éloge de la lenteur...
La modernité nous a imposé la vitesse, l’efficacité, en discriminant la lenteur. Prisonniers du temps, nous devons « résister à la modernité », écrit Laurent Vidal. Et devenir des femmes et hommes lents. [SÉRIE 4/4]
Vous lisez la dernière partie de notre série « Le chemin de l’autonomie ». La première est ici, la deuxième ici et la troisième ici.
Au début, que d’agacement devant cette marmite norvégienne qui semblait si lente à cuire par rapport à une cocotte-minute ! Mais vous y avez vite pris goût, à ces pauses low-tech qui vous obligeaient à ralentir un brin, et à renouer avec votre tempo intime. Ah ! le temps, clé de l’émancipation. Souvenez-vous de la déflagration des confinements de 2020 : les esprits libérés du joug de l’économie voulaient tout réinventer, le monde d’après, leur vie. Comment s’étonner dès lors que les pouvoirs religieux et séculiers occidentaux aient toujours voulu le contrôler, ce temps ?
Fait peu connu, c’est en discriminant la lenteur, justement, qu’ils y sont parvenus, raconte l’historien et sociologue Laurent Vidal dans Les Hommes lents, un ouvrage republié en poche fort à propos. Car en éclairant la condamnation pluriséculaire de la lenteur, il nous permet d’analyser nos résistances propres à son endroit, ce qui est aujourd’hui crucial pour l’écologie. Comment pourrions-nous en effet adopter des technologies moins polluantes, mais souvent plus lentes — marmite norvégienne ou vélo —, si nous restons attachés à l’idée que vitesse = puissance, temps, argent ?
Explorons de suite les origines du phénomène, religieuses. Issu de la racine latine « lentus », « lenteur » renvoie d’abord au monde végétal : il évoque sa souplesse et sa qualité de résistance racinaire. Mais voilà, emporté dans ces invraisemblables débats autour de la définition des péchés capitaux qui occupèrent le XIVe siècle chrétien, après la fondation du purgatoire, « lenteur » va se retrouver associé à « mollesse », « oisiveté », « négligence », puis… « paresse », un vice qui stigmatise l’inactivité, explique, dans un récit truffé d’exemples et de saveur, ce professeur de La Rochelle.
De la bave de l’escargot au hamac de l’Indien
Pour l’Église, ce tour de passe-passe lexicographique est surtout un moyen de maintenir les ouailles dans le droit chemin, en condamnant moralement les utopies d’oisiveté heureuse alors diffusées par les fabliaux : notamment celle du pays de Cocagne, où les mets tombent tout cuits du ciel dans la bouche des petites gens en repos — entre parenthèses, comme chez les prélats et les aristocrates.
Mais, avec l’essor du commerce, au tournant des XVe et XVIe siècles, cette « guerre aux lents » va commencer d’investir tout le champ social. Il y faudra la diffusion d’un autre terme, celui de « promptitudo », qui englobe les qualités de vivacité d’esprit et de rapidité d’action. Les premiers traités commerciaux se l’approprient, inventant à travers lui la « figure sociale de l’efficacité », précise Laurent Vidal. L’Église sacralise cette figure, en l’identifiant à une image d’« humanité complète ». Pour résumer, celui qui est prompt et efficace fait honneur à Dieu, donc à son humanité, quand le lent-paresseux gaspille le temps que Dieu lui a donné, et reste prisonnier de sa part animale. Dit comme ça, ça peut paraître un peu simpliste, mais cette triangulation imaginaire (rapidité-efficience-humanité divine) va servir de charpente culturelle à tout l’Occident, et « couvrir » toutes ses exactions.
Première étape clé, la découverte du Nouveau Monde. Là, de péché contre Dieu, la lenteur devient un péché contre la société, explique l’auteur, spécialiste du Brésil. Stigmatisés pour leur « paresse » par les colons, les Indiens d’Amérique travailleront jusqu’à ce que mort s’ensuive. À dater de cette conquête sanglante, la discrimination, puis la criminalisation de la lenteur-paresse ne cesseront plus (les premières ordonnances pour forcer « vagabonds, comme gens oiseux » à travailler datent de 1566).
Soutenues, même, par des lettrés et des scientifiques : l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, au XVIIIe siècle, dénoncera « l’indolence comme l’état naturel de l’homme sauvage », et la théorie de l’inégalité des races, au XIXe siècle, consacrera l’homme blanc comme idéal de la modernité (civilisé-prompt-efficace-moral-respectueux) et réduira les Noirs, autres grands « paresseux » victimes de la colonisation, « à des corps sensuels et émotifs, incapables de raison ». Cette logique aboutira, conclut Laurent Vidal, aux camps nazis, qui eux aussi parquaient les « paresseux, fainéants du travail du Reich ».
Entre-temps, beaucoup d’images caricaturales auront, il est vrai, façonné les imaginaires — à chaque époque ses « Amish ». Quand le lent du Moyen Âge était représenté par l’escargot — montré poussif et surtout peu ragoûtant : il souillait la Terre de sa bave —, l’Indien sera réduit au hamac, ce « lit pendu en l’air » supposé trahir son inclination « à la fainéante ».
De la Saint Lundi à la samba
C’est au XIXe siècle qu’ont lieu les noces officielles de la vitesse et de l’efficacité. Le Panthéon du Progrès (et du virilisme) s’orne alors d’horloges et de montres-gousset. Afin de faire tourner les ateliers de textile ou de métallurgie à plein régime en limitant les protestations, les propriétaires des fabriques vont engager de véritables croisades éducatives à destination des « lambins », « traînards », « mollassons » et autres « prolétaires » (mots récents), pour les soumettre au rythme accru des machines.
Le nouvel ouvrier devra être « pressé sans précipitation, modéré sans lenteur […] et ménager ses forces de manière à pouvoir faire longtemps ce qu’il fait vite et ce qu’il fait bien » (le « pédagogue » Théodore-Henri Barrau). En résumé, avant que Taylor n’invente le travail à la chaîne, le forçat de l’industrie devra se faire automate, s’il ne veut pas rester un « animal puant ». « Les ouvriers ne seront plus des orangs-outans », protestent, en 1831, les canuts révoltés.
Bien que soumises aussi au fouet, au chronomètre, à la menace de la faim et du fusil, les populations n’ont pas cessé de résister. Si les Indiens du XVIe siècle n’avaient guère à leur portée que le suicide (ils le faisaient par géophagie, en ingérant de la terre), dès le XVIIIe siècle, les peuples d’Europe et d’ailleurs le firent en usant des mêmes outils que leurs despotes : le rythme et le vocabulaire. Les bris d’horloges et autres ralentissements des cadences de travail, jusqu’aux grèves générales paralysantes, rappellent la créativité du « sabotage » (le fait de jeter ses sabots dans la machine pour l’empêcher de fonctionner) et sa solidarité festive.
À partir de 1848, par exemple, la fête du Saint Lundi prolonge au-delà du dimanche le repos hebdomadaire, célébrant joie de vivre et farniente, comme la Saint-Fainéant, une fiesta du pays niçois qui participe aux stratégies de réappropriation du mot « fainéant » (contraction de « fait néant »). Il s’agit alors pour le petit peuple de le reprendre aux bourgeois, qui l’assimilent à « celui qui ne fait rien » et souvent « ne vaut rien » (vaurien), comme le gréviste. Le fai-néant des travailleurs, lui, est bien autre chose : il est « celui, diront les verriers de Carmaux, qui se refuse à agir et à revendiquer, en homme libre, un autre usage de son temps ».
Cette contre-histoire très riche de la modernité aura son pendant dans les arts, et notamment la musique, détaille Laurent Vidal. Pour libérer les corps des cadences répétitives du travail, le jazz, la samba, par exemple, inventeront des rythmes syncopés, doux ou langoureux. En les écoutant, on songe à la longévité invraisemblable de la « promptitudo », plus que jamais vivante avec la déferlante numérique (rapidité-efficience). Et plus que jamais coupable : n’est-elle pas à la source de la Grande accélération climatique [1] ? Alors n’est-il pas urgent de faire la nique à la propagande anti-lenteur toujours à l’œuvre, et de découvrir dans le low (basse consommation) et le slow (lent) une voie privilégiée de résistance, voire de réexistence ? Les Hommes lents nous y invitent en tout cas dans un stimulant tempo moderate.
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https://reporterre.net/Pour-etre-libres-soyons-lents
Suède : la télé au ralenti cartonne
https://www.francetvinfo.fr/culture/tv/suede-la-tele-au-ralenti-cartonne_5800340.html
Dans les pays nordiques comme en Suède, le concept de "slow télé" cartonne. Textuellement, il s’agit de "télévision lente", qui diffuse en temps réel la vie de la nature et des animaux....C’est le programme télévisé qui cartonne actuellement en Suède. La migration des élans en temps réel, 24 heures sur 24, pendant trois semaines
"Le matin, je fais un puzzle, ça m'évite de zoner sur Instagram" le grand retour des jeunes à des "activités de vieux" ....Tricoter, assembler des puzzles, jouer à la belote, aller au loto le dimanche, si vous pensez que ce ne sont des activités réservées au troisième âge, détrompez-vous !
Ralentir pour mieux vivre
La crise énergétique que nous subissons n'a pas été causée par la guerre en Ukraine ou l'invasion de Poutine, comme on le répète si souvent ; bien que la guerre ait contribué à aggraver la situation, l'épuisement des combustibles fossiles et l'épuisement de certains éléments, dont les réserves s'épuisent déjà, ne sont pas nouveaux. Le fait que l'épuisement des réserves naturelles, ainsi que la pollution de l'environnement, incitent à ralentir la consommation et à rationaliser les réserves ne l'est pas non plus.
Depuis la fin des années 1970, de nombreux avertissements ont été lancés sur la nécessité de modérer la croissance de la production. Le pic de production de pétrole était prévu pour 2005, après quoi l'extraction deviendrait économiquement plus coûteuse et la qualité du pétrole obtenu serait moins bonne. Le pic des autres ressources fossiles était prévu pour le charbon en 2014, pour l'uranium en 2016, pour le gaz en 2025, et le pic de l'ensemble des énergies non renouvelables était estimé se matérialiser entre 2018 et 2020. En d'autres termes, la crise énergétique n'a rien de nouveau, indépendamment de l'existence de circonstances imprévues qui pourraient l'exacerber. Antonio Turiel tente depuis longtemps de sensibiliser l'opinion publique à ce sujet.
Les ressources de la planète sont limitées et il faut ajouter à cela le problème de la pollution, du réchauffement de la planète et du changement climatique, facteurs qui, ensemble, constituent une bombe à retardement pour l'avenir de l'humanité si des mesures sérieuses ne sont pas prises. Mais ces mesures ne sont pas prises et l'effondrement se rapproche chaque jour davantage. Pour Carlos Taibo, l'effondrement ne peut qu'être un peu retardé et certaines de ses conséquences atténuées, et malgré le fait que cette menace, dont le déni comme mécanisme de défense aurait pu être un rejet de la mise en œuvre de la décroissance, la réalité est ce qu'elle est.
Si le précédent sommet sur le climat a été pactisant dans ses propositions, l'UE a maintenant reclassé les combustibles fossiles, levé le moratoire sur le charbon et donné la priorité au business as usual. La loi sur le changement climatique et la transition énergétique est, de l'avis des experts, tiède et comporte des points obscurs en raison de la grande quantité de matériaux critiques nécessaires au déploiement massif des systèmes d'énergie renouvelable. Un autre problème est le fait que les énergies renouvelables ne sont pas si vertes.
La Commission européenne s'apprête à renouveler les normes de qualité de l'air, dont l'insalubrité est à l'origine de maladies graves et d'un nombre considérable de décès.
Comme l'a déclaré Antonio Turiel lors du 2e congrès de la Rede para o Decrecemento Eo-Navia, Galiza, O Bierzo, qui s'est tenu le 29 octobre, nous aurons encore de l'énergie, mais pas autant que maintenant, car les énergies renouvelables ne couvriront pas plus de 30 ou 40 % de nos besoins énergétiques actuels. La nécessité de rationaliser l'utilisation de l'énergie, de ralentir la croissance et de modérer la consommation a également été soulignée par Carlos Taibo dans son discours et Serge Latouche dans le document présenté au Congrès. Tous trois ont souligné le caractère insoutenable du modèle de croissance et le fait que nous sommes inévitablement voués au déclin, et que si la répartition des richesses n'est pas équitable, nous serons plongés dans des révoltes sociales, des famines, des violences et des attitudes dictatoriales pour maintenir les privilèges de quelques-uns.
Latouche a souligné qu'en 2010, seules 368 personnes ont accumulé une richesse équivalente au revenu de la moitié de l'humanité, en 2011, elle était entre les mains de 166 personnes ; en 2018, 50% du revenu de l'humanité était accumulé par seulement 8 personnes et en 2021, les 0,1% les plus riches accumulaient 38% de la richesse mondiale
L'avidité ne connaissant pas de limites, l'industrie des combustibles fossiles réalise des bénéfices records alors que l'inflation continue d'asphyxier les citoyens. Les secteurs de l'énergie et de la finance ont même doublé leurs bénéfices. Shell, Total Energies, Eni et Repsol ont accumulé 77,9 milliards d'euros au cours des trois trimestres de 2022, dont 24,6 milliards d'euros au dernier trimestre. Les lobbyistes ont une grande partie du succès, ce n'est pas pour rien qu'Ursula von der Leyen a tenu plus de 500 réunions avec l'industrie des combustibles fossiles ou ses lobbyistes entre décembre 2019 et mai 2022, (selon les Jeunes Amis de la Terre Europe qui travaillent collectivement pour la justice sociale et environnementale au niveau local, national et européen).
La Commission européenne est actuellement sur le point de renouveler les normes de qualité de l'air, dont l'insalubrité est à l'origine de maladies graves et d'un nombre considérable de décès, mais selon des fuites du projet qu'elle proposera au Parlement, ces normes sont inférieures à celles proposées par l'OMS et sont attribuées à la pression des lobbies.
Le totalitarisme et l'éco-fascisme constituent un risque réel dans ce contexte. C'est pourquoi nous devons construire les contours nécessaires à l'établissement de la société du futur, en nous engageant à construire des formes de redistribution collective et en oubliant l'individualisme dépassé. Nous devrons garantir l'accès de tous aux biens rares et limiter le gaspillage par ceux qui peuvent les acheter à n'importe quel prix.
Bien que la décroissance ne nous rende pas nécessairement moins heureux, et que si elle est bien pensée, elle constitue une défense contre l'écofascisme et la tyrannie, comme le dit Latouche, il existe une résistance au choix d'une société alternative ; et ce changement sera provoqué "par la menace ou l'expérience d'une catastrophe, ou que le grand récit pour régénérer la société suscitera une affiliation intellectuelle et sentimentale".
Voyage : mon tour de France en TER en 10 jours
https://www.lesechos.fr/weekend/voyages/mon-tour-de-france-en-ter-en-10-jours-1410855
Voyage : mon tour de France en TER en 10 jours Avec la marche ou le vélo, le train reste encore le moyen le plus vert de voyager. De Paris à Paris en passant par Bordeaux, Marseille ou Strasbourg, récit d'une épopée en TER autour de la France, bercée à l'électricité par les joies de la lenteur.
Censé être indiscutable et à l’origine de la vérité, le fait n’intéresse plus beaucoup. Il s’est fait détrôner par l’émotion et le buzz, soutenus par la toute-puissance des réseaux et s’inscrivant parfaitement dans le monde de l’immédiateté...
Dans la frénésie ambiante où la vitesse est une religion, plusieurs organisations misent sur le temps de la réflexion, voire sa perte, ce qui leur permettra d’en gagner plus tard...Plusieurs organisations tirent la sonnette d’alarme et font l’éloge de la lenteur, de la prise de hauteur, de l’oxygénation...
Près de 4 heures de trajet de train... diffusé en prime time
https://www.lejsl.com/actualite/2019/01/05/pres-de-4-heures-de-trajet-de-train-diffuse-en-prime-time
Plus de 30 000 téléspectateurs espagnols étaient devant le documentaire "El viaje" ("Le voyage"), diffusé mardi soir sur la télévision espagnole Aragon TV. Un voyage de 3h45, sur la ligne de train reliant Saragosse à Canfranc. Un trajet de 218,39 km, filmé en temps réel, depuis la cabine du conducteur, où s'entremêlent les paysages. C'est la première fois qu'un programme de "slow tv" est diffusé en prime time à la télévision espagnole....
En Thaïlande, une ferme-auberge pour un tourisme lent
Face au tourisme de masse débridé qui touche la Thaïlande, Manuel Hubert, un belge, a décidé de faire le pari de la lenteur. Au nord du pays, où il s'est installé avec sa compagne, il constr...
https://mrmondialisation.org/en-thailande-une-ferme-auberge-pour-un-tourisme-lent/
La ville de Boerne, au Texas (Etats-Unis), organise ce samedi 5 mai une course de 0,5 kilomètres, avec une brasserie au départ et une autre à l'arrivée.
Le running pris à contre-pied. Alors que la tendance est au trail et donc à courir des distances toujours plus longues, avec dénivelé et obstacles naturels pour pimenter le tout, une ville texane (Etats-Unis) propose son premier O,5 kilomètre ce samedi 5 mai.
Intitulée "Boerne 0,5k", la course, repérée par Ouest France, est une ode à la flânerie et à la bonne humeur. Pas besoin de programme d'entraînement ni de régime pour cet événement destiné , comme le dit son slogan, au reste d’entre nous.
Déjà maintenant sur les réseaux sociaux, la course donne lieu à toute une série de blagues géniales. Ainsi, l'énumération de ses règles : entre autres, "ne pas courir avec des ciseaux" et "renverser de la bière est un abus d'alcool".
Au départ de la course, les coureurs passeront par la case brasserie et pinte. Et, une fois leur difficile effort réalisé, ils ont auront droit au même remontant... "Si vous pensez que courir 500 mètres d’une traite est trop pour vous, il y a un stand avec du café et des beignets qui se trouve environ à mi-course, pour faire le plein d’énergie", tient tout de même à rassurer l'organisateur de l'événement, Jay Milton.
Si les 500 mètres restent un objectif encore trop élevé, les organisateurs ont prévu une assistance. Contre rémunération (25$ dollars en plus de l'inscription). Non, non, rasurez-vous ils ne distribuent pas d'EPO pour cette modique somme, mais proposent de monter dans un combi Volkswagen !
Derrière cet événement drolatique, aucune escroc. Tous les fonds seront reversés à Blessings in a Backpack, qui fournit de la nourriture aux enfants défavorisés pendant le week-end
..Embarquée au cœur du big-bang numérique, la presse mainstream, telle une poule sans tête, emprunte de plus en plus régulièrement des voies contraires. Celles de l’emballement, de la frénésie, du prêt-à-penser, de l’information manichéenne et cynique, à la fois affolée et affolante, catastrophiste et anxiogène. Prolifération de nouvelles de plus en plus calibrées et uniformes, culte du buzz et du clic, mythe de l’immédiateté, flux continu d’infos insignifiantes ou low cost qui circulent en boucle sur les réseaux sociaux : voilà, en résumé, la tendance lourde du moment. Du court, du clash, de l’approximatif ! Avec, dans ce gigantesque village planétaire désormais rebaptisé « Post-Vérité », son lot de dégâts collatéraux : mémoire à (très) court terme, rumeurs et mensonges en cascade !..
Lassés des robinets à information où une dépêche chasse l'autre, de plus en plus de lecteurs se tournent vers des journaux qui misent sur la lenteur.
Des médias qui ralentissent le tempo pour traiter de l'actualité en profondeur ? Depuis quelques années, les titres proposant à leurs lecteurs de ne pas céder à la course de vitesse que se livrent les supports d'information en continu se multiplient. Les Américains ont appelé cette tendance le « slow journalism ».
Le premier à ouvrir la voie, en France, a été XXI. Cette publication trimestrielle, fondée en janvier 2008 par Patrick de Saint-Exupéry et Laurent Beccaria, a su fidéliser un public de près de 50 000 lecteurs. Dans son numéro d'été (le 31e en sept ans d'existence), sa rédaction se penche sur le « retour à la terre » qu'effectuent, chaque année, des dizaines de citadins à travers l'Hexagone. La revue consacre pas moins de dix pages à ce phénomène qui voit fonctionnaires, commerciaux ou informaticiens lâcher leur emploi pour se lancer dans l'agriculture. Un article d'une longueur inaccoutumée dans la presse française. « Un format qui autorise le temps de l'enquête – aller voir, laisser infuser et revenir – et permet de travailler à contretemps de l'émotion immédiate [...] pour apporter aux lecteurs une information différente, intense, concentrée sur ce qui dure », expliquent les fondateurs du titre dans un « manifeste » intitulé « Un autre journalisme est possible », publié l'an dernier.
À mi-chemin entre les revues traditionnelles et les livres, d'où leur surnom de « mooks » (contraction de magazines et de books), de nombreux titres ont éclos dans le sillage de XXI. Comme France Culture Papiers, dont le premier numéro a paru en février 2012. Réalisée à partir de la retranscription d'émissions radio passées à l'antenne puis éditorialisées, cette revue, initialement éditée par le groupe Bayard, a connu quelques difficultés au printemps dernier. Elle est réapparue dans les kiosques à la mi-septembre après être passée entre les mains des éditions Place des Victoires. À sa une ? Un gros dossier sur l'histoire du djihad qui revient sur cette notion complexe de l'islam et la manière dont elle a été perçue de l'époque des Omeyyades à aujourd'hui.
En juin dernier paraissait Revue du crieur : une coédition de Mediapart et des éditions de La Découverte qui se propose de traiter exclusivement de l'actualité de la culture, entendue au sens large puisqu'elle englobe à la fois littérature, musique, arts visuels, spectacle vivant, médias électroniques et sciences. « Nous entendons réhabiliter le journalisme d'idées. Notre pari est que les lecteurs n'ont jamais eu aussi soif de comprendre et de savoir. Dans un contexte où les événements tragiques s'ajoutent aux impasses politiques, l'exigence de recul et de regards critiques n'a jamais été aussi nécessaire », énonçait avec son lyrisme habituel son cofondateur, Edwy Plenel, lors de la soirée de lancement au 104 à Paris. Le numéro 2, dont la sortie est annoncée pour le 22 octobre, se penchera sur plusieurs questions : « À quoi sert réellement la Villa Médicis ? » et « Comment naît la pensée unique ? ». Tout un programme !
Sur Internet également fleurissent ces temps-ci des titres défendant une autre manière d'envisager le journalisme. Le 21 juin a ainsi ouvert le site theconversation.fr. Cette déclinaison française d'une plateforme australienne, également présente en Grande-Bretagne, aux États-Unis, mais aussi en Afrique du Sud, est le dernier avatar du projet conduit par le journaliste Andrew Jaspan. Sa philosophie est résumée par sa devise : « L'expertise universitaire, le flair journalistique ». Son ambition ? Croiser le regard d'enseignants-chercheurs issus des plus grandes universités du monde et celui, plus immédiat, de professionnels de la presse.
Dirigée par Didier Pourquery, son « antenne » française a déjà publié plus d'une centaine d'articles en quinze jours. Elle dispose d'une bibliothèque d'archives de plus de 32 000 papiers en langue anglaise, dont elle traduit régulièrement une sélection. « Notre modèle est celui d'une association. Notre structure est à but non lucratif. Notre volonté : celle de diffuser au maximum le savoir et l'expertise de nos contributeurs », résume au Point.fr l'ancien directeur du Monde Magazine qui en assure la rédaction en chef. L'équipe de The Conversation (qui compte six permanents) se félicite ainsi du succès rencontré par un article consacré, la semaine dernière, à l'invasion de nos cours d'eau par le « goujon asiatique ». Une étude scientifique, signée par un chercheur de l'Institut de recherche pour le développement consultée plus de 600 000 fois en sept jours et copieusement... reprise par des sites d'information depuis lors.
D'ici un mois, un nouveau site d'information, créé par une équipe de transfuges de Libération doit ouvrir sous l'enseigne lesjours.fr. Son leitmotiv ? « Face au torrent des infos éphémères, ce nouveau média creusera ses obsessions au cœur de l'actualité et ne les lâchera pas, défendant un journalisme singulier, curieux, tenace, emmené par des têtes de pioche ». Le « slow journalism » a de beaux jours devant lui.
Une presse qui ne se presse pas
Des médias qui ralentissent le tempo pour traiter de l'actualité en profondeur ? Depuis quelques années, les titres proposant à leurs lecteurs de ne pas céder à la course de vitesse que se li...
http://www.lepoint.fr/medias/une-presse-qui-ne-se-presse-pas-14-10-2015-1973337_260.php