l'envers du bio
Abusés par l’étude d’une ONG liée au lobby bio, certains médias alertent sur le « danger » qu’il y aurait à consommer des fruits et des légumes. Une aberration.
« Hausse des résidus de pesticides : peut-on continuer à consommer des fruits et des légumes ? » s'interrogeait très sérieusement, samedi 28 mai, un grand quotidien régional, dernier d'une interminable série d'articles et d'émissions télévisées ayant déferlé sur les ménagères françaises, en ce long week-end de l'Ascension. Une étude, nous alertait-on, réalisée par l'ONG Pesticide Action Network Europe et parue le mardi 24 mai, prouverait que les résidus de pesticides dangereux « explosent » dans les vergers européens. La preuve ? Près d'un échantillon sur trois (29 %) était contaminé par « des traces de pesticides chimiques » (sic) en 2019, contre 18 % en 2011.
Dans la foulée, un grand quotidien vespéral examinait une étude américaine, parue en janvier dans la revue Environment International, mais restée confidentielle, selon laquelle « les résidus de pesticides pourraient annuler le bénéfice sanitaire des fruits et des légumes ». Panique dans les étals des maraîchers et dans les cuisines françaises ! Panique, surtout, chez les médecins de santé publique, qui se battent au quotidien pour convaincre leurs patients de consommer davantage de fruits et de légumes, meilleurs alliés de la lutte contre le cancer et contre l'obésité. Des mois d'efforts ruinés, en un seul long week-end…
Rassurons tout de suite le lecteur du Point : les études citées ad nauseam dans la presse ces jours-ci n'ont rien révélé du tout (nous allons l'expliquer.) En revanche, elles surgissent dans un contexte qui mérite d'être détaillé : après des années de croissance ininterrompue (avec un pic de + 23 % en 2018), les ventes de produits bio sont en forte baisse, ayant reculé de 3 % en 2021 dans la grande distribution, les enseignes spécialisées subissant elles aussi des pertes. La flambée inflationniste accompagnant la guerre en Ukraine ne fait qu'accentuer la tendance, pour une raison évidente : les produits bio, en moyenne 50 % plus chers que les produits conventionnels, deviennent hors de portée des bourses des ménages, déjà étranglés par l'augmentation du coût de l'énergie.
Et la tendance devrait durer, puisque le surcoût observé sur les produits bio ne disparaîtra pas : il vient du mode de production en lui-même, « qui nécessite plus de main-d'œuvre et peut présenter des rendements plus faibles », notait dans un rapport récent le Haut-Commissariat au Plan, précisant qu'aujourd'hui, « le panier de fruits et de légumes bio (90,78 euros) est presque deux fois plus cher que son homologue en conventionnel (49,95 euros) ».
D'où l'offensive lancée récemment par le lobby du bio, rassemblé au sein de l'ONG PAN-Europe, une petite structure qui fut longtemps présidée par le leader français du lobby Générations futures, et financée, via ses membres, par l'ensemble des industriels de la filière : Biocoop, Synabio, etc., de même que les acteurs de la grande distribution, pour lesquels le développement du bio constitue le seul réservoir de marges dans un marché de l'alimentation atone (le groupe Carrefour vise 5 milliards de chiffre d'affaires dans le bio en 2022). Et complaisamment relayée par une presse française reprenant sans le moindre recul ces deux « études » pourtant totalement aberrantes.
La presse audiovisuelle, pour laquelle elle était formatée, s'est ruée sur la première, réalisée par PAN-Europe, et « révélant » qu'un tiers des fruits et des légumes produits sur le continent seraient totalement « contaminés » par des pesticides placés sur la liste des « candidats à la substitution » par l'Union européenne, sous-entendus : extrêmement dangereux. Titres alarmistes, chiffres terrifiants : « Autant ne plus en manger », en ont sans nul doute conclu des centaines de téléspectateurs et d'internautes.
L'étude, pourtant, est un modèle de manipulation. Elle se base sur les données très officielles de contrôles réalisés chaque année par les autorités sanitaires indépendantes d'Europe, qui analysent un échantillon représentatif de produits consommés. Selon PAN-Europe, les pesticides potentiellement problématiques (et pour lesquels on recherche, donc, une alternative) sont de plus en plus utilisés : on en retrouvait des traces dans 21 % des échantillons en 2019, contre seulement 14 % en 2011 ! Affolant, non ?
En réalité, non. D'abord, parce que ces « traces » relevées n'apportent aucune information. Le seuil retenu par l'ONG est celui de la « limite de détection », c'est-à-dire la plus petite quantité fournissant un signal, fixée par défaut à 0,01 mg/kg de matière analysée. Un seuil administratif, qui ne dit rien des effets sanitaires : le seuil sanitaire de toxicité évalue, lui, le risque pour la santé, sur la base de tests toxicologiques effectués sur les animaux. Les traces de fludioxonil, par exemple, fongicide le plus retrouvé dans les kiwis, selon PAN-Europe, sont autorisées par la réglementation européenne (sur les kiwis) jusqu'au seuil de 15 mg/kg… Soit 1 500 fois la valeur de détection retenue par l'ONG. En estimant que certains de ces produits sont suspectés d'être des perturbateurs endocriniens, les seuils sanitaires ne s'appliqueraient pas.
Une opinion âprement débattue dans la communauté scientifique, et qui ne peut en aucun cas être généralisée à toutes les molécules… On s'étonnera d'ailleurs que la même association ne s'alarme pas des traces de médicaments et d'hormones œstrogéniques, legs de la consommation de pilule, retrouvés dans l'eau du robinet. Les autorités sanitaires indépendantes, quant à elles, considèrent comme « peu probable » que le fludioxonil soit un perturbateur endocrinien.
Qu'importe, le doute est jeté. L'étude ne s'étend pas, curieusement, sur les nombreux échantillons retrouvés « contaminés » au cuivre, une substance massivement utilisée en agriculture biologique et candidate, elle aussi, à la substitution (soupçonnée d'être génotoxique, elle s'accumule dans les sols et dans l'organisme). Tout comme elle omet de préciser certaines statistiques. Ainsi, les lecteurs ne sauront pas que, si 741 pommes sur 2 013 testées contenaient des résidus de pesticides, 2,1 % seulement dépassaient les limites maximales de résidus. Ils ne sauront pas non plus, donnée pourtant essentielle, que les ventes de substances les plus préoccupantes (appelées CMR, pour cancérogène, mutagène ou reprotoxique) ont respectivement baissé, depuis 2010, de - 79 % pour les substances classées CMR 1 (dont les effets sont avérés), et de - 39 % pour celles classées CMR 2 (dont les effets sont seulement suspectés).
Qu'en conclure ? Au vu des données objectives, que la situation s'améliore, et qu'il n'y a pas le moindre problème avec les pommes : les Français peuvent s'en régaler sans craindre pour leur santé. La consommation de pommes conventionnelles n'annulera d'ailleurs pas les effets de leur consommation de bio, comme le prétend – faussement – la deuxième étude, complaisamment relayée, elle aussi, sans le moindre recul.
Celle-ci, conduite par une équipe de chercheurs des départements de nutrition, d'épidémiologie et de santé environnementale de l'université Harvard, suggérerait « que la présence de traces de pesticides sur les fruits et les légumes est susceptible d'annuler les bénéfices de leur consommation pour la santé ». Un résultat obtenu en suivant trois grandes cohortes épidémiologiques regroupant 160 000 Américains.
Mais cette étude, contrairement à ce qu'a rapidement laissé entendre la presse française, n'a rien prouvé du tout, et sa méthodologie extrêmement fragile soulève foule de questions (les curieux pourront la consulter ici). Les 160 000 participants de la cohorte ont rempli, tous les quatre ans, un questionnaire autoadministré, dans lequel ils devaient indiquer le détail de leur alimentation. Mangeaient-ils bio ? On l'ignore ! Les chercheurs ont entré ces données dans un ordinateur, et estimé, d'après les bases nationales statistiques de résidus retrouvés sur tels fruits ou tels légumes, leur exposition supposée. Après avoir tenté de corriger les facteurs confondants (les consommateurs de bio sont en moyenne plus riches, fument moins, ont une meilleure hygiène de vie, etc.), ils ont voulu calculer une surmortalité éventuelle des personnes les plus exposées. Et ils ne l'ont pas trouvée : « Dans les analyses ajustées à plusieurs variables, l'apport de fruits et de légumes à forte teneur en résidus de pesticides n'était pas lié à la mortalité », écrivent les auteurs.
En revanche, ils ont aussi observé une baisse de 36 % de la mortalité chez les personnes consommant en moyenne au moins quatre portions de fruits et de légumes réputés à faible teneur en résidus de pesticides, par rapport à ceux en consommant moins d'une portion par jour… Un résultat qui correspond, en réalité, aux bénéfices attendus sur la santé d'une forte consommation de fruits et de légumes frais. Qu'en conclure ? Selon les données des auteurs eux-mêmes, rien : les cas de morts par cancer sont même 7 % moins nombreux chez les plus forts consommateurs de fruits et de légumes réputés à forte teneur en résidus de pesticides. Cela n'a pas dérangé les chercheurs de Harvard, qui avancent une explication : « L'exposition aux résidus de pesticides par l'alimentation peut compenser les avantages liés à une faible consommation. » Une interprétation libre, que strictement rien ne démontre, mais qui permet d'ouvrir la discussion, les auteurs prenant le soin de préciser que « les preuves manquent » sur « les effets à long terme sur la santé de l'exposition aux pesticides par l'alimentation ».
Cette étude, publiée en janvier, n'avait logiquement rencontré aucun écho, jusqu'à ce qu'elle soit exhumée cette semaine, dans le cadre de l'offensive lancée par les marchands de produits bio. Avec des conséquences qui pourraient être dévastatrices : bien que l'Académie de médecine rappelle régulièrement que les bénéfices de la consommation bio sur la santé n'ont jamais été prouvés, les offensives marketing de la filière ont persuadé l'opinion du contraire, et introduit une confusion telle dans l'esprit des consommateurs que les plus pauvres, affolés à l'idée de « s'empoisonner », s'écartent de la consommation de fruits et de légumes « conventionnels », mettant leur santé en péril.
Un marketing agressif qui porte un autre effet pervers, en nourrissant le complotisme et la défiance envers les autorités : convaincus que les agences sanitaires ne font pas leur travail et mentent au public en servant les intérêts de l'agriculture intensive, 61 % des Français ne font pas confiance aux autorités pour les protéger des risques liés aux pesticides, selon le dernier baromètre IRSN de perception des risques. Un baromètre qui révèle une perception totalement biaisée des enjeux de santé publique, l'opinion considérant que les pesticides constituent aujourd'hui un risque plus important que la pollution de l'air, la consommation d'alcool ou l'obésité.
Le CBD, un complément vendu comme une alternative naturelle aux petits tracas du quotidien par les fabricants, n'est pas sans risque pour la santé quand il est utilisé en dehors des recommandations. Une patiente de 56 ans a fait les frais de sa surconsommation, mettant en danger son cœur.
Dans l'imaginaire collectif, les compléments à base de plantes, ne sont pas dangereux pour la santé. Pourtant, leur mauvaise utilisation n'est pas sans conséquence, comme l'illustre le cas récent d'une patiente de 56 ans prise en charge aux Hôpitaux universitaires de Genève. Elle s'est présentée aux médecins pour des vertiges et un malaise soudain. Son électrocardiogramme (ECG) révèle qu'elle souffre d'un problème de cœur qui menace sa vie : un syndrome du QT long et tachycardie ventriculaire avec torsades de pointes.
Plus simplement, son rythme cardiaque est trop élevé et les cellules contractiles de son cœur mettent plus de temps que la normale pour se « recharger » entre chaque battement. La patiente parle de sa consommation d'huile de CBD et de berbérine, une molécule extraite de la plante Berberis aristata, très utilisée en médecine traditionnelle chinoise. Les médecins font rapidement le lien entre son problème de cœur et ces produits naturels perçus comme inoffensifs.
Le CBD, responsable d'une maladie cardiaque
En effet, la patiente prenait six fois la dose recommandée de CBD depuis 4 mois pour lutter contre le stress de sa vie professionnelle et personnelle. Pendant son séjour à l'hôpital, les médecins arrêtent ce « traitement » et dans les cinq jours qui ont suivi, son ECG est à nouveau dans les normes. Trois mois après, elle rapporte ne plus souffrir de vertige ni de malaise. Outre sa consommation excessive de CBD, la patiente ne présentait aucun autre problème de santé pouvant être à l'origine de son problème cardiaque. Les médecins pensent que le responsable de son état sont les complémentaires alimentaires.
Le syndrome du QT long et tachycardie ventriculaire avec torsades de pointes peut être causé, entre autres, par des médicaments. Le THC, par exemple, a déjà été identifié comme une cause de ce syndrome mais, pour le CBD, c'est la première fois. « De plus en plus de personnes prennent des compléments à base de plantes pour leur effet bénéfique potentiel. Pourtant, leur caractère "naturel" peut être trompeur, car ces préparations peuvent avoir de graves effets secondaires indésirables seules ou si elles sont combinées avec d'autres suppléments ou médicaments. Leur utilisation ne doit pas être prise à la légère et les recommandations de dosage doivent toujours être respectées », a déclaré Elise Bakelants, cardiologue aux Hôpitaux universitaires de Genève.
Les compléments alimentaires ne sont pas aussi strictement réglementés que les produits de santé. Si des études sur leur efficacité, leur toxicité et les effets secondaires sont réalisées avant leur commercialisation, elles ne sont pas aussi strictes que celles requises pour les médicaments. Il est donc difficile d'anticiper les potentiels problèmes de santé que leur utilisation pourrait engendrer. L'argument « naturel » mis en avant par les marques n'est pas synonyme de « sans danger. »
Le bio est en perte de vitesse. Après des années de hausse, les ventes ont baissé de 3%. Presque partout en France, les magasins constatent une chute de la fréquentation.
Daniel est un habitué de longue date de l'épicerie en vrac. S'il y trouve des bons produits, venir ici est surtout une démarche citoyenne. Depuis quelques mois, les clients comme lui se font toutefois de plus en plus rares. Certains nouveaux consommateurs favorisant les circuits courts, le vrac et le bio, ont disparu après les confinements. Ce constat sombre est identique dans toutes les épiceries bio et vrac de Rennes (Ille-et-Vilaine) : baisses de 20 ou 30 % de la fréquentation, et de 50 à 30 euros pour le panier moyen.
Problème de budget
Les consommateurs font de plus en plus attention à leur budget. Dans un salon du bio, les exposants tirent les mêmes conclusions : les clients priorisent leurs dépenses. Les professionnels du bio rencontrés restent néanmoins confiants sur le moyen et long terme, persuadés que ce modèle écologique et durable représente toujours l’avenir.
https://www.francetvinfo.fr/sante/alimentation/consommation-les-epiceries-bio-et-vrac-constatent-une-baisse-de-frequentation_4972320.html#xtor=EPR-2-[newsletterquotidienne]-20220222-[lesimages/image2]
Le Sri Lanka a souhaité devenir le premier pays au monde à revendiquer une agriculture 100% bio. Il est cependant allé trop vite, et a dû faire marche arrière. Les paysans se sont retrouvés confrontés à des terres où plus rien ne poussait, et ont rapidement dû se remettre aux engrais chimiques.
Au cœur du Sri Lanka, dans des rizières qui tapissent les plaines, Hirimaih Banda, agriculteur, répète depuis une semaine tous les jours le même geste. "Je jette de l'engrais chimique, c'est ce qui fait pousser mon riz", confie-t-il. Il y a encore quelques mois, tous les engrais chimiques et pesticides étaient complètement bannis du pays. "En avril, je n'ai pas pu le faire car on ne trouvait pas d'engrais chimiques. (…) On nous a dit qu'on devait passer aux engrais biologiques, (…) mais ça n'a pas marché. Ça a été un échec, et les fermiers se sont mis à manifester", raconte-t-il.
Le pays fait marche arrière après six mois
Le Sri Lanka a été le premier pays au monde à passer, en avril 2021, à une agriculture 100% bio, avant de faire machine six mois plus tard. Santha Gunasekara est l'un des sept millions d'agriculteurs à avoir été obligé de se convertir, du jour au lendemain. Il cultivait des haricots, des concombres ou encore du poivre. Sans produit chimique, il s'est retrouvé désemparé : plus rien ne poussait. Il a dû abandonner la moitié de ses terres. "J'ai besoin de temps pour me convertir au bio. Ça se fait sur le long terme, sur trois ans, au moins", note-t-il.
Au total, un tiers des terres cultivables ont été abandonnées dans le pays, après la tentative de passage à l'agriculture bio. Sans accompagnement ni stock suffisant d'engrais organiques sur l'ile, les fermiers n'ont rien pu faire. Le pays a été confronté à des baisses de production, puis des pénuries, et enfin une flambée des prix.
https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/agriculture/sri-lanka-le-decevant-mirage-d-une-agriculture-100-biologique_4915825.html#xtor=EPR-2-[newsletterquotidienne]-20220115-[lesimages/image5]
Le "Canard enchaîné" pris la palme dans le sac..cette rédaction expérimentée, où l’on prend le temps de travailler, a ajouté des erreurs de son cru à l’étude de Générations futures, dans un article en date du 12 octobre 2016 intitulé « Du muesli chimique »..ce numéro du 12 octobre 2016 est à conserver. Il montre que Le Canard enchaîné s’ouvre au publi-rédactionnel, en l’occurrence au bénéfice de la filière bio..