12%, l’investissement des entreprises a été plus fort que prévu en 2021. Une bonne surprise qui fait déjà suite à une année 2020 durant laquelle sa capacité de résistance avait déjoué tous les pronostics. Cela fait donc maintenant deux ans que l’investissement des entreprises surprend, si bien qu’à la fin de l’année il sera déjà supérieur de plus de 3% à son niveau d’avant crise. Le soutien massif aux trésoreries et le contexte de taux bas ont d’abord permis à une partie des projets programmés d’aller à leur terme, malgré les vicissitudes du contexte économique. Mais il faut aussi mentionner la composante des investissements immatériels, dénommés « service de l’investissement », structurellement plus stable et boosté par l’amplification des besoins digitaux des entreprises. Cette composante incontournable, affectée pour l’essentiel à la masse salariale des services de R&D, de programmation informatique, de marketing ou de design, concentrant les hautes qualifications, relève d’un coût fixe et s’élève de façon quasi structurelle.


L’inattendu retour de l’inflation


Parmi les éléments marquants de 2021, le retour de l’inflation est l’un des plus inattendus. À 2,8% en novembre dernier, la hausse des prix à la consommation est à un pic depuis septembre 2008. Une envolée a notamment déjà contraint les pouvoirs publics à anticiper la revalorisation du SMIC de 2,2% le 1er octobre.


À la source de cet emballement se trouve l’énergie, le pétrole notamment. Le baril de Brent est passé de 50 dollars en début d’année à plus de 85 à la mi-novembre. Certes, les cours se sont relâchés depuis avec les craintes générées par le nouveau variant Omicron sur la croissance mondiale auxquelles s’est ajoutée la mise en circulation par les États-Unis de 50 millions de barils prélevés sur leurs réserves stratégiques, la plus importante quantité jamais puisée. Quoi qu’il en soit, en moyenne sur l’ensemble de l’année, c’est une hausse de plus de 69% du prix du brut. Une énergie chère qui a contribué à près de 60% de l’inflation actuelle.


Enfin, dernier sujet d’étonnement, mais c’est également une leçon pour l’Europe. Elle concerne l’incroyable efficacité des politiques budgétaires qui ont permis de maintenir « quoi qu’il en coûte » les revenus des ménages et des entreprises sans cataclysme sur les taux d’intérêt à long terme. Des taux qui sont restés historiquement bas dans la zone euro, sans tragédie sur le change avec un euro à peine écorné qui varie dans un corridor étroit compris entre 1,10-1,20 dollar, très loin des embardées passées.


Sur ces cinq points, la mécanique de nos modèles standards, « business as usual » a été détrompée. Bref, 2021 c’est une année qui pousse en économie à la modestie.

 

 

https://www.xerficanal.com/economie/emission/Alexandre-Mirlicourtois-Les-economistes-se-sont-beaucoup-trompes-en-2021_3750277.html?utm_source=sendinblue&utm_campaign=&utm_medium=email

« Dans certains faux domaines comme l’économie, qui est un domaine ritualisé et dominé par les cercles de citations, j’ai découvert que tout est dans la présentation. La critique n’a donc jamais porté sur le contenu, mais plutôt sur la présentation. Il y a un certain langage que l’on doit apprendre par un long investissement, et les articles ne sont que des itérations autour de ce langage. »

Nassim Nicholas Taleb

'"Jouer sa peau"

 

Notre Oncle Bernard

 

 

Passé bien malgré lui au rang de martyr et, à ce titre, "consensualisé", le keynésien Bernard Maris menait pourtant un rude combat contre ses confrères économistes et contre l'esprit du temps.

Assassiné par les djihadistes avec ses copains de Charlie, Bernard Maris a acquis l'auréole du martyr. Martyr laïc, bien entendu. Comme on tire encore moins sur les corbillards que sur les ambulances, ceux qui avaient affronté la polémique avec l'économiste keynésien ne se remémorent plus que sa gentillesse et son érudition. Erik Orsenna, cas typique du clerc de gauche passé au social-libéralisme assumé, un de ceux que Maris rangeait dans «les gourous de l'économie» se souvient juste que «Bernard» et lui divergeaient sur l'existence ou non d'une «alternative» aux politiques actuelles. C'est poliment nommer une faille gigantesque. Dominique Seux, qui débattit près de 400 fois avec lui dans les matinales de France Inter ne feint pas l'émotion. Le directeur adjoint de la rédaction des Echos, journal officiel du capitalisme français, avoue volontiers un complexe vis-à-vis de son contradicteur : «Je n'avais qu'un terrain, celui de l'économie. Lui avait l'histoire, la sociologie, la philosophie. Je partais battu.» Effectivement, Maris débordait l'économie par tous les côtés. A l'image de John Meynard Keynes, dont il savait, lui, qu'entre les deux guerres il avait fait partie du «groupe de Bloomsbury», où il avait côtoyé la romancière Virginia Woolf et le critique Desmond MacCarthy. De Keynes, Maris rappelait que le capitalisme porte «le désir morbide de liquidité», un autre manière de parler de la «pulsion de mort» de Freud.

L'esthète Bernard Maris avait donc le bagage indispensable, le culot et la liberté d'esprit pour lire Michel Houellebecq comme Zola et Balzac. «Aucun écrivain n'est arrivé à saisir comme Houellebecq le malaise économique qui gangrène notre époque», écrit-il propos de la Carte et le territoire, dans Houellebecq économiste.

Il ne faudrait pourtant pas, dans la grande communion postattentat, oublier que le combat intellectuel de Bernard Maris fut rude et qu'on lui fit subir bien des avanies. Il ne faisait pas bon être keynésien et antilibéral dans les années 1990-2000, lorsque les horloges médiatiques étaient calées sur la pensée unique et que les marchés envahissaient non seulement l'économie, mais aussi la société, et occupaient le temps de cerveau que la pub laissait à disposition. Ses essais - de la Lettre ouverte aux économistes qui nous prennent pour des imbéciles à Capitalisme et pulsion de mort - agaçaient au plus au point les mandarins de l'orthodoxie, ceux qui professent que les marchés tendent naturellement vers le «grand équilibre».

Philippe Labarde, qui fut directeur de la Tribune de l'économie et a écrit trois livres avec lui, juge l'œuvre de son ami : «Que laisse-t-il ? Certainement pas des travaux puissants sur la régulation, à l'image d'un Michel Aglietta. Il ne bâtissait pas une théorie, mais une critique. Avec son talent et ses armes, il a réussi à déshabiller les économistes au moment où ces derniers prétendaient représenter la science infuse.» Alors que les mathématiques squattent les sciences sociales au nom de la vérité des chiffres, Maris résiste au nom de l'humanisme, face aux charlatans de la science prétendument «dure». «La vie est-elle une quantité, comme voudraient nous le faire croire les économistes ? Qu'est-ce que la vie ? Une longueur ou une intensité ? Et si la vie ne se mesurait que par elle-même ?» interrogeait-il.

L'économie n'est donc rien sans la sociologie, l'histoire, la philosophie, la politique. Les «économistes industriels» que Maris qualifiait de «secte dangereuse» n'auront de cesse de le combattre et auront la peau de son laboratoire à l'université de Toulouse. Jean Tirole, récemment nobélisé, poursuit post mortem ce combat douteux et traite ceux qui veulent enseigner l'économie comme une science humaine d'«obscurantistes», avec l'onction de la ministre de l'Enseignement supérieur ! A croire que les vindictes académiques sont immortelles...

UN REPENTI DE L'EURO

Ses chroniques dans Charlie inventent un nouveau genre journalistique. «L'utilisation du pseudonyme d'Oncle Bernard l'avait contraint à la vulgarisation, à la pédagogie, à l'humour, pour rendre les sujets d'économie plus simples et moins arides», se souvient Labarde. Qui ajoute : «Bernard n'avait pas de respect pour les doctrines. Même s'il vomissait le libéralisme, il avait gardé une distance vis-à-vis de Marx...»

Bernard Maris avait enfin une qualité rare, celle du repentir, chez les économistes, où règne la règle du never complain, never explain. Il était capable de reconnaître une erreur. Il l'avait fait avec éclat à propos de l'euro, lui le fédéraliste européen convaincu qui avait soutenu le traité de Maastricht en 1992 et le traité constitutionnel européen en 2005 : «Il n'est jamais trop tard (même s'il est bien tard) pour reconnaître qu'on s'est trompé. J'ai cru, pauvre nigaud, qu'une monnaie unique nous mettrait sur la voie d'une Europe fédérale.» Sa réflexion est moins économique que profondément politique : «Le meilleur moyen de rendre l'Europe odieuse, détestable pour longtemps, de faire le lit des nationalismes les plus étroits, est de poursuivre cette politique imbécile de monnaie unique associée à une "concurrence libre et non faussée".»

Le collectif Salut Bernard donne rendez-vous la veille du 1er mai à Paris pour une journée de débat, «à l'image de l'honnête homme qu'il fut, placée sous le triple sceau de l'humour, de la subversion et de la rigueur». On y sera (aussi) pour boire et manger à sa mémoire, car, comme le dit Philippe Labarde, «avec Bernard, on se fendait la gueule, c'était l'incarnation de l'humour anglais, celui qui dit : "Il faut rire quand même."»

Le programme de l'hommage à Bernard Maris sur le site Salut Bernard

 

Économiste de gauche et journaliste, Bernard Maris est tombé sous les balles des terroristes dans l'attaque de l'hebdomadaire "Charlie Hebdo".

 

 

Il était surnommé "Oncle Bernard" à Charlie Hebdo. À 68 ans, l'économiste Bernard Maris fait partie de la longue liste des personnes abattues par les terroristes dans les locaux de l'hebdomadaire satirique. Né en 1946, cet agrégé était également un journaliste célèbre, passé par la direction de la rédaction de Charlie, dont il restait actionnaire.

Remarquable vulgarisateur d'une matière aride, Bernard Maris défendait sur nombre d'antennes, de plateaux télé et de journaux une vision hétérodoxe de l'économie, notamment face à Dominique Seux, des Échos, dans Le Débat économique de France Inter, le vendredi.

Ancien professeur d'université, il était membre du conseil scientifique de l'association altermondialiste Attac tout en siégeant au conseil général de la Banque de France, après une nomination par le président socialiste du Sénat, Jean-Pierre Bel, en 2011.

Avocat tardif d'une sortie de l'euro

En pleine crise financière, il n'a pas hésité à plaider pour un effacement d'une partie de la dette des États membres de l'UE afin de leur permettre de repartir du bon pied. "Tous les pays européens devront, tôt ou tard, se résigner à effacer une partie de leur dette. Il faut la renégocier au-delà du seuil de 60 % du PIB pour de nouveau respecter les critères de Maastricht. Les créanciers, et donc les banques, devront évidemment consentir un effort important. Même les grands pays comme l'Allemagne et la France n'y échapperont pas. C'est le seul moyen de permettre aux États de la zone euro de relancer leur économie", expliquait-il ainsi fin 2011 dans une interview au Journal du dimanche.

Très récemment, en octobre 2014, il s'était finalement prononcé pour une sortie de l'euro. "Je vire ma cuti. J'ai voté oui à Maastricht, oui au traité constitutionnel. Aujourd'hui, je pense qu'il faut quitter la zone euro", écrivait Oncle Bernard, dans Charlie Hebdo. Et de se justifier dans son style inimitable : "À cause de la monnaie unique, les États allaient se lancer dans une concurrence fiscale et budgétaire : ils allaient organiser leur budget à leur manière, sous le parapluie de l'euro. Les Grecs, par exemple, empruntaient en euros grecs, mais remboursaient en économie grecque, c'est-à-dire en feta et en fromage de chèvre. Les Allemands empruntaient en euro et remboursaient en Porsche et en Mercedes." Avant de conclure : "Une dette grecque vaut du fromage, une dette allemande des machines-outils et de la technologie de pointe."

"Houellebecq économiste"

L'économiste était également favorable à la création d'un revenu minimum d'existence "que l'on donne à tout être humain, riche ou pauvre, qu'il peut toucher toute sa vie, et qu'il peut cumuler avec n'importe quel revenu d'activité, ou de patrimoine sans restriction !"

Auteur prolifique, cet admirateur de Keynes avait publié en septembre 2014 un énième* livre remarqué, Houellebecq économiste, dans lequel il soulignait l'imprégnation des concepts économiques dans les écrits de l'écrivain à succès.

Bernard Maris était marié à Sylvie Genevoix, journaliste, ancienne membre du CSA, décédée le 20 septembre 2012.

* Keynes ou l'économiste citoyen, Ah Dieu! ; Que la Guerre économique est jolie! (1998); Lettre ouverte aux gourous de l'économie qui nous prennent pour des imbéciles (1999) et La Bourse ou la vie (2000).

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