pharaons.. pour l'éternité

Publié le par ottolilienthal

comment une éclipse solaire totale a fait vaciller un empire...

L'évènement rarissime a complètement bouleversé les croyances religieuses du pays. Après lui, le soleil a brutalement changé de place dans le culte égyptien...

En Égypte antique, le soleil n'était pas seulement un corps céleste, il incarnait l'ordre divin. On le retrouvait notamment en Râ, dieu créateur qui parcourait le ciel dans sa barque solaire, et en Horus, le dieu de la royauté et du ciel. Tous deux jouaient un rôle central à la fois dans le façonnement de la cosmologie et dans l'autorité royale égyptienne.

Pourtant, même si ces dieux représentaient à la fois la force vitale et le pouvoir inébranlable de la royauté divine, un événement datant de 2471 av. J.-C. est venu complètement chambouler ces traditions anciennes. Sous le règne du pharaon Chepseskaf, une éclipse solaire totale a provoqué une obscurité diurne sur toute l'Égypte. Cet évènement n'était pas anodin, mais le symbole, selon les Égyptiens, d'un message divin ou d'un avertissement inquiétant, relate le site Daily Galaxy.

Après l'éclipse, le dernier pharaon de la IVe dynastie a alors rompu radicalement avec ces traditions. Enlevant le suffixe «Râ» de son titre royal, ce qui marque une rupture sans précédent, il décide aussi d'abandonner la construction des pyramides. Ces tombeaux étaient pourtant fortement associés aux pharaons (ces derniers étant perçus comme la manifestation de Râ sur Terre) et soigneusement alignés sur les événements célestes et le symbolisme solaire.

Ainsi, le pharaon Chepseskaf fut enterré dans une tombe connue aujourd'hui sous le nom de Mastaba el-Faraoun et située, non pas à Gizeh, ni alignée avec Héliopolis, l'épicentre religieux du culte solaire, mais loin au nord. Sa tombe se trouve près de Bouto, un important centre religieux traditionnellement associé à la Basse-Égypte et à des divinités comme la déesse Ouadjet.

Le mystère enfin levé

Pour nombre de chercheurs, ce changement notable dans les traditions était pourtant resté un mystère. De nouvelles analyses astronomiques ont finalement permis de lever le voile sur les raisons de ce chamboulement religieux. Giulio Magli, archéoastronome à l'École polytechnique de Milan, a utilisé des calculs modernes pour retracer les trajectoires d'anciennes éclipses solaires.

Il a ainsi découvert que l'éclipse de 2471 av. J.-C. aurait provoqué une obscurité diurne sur toute l'Égypte particulièrement impressionnante. Les textes de l'Égypte antique n'offrent pourtant que de vagues allusions à ce type de phénomènes. La stèle de Houy, par exemple, parle d'«obscurité pendant le jour».

Les pratiques religieuses ne sont pas restées figées à la suite de cette éclipse. La Ve dynastie égyptienne a vu s'opérer un renouveau dans l'adoration solaire. Les pharaons ont alors repris la construction de pyramides et ont également érigé des Temples du Soleil distincts, dédiés spécifiquement aux divinités solaires. Bien que plus modestes que leurs homologues de la IVe dynastie, ces structures ont néanmoins marqué un retour au culte du soleil.

Près d'un millénaire plus tard, une autre éclipse totale a balayé l'Égypte sous le règne d'Akhenaton en 1338 av. J.-C. Ce pharaon est connu pour avoir promu Aton, le disque solaire, et a largement adopté les symboles de notre étoile, et ce, malgré une expérience similaire à celle vécue par Chepseskaf.

Elena Gillet

https://www.slate.fr/sciences/egypte-antique-eclipse-solaire-empire-culte-religieux-soleil-pyramide-temple?

Trappes, tunnels, mécanismes… Que cachent vraiment les grandes pyramides ?...

Spécialiste de l’architecture de l’époque pharaonique, Franck Monnier consacre un livre aux « dossiers mystérieux de l’Égypte ancienne »...

La civilisation égyptienne de l'époque pharaonique suscite bien des fantasmes. Nombre de livres évoquent les secrets dont elle aurait été détentrice, en matière scientifique notamment. Ses imposants monuments inspirent régulièrement les thèses les plus farfelues : la plus récente étant peut-être l'idée, remise au goût du jour par le rappeur Gims, que les pyramides dissimulent un dispositif capable de produire de l'électricité !

Loin de moquer ces théories surprenantes, l'égyptologue Franck Monnier leur consacre un livre sérieux et documenté pour tenter de les comprendre. Comment sont-elles nées ? Et, surtout, pourquoi continuent-elles de prospérer ? En examinant ces questions, l'auteur nous permet de sonder la magie qui entoure l'histoire et le patrimoine égyptien. Entretien sur les dossiers les plus mystérieux de l'Antiquité.

Le Point : Comment l'ingénieur et égyptologue que vous êtes en est-il venu à se pencher sur ce que l'on appelle traditionnellement « l'archéologie fantastique » ?

Franck Monnier : C'est tout simplement que, à l'adolescence, lorsque j'ai commencé à me passionner pour l'égyptologie, je me suis assez vite trouvé face à ces livres qui défendaient des théories plus marginales. Et certaines d'entre elles me fascinaient. Elles aussi, d'une certaine manière, ont contribué à nourrir mon intérêt pour la civilisation pharaonique.

 

De là à y consacrer un ouvrage, quand on est associé à un programme de recherche du CNRS, il y a un sacré pas…

Certains balaient le problème en se moquant des pseudosciences, notamment parce qu'elles postulent l'existence de civilisations anciennes technologiquement très avancées. Le nombre de publications qui y sont consacrées et surtout leur succès dans l'opinion publique doivent nous obliger au contraire à les prendre au sérieux ! Je ne méprise pas ceux qui croient à l'existence de l'Atlantide, de Mû ou bien d'autres choses. Il faut avant tout comprendre sur quoi reposent ces idées et faire en sorte d'attirer l'attention sur les faits, faire en sorte de les rendre aussi intéressants.

Votre livre examine plusieurs légendes, dont l'une prétend qu'existeraient des labyrinthes sous les pyramides. D'où vient ce mythe ?

 

Cette histoire remonte à très longtemps. L'un des textes que j'ai repérés et qui évoque l'existence de cavités secrètes, emplies d'or, date du XVIIe siècle. Ce document rare, qui s'intitule le Livre des perles enfouies et du mystère précieux, fourmille d'indications pour débusquer des trésors. On trouve aussi des récits plus anciens affirmant l'existence de richesses et de souterrains dans les grands monuments égyptiens : au Xe siècle chez El-Maçoudi ou encore au XVe siècle avec la Description topographique et historique de l'Égypte d'Al-Maqrîzî.

Les pillages de tombes royales ont commencé dès l'Antiquité !

Effectivement, et les galeries creusées par ces pilleurs ont sans doute titillé l'imagination des générations suivantes.

Tous les tunnels figurant sous les pyramides ne sont pas uniquement l'œuvre de voleurs. Des trappes ouvrent des espaces à l'intérieur même du Sphinx. De quoi s'agit-il ?

Il existe plusieurs cavités dans ce monument. L'une d'elles est située dans la tête du Sphinx, condamnée par une trappe métallique située au sommet de son crâne. Les premiers à l'évoquer sont Thomas Shaw et Richard Pococke en 1721 et 1743. Disons-le tout de suite : c'est un boyau qui ne mène nulle part. Il s'agit probablement d'une mortaise ayant eu pour fonction d'accueillir le tenon d'une couronne. La trappe a été installée vers 1926 par le Français Émile Baraize lors de la rénovation du Sphinx.

Est-ce la seule trappe de ce type ?

Non. Une deuxième trappe sur le dos du Sphinx ouvre sur un puits maçonné dont l'origine est, là encore, récente. Ce trou est, en réalité, une fissure naturelle qui s'est formée au fil du temps au niveau des reins de la créature. On pourrait aussi évoquer le trou creusé au niveau des épaules par le colonel Howard Vyse en 1837 pour sonder l'édifice ou encore une sape à l'arrière du Sphinx probablement creusée par des pillards désireux d'explorer les flancs du monument.

Aucune de ces ouvertures n'ouvre donc sur des chambres secrètes ?

Malheureusement pas.

 

Pas davantage de boyau secret reliant le Sphinx aux pyramides voisines ?

Non. Si l'on creusait, on tomberait de toute façon rapidement sur la nappe phréatique, comme le montre le puits d'Osiris, toujours inondé.

Elles existaient avant qu'on ne les découvre. Ce sont les chambres funéraires qui sont restées très longtemps hors d'atteinte. Les pyramides sont avant tout des tombeaux, quoi qu'en disent certains… Ces chambres ont été explorées et découvertes très tôt si l'on en juge par les passages creusés au IXe siècle, sous le règne du calife Al-Mamoun.

En 1837, le colonel Vyse n'hésitait pas à faire usage d'explosif pour atteindre des galeries et des pièces dont il supposait l'existence. Comme trace de son passage, il a laissé un trou béant dans la face sud de la grande pyramide. Cette méthode radicale l'a conduit à découvrir des espaces de décharge au-dessus de la chambre du roi.

Les technologies les plus récentes n'en ont pas moins permis de repérer de nouveaux espaces inconnus. De quoi parle-t-on ?

Depuis 2016, une équipe de scientifiques du programme ScanPyramids [dirigé par Mehdi Tayoubi, président de l'Institut Heritage Innovation Preservation, et Kunihiro Morishima, physicien et professeur à l'Université de Nagoya, NDLR] a détecté une cavité inconnue grâce à une technique non invasive : la muographie, une technologie qui utilise les rayons cosmiques pour sonder des volumes pleins situés à la surface de la Terre. Cette cavité couverte d'une voûte en chevrons est probablement un espace de décharge, c'est-à-dire un dispositif soulageant la pression exercée par la pyramide sur le passage qui se situe en dessous.

L'idée selon laquelle des pièges et des mécanismes sophistiqués seraient cachés dans ces pyramides ne repose donc sur rien ?

En fait, si… en partie. La littérature et le cinéma hollywoodien ont contribué à magnifier l'image que l'on peut se faire de dispositifs bien réels : des herses de fermeture et des blocs coulissants actionnés par d'ingénieux dispositifs enclenchés par du sable. Sur le plan technique, ce sont des systèmes très sophistiqués pour l'époque.

Le dispositif que vous évoquez, c'est le système de piston décrit dans le film « La Terre des pharaons », d'Howard Hawks (1955), où Joan Collins se fait enfermer dans la pyramide ?

Exactement. L'écoulement du sable à travers des boyaux d'évacuation permet d'abaisser des dalles très lourdes qui viennent sceller les appartements funéraires. Le film, dont le réalisateur avait été conseillé à l'époque par l'égyptologue Jean-Philippe Lauer, présente une version hollywoodienne de ce dispositif. La pyramide y est remplie de mécanismes. Les pierres s'abaissent très rapidement et de manière automatique. En réalité, cela devait prendre beaucoup de temps et être accompli avec un maximum de précautions.

Vous n'êtes pas le seul à avoir été séduit par des récits d'archéologie fantastique. Un autre grand chercheur a fait comme vous : Mark Lehner !

Et il le reconnaît lui-même. Quand il était étudiant, il défendait des théories alternatives sur l'origine des pyramides. Il était à l'époque fasciné par un personnage singulier : Edgar Cayce (1877-1945), une sorte de mystique américain qui prétendait apporter des réponses sur toutes sortes de sujets en entrant dans un état de transe. Cela n'a pas empêché Lehner de devenir par la suite l'un des plus grands spécialistes de la civilisation égyptienne, aux côtés de Zahi Hawass.

 

Ce qui ressort de votre livre, c'est que plus c'est gros, plus ça passe… L'idée que les pyramides puissent produire de l'énergie selon la fumeuse « théorie des ondes de formes » a fait florès.

C'est que ces théories sont enchanteresses. Elles prospèrent par ailleurs sur un terreau fertile qui mêle une certaine ignorance – la majorité des gens ne connaît pas grand-chose à l'égyptologie –, et la remise en cause des institutions. La critique des figures d'autorité traditionnelles, dont font partie les institutions de recherche, ne relève d'ailleurs pas seulement de personnes peu éduquées. Je connais des gens très diplômés qui adhèrent à des idées douteuses, prétendant qu'une civilisation ancienne d'origine extraterrestre aurait régné sur l'Égypte.

Il faut dire que, sur les réseaux sociaux, les articles fantaisistes pullulent.

Le nombre de ces publications est impressionnant. Les travaux scientifiques sont quant à eux noyés et perdus dans cet océan d'informations, voire de désinformation. Il devient de plus en plus compliqué de trouver des propos sérieux et solides sur le Net. Les internautes s'arrêtent le plus souvent sur les photos et les publications percutantes. Les premières impressions et les avis personnels s'installent comme des faits ou des preuves.

 C'est par exemple ce qui s'est produit avec les inscriptions hiéroglyphiques du temple de Sethi Ier à Abydos, reproduites dans mon livre. Lorsque vous les voyez pour la première fois, vous pouvez avoir l'illusion qu'il s'agit d'une soucoupe volante et d'un hélicoptère, à condition d'y avoir été préparé. En réalité, ce sont des inscriptions hiéroglyphiques légèrement abîmées par le temps, que l'on parvient parfaitement à traduire, et qui n'ont rien à voir avec des véhicules volants. Comme l'a dit Aldous Huxley : « Choisir arbitrairement une intuition comme étant correcte ne résout pas le problème » !

 

Propos recueillis par

https://www.lepoint.fr/science/objets-insolites-trappes-mysterieuses-chambres-secretes-tunnels-enigmatiques-ce-qu-on-ne-vous-a-jamais-dit-sur-les-grandes-pyramides-15-03-2025-2584811_25.php

 

 

Esclavage dans l'Égypte ancienne : la Bible dit-elle vrai ?

Selon l’égyptologue Damien Agut-Labordère, « il faut s’affranchir des images biblico-­hollywoodiennes » avant d’examiner ce sujet particulièrement sensible.

Mésopotamie, Athènes démocratique, Rome républicaine… Ces civilisations, qui furent parmi les plus brillantes de l'Histoire, eurent recours à l'esclavage pour ­assurer leur bon fonctionnement et garantir leur existence. Mais qu'en est-il de l'Égypte ancien­ne ? A-t-elle elle aussi été concernée par l'esclavage et, si oui, sous quelle forme ? Damien Agut-Labordère, égyptologue, épigraphiste, spécialiste de l'écriture démotique et de l'histoire du Ier millénaire avant notre ère, nous éclaire sur cette réalité.

Le Point : Dans « Les Mondes de l'esclavage », ouvrage paru en 2021 sous la direction de Paulin Ismard (Le Seuil), l'Égypte ancienne n'est pas mentionnée. Est-ce à dire que cette société n'était ni esclavagiste ni à esclaves, comme celles de la Grèce ou de la Rome antique, pour reprendre la terminologie de l'historien Moses I. Finley ?

Damien Agut-Labordère* : Selon Finley, l'économie des sociétés esclavagistes reposait précisément sur les esclaves. Les sociétés à esclaves comportaient différentes formes de servitude, mais leur structure ne dépendait pas des esclaves. Une question se pose : qu'appelons-nous esclavage ? Je me souviens du premier colloque auquel j'ai assisté en 2001 en tant que tout jeune doctorant sur le sujet. Dès le premier jour, à midi, tout le monde se battait déjà en brandissant sa propre définition ! Je crois qu'il faut accepter l'idée que c'est une notion assez flottante. Concernant l'Égypte, on doit d'abord reconnaître qu'on ne peut pas affirmer que l'esclavage existait, d'autant plus qu'on parle d'une civilisation qui s'étend sur trois millénaires. La société de l'époque pharaonique qui voit construire les pyramides est très différente de celle du premier millénaire, par exemple. Ce qui ne nous empêche pas de disposer de documents parfois révélateurs. Ainsi, un groupe de contrats, datés entre le VIIIe et le VIe siècle avant J.-C., atteste la vente de personnes nommées bak. Normalement, ce terme se traduit par « serviteur » mais ici, ces derniers peuvent être vendus. On dispose également d'un autre texte sur une jeune femme syrienne qui faisait l'objet d'un contentieux commercial entre deux Égyptiens, dans ce qui s'apparenterait à de l'esclavage domestique. Mais cela reste très épars.

 

Pourtant, dans l'Ancien Testament, les Hébreux ne sont-ils pas présentés comme les esclaves de Pharaon, et Moïse comme un « briseur de chaînes » ?

Si l'on prend le tout début du livre de l'Exode, il est dit qu'on impose aux Hébreux « des travaux forcés » et qu'ils durent bâtir pour Pharaon les villes de Pithom et de Ramsès. D'après cette référence, on aurait donc affecté les Hébreux à la construction de villes entre le XIIe et le XIe siècle avant J.-C. On sait que, durant cette période d'expansion, les Égyptiens opérèrent des razzias et des pillages au Levant, en Syrie ou en Palestine. Les Hébreux faisaient partie des populations déplacées… C'est un moment très précis de l'histoire égyptienne qui a eu un énorme impact dans la mémoire collective des Hébreux et dont le souvenir a été fixé bien plus tard. Mais nous ne disposons pas de documents qui nous permettraient de savoir avec certitude quel était le statut juridique de ces captifs.

On a du mal en croire, en observant le gigantisme des pyramides, que ces travaux ont été réalisés par de simples ouvriers. Des historiens grecs comme Hérodote ou Diodore de Sicile suggèrent qu'elles furent construites au prix d'un labeur inhumain.

Oui, mais il ne faut y voir aucun regard moral de la part de ces deux historiens, qui n'étaient pas animés par un sentiment d'empathie pour ceux qui se chargeaient de telles tâches. Votre question permet surtout de souligner l'un des principaux écueils des hypothèses de Finley. Le travail servile n'est pas, le plus souvent, un travail qualifié. Dans le cas des pyramides, il est parfaitement illusoire de croire que des travaux architecturaux de cette ampleur et de cette complexité aient pu être menés à bien uniquement par des esclaves. Nous disposons à ce propos d'un document extraordinaire, le Journal de Merer, découvert en 2013 par l'égyptologue français Pierre Tallet. C'est un texte administratif du IIIe millénaire qui répertorie les activités quotidiennes des travailleurs ayant participé au transport de blocs de calcaire vers la pyramide de Khéops. On sait que les ouvriers étaient très bien payés, qu'ils avaient des compétences bien précises et qu'ils pouvaient tout à fait se mettre en grève en cas de conflit. C'est ce que nous montre notamment un papyrus qui fait état d'une grève sous Ramsès III, aux environs de 1166 avant J.-C. Des ouvriers qui travaillaient sur la nécropole royale ont cessé le travail pour protester contre la mauvaise qualité des rations alimentaires. Il faut s'affranchir des images biblico-hollywoodiennes sur l'esclavage en Égypte. On s'imagine qu'il fallait mobiliser des milliers de personnes pour de tels chantiers, ce qui ne va pas de soi. D'une manière générale, on sous-estime les capacités extraordinaires de ces sociétés préindustrielles, qui vivaient dans un monde très pauvre en énergie. Chaque effort était pesé, mesuré. Il fallait rentabiliser le geste. Les ouvriers qui sont intervenus sur les pyramides étaient beaucoup moins nombreux et beaucoup plus qualifiés qu'on ne le pense.

Donc pas d'esclavage en Égypte ? Pas même pour assurer les travaux agricoles ?

Sans doute l'extraction des minéraux, en particulier de l'or, était-elle réalisée par des captifs. Le témoignage d'Agatharchide de Cnide, un géographe qui a vécu à la fin du IIe siècle avant J.-C., décrit des conditions de travail terribles dans des mines du désert oriental de Nubie. Les archéologues qui ont exploré ces sites ont conclu que des enfants devaient très probablement y intervenir. Quant au travail agricole, il était assuré principalement par des villageois. Il y avait 7 000 à 8 000 villages en Égypte, et la production qu'ils tiraient de leurs cultures, que ce soit le blé, le vin, le bétail ou l'huile, constituait une part de l'impôt qu'ils versaient au roi ou au temple. Ces villageois maîtrisaient à la perfection leur mode de production et les ressources de leur terre. On sait que le temple d'Amon à Thèbes pouvait recevoir des prisonniers de guerre par donation royale et que ces derniers pouvaient être affectés à des travaux agricoles. Mais personne n'avait intérêt à transformer les paysans égyptiens expérimentés en esclaves. Le rendement devait être au rendez-vous, ce qui n'aurait pu être le cas avec des esclaves, et le collecteur d'impôts avait aussi des comptes à rendre.

* Dernier ouvrage paru, qu'il a écrit avec Juan Carlos Moreno Garcia : L'Égypte des pharaons. De Narmer à Dioclétien, 3150 av. J.-C.-284 apr. J.-C. (Belin, collection « Mon­des anciens », 2016, 608 p., 49 €).

19 juillet 1799. Le jour où un Français découvre la pierre de Rosette

C'est par un pur hasard qu'un lieutenant a découvert durant la campagne d'Égypte de Bonaparte la pierre qui permit de décoder les hiéroglyphes.

 

Aujourd'hui, la pierre de Rosette qui a permis à Champollion de décrypter les hiéroglyphes trône au British Muséum. Et pourquoi pas au musée du Louvre alors qu'elle a été découverte par les soldats français lors de la campagne d'Égypte de Bonaparte ? C'est que ces fichus Anglais nous l'ont volée.

Le 1er juillet 1798, l'armée française débarque à Alexandrie avec l'intention de s'emparer de la région pour couper aux Britanniques la route des Indes. Mais Bonaparte qui appartient à l'Académie des sciences a amené avec lui de nombreux scientifiques. Alexandrie est rapidement occupée. L'armée révolutionnaire marche alors sur Le Caire. Pour se protéger d'un débarquement anglais, Bonaparte ordonne la restauration d'une forteresse protégeant la cité de Rosette située dans le delta du Nil. Un détachement du génie s'y emploie.

Le 19 juillet 1799, les sapeurs mettent au jour une grande pierre noire et brillante. Le lieutenant Pierre-François Xavier Bouchard qui surveille les travaux s'approche avec curiosité et constate qu'elle porte un long texte gravé. Ce jeune officier avait bénéficié d'une bonne instruction. Aux côtés de Nicolas Conte (l'inventeur du crayon à mine), il avait mis au point un procédé de production d'hydrogène pour gonfler les ballons aérostatiques. Ceux-ci avaient été utilisés pour la première fois comme plate-forme de surveillance lors de la bataille de Fleurus. L'expédition égyptienne en avait emporté un avec elle sans jamais s'en servir. 

Revanche des savants français

Bouchard constate que la face gravée de la mystérieuse dalle noire contient trois écritures complètement différentes. Dans la partie supérieure, il reconnaît des hiéroglyphes. Au centre, les lettres lui sont inconnues. Mais dans la partie inférieure, il reconnaît parfaitement du grec ancien. Son supérieur, le général Daunou fait traduire le paragraphe grec qui évoque la grandeur d'un roi Ptolémée. La dernière phrase est la plus intéressante. Elle indique que les deux autres paragraphes sont la traduction de ce texte en langue sacrée (les hiéroglyphes) et en langue vernaculaire (le démotique). Voilà donc un fabuleux dictionnaire pour enfin décrypter les hiéroglyphes.

La nouvelle de la découverte de la stèle est aussitôt transmise à l'Institut d'Égypte tout juste installé au Caire. Les savants qui y siègent missionnent immédiatement le jeune lieutenant pour la leur apporter par le Nil. Bonaparte a juste le temps d'y jeter un coup d'œil avant de regagner en catamini la France. Nicolas Conte trouve une méthode pour utiliser la pierre de Rosette comme une pierre d'imprimerie, ce qui permet d'en faire plusieurs copies sur papier qui seront rapportées à Paris. Le général Menou, qui a pris la tête de l'armée après la fuite de Bonaparte, se rend finalement aux Anglais le 30 août 1801.

Un bras de fer s'engage alors entre les Français et les Britanniques au sujet des nombreuses découvertes scientifiques faites par les savants français. Finalement, ces derniers peuvent emporter leur butin archéologique à l'exception de la pierre de Rosette confisquée par le général commandant des forces britanniques. C'est ainsi que celle-ci se retrouver à Londres. Une course s'engage alors pour décrypter les hiéroglyphes au moyen de ce dictionnaire en pierre. C'est là où les savants français prendront leur revanche, en gagnant la deuxième bataille d'Égypte. Après 20 ans de travaux, Jean-François Champollion est le premier à découvrir le secret des hiéroglyphes. À savoir que les petits dessins utilisés par les Égyptiens n'ont pas qu'une seule interprétation. Ils désignent parfois un objet, parfois des lettres.

 

Par ,

 

https://www.lepoint.fr/c-est-arrive-aujourd-hui/19-juillet-1799-le-jour-ou-un-francais-decouvre-la-pierre-de-rosette-19-07-2018-2237420_494.php?M_BT=6286141392673#xtor=EPR-6-[Newsletter-Matinale]-20220719-[Article_8]

La dague de Toutankhamon a bien été forgée dans une météorite métallique

Depuis des lustres, les guides du musée du Caire racontent que sa lame est d'origine céleste. Une récente étude vient de le confirmer.

 

 

Quand, en 1925, Howard Carter découvre la momie de Toutankhamon dans son ultime sarcophage, il découvre deux dagues, dont une plaquée contre sa cuisse. C'est une magnifique arme d'apparat longue de 34,2 cm. Elle est constituée d'un manche en or ouvragé, surmonté d'un pommeau de cristal de roche. Mais ce qui stupéfie l'archéologue et tous ceux qui l'accompagnent, c'est la lame ! Une lame en fer, absolument pas rouillée – hormis quelques rares endroits – malgré un âge de 3 300 ans. Bigre ! Incroyable ! Stupéfiant ! D'autant plus que les Égyptiens de cette époque ne maîtrisaient absolument pas le fer. Ils se contentaient depuis le IVe millénaire avant notre ère de façonner le bronze, le cuivre et l'or, plus malléables. Les premières mines de fer dans la vallée du Nil n'ont pas été exploitées avant le premier millénaire avant notre ère.

Howard Carter rappela alors que les prêtres égyptiens prétendaient que le fer utilisé était d'origine céleste pour permettre au jeune roi de rejoindre le royaume des cieux. Il fallait prendre ces déclarations sacerdotales au pied de la lettre. Un document diplomatique pharaonique mentionne, justement, un cadeau royal en fer reçu par le grand-père de Toutankhamon de la part du roi de Mitanni. Du reste, les anciens Égyptiens attribuaient davantage de valeur au fer qu'à l'or ! Par ailleurs, les historiens de la métallurgie ont fourni depuis longtemps la preuve que les premiers objets en fer trouvés en Égypte et au Proche-Orient ont une origine météoritique. Le plus ancien date même de 5 200 ans. Pour le savoir, il suffit d'analyser la composition du fer. Celui qui tombe du ciel possède bien plus de nickel que celui extrait du sol. Aucun objet en fer façonné avant le XIXe siècle ne contient plus de 4 % de nickel, alors que les météorites en fer en contiennent entre 5 % et 35 %.

Spectrométrie de fluorescence des rayons X

Daniela Comelli (École polytechnique de Milan), Massimo d'Orazio (université de Pise) et Mahmud el-Galwagy (musée du Caire) ont donc fait analyser la lame de la dague de « Tut » avec un nouveau procédé non destructeur de matière, appelé la spectrométrie de fluorescence des rayons X*. Bingo ! Celle-ci contient 10,8 % de nickel, ce qui est très élevé, mais aussi 0,58 % de cobalt. Ce qui leur permet d'affirmer avec une grande confiance que la lame a effectivement été taillée dans une météorite.

On n'a plus qu'à prier qu'un fou ne se mette pas en tête de prétendre qu'elle a été taillée par des extraterrestres ! En égyptologie, on a tout vu.

 

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