boomerang kids
De plus en plus de jeunes adultes quittent le cocon familial pour mieux y revenir. Comme un boomerang. Précisions de Sandra Gaviria, sociologue.
Trois petits tours et puis... reviennent ! Les Tanguy mettent du temps à quitter le cocon, et voilà que certains, partis, y retournent ! Pour un enfant, regagner le domicile parental après un échec professionnel ou affectif relève davantage d'une nécessité que d'un choix. Sorti mercredi en salle, le film Marie-Francine de Valérie Lemercier retrace, sur le ton de l'humour, l'histoire d'une quinquagénaire contrainte de retourner vivre chez papa-maman après avoir perdu mari et emploi.
Ce comportement a un nom : la génération boomerang, et il n'est pas sans conséquence sur les relations familiales. Sandra Gaviria, sociologue et maître de conférences à l'université du Havre, vient de terminer sa recherche sur le sujet. « Souvent sollicitée par les journalistes pour expliquer le phénomène, j'ai décidé d'enquêter pendant un an pour pouvoir le comprendre », explique-t-elle. Rencontre.
Le Point.fr : Quelle est l ' origine de l ' expression « boomerang kids » ?
Sandra Gaviria : Le terme a été employé pour la première fois par la sociologue canadienne Barbara Mitchell. En 2006, elle a écrit The Boomerang Age, un livre dans lequel elle évoque ces jeunes adultes qui reviennent chez leurs parents après une première expérience en autonomie. Je n'aime pas cette expression, elle n'est pas assez significative. Lorsque vous lancez un boomerang, il revient de la même façon. Les personnes qui retournent chez papa-maman ne sont plus vraiment les mêmes, elles ont changé de par leur expérience, leur âge ou leur statut.
Selon vous, quelles sont les principales raisons qui motivent ce retour au sein du cocon familial ?
Bien évidemment, la raison principale est économique, comme la perte d'un emploi. Depuis la crise de 2008, le phénomène prend de l'ampleur puisque entre 2002 et 2013, le nombre de boomerang kids de plus de 25 ans a augmenté de 20 %. En France, l'accès au logement est très difficile, certaines familles monoparentales sont souvent contraintes de revenir chez papa-maman le temps de rebondir. Deux autres trajectoires importantes sont à noter. La classique d'abord, qui s'explique par la dépendance financière des enfants envers leurs parents : ils quittent le nid familial dans le cadre de leurs études, mais le regagnent souvent à la fin de leur formation le temps d'obtenir un premier emploi. Et enfin, la trajectoire conjugale avec le retour provoqué par une rupture affective. Cette raison joue sur les plans personnel et financier puisque la vie à deux allège les frais et permet une vie autonome.
Le phénomène des boomerang kids ne semble pas concerner uniquement les jeunes puisque, dans Marie-Francine, le personnage de Valérie Lemercier a 50 ans …
Certes, les personnes de 50 ans et plus forcées de retourner vivre chez leurs parents ne représentent que 6 % de la génération boomerang, mais ce sont les plus médiatisées. Dans leur cas, la perte d'emploi est le premier facteur. Quand les moins de 30 ans retournent chez papa-maman, les raisons sont plus diverses. D'ailleurs, j'ai constaté durant ma recherche l'existence d'une jeunesse à deux vitesses : d'abord, les jeunes diplômés qui n'imaginaient pas que le délai entre la fin des études et le décrochage du premier emploi serait aussi long. Puis, les moins diplômés qui, après une première expérience en logement indépendant, sont contraints de revenir à la suite d'une rupture sentimentale ou faute de logement ou d'emploi. Cette deuxième catégorie a généralement moins de 25 ans.
Selon la fondation Abbé Pierre qui milite pour un accès au logement digne et durable pour tous, 479 000 personnes de 35 ans et plus étaient hébergées chez leurs parents ou grands-parents en 2015. Comment interpréter ce chiffre ?
C'est beaucoup, mais cela est dû à notre société qui connaît des problèmes d'emploi et d'accès au logement. Toutefois, ce chiffre est à relativiser puisque, parmi ces 479 000 individus, 30 % retournent chez leurs parents pendant moins d'un an. Ce changement de situation n'est pas toujours synonyme de retour contraint, il peut signifier un coup de pouce de la part de proches en attendant que cette génération boomerang finalise ses projets, l'accès à la propriété par exemple. Il s'agit alors d'une trajectoire instrumentale.
Les films Marie-Francine ou encore Retour chez ma mère avec Alexandra Lamy mettent en scène cette « génération boomerang » de manière humoristique. Selon vous, est-ce une bonne façon de mettre en avant le phénomène ?
Ces deux films sont représentatifs du phénomène et reflètent parfaitement les soucis de la « re-cohabitation » entre adultes autonomes. On comprend mieux comment certains accidents de la vie peuvent vous faire revenir à la case départ. Les parents doivent à nouveau se familiariser avec les habitudes de leurs enfants, et inversement. On ne parle plus de « vivre-ensemble », mais de « revivre-ensemble ».
Propos recueillis par Julien Sigari