Nucléaire niouzes
Face à la domination sino-russe du nucléaire civil, un rapport des Académies des sciences française et britannique propose une alliance stratégique inédite entre les deux pays...
Urgence climatique, tensions internationales, crise énergétique… Perçu comme un pilier incontournable de la transition, le nucléaire civil est en plein renouveau. La production d'électricité d'origine nucléaire devrait atteindre un record en 2025, avec 2 800 térawattheures (TWh), en hausse de 7 % par rapport à 2021, anticipe l'Agence internationale de l'énergie, qui prévoit (au minimum) un doublement des capacités de production installées d'ici 2050. Aujourd'hui, la Chine et la Russie dominent ce marché. Au point d'entraîner, demain, de nouvelles vulnérabilités stratégiques ?
C'est le risque que voient poindre les acteurs occidentaux de la filière, alors que leurs gouvernements hésitent, en Europe, à définir des stratégies de long terme. « Nos sociétés savantes ont voulu répondre à ces questions : comment construire proprement des réacteurs de troisième génération, tout en ouvrant la voie vers un nucléaire durable », explique Yves Bréchet, membre de l'Académie des sciences (et ancien haut-commissaire à l'Énergie atomique), qui a supervisé une partie de ces travaux.
L'importance des coopérations internationales
Fruit d'une consultation approfondie d'experts représentant gouvernements, industries, universités et laboratoires nationaux, le rapport publié par l'Académie des sciences et la Royal Society propose neuf axes de collaborations stratégiques, et met en lumière une évidence : à l'heure où la course au nouveau nucléaire s'intensifie, les coopérations internationales seront d'une importance cruciale pour résoudre les défis.
Signé le 6 décembre à Tokyo, un accord entre le géant français du combustible Framatome et ses partenaires japonais illustre cette nouvelle dynamique collaborative : il permet de relancer le développement des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium, une technologie stratégique que la France avait mise en suspens en 2018 avec l'arrêt du programme ASTRID. Cette coopération permettra aux Japonais de bénéficier de l'expérience française acquise avec les réacteurs Phénix et Superphénix, tout en permettant à Framatome de maintenir son expertise.
Le panorama actuel révèle l'ampleur des défis. La France gère un parc de 56 réacteurs à eau pressurisée qui fournissent 70 % de son électricité. Le Royaume-Uni s'appuie sur une flotte plus modeste mais technologiquement diversifiée : huit réacteurs avancés refroidis au gaz (AGR) et un REP, assurant 15 % de sa production électrique. Ces installations vieillissantes nécessitent une prolongation particulièrement délicate.
Dans un contexte d’urgence climatique et de dégradation de la situation géopolitique, il est temps de travailler ensemble.Sue Ion, experte du nucléaire à la Royal Society
Les retards et surcoûts des chantiers EPR actuels, tant à Flamanville qu'à Hinkley Point C, ont souligné la nécessité d'une refonte profonde des pratiques. « Un retour en arrière est nécessaire pour que l'EPR2 intègre correctement la gestion de projet du XXIe siècle et améliore la constructibilité d'une conception très complexe », notent les experts. Cette leçon d'humilité n'entame pas les ambitions : le Royaume-Uni vise une capacité nucléaire de 24 GW d'ici 2050, tandis que la France prévoit la construction de six à quatorze nouveaux EPR.
Répartition stratégique des efforts
Le renouveau nucléaire exigera une mobilisation massive des compétences. Les deux pays devront former environ 100 000 personnes dans la décennie à venir, alors même qu'une vague de départs en retraite s'annonce. Sur les seuls chantiers EPR, les besoins sont colossaux : chaque construction nécessite, par exemple, la présence quotidienne de 1 200 fixateurs d'acier…
Pour répondre à ce défi, les académies préconisent la création d'un écosystème de formation intégré : programmes universitaires conjoints aux niveaux master et doctorat, échanges de techniciens, mobilité accrue des chercheurs… Et pour dégager des fonds, une « répartition intelligente » des efforts de recherche et développement.
Le Royaume-Uni, suggère le rapport, capitalisant sur son expérience des AGR, prendrait la tête du développement des réacteurs à haute température (HTGR). Ces systèmes sont particulièrement prometteurs pour la production d'hydrogène, le dessalement de l'eau et la décarbonation de l'industrie lourde, capable de fournir de la chaleur jusqu'à 1 000 °C. La France, de son côté, poursuivrait ses travaux sur les réacteurs à neutrons rapides, essentiels pour optimiser l'utilisation des ressources en uranium.
Car cette complémentarité doit s'étendre, pour les académies, au cycle du combustible. La France, qui pratique le « cycle fermé », produit déjà du combustible MOX et de l'uranium de retraitement (RepU), réduisant sa demande d'uranium de 10 %. Le pays s'est engagé à construire une nouvelle installation de retraitement à l'horizon 2040-2045. Le Royaume-Uni, qui vient d'arrêter ses activités de retraitement en 2022, apporte une expertise en matière de démantèlement. « La France et le Royaume-Uni doivent retrouver rapidement leurs pleines capacités en matière de cycle du combustible, incluant l'enrichissement, la conversion, la déconversion et la fabrication », insiste le rapport.
L'enjeu de la souveraineté industrielle
La question de l'indépendance stratégique occupe une place centrale. « Il n'y a plus de chaîne d'approvisionnement mondiale, même pour des articles aussi élémentaires que des vis d'assemblage ! » s'alarme l'un des experts consultés. Le cas de l'hydroxyde de lithium-7, utilisé pour alcaliniser l'eau des réacteurs et uniquement produit en Russie et en Chine, illustre la nécessité de rebâtir une autonomie européenne.
Pour concrétiser ces ambitions, les académiciens proposent la création immédiate d'un « groupe de contact expert Royaume-Uni-France ». Cette structure s'appuierait sur un réseau d'institutions existantes : le CEA et le National Nuclear Laboratory, les universités des deux pays, les organismes de régulation. Les infrastructures de recherche seraient mutualisées, à l'image du réacteur de recherche Jules Horowitz, auquel participent déjà des partenaires internationaux.
Une proposition audacieuse émerge également : l'harmonisation des pratiques entre les régulateurs français et britanniques – convergence réglementaire jugée d'autant plus pertinente qu'EDF opère des deux côtés de la Manche.
Un contexte international tendu
L'initiative franco-britannique intervient dans un paysage mondial en pleine reconfiguration. La Chine affirme ses ambitions nucléaires, la Russie maintient son influence technologique, et les États-Unis relancent leur industrie grâce à l'Inflation Reduction Act. « Il faut 70 à 80 ans pour parvenir à une flotte de 100 % de réacteurs rapides. Nous avons besoin de 60 ans de combustible disponible pour donner confiance aux investisseurs », rappelle le rapport.
« Dans un contexte d'urgence climatique et de dégradation de la situation géopolitique, il est temps de travailler ensemble si nos pays veulent respecter leurs engagements net zéro et sécuriser leur approvisionnement énergétique pour le reste de ce siècle », conclut Sue Ion, experte du nucléaire à la Royal Society.
https://www.lepoint.fr/societe/une-cooperation-entre-france-et-royaume-uni-pour-relancer-le-nucleaire-civil-09-12-2024-2577548_23.php
Classé secret défense, le résultat de l’audit piloté au printemps par le Haut-Commissaire à l’énergie atomique remis à l’Élysée révèle que de nombreuses start-up de l’atome, subventionnées, ne tiendront pas leurs promesses.
C'est ce qu'on pourrait appeler une vaste opération d'enfumage. Le 19 novembre, la start-up Naarea, fondée en 2020 pour développer des réacteurs modulaires de quatrième génération, à sels fondus et à neutrons rapides, publiait sur son compte LinkedIn un communiqué triomphant : « C'est un grand honneur d'avoir pu évoquer avec le Haut-Commissaire à l'énergie atomique les conclusions de son rapport », claironnait l'entreprise, annonçant fièrement aux investisseurs potentiels que l'audit conduit par les experts n'avait « identifié aucun point de blocage incontournable » concernant le déploiement de son programme.
Sous le communiqué, une image montrant le fondateur de Naarea Jean-Luc Alexandre au côté du Haut-Commissaire Vincent Berger, probablement l'homme le plus assiégé, ces dernières semaines, de la place nucléaire. Le cliché ? Un photomontage, grossièrement réalisé (qui a fait rire l'ensemble de la filière). Le fond du message ? Du vent…
Selon les informations recueillies par Le Point, Naarea fait au contraire partie de ces nombreuses start-up du nucléaire désignées, dans un audit top secret, comme lestées de problèmes conceptuels majeurs, littéralement insurmontables. « Elle n'a aucun avenir », souffle, en baissant les yeux, l'une des rares personnes informées du dossier, classé « secret défense ». Seules quatre start-up, en réalité, sortent de l'exercice avec la mention « viable », ou presque. En tête : Jimmy Energy et Calogena. Non loin derrière : Archeos et Blue Capsule. Les quatre sont spécialisées dans la production de chaleur. « Aucun nom n'a été dévoilé, mais j'ai compris que les autres, à des degrés divers, font face à des difficultés techniques substantielles, voire, dans certains cas, des problèmes majeurs qu'elles ne pourront pas physiquement surmonter », confie une source bien informée.
Comment l'État a passé la French Tech au tamis
Pour comprendre l'importance de l'enjeu, il faut revenir quelques mois en arrière.
En 2022, Emmanuel Macron place le développement de petits réacteurs nucléaires innovants, capables d'alimenter en électricité des sites industriels, au cœur de son plan de relance appelé « France 2030 ». Un appel à projets est lancé. Le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI), une administration placée sous l'autorité du Premier ministre, se charge de sélectionner les « pépites ». Certaines s'appuient sur des technologies éprouvées… D'autres (les réacteurs avancés, AMR) sur des technologies moins matures : réacteurs à sels fondus, refroidis au plomb, au sodium… Les premières subventions sont distribuées. La filière se réjouit : « C'est très stimulant. Cela permet d'attirer les talents, et de réveiller la recherche sur les réacteurs à neutrons rapides », applaudit Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d'énergie nucléaire (Sfen).
Rapidement pourtant, le programme patine. L'État prévoyait d'apporter son soutien (plus d'un milliard d'euros au total) dans une « logique d'entonnoir », le nombre de start-up soutenues devant se réduire au fil des différentes phases. Mais comment sélectionner les plus prometteuses ? En mars, Matignon charge le Haut-Commissariat à l'énergie atomique d'effectuer un audit complet sur la douzaine de start-up en lice, afin de l'aider à choisir. « On ne s'attendait pas à un travail aussi complet », avoue un professionnel du secteur. Le Haut-Commissaire, Vincent Berger, réquisitionne un étage de l'université Paris-Dauphine et y installe six groupes de travail, chacun constitué de six experts ayant bûché en amont pendant plusieurs semaines. Cycle du combustible, technologies des réacteurs, sûreté, business plan… Pendant trois jours, les 36 pointures passent au tamis chaque dossier, pressant de questions les porteurs de projet. « C'est la précision des questions qui permet de déceler les failles », raconte l'un des participants.
Défis… et impasses
Certaines, en l'occurrence, sont de véritables cratères… Ainsi cette start-up, dont le réacteur doit fonctionner au plutonium, un élément qui n'existe pas à l'état naturel : il est créé en réacteurs ou en laboratoire, par réaction nucléaire. Selon son business plan, cette start-up prévoit d'en utiliser plusieurs milliers de tonnes en 2050… Quand l'usine d'Orano, à La Hague, a une capacité de production de 10 tonnes par an. Des centaines de fois moins ! « Il est hallucinant qu'aucun investisseur ni personne au SGPI n'ait identifié ce problème », s'alarme une source au gouvernement.
Le rapport est remis à l'Élysée au cœur de l'été. Pendant plusieurs mois, seule une poignée de personnes en ont connaissance. Le secrétaire général du Château Alexis Kohler, les conseillers économie (Matthieu Landon), industrie (Claire Vernet-Garnier), énergie (Christophe Leininger)… Début septembre, l'entourage du nouveau Premier ministre est mis dans la confidence. Et l'embarras s'installe. Que faire de ce rapport ? Le publier, au risque qu'on accuse l'État de distorsion de marché ? L'enterrer, alors que les investisseurs, tous au courant de son existence, ont gelé leurs opérations en attendant le verdict des experts ? Les douze start-up, engagées dans une véritable course aux levées de fonds afin de faire décoller leurs projets et de rester dans la course mondiale, piaffent dans les starting-blocks, comme les investisseurs. Cet audit XXL, tout le monde le sait, permettra de faire le tri entre ces prétendants, auquel l'État prévoit de distribuer au total 1 milliard de subventions. « Si je dois investir une partie de ma fortune, il faut bien que je compare les conclusions pour choisir le bon cheval », résume l'un d'eux.
En novembre, les conclusions de l'audit brûlent toujours les mains du gouvernement, alors que le prochain conseil de politique nucléaire, au cours duquel le sujet doit être abordé, est programmé le 10 décembre. « Le réel problème, c'est qu'on ne s'attendait pas à un tel résultat », avoue, gêné, un haut fonctionnaire.
Et pour cause : selon nos informations, seules deux à quatre start-up, sur la douzaine auditée, sont susceptibles de tenir leurs promesses, et de délivrer un petit réacteur nucléaire susceptible de fonctionner dans un calendrier proche.
Deux rescapés et un casse-tête pour Macron
Elles en ont été confidentiellement informées ces derniers jours, avant qu'une note de huit pages, résumant les conclusions générales du rapport et expurgée de toute information industrielle (couverte par le secret des affaires) ne soit envoyée, le 18 novembre, aux administrations. La première, Jimmy Energy, s'appuie sur des technologies déjà éprouvées pour créer un mini-réacteur à haute température, destiné exclusivement à la production de chaleur pour l'industrie, sans génération d'électricité. La seconde, Calogena, développe un réacteur compact conçu principalement pour fournir de la chaleur aux réseaux urbains de chauffage. Toutes deux s'appuient sur des technologies existantes, et toutes deux ont déjà déposé, auprès de l'ASN, leur dossier d'option de sûreté. « L'innovation n'est pas dans la technologie, mais dans l'usage qu'on en fait, confie Antoine Guyot, cofondateur de Jimmy Energy. Tout l'enjeu est de trouver les bonnes briques technologiques et industrielles, et de les réagencer pour concevoir l'objet le plus simple, le plus sûr, et le moins cher à produire. » Mais pour pouvoir structurer sa chaîne d'approvisionnement, la start-up doit offrir une certaine visibilité aux investisseurs, et à ses partenaires… « C'est en ce sens que l'audit conduit par le Haut-Commissariat à l'énergie atomique est précieux. »
Pour les autres start-up, l'avenir est plus sombre. Sélectionnée en 2022 comme « future pépite » dans le cadre de France 2030, Naarea a reçu 12 millions d'euros de l'État, levé 60 millions d'euros auprès d'investisseurs, et cherche depuis des mois de nouveaux fonds, à hauteur de 150 millions. La start-up Newcleo (plusieurs centaines d'employés), qui développe un réacteur à neutrons rapides refroidi au plomb, utilisant du combustible MOX (un mélange d'uranium appauvri et de plutonium), a déjà levé 400 millions d'euros, avec un objectif de financement supplémentaire d'un milliard. D'autres, comme Hexana et Stellaria, associées au CEA, portent des technologies réellement prometteuses et innovantes… Hexana, notamment, permet de valoriser les années d'expérience acquises grâce au programme de réacteur surgénérateur Astrid, stoppé en 2019, pour des raisons budgétaires, par… Emmanuel Macron. Aucune n'a la moindre chance, selon le rapport, de voir le jour dans un avenir proche… Ni même éloigné. « 2040 serait déjà extraordinairement ambitieux », étant donné l'ampleur des sauts technologiques attendus, avoue un expert. Autrement dit : l'argent levé l'a été… en pure perte. Sur la base de business plan copieusement enjolivés, pour coller aux égigences de l'Élysée.
« Le président va devoir prendre une décision », analyse un conseiller du pouvoir. Car la loi impose toujours à l'État, en France, de tendre vers la fermeture du cycle du nucléaire, en soutenant des projets de quatrième génération, visant à réduire considérablement les déchets produits en réutilisant le plutonium. Ce fut le rôle des réacteurs Rapsodie, Phénix, Super phénix, Astrid… « Le Président espérait que les start-up pourraient prendre le relais, et être financièrement viables. » L'audit très poussé qu'il a entre les mains… démontre que ce ne sera pas le cas. « Seul l'État peut assumer une recherche sur le long terme dans ce secteur stratégique, sans attendre de retour sur investissement rapide. » Faudra-t-il relancer Astrid ? Ce sera l'un des sujets clés du prochain Conseil de politique nucléaire (CPN), programmé le 10 décembre. Sans promesses irréalisable, cette fois. Et sans faux-semblants.
La Russie suspend ses exportations d’uranium vers les États-Unis : le cycle du combustible nucléaire sous pression....Une interdiction prolongée pourrait perturber le fonctionnement des réacteurs à partir de 2025, laissant certaines installations sans fournisseur alternatif......
La Chine poursuit sa course à l'atome à un rythme sans équivalent dans le monde et à un coût bien moins élevé qu'ailleurs, grâce à une industrie mature et un accès au capital privilégié, deux éléments dont le nucléaire français est pour l'instant dépourvu.
Moins de 28 milliards d'euros pour 11 nouveaux réacteurs
Pékin a donné mardi le feu vert à 11 nouveaux réacteurs, pour un investissement de moins de 28 milliards d'euros, selon le média chinois Jiemian.
En comparaison, le coût prévisionnel du programme de construction des six nouveaux réacteurs (EPR) commandés par l'État français est de 67,4 milliards d'euros, selon les Echos.
Ramenés à leur puissance - 1,1 gigawatt (GW) pour la plupart d'entre eux, des Hualong One et des CAP1000 selon WNN, organe de la World Nuclear Association - les 11 réacteurs chinois ont un coût environ trois fois inférieur aux futurs EPR, sans prendre en compte le coût du financement.
Économies d'échelle
Un écart de prix d'abord dû aux économies d'échelle que réalise la Chine, où 27 réacteurs sont actuellement en construction, selon l'Agence internationale de l'énergie atomique.
Pékin bénéficie d'un "effet de série" et d'un "effet d'apprentissage", explique l'ingénieur Maxence Cordiez, expert associé à l'Institut Montaigne : les pièces commandées aux fournisseurs coûtent moins cher, les processus sont plus efficaces et la construction plus rapide.
"Pour faire moins cher en Europe, il faut des programmes industriels cadencés, avec des conceptions identiques", affirme Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d'énergie nucléaire (SFEN).
Coûts de financement
Au-delà du coût de construction, la Chine profite également d'un accès privilégié au capital. La construction de réacteurs nucléaires nécessite de dépenser beaucoup d'argent, sans pour autant dégager de recettes : il faut donc emprunter.
Or pour les investisseurs, financer une centrale est considéré comme "risqué", en raison "du risque régulatoire" et du "risque politique" que comporte ce type de chantier, explique François Lévêque, professeur d'économie à Mines ParisTech.
D'une part, les agences de sûreté peuvent intervenir durant le chantier et le retarder. D'autre part, les possibles changements de majorité politique rendent plus incertains ces projets de long terme.
"Les prêteurs demandent donc un taux relativement élevé", indique François Lévêque, là où en Chine, les projets nucléaires "ne sont pas plombés par tout cela : le coût du capital est très faible. C'est l'État chinois qui paie". Selon le taux déterminé, le coût de financement d'une centrale peut varier de plusieurs milliards d'euros.
Pour faire baisser le coût du capital, les États peuvent s'impliquer en apportant des garanties ou du capital. "Plus vous avez un engagement de l'État, plus le risque financier baisse, et vous faites baisser énormément les coûts des projets nucléaires", explique Nicolas Goldberg, expert chez Colombus Consulting.
Ambitions à l'export du réacteur chinois, le Hualong-1
Un rapport de la Cour des comptes britannique (NAO) sur le chantier nucléaire de Hinkley Point a par exemple fustigé le financement de la centrale construite par EDF, notant qu'une participation partielle de l'État britannique aurait pu faire baisser le prix du mégawattheure de près de 30%.
L'enjeu des aides d'État est donc au cœur de l'avenir de la filière nucléaire en Europe. "C'est une question de choix politiques et de choix de régulation", affirme Nicolas Goldberg.
La décision du Parlement européen en 2022 d'inclure le nucléaire dans la taxonomie verte vise justement à faire baisser le coût du capital des projets nucléaires.
Mais les garanties d'État n'empêchent pas l'atome de coûter extrêmement cher en cas de gros retards de livraison, à l'instar de l'EPR de Flamanville, dont la facture s'élève après 12 ans de retard à plus de 19 milliards d'euros, dont 3 milliards d'euros de "surcoût de financement", selon la Cour des Comptes.
De son côté, la Chine, qui déclare construire ses centrales en 56 mois, ambitionne de les exporter bon marché. L'un de ses réacteurs, le Hualong-1, est déjà commercialisé à l'étranger (Pakistan, Argentine), sans jamais, pour l'instant, avoir trouvé preneur en Europe. Mais "si la Chine commence à proposer du nucléaire à prix très compétitif, certains pays de l'Est, qui n'ont pas une industrie nucléaire propre et veulent se défaire du russe Rosatom, pourraient être tentés", estime Nicolas Goldberg.
- AFP
- parue le
- https://www.connaissancedesenergies.org/afp/chine-pourquoi-les-reacteurs-nucleaires-en-projet-coutent-environ-3-fois-moins-cher-que-les-futurs-epr-francais-240825
Le pays désire vendre plus de centrales nucléaires, clés en main, à l'Europe...
Selon l'Association nucléaire mondiale, le coût de construction d'une centrale nucléaire en Corée est estimé à $ 3'571 par kilowatt, soit beaucoup moins que les $ 7'931 de la France et les $ 5'833 des États-Unis.
La Corée a installé 26 réacteurs dans le monde. Détail, l'uranium est dans la main de la Chine et de la Russie.
Le pays vient de créer une agence nationale de l’énergie atomique. Le gouvernement aimerait que le russe Rosatom y construise une centrale nucléaire afin de générer de l’électricité.
La Russie propose des packages clés en main. 14 autres pays africains sont intéressés par cette démarche. En fait, le Burkina Faso envisage de construire des petits réacteurs modulaires (SMR Small modular reactors) lui permettant de doubler sa production électrique d’ici 2030.
Le Mali, lui, projette la construction de quatre centrales de 55 MW chacune et vient de signer un accord avec Rosatom.
Le Rwanda, le Burundi, le Ghana sont aussi entrés dans des discussions. En outre, l’Ethiopie, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie ont tous signé un accord de coopération. A ce jour, ils sont quinze pays à projeter de développer une filière nucléaire civile.
La Russie, contrairement à d’autres pays comme la Corée du Sud, propose un “paquet nucléaire” qui va de la fourniture du combustible à la construction de la centrale. Il propose également de récupérer les déchets nucléaires. L’Etat russe est même prêt à financer en grande partie la construction des projets et la Banque Mondiale est intéressée.
https://2000watts.org/index.php/energies-fossiles/peak-oil/1385-energies-economie-petrole-peak-oil-la-revue-mondiale-juillet-aout-2024.html
Épargnée par les sanctions et au service de Poutine, Rosatom domine le marché mondial du nucléaire civil...Trente-huit ans après la catastrophe de Tchernobyl, qui aurait pu prédire qu'autant de pays voudraient confier leurs centrales atomiques à Moscou? Avant l'invasion de l'Ukraine de février 2022, la Russie était impliquée dans la moitié des contrats liés au nucléaire civil dans le monde.
EDF a embarqué quelques journalistes pour assister à la fin du chargement du combustible du nouveau réacteur nucléaire EPR de Flamanville. Les salariés d'EDF sont fiers, mais n'oublient pas les "moments douloureux" de ce gigantesque chantier.
Il y a eu des embrassades et même des "petites larmes": après 17 ans d'un chantier laborieux, chacun a célébré à sa manière le lancement "historique" du réacteur nucléaire de nouvelle génération EPR de Flamanville, où vient de se terminer l'étape clé du chargement du combustible.
Il y a eu des embrassades et même des "petites larmes": après 17 ans d'un chantier laborieux, chacun a célébré à sa manière le lancement "historique" du réacteur nucléaire de nouvelle génération EPR de Flamanville, où vient de se terminer l'étape clé du chargement du combustible.
Grande fierté
Douze ans après la date prévue, les équipes EDF voient le bout du tunnel, avec la mise en service du 57e réacteur du pays, une première depuis 22 ans. "Cela fait 20 ans qu'on n'en a pas construit en France, c'est vraiment une très grande fierté pour les équipes", a dit le directeur du projet Alain Morvan à des journalistes, lors d'une visite le 10 mai dans les entrailles du réacteur alors en pleine manoeuvre de chargement de l'uranium.
Face à la Manche, à côté de deux réacteurs plus anciens, ce premier réacteur nouvelle génération construit en France (4e de ce type installé dans le monde) sera le plus puissant du pays. D'une capacité de 1.600 mégawatts (MW), il permettra d'alimenter près de trois millions de ménages. Au terme d'un long et difficile chantier, le sésame de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) est finalement tombé le 7 mai, à 17h18.
"Il y en a qui ont versé une petite larme", d'autres "ont sauté de joie", on s'est même "un peu embrassés", a raconté Grégory Heinfling, directeur d'exploitation de Flamanville 3, où 800 personnes travailleront désormais dont 200 sous-traitants. "C'était un grand moment d'émotion et en même temps, on savait que derrière on aurait encore du travail et qu'il fallait qu'on reste concentrés". La suite s'annonce en effet chargée avec une succession d'essais et paliers à passer, sous la surveillance du gendarme du nucléaire.
Chargement "millimétré"
Un premier jalon vient d'être franchi: le chargement du combustible dans la piscine du bâtiment réacteur. La manoeuvre, entamée le 8 mai, au lendemain de l'autorisation de l'ASN, s'est achevée mercredi. Dans le bâtiment réacteur, cathédrale de béton coiffée d'un dôme de 55 m de diamètre, les opérateurs ont pendant toute une semaine vécu un peu "dans leur bulle": rien ne devait perturber cette "opération millimétrée" qui aura mobilisé une trentaine de personnes 24h/24, expliquait vendredi Fabien Cudelou, chef du chargement du combustible.
Environ 60.000 crayons, de fins tubes longs de 5 mètres contenant des pastilles d'uranium, devaient être insérés dans la cuve de 10 mètres de haut, à l'aide d'une immense machine montée sur rails faisant des va-et-vient depuis le bâtiment d'entreposage du combustible. La manoeuvre a été réalisée sous une épaisseur de 20 mètres d'eau pour protéger des effets de radioactivité, même si le combustible est "neuf", donc non irradiant, selon EDF. Le chargement terminé et la cuve refermée avec son convercle, la montée en pression et en température de la chaudière jusqu'à un premier jalon à 110 degrés va désormais pouvoir commencer.
Il y a eu des embrassades et même des "petites larmes": après 17 ans d'un chantier laborieux, chacun a célébré à sa manière le lancement "historique" du réacteur nucléaire de nouvelle génération EPR de Flamanville, où vient de se terminer l'étape clé du chargement du combustible.
Grande fierté
Douze ans après la date prévue, les équipes EDF voient le bout du tunnel, avec la mise en service du 57e réacteur du pays, une première depuis 22 ans. "Cela fait 20 ans qu'on n'en a pas construit en France, c'est vraiment une très grande fierté pour les équipes", a dit le directeur du projet Alain Morvan à des journalistes, lors d'une visite le 10 mai dans les entrailles du réacteur alors en pleine manoeuvre de chargement de l'uranium.
Face à la Manche, à côté de deux réacteurs plus anciens, ce premier réacteur nouvelle génération construit en France (4e de ce type installé dans le monde) sera le plus puissant du pays. D'une capacité de 1.600 mégawatts (MW), il permettra d'alimenter près de trois millions de ménages. Au terme d'un long et difficile chantier, le sésame de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) est finalement tombé le 7 mai, à 17h18.
"Il y en a qui ont versé une petite larme", d'autres "ont sauté de joie", on s'est même "un peu embrassés", a raconté Grégory Heinfling, directeur d'exploitation de Flamanville 3, où 800 personnes travailleront désormais dont 200 sous-traitants. "C'était un grand moment d'émotion et en même temps, on savait que derrière on aurait encore du travail et qu'il fallait qu'on reste concentrés". La suite s'annonce en effet chargée avec une succession d'essais et paliers à passer, sous la surveillance du gendarme du nucléaire.
Chargement "millimétré"
Un premier jalon vient d'être franchi: le chargement du combustible dans la piscine du bâtiment réacteur. La manoeuvre, entamée le 8 mai, au lendemain de l'autorisation de l'ASN, s'est achevée mercredi. Dans le bâtiment réacteur, cathédrale de béton coiffée d'un dôme de 55 m de diamètre, les opérateurs ont pendant toute une semaine vécu un peu "dans leur bulle": rien ne devait perturber cette "opération millimétrée" qui aura mobilisé une trentaine de personnes 24h/24, expliquait vendredi Fabien Cudelou, chef du chargement du combustible.
Environ 60.000 crayons, de fins tubes longs de 5 mètres contenant des pastilles d'uranium, devaient être insérés dans la cuve de 10 mètres de haut, à l'aide d'une immense machine montée sur rails faisant des va-et-vient depuis le bâtiment d'entreposage du combustible. La manoeuvre a été réalisée sous une épaisseur de 20 mètres d'eau pour protéger des effets de radioactivité, même si le combustible est "neuf", donc non irradiant, selon EDF. Le chargement terminé et la cuve refermée avec son convercle, la montée en pression et en température de la chaudière jusqu'à un premier jalon à 110 degrés va désormais pouvoir commencer.
Encore des autorisations
Pour la suite des opérations, il faudra encore des autorisations. Notamment avant de lancer la "divergence", la première réaction de fission nucléaire, vers fin juin selon l'ASN, le "moment qu'on attend tous", assure Alain Morvan. Puis lorsqu'EDF atteindra le palier de 25% de puissance. A cette étape, le réacteur pourra être raccordé au réseau électrique (le "couplage") et livrer ses premiers électrons, au cours de l'été. Ce sera alors au tour de la turbine Arabelle 1000, le modèle le puissant du monde, avec son arbre de 70 mètres, d'entrer en action: au "couplage", l'engin, qui attend son heure dans la salle des machines, tournera à 1.500 tours/minute pour produire l'électricité, mue par la vapeur créée grâce à la chaleur du réacteur. Un ultime avis sera requis au franchissement du palier à 80%, avant la production à 100% de puissance, escomptée en fin d'année.
Déboires multiples
Fin 2025, le réacteur devra être arrêté pour une visite de maintenance, et le couvercle de la cuve remplacée courant 2026 en raison d'anomalies connues de longue date. Au vu des nombreux déboires du chantier, qui a vu sa facture quadruplée à 13,2 milliards d'euros, selon EDF, les associations écologistes s'interrogent toujours sur la fiabilité de l'EPR, Sortir du Nucléaire regrettant "une mise en service hâtive". "Oui, il y a eu des moments douloureux mais on a toujours rebondi et aujourd'hui on a une installation avec un haut niveau de qualité", et "qui sera sûre", promet Alain Morvan.
AFP
https://www.challenges.fr/france/c-est-fait-flamanville-demarre-avec-le-nouveau-nucleaire-une-bouffee-d-optimisme-pour-edf_893313
Pour atteindre ses objectifs de neutralité climatique, la France prévoit de construire 14 nouveaux réacteurs nucléaires d'ici 2050. Et demande à la Suisse de passer à la caisse pour assurer son approvisionnement en électricité...«la France considérait opportun que les pays qui ne souhaitent pas se doter eux-mêmes de nouvelles centrales nucléaires, mais souhaiteraient importer de l'énergie nucléaire de France, contribuent aux coûts de construction des nouvelles centrales nucléaires prévues en France.»
l'État étudie "sérieusement" la construction d'une usine de conversion de l'uranium retraité, actuellement uniquement possible en Russie...EDF affirme à l' AFP discuter "avec plusieurs partenaires pour construire une usine de conversion d'uranium de retraitement en Europe de l'Ouest à l'horizon 2030".
En plein conflit ukrainien, Framatome signe une joint-venture avec le géant russe Rosatom pour fabriquer, en Allemagne, du combustible nucléaire.
S'allier avec l'ennemi… Pour mieux s'en libérer ? Alors que Vladimir Poutine et Emmanuel Macron font escalade de propos belliqueux sur fond de guerre en Ukraine, l'accord conclu entre leurs champions nucléaires respectifs, le français Framatome et le russe Rosatom, nourrit la polémique en Allemagne, où se trouve l'usine dans laquelle Framatome assemblera demain, sous licence russe, le combustible destiné à alimenter les réacteurs de conception soviétique des pays de l'Europe de l'Est.
Des milliers d'opposants ont manifesté leur colère, alors que le ministère fédéral allemand de l'Environnement doit faire connaître mi-mai sa décision. Une polémique très politique dans un pays qui a choisi de sortir du nucléaire, et qui révèle l'étendue des dépendances énergétiques dans lesquelles se sont enfermés à la fois l'Europe et les États-Unis, contraints, depuis le début de la guerre, de composer avec Moscou pour éviter le black-out, et la fermeture de leurs usines. « Les pistes permettant de nous libérer de ces dépendances seront évidemment discutées à Bruxelles » où se tient ce 21 mars un Sommet du nucléaire, en présence d'Emmanuel Macron, confirme l'Élysée.
Dans ce contexte, la très discrète création, l'an dernier, d'une coentreprise (ou « joint-venture ») entre Framatome et Rosatom a ravivé les polémiques… Et les incompréhensions.
Dix-neuf réacteurs de conception russe
Si l'Allemagne a fermé son dernier réacteur en 2023, le pays produit toujours, dans l'usine de Lingen, en Basse-Saxe, du combustible nucléaire qui alimente une partie de l'Europe. Une partie seulement : outre les réacteurs ukrainiens, 19 autres réacteurs de type VVER, c'est-à-dire de conception russe, sont toujours en activité dans cinq pays de l'Union : la Slovaquie, la Bulgarie, la République tchèque, la Finlande et la Hongrie. Or les crayons combustibles qu'ils utilisent, s'ils « ne sont pas très différents de ceux des réacteurs à eau pressurisée (REP) français », assure Framatome, sont de forme hexagonale, et non rectangulaire… Jusqu'à très
« Cette situation de dépendance à la Russie préoccupe de nombreux pays depuis des années », confie au Point Lionel Gaiffe, Vice-Président de la Business unit combustible chez Framatome. L'américain Westinghouse commence à se pencher sérieusement sur le sujet dès 2014, après l'invasion de la Crimée – et parvient, en 2023, à produire un combustible de sa conception, capable d'alimenter les réacteurs VVER.
Les premiers « crayons » sont livrés en septembre dernier, à l'Ukraine. Framatome lance son propre projet en 2018 – trop tard pour espérer une finalisation avant 2030, chaque nouveau combustible devant passer par un long processus d'autorisations. La montée des tensions avec la Russie oriente une nouvelle stratégie : « Nos clients qui dépendent des livraisons russes ne pouvaient pas attendre, il leur faut une solution fiable, sûre et opérationnelle le plus vite possible », justifie Lionel Gaiffe. En clair : qui repose sur un combustible éprouvé et ne nécessite pas d'obtenir un nouvel agrément de leurs autorités de sûreté…
Briser les monopoles
En 2021, avant le déclenchement de la guerre, Framatome conclut un accord avec Rosatom visant à mettre en place une coentreprise, dont l'établissement est concrétisé en janvier 2023 : des combustibles VVER seront fabriqués à l'usine de Lingen, sous licence russe, le français s'assurant également l'accès à un stock de composants. En parallèle, Framatome accélère ses travaux pour proposer demain son propre design. « Nos clients nous l'ont dit clairement : ils ne souhaitent pas passer d'un monopole russe à un monopole américain. La Commission européenne soutient ce projet, qui maintient une concurrence en Europe et permet une solution 100 % européenne eet souveraine », assure Lionel Gaiffe.
Les opposants au projet évoquent, eux, un « risque de sabotage et d'espionnage » par le partenaire russe, et demandent à l'État fédéral et au Land de tout arrêter… « Des rumeurs infondées », tranche Lionel Gaiffe, qui confirme qu'aucun personnel russe ne sera présent sur le site pendant la fabrication. « L'usine Framatome continuera de fonctionner avec du personnel 100 % Framatome allemand », assure-t-il. 8 millions d'euros auraient été crédités pour aménager l'usine de Linden, selon l'agence Bloomberg. Et la licence rapporterait « quelques dizaines de millions à Rosatom sur plusieurs années », selon une source informée du dossier. « Une goutte d'eau, dans un secteur qui brasse des milliards… »
Baptisée EHF pour « European Hexagonal Fuel », la nouvelle société (franco-russe) est vue comme une étape sur le chemin de la vraie souveraineté… Un chemin encore semé d'obstacles, qui seront au cœur des discussions ce 21 mars, à Bruxelles.
https://www.lepoint.fr/monde/nucleaire-une-alliance-entre-framatome-et-le-russe-rosatom-fait-des-etincelles-21-03-2024-2555608_24.php
Agnès Pannier-Runacher
Enfin une ministre de l’énergie à qui nous pouvons dire Merci
En mai 2022, Madame Agnès Pannier-Runacher a été nommée Ministre de la Transition Énergétique dans le gouvernement de Mme Borne. Pour la première fois depuis longtemps, l’énergie et ses enjeux d’avenir relevaient d’un Ministère de plein exercice, sans rattachement direct, ni au Ministère de la Transition Écologique, ni au Ministère de l’Industrie ou de l’Économie.
Cette nomination et ce positionnement survenaient quelques mois après le discours de Belfort au cours duquel le Président de la République, en réaffirmant la place que devait tenir le nucléaire dans la production d’électricité qui devra être décarbonée, semblait mettre fin au mythe du 100 % renouvelable et amorcer un retour à la raison en matière de politique énergétique et climatique, pour ce qui concerne l’électricité, principal vecteur énergétique de l’avenir.
Le scepticisme était cependant de mise, à la fois sur la réelle volonté politique de corriger les orientations fâcheuses d’un passé récent et sur la capacité de la nouvelle ministre à ne pas céder aux pressions et à s’affranchir des impositions européo-germaniques sur ces sujets.
Force est de constater que Madame Pannier-Runacher a su faire taire les doutes en menant des actions déterminées qui ont fait bouger les lignes à plusieurs niveaux.
D’abord, la France a enfin réorienté ses études prospectives sur la place de l’électricité dans le futur en revenant à la raison et la cohérence économique, écologique et technique. Dans le passé, beaucoup d’études étaient marquées par la volonté des administrations et services de l’État de faire plaisir aux politiques en formulant les conclusions qu’ils attendaient, quitte à tordre certaines réalités. On affichait donc sans vergogne et contre tout bon sens la baisse des besoins en électricité dans un futur proche. On assimilait allégrement, contre toute réalité technique, les services rendus par les différents moyens de production d’électricité, faisant fi des réalités de l’intermittence et des besoins en moyens pilotables. Les scenarios plus réalistes sur les besoins futurs ont enfin droit de cité (le scenario Negatep de Sauvons le Climat avait montré la voie, prêchant dans le désert de l’aveuglement idéologique depuis 2007).
Ensuite, la doxa européenne, phagocytée depuis des années par les vues allemandes et autrichiennes, a pu, grâce au courage et à la persévérance de Mme Pannier-Runacher, évoluer pour commencer à contrebalancer l’hégémonie allemande par une intégration des visions de la France et d’autres pays européens. En clair, le nucléaire, honni des Allemands comme des Autrichiens mais clé enfin affirmée de la politique française, a cessé d’être ostracisé à Bruxelles et figure enfin parmi les solutions techniques du futur énergétique bas carbone.
L’action de Madame Pannier-Runacher a incontestablement été plus que positive pour redresser la barre des politiques françaises et européennes au bénéfice de l’avenir énergétique du pays et de l’Europe ainsi que de la préservation du climat.
Le nouveau gouvernement tourne le dos au principe de l’indépendance du Ministère de l’Énergie en le ramenant sous la coupe de Bercy. Cette organisation a, elle aussi, sa logique, mais elle va, de facto, priver notre pays de 2 atouts majeurs :
- Une Ministre entièrement consacrée à ces questions et qui peut, en particulier à Bruxelles, disposer du temps nécessaire pour faire avancer les dossiers face aux obstacles européens dans l’intérêt de la France
- Une personnalité investie de sa mission, maîtrisant parfaitement bien ses dossiers, faisant preuve de courage, de persévérance, de mesure et d’efficacité.
L’excellent travail de la Ministre était loin d’être abouti et, si la progression est incontestable, beaucoup reste à faire. Sans remettre en cause la volonté de qui que ce soit, nous ne pouvons que regretter qu’elle ne soit pas maintenue à son poste pour y poursuive sa tâche.
Merci Madame la Ministre pour les services que vous avez rendus à la politique française en matière d’énergie et de climat.
Nul doute que vous ferez un excellent travail dans vos nouvelles fonctions.
Nous souhaitons à votre successeur autant de concrétisations positives pour notre avenir sur le chemin que vous avez tracé.
Copyright © 2024 Association Sauvons Le Climat
Pourquoi tant de personnes, par ailleurs intelligentes, croient-elles que l'énergie nucléaire est la solution aux crises énergétique et climatique mondiales ?
"Il n'y a aucune chance, absolument aucune, que la transition énergétique mondiale vers l'abandon des combustibles fossiles puisse se faire sans une augmentation massive de l'énergie nucléaire à l'échelle mondiale.
-Suriya Jayanti, Time Magazine (décembre 2023)
Cela n'arrivera tout simplement pas.
Dans son récent article intitulé “Why Nuclear Is the Best Energy” (Pourquoi le nucléaire est la meilleure énergie), Tomas Pueyo s'est penché sur la plupart des mythes et des craintes que suscite l'énergie nucléaire, notamment en ce qui concerne le prix, la sécurité, l'environnement, la fiabilité et la sûreté.
« Le nucléaire est la meilleure source d’électricité pour tous les facteurs importants. »
—Tomas Pueyo
Et c’est là le problème—le seul usage pratique du nucléaire aujourd’hui est de produire de l’électricité.
L’électricité ne représente que 20 % de la consommation mondiale d’énergie, de sorte que le nucléaire a très peu d’effet sur la consommation totale d’énergie ou sur ses émissions. Son plus grand avantage potentiel est de réduire l’utilisation du charbon.
Les Perspectives énergétiques mondiales 2023 publiées récemment par l’AIE indiquent que l’énergie électrique augmentera au cours des prochaines décennies, mais seulement à environ 30 % de la consommation mondiale totale d’énergie (figure 1). La contribution du nucléaire devrait rester stable à environ 2 % de la consommation totale d’énergie jusqu’en 2050.
Figure 1. L’énergie électrique devrait passer de 20 % de la consommation mondiale d’énergie à 30 % en 2050. Le nucléaire restera stable à 2 % de la consommation énergétique finale mondiale jusqu’en 2050. IEA Stated Policies Scenario. Source : IEA & Labyrinth Consulting Services, Inc.
Si l’on considère uniquement l’énergie électrique, le nucléaire devrait passer de 9 % en 2022 à 8 % de la production mondiale d’électricité d’ici 2050 (figure 2).
La figure 2. Le nucléaire devrait passer de 9 % en 2022 à 8 % de la production mondiale d’électricité d’ici 2050. Scénario des politiques énoncées de l’AIE. Source : IEA & Labyrinth Consulting Services, Inc.
Les pourcentages, cependant, peuvent être trompeurs. Le pourcentage d’énergie nucléaire est essentiellement stable parce que les énergies renouvelables, l’énergie solaire et l’énergie éolienne devraient augmenter considérablement. La production nucléaire totale augmentera de 62 %, passant de 2 682 TWh (Terrawatt-heures) en 2022 à 4 353 TWh en 2050, selon le scénario des politiques énoncées de l’AIE illustré à la figure 2. Néanmoins, il s’agit d’une baisse de la production d’électricité prévue de 54 000 TWh en 2050.
Qu’est-ce que l’AIE ultra-verte sait que les enthousiastes du nucléaire ne savent pas? Que les centrales nucléaires ne peuvent pas être dimensionnées assez rapidement pour faire bouger les choses.
Huit nouvelles centrales nucléaires ont été achevées dans le monde en 2022. En moyenne, neuf nouvelles centrales doivent être construites chaque année pour atteindre les 4 353 térawattheures de production nucléaire estimés par l’AIE en 2050, comme le montre la figure 2.
Pour doubler ce chiffre, il faut ajouter 24 constructions chaque année, pour un total annuel de 33 nouvelles construction. La construction de quatre fois le nombre de centrales achevées en 2022 chaque année pour les 27 prochaines années ferait passer le nucléaire à seulement 4% de l’approvisionnement énergétique total. Cela n’arrivera pas. Et même si c’était le cas, 4 p. 100 ne fera pas une grande différence.
Certains pourraient faire valoir que les réacteurs de génération III+ et les petits réacteurs modulaires (PRM) pourraient rendre le doublement de la production nucléaire plus réalisable. Il s’agit peut-être de technologies de pointe qui ne devraient pas faire une différence appréciable dans le paysage énergétique au cours des prochaines décennies. Ils ne changent pas non plus la dure réalité selon laquelle il faut construire une énorme capacité pour doubler la production nucléaire à 4 p. 100.
Tomas Pueyo a peut-être raison de dire que tous les arguments contre l’énergie nucléaire sont erronés, mais cela ne changera rien au fait que le nucléaire ne peut pas évoluer assez rapidement pour faire une grande différence.
Art Berman
https://www.artberman.com/blog/can-we-just-get-over-nuclear/
https://www.afis.org/Cycle-du-combustible-vers-un-nucleaire-durable
L’Allemagne est officiellement sortie du nucléaire en avril dernier. Une initiative actée par la tripartite gouvernementale actuelle (SDP-GRÜNEN-FDP) mais lancée il y a une dizaine d’années par la CDU d’Angela Merkel. Aujourd’hui, des chrétiens-démocrates veulent réactiver les centrales.
Pourquoi est-ce important ?
Sur le plan énergétique, l'Union européenne est divisée en deux grands blocs : le pro-nucléaire et l'anti. Les premiers ont la France comme cheffe de file, les seconds l'Allemagne. Les deux pays et leurs alliés s'écharpent régulièrement sur la section, chacun accusant l'autre d'être dans l'erreur... alors qu'ils ont pourtant le même objectif final : la neutralité carbone.Dans l’actu : un membre influent de la CDU/CSU propose de réactiver les centrales nucléaires.
- Cette semaine, Markus Söder a émis l’idée de réactiver les centrales nucléaires allemandes dès 2025.
- C’est selon lui une mesure que devraient prendre les chrétiens-démocrates s’ils réintègrent le gouvernement.
Les détails : qu’a-t-il dit ?
- Söder n’est pas n’importe qui. Il est le ministre-président de Bavière depuis près de cinq ans et membre de la CSU, le parti frère de la CDU uniquement actif dans ce land allemand – le deuxième plus peuplé du pays.
- Dans une interview accordée à ARD, il a fait savoir que si sa famille politique revenait au pouvoir après les élections fédérales de 2025, elle pourrait – si la crise énergétique est toujours d’actualité – pousser pour la réactivation des centrales nucléaires.
- Selon Söder, la sortie du nucléaire a fait de l’Allemagne un « moteur à contresens de la politique énergétique ». « Avec la crise, le monde entier se concentre désormais sur le maintien de l’énergie nucléaire comme énergie de transition – seule l’Allemagne ne le fait pas », a-t-il déclaré.
- Effectivement, plusieurs pays européens se sont récemment tournés vers le nucléaire (prolongation en Belgique, construction de réacteurs supplémentaires en France, construction de premiers réacteurs en Pologne). De là à dire que le monde entier est pro-nucléaire, il exagère quelque peu, certains pays restant fidèles à leur tradition anti-atome, son voisin autrichien en étant le meilleur exemple.
- L’élu de la CSU/CDU a également tancé plus globalement la politique énergétique menée par la tripartie au pouvoir, et notamment sa loi de réduction de la consommation de l’énergie – d’ailleurs vivement encouragée par Bruxelles auprès de tous les États de l’UE.
- « Cela signifie que nous devrions réduire la voilure. Avez-vous déjà vu quelque chose qui semble mieux qu’avant une fois qu’il a rétréci ? », a déclaré Söder « C’est pourquoi je pense que nous avons besoin de deux choses : revenir à l’énergie nucléaire au lieu de rallumer des centrales au charbon et s’appuyer sur de nouvelles technologies telles que la fusion nucléaire.
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Söder et le nucléaire, c’est je t’aime moi non plus
Le contexte : un pompier-pyromane ?
- La décision de sortir l’Allemagne du nucléaire a été prise en 2011, à la suite de la catastrophe de Fukushima. À l’époque, si tous les partis un tant soit peu influents étaient d’accord, l’initiative avait surtout été impulsée par la chancelière et présidente de la CDU Merkel – autrefois loin d’être contraire au nucléaire – en personne. Et quasiment tous les chrétiens-démocrates abondaient dans son sens.
- Söder lui-même, alors ministre de l’Environnement et de la Santé de Bavière, s’était positionné comme un fervent partisan de la sortie du nucléaire – alors que, comme Merkel, il était favorable à l’atome par le passé.
- Il avait même menacé de démissionner de son poste si la Bavière ne soutenait pas une sortie pour 2022, rappelle ZDF.
- Une position qu’il maintiendra pendant dix ans, faisant encore valoir en novembre 2021 qu’une sortie du nucléaire était « basée sur une large acceptation sociale ».
- Mais depuis que la guerre en Ukraine éclaté – et la crise énergétique qui a suivi -, plusieurs responsables chrétiens-démocrates ont changé d’avis, se positionnant contre la fermeture des dernières centrales. Et Söder est l’un de plus bruyants.
- En avril dernier, il a même avancé une proposition pour le moins audacieuse : transférer la compétence sur l’énergie nucléaire du gouvernement fédéral aux lands. Cela aurait permis à la Bavière de pouvoir toujours compter sur Isar 2 et ses 1495 MW – ce qui n’est plus le cas depuis quatre mois.
- Si les trois partis au pouvoir lui avaient opposé une fin de non-recevoir, Söder avait été soutenu par quelques-uns des plus importants responsables des chrétiens-démocrates, dont leur président, Friedrich Merz. « L’idée vaut la peine d’être discutée », avait-il réagi.
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Pour l’instant, aucun autre membre influent de la CDU/CSU n’a confirmé que les chrétiens-démocrates militeraient pour un retour au nucléaire dans le cadre des élections de 2025. Il est sans doute encore un peu trop tôt, les positions sur le sujet évoluant souvent, on l’a vu, au gré du vent. Toujours est-il que Söder a ouvert la brèche… et que, même s’il assure ne pas être intéressé pour l’instant, son nom est régulièrement cité comme candidat chrétien-démocrate à la chancellerie pour 2025.
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Olivier Daelen
publié le
Nucléaire : Agnès Pannier-Runacher pointe les incohérences de l'Allemagne
https://lenergeek.com/2023/07/07/nucleaire-agnes-pannier-runacher-pointe-incoherences-allemagne/
Agnès Pannier-Runacher pointe les incohérences de l’Allemagne...le rapport de l’Allemagne à l’énergie nucléaire : Berlin l’a exclu de son mix électrique, la combat de toutes ses forces au niveau européen… mais l’importe de France pour équilibrer sa production électrique....
ingérence allemande et sabotage de la filière nucléaire française
Christian Harbulot, directeur de l'école de guerre économique, qui publie ce rapport, a fait parti de mouvements fortement anti-nucléaires dans sa jeunesse. Il n'est donc pas forcément fan du nucléaire.
"Malgré une volonté historique de ses membres d’afficher un front commun, l’Union européenne (UE) est le théâtre de nombreux antagonismes, illustrés par la politique énergétique respective de la France et de l’Allemagne.
L’Allemagne, par le biais de ses fondations politiques, interfère dans les affaires politiques et économiques de ses partenaires étrangers, notamment celles de la France. Depuis leur création, ces organisations ont démontré leur nature d’agent d’influence : en plus de leur affiliation directe aux partis politiques allemands, elles sont largement inféodées à Berlin. Grâce au soft power qu’elles déploient à l’étranger, ces fondations sont utiles à plusieurs égards : préparation du terrain pour une coopération plus officielle, propagation idéologique, façonnement des élites socio-politiques locales, défense des intérêts économiques allemands, etc.
Les fondations politiques recourent à des stratégies d’influence multiples et parfois contestables, tout en se drapant d’une moralité questionnable. Par le biais de la production de contenus orientés et l’organisation de rencontres, ces fondations altèrent la perception de la société civile vis-à-vis de certains sujets stratégiques, dans le but d’orienter les élites socio-politiques et in fine d’infléchir les politiques en faveur de leurs intérêts.
Afin d’affaiblir l'industrie et l'économie française en général et assurer sa propre hégémonie dans ces domaines au niveau européen, l’Allemagne déstabilise la filière nucléaire française
par le verrouillage des institutions européennes, la pression constante exercée sur la politique européenne et la pratique d’un encerclement cognitif sur le territoire français.
Au moyen d’opérations d’influence anti-nucléaire sur le territoire français, et de déstabilisation de la chaine d’approvisionnement en uranium à l’étranger, les fondations Heinrich Böll et Rosa Luxemburg œuvrent directement au ralentissement du développement de l’atome en France.
Non seulement la plupart des financements des fondations politiques proviennent du gouvernement fédéral, traduisant l’approbation gouvernementale de leurs objectifs, mais Berlin est aussi parfois le commanditaire direct de leurs actions.
Ces fondations constituent de précieux leviers pour les officiels allemands : dissimulation de l’implication étatique, accès à des populations autrement inaccessibles, défense inavouée des intérêts économiques allemands, renseignement, etc. Elles sont aussi de redoutables instruments au service de la politique étrangère allemande, raison qui justifie un budget en constante augmentation."
Christian Harbulot
Directeur de l’École de Guerre Économique
L’Allemagne finance l’affaiblissement du secteur nucléaire français au travers de ses fondaƟons poliƟques. Ces dernières, notamment les fondaƟons Heinrich Böll et Rosa Luxemburg, mènent des opéraƟons d’influence anƟnucléaires sur le territoire français à desƟnaƟon de l’opinion publique naƟonale. Elles en mènent également à l’étranger, à desƟnaƟon de partenaires clefs de la filière nucléaire tels que ses fournisseurs d’uranium
Séisme dans l’ouest de la France : Les alarmes des centrales nucléaires ne se sont pas déclenchées....Plusieurs sites nucléaires situés dans un périmètre proche de l’épicentre ont ressenti la secousse sans entraîner « d’ébranlement des bâtiments réacteurs »
Depuis plusieurs mois, les pays de l’UE débattent (difficilement) autour des réformes à mener dans le bloc pour accélérer la transition énergétique. La France, fervente défenseuse du nucléaire, persiste et signe : l’atome doit être considéré comme vert dans les textes européens.
Pourquoi est-ce important ?
Désireux d'accélérer la transition énergétique, les pays européens tentent de se mettre d'accord sur de nouveaux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Problème : s'ils sont (plus ou moins) d'accord sur les chiffres à atteindre, ils ne le sont pas pour la marche à suivre pour y arriver. Avec un duel entre ses deux moteurs : la France (pro-nucléaire) face à l'Allemagne (anti-nucléaire).Dans l’actu : la France rappelle encore sa détermination.
- Ce jeudi, le ministre français des Finances Bruno Le Maire a tenu un nouveau discours « pro-nucléaire« .
- Ses déclarations ont le mérite d’être claires : Paris se battra jusqu’au bout pour que le nucléaire conserve une place importante dans le mix électrique français… et pour que cela permette de satisfaire les directives européennes en la matière.
Le détail : des déclarations fortes.
- « Le nucléaire est une ligne rouge absolue pour la France. Et la France ne renoncera à aucun de ses avantages compétitifs liés à l’énergie nucléaire », a assuré Le Maire à l’occasion d’un colloque de l’Union française de l’électricité. « Le nucléaire français n’est pas négociable et ne sera jamais négociable. Il faudra faire avec et nous sommes convaincus qu’il est non seulement dans l’intérêt de la France, mais également dans l’intérêt du continent européen. »
- « Tous ceux qui pensent qu’ils pourraient faire reculer la France sur l’énergie nucléaire par quelque moyen que ce soit se trompent lourdement, nous ne céderons jamais sur l’indépendance de la France », a-t-il ajouté.
- Selon lui, le nucléaire permet et permettra aux Français de « payer le juste prix, c’est-à-dire un prix stable, un prix proche du coût de production électrique nationale et un prix qui garantisse une compétitivité de l’industrie nationale face à la concurrence européenne et face à la concurrence internationale ».
- Le ministre français a également directement épinglé l’Allemagne, l’un de ses principaux adversaires dans sa volonté d’accorder la meilleure place possible à l’atome dans les textes européens.
- « Chacun doit respecter les choix souverains de chaque nation en matière de mix énergétique. L’Allemagne a indiqué qu’elle respecterait les choix français en matière énergétique. C’est une bonne nouvelle. Nous avons toujours respecté les choix allemands. Et il ne me viendrait pas à l’idée (…) d’aller critiquer les choix énergétiques de telle ou telle nation », a-t-il déclaré.
- Peu avant les déclarations de Le Maire, le secrétaire d’État allemand à l’Économie et au Climat Stefan Wenzl avait déclaré que, bien que l’Allemagne « respecte les choix divergents […] d’autres États membres comme la France qui peuvent contribuer de manière similaire à atteindre la neutralité climatique », elle « ne peut pas accepter que l’énergie nucléaire soit définie comme renouvelable ».
Blocage toujours en cours
Le contexte : une RED toujours bloquée.
- Comme nous vous l’expliquions ici, mi-mai, la France a bloqué in extremis la validation finale de la directive sur les énergies renouvelables (RED III) afin de s’assurer que le texte soit le plus favorable possible au nucléaire. Une décision qui a beaucoup irrité certains de ses partenaires européens.
- Pour rappel, ce texte est considéré comme primordial pour rendre possible les objectifs européens de la réduction des gaz à effet de serre de 55% et du passage de la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique de l’UE à 42,5% d’ici 2030.
- C’est plus particulièrement l’article 22 du texte, relatif à l’hydrogène issu du nucléaire, qui ne convient pas à la France. Alors qu’un compromis avait été trouvé quelques semaines plus tôt pour satisfaire chaque partie, Paris a finalement estimé que les conditions encadrant son utilisation n’étaient pas assez favorables.
Olivier Daelen
publié le
Ingénieur d’études en physique nucléaire, Maxime Amblard a relevé de nombreuses inexactitudes et contre-vérités lors des auditions de responsables politiques, dont Nicolas Hulot ou Ségolène Royal, dans le cadre de la commission d’enquête parlementaire sur la souveraineté énergétique. Il y répond point par point.
ENTRETIEN. La politique énergétique du gouvernement doit être étroitement contrôlée, prévient Yves Bréchet, pour éviter de nouvelles errances.
Son audition, en décembre, a sidéré les membres de la commission d'enquête parlementaire sur les raisons de la perte de souveraineté énergétique de la France… Haut-commissaire à l'énergie atomique de 2012 à 2018, Yves Bréchet a sans relâche, pendant six ans, alerté l'exécutif sur le mur énergétique qui se profilait à l'horizon, empilant les rapports et les notes techniques qui sont allées « caler des armoires ». En vain. En six ans de mandat (il refusera de rempiler en 2018), il a été reçu une seule fois par un président – à l'époque François Hollande, jamais par Emmanuel Macron.
Aujourd'hui, le polytechnicien, membre de l'Académie des sciences, directeur scientifique de Saint-Gobain et président du conseil scientifique de Framatome, a retrouvé un peu d'espoir, et sa liberté de parole. Alors que « l'État stratège », capable d'une vision sur trente ans, semble faire son grand retour, il avertit : « Les gens qui ont eu intérêt à ce que la prise de conscience n'ait pas lieu pendant une trentaine d'années n'ont pas démissionné, ils sont toujours en poste. » Pour l'ingénieur, les propositions formulées par la « remarquable » commission d'enquête doivent être mises en œuvre sans tarder, et la politique du gouvernement en matière énergétique « étroitement encadrée » par les parlementaires. Entretien.
Le Point : Les députés ont passé six mois à ausculter l'un des plus grands fiascos de politique publique, qui a conduit la France au bord du black-out. En tant qu'ancien haut-commissaire à l'énergie atomique, avez-vous appris des choses ?
Yves Bréchet : J'ai vu la confirmation de dysfonctionnements que j'avais constatés, ou que je subodorais. Le travail parlementaire a permis d'exposer tous les tenants et aboutissants de décisions politiques qui n'avaient en réalité ni queue ni tête, les petits arrangements entre amis, une forme de démission de nos élites face à des engagements européens qui n'avaient pas lieu d'être… La grande nouveauté, c'est que toutes ces choses ont été dites, et qu'elles l'ont été très explicitement.
À l'époque, je comprenais bien que l'Arenh était une aberration, que la réduction de la part du nucléaire à 50 % de notre mix semblait complètement exotique, que la décision d'arrêter le programme de surgénération Astrid était une absurdité… J'ai vécu le « nucléaire honteux » de façon continue, constaté que les décisions n'étaient jamais prises, que l'information n'était pas transmise par les conseillers… Tout cela était patent. Mais je ne pensais pas que ce que j'avais vécu deviendrait un jour à ce point évident pour la totalité des citoyens, dans le cadre de cette commission d'enquête. Nous avons maintenant la preuve que nous avons fait littéralement n'importe quoi pendant trente ans. C'est vertigineux.
Expliciter ces errances, est-ce une garantie suffisante pour ne pas les reproduire ?
C'est une base indispensable pour réformer ce qui doit l'être. Le travail parlementaire a permis de mettre au jour des problèmes structuraux, et des problèmes de personnes. Je pense, pour celles-là, que la honte qu'elles auront devant l'histoire les punira assez largement. On a vu qui avaient un peu de tripes, et les gens qui n'en avaient pas. On a vu qui s'était aveuglé au point de justifier, trente ans après, des décisions absurdes comme l'arrêt de Superphénix. De nombreux politiques ne sont pas sortis grandis de cet exercice, à l'opposé du travail du Parlement, qui a rendu un rapport qui fait son honneur. On a vu une démocratie parlementaire qui fonctionnait bien.
J'ai souvent pensé à cette phrase d'Alain en regardant les auditions : « Tout pouvoir est méchant dès lors qu'on le laisse faire, il est sage dès qu'il se sent jugé »… Le fait que tous les gouvernements successifs se soient assis sur l'ensemble des avis d'experts prouve simplement qu'ils sont bêtes. Mais ils ne pourront pas s'asseoir sur un avis de la représentation nationale. Les citoyens ont vu, et désormais, ils savent. On ne pourra plus faire comme si ce travail n'avait pas eu lieu.
Les députés, qui ont remis leur rapport à la ministre de la Transition énergétique, formulent une trentaine de propositions. Lesquelles, selon vous, pourraient rapidement être mises en œuvre ?
Les auditions ont révélé la propension des structures gouvernementales à enterrer les avis qui lui étaient remis. Il est donc indispensable que le Parlement assure un suivi des recommandations qui auront été formulées par la commission d'enquête. C'est essentiel, et cela figure d'ailleurs dans ses prérogatives constitutionnelles. Certaines recommandations relèvent de la prise de conscience, comme la nécessité « d'assumer un besoin croissant d'électricité ». Il est temps ! Voilà dix ans que nous entendons n'importe quoi sur le sujet, et que les décideurs se racontent des fables en se basant sur des diagrammes de l'Ademe, où la consommation d'électricité décroît. Mais il va falloir électrifier les transports, le bâtiment, notre industrie… Cette folie d'imaginer une décroissance de la consommation d'électricité doit cesser et le réel reprendre pied.
Sur la forme ensuite, il me semble important d'arrêter de brasser du vent avec des lois de programmation pluriannuelles, qui nous entraînent à nous perdre dans d'interminables débats de court terme, sur des initiatives « inaugurables » alors qu'on a besoin d'une réflexion sur trente ans. C'est ce que les députés proposent : la future loi de programmation énergie-climat, attendue au plus tard à l'automne, doit porter sur cet horizon, et fixer à trente ans des objectifs climatiques, énergétiques et industriels.
Une troisième recommandation relève aussi de l'état d'esprit : la nécessité de renforcer la consultation du Parlement via l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Cette instance doit être renforcée, et gréée d'un conseil scientifique ad hoc qui fasse sérieusement le boulot, et aide les députés à suivre l'application des propositions du rapport, avec la publication d'un avis annuel. C'est indispensable pour l'efficacité, et pour la dignité du Parlement. Le travail fait relève de la fonction parlementaire la plus fondamentale, il doit être respecté comme tel.
La commission d'enquête est très dure avec les instances indépendantes censées conseiller le gouvernement, comme le gestionnaire de réseaux RTE, l'Ademe, la Commission de régulation de l'énergie (CRE)… Certains de leurs avis étaient scientifiquement infondés. Comment réparer cette dérive ?
Les gens nommés à la tête de l'Ademe, de la CRE ou de RTE le sont pour des raisons politiques. J'ai écouté l'audition d'Emmanuelle Wargon, lorsqu'elle a récemment pris la direction de la CRE : peu de questions techniques lui ont été posées, et lorsqu'elles l'ont été, ses réponses relevaient davantage de la pirouette politicienne que de l'analyse de fond. Il est pleinement légitime que le politique nomme les dirigeants de ces instances, et il n'est pas question de remettre cette légitimité en cause. Mais pour qu'elles puissent faire sérieusement leur travail, les compétences techniques doivent être un prérequis pour pouvoir postuler. Car ce sont des postes cruciaux, qui nécessitent une analyse technique des dossiers, ou au moins leur compréhension.
On ne peut pas avoir d’industrie sans une énergie stable, disponible, et relativement peu chère.
Le rapport recommande que la Direction générale de l'énergie et du climat, placée aujourd'hui sous la tutelle du ministère de l'Écologie, retourne à l'Industrie. Vous l'avez vous-même souvent conseillé…
Elle n'aurait jamais dû en sortir ! L'Énergie, c'est le sang de notre système industriel. On ne peut pas avoir d'industrie sans une énergie stable, disponible, et relativement peu chère. Et sans souveraineté énergétique, nous n'aurons jamais de souveraineté industrielle. Détacher la Direction générale de l'énergie et du climat du ministère de l'Industrie relevait de l'aberration mentale, il est urgent qu'elle y retourne.
Depuis le discours de Belfort en février 2022, le gouvernement a changé radicalement de stratégie, comme de trajectoire. Emmanuel Macron a convoqué un Conseil de politique nucléaire, pour la première fois depuis son élection – lui qui ne vous avait jamais reçu. En êtes-vous soulagé ?
Ce qui m'intéresse, c'est comment on sort de cette situation. Réunir le Conseil de politique nucléaire, c'est une première étape. Renommer un haut-commissaire à l'énergie atomique, qui soit un scientifique véritablement indépendant, avec les moyens de faire son boulot, serait un deuxième signe. Actuellement, le poste est vacant depuis trois mois.
Mais un délégué interministériel au nouveau nucléaire, l'ancien DG de l'armement Joël Barre, a été nommé.
Et c'est une excellente nouvelle. Joël Barre, comme son bras droit Vincent Le Biez [un ancien de l'Agence des participations de l'État, NDLR], sont de grands ingénieurs et de grands serviteurs de l'État. Nous verrons comment leurs recommandations, dont je suis à peu près certain qu'elles seront bonnes, seront suivies et mises en œuvre au niveau politique. Car il serait dangereux de se montrer naïf : les gens qui ont eu intérêt à ce que la prise de conscience n'ait pas lieu pendant une trentaine d'années n'ont pas démissionné, la plupart sont toujours en poste, et ils ont témoigné devant la commission d'enquête. C'était d'ailleurs terrible.
À 62 ans, j'ai compris qu'on pouvait, sans honte ni sanction, mentir sous serment devant une commission de l'Assemblée nationale. J'ai entendu qu'on avait fermé Fessenheim parce qu'on n'avait plus le combustible « très spécial » – c'est faux ! Le combustible était sur site, il a été envoyé à Bugey qui l'utilise, et continue à fonctionner aujourd'hui. J'ai aussi entendu que rien n'avait été fait sur le combustible nécessaire à la quatrième génération de réacteurs – c'est faux ! Le CEA a conduit quarante ans de recherche sur le sujet. Ces idées-là n'ont pas disparu, elles ressurgiront, comme ressurgiront tous les faux arguments permettant de justifier les âneries accumulées pendant trente ans.
C'est pourquoi le Parlement doit jouer son rôle aujourd'hui, et mettre le gouvernement sous coupe réglée, en exerçant sa mission de contrôle. Si nous avons réussi à passer l'hiver, ce n'est pas grâce à des efforts (qui étaient nécessaires) de sobriété, mais parce que l'hiver est devenu plus doux au moment où tout risquait de se casser la figure. Nous ne pouvons pas nous permettre d'être dépendants d'un coup de chance météorologique !
On a le sentiment que le réel a de plus en plus de mal à s'imposer dans le débat public… Si on a pu vendre de telles fadaises à la population, n'est-ce pas aussi qu'elle était peu armée pour y résister ?
Cette commission a ramené le réel au cœur du problème, et c'est pour cela qu'elle a fait autant de bruit, et a été autant suivie par la population. Les citoyens ont compris que le réel était là, et qu'il fallait le regarder en face. Je constate également que, au cours de la dernière décennie, peu de journalistes ont prévenu la population qu'on était en train de les enfumer. Certains quotidiens fameux ont accumulé les contre-vérités avec une certaine constance. Chacun doit désormais se regarder dans la glace. Mais je suis d'un naturel optimiste.
Ce n’est pas la technique qui commandera qu’on généralise le covoiturage ou qu’on baisse la température de chauffage, c’est la prise de conscience du citoyen.
Quand un pays (sauf à imaginer de fumeuses théories complotistes) comprend que certaines choses ne vont pas, ses forces se mobilisent pour redresser la barre. C'est vrai pour les citoyens, comme pour les politiques. Cela doit aussi être vrai pour les journalistes, qui ont un devoir d'information vis-à-vis du public, et pas un devoir de manipulation au service d'officines doctrinaires. Cette prise de conscience relève de ce que j'appelle l'esprit citoyen.
Est-ce qu'il est encore temps ? Le cap des années 2030 sera difficile à passer…
Bien sûr, mais il faut s'y mettre tout de suite. On a procrastiné trop longtemps. Un rapport (le rapport d'Escatha, NDLR) remis en 2018 disait très exactement ce qu'on s'est enfin décidé à dire en 2022. Les gens qui ont perdu quatre ans doivent avoir du mal à se regarder dans la glace, et ce n'est certainement pas à eux que nous devons faire confiance pour reconstruire le parc. Comme ils sont toujours aux manettes, il faut les mettre sous surveillance, et le Parlement a pleine légitimité à le faire.
La relance du nucléaire n'est pas l'alpha et l'oméga d'une politique énergétique. Faut-il aller plus vite sur les renouvelables, les autres sources d'énergies propres… ?
C'est une évidence. Nous nous sommes pendant des années focalisés sur l'électricité, car au lieu de chercher à lutter contre le réchauffement climatique, nous avons lutté contre le nucléaire. Les députés ont très justement identifié ce problème : les énergies liées à la production de chaleur n'ont pas été pensées. La biomasse, la géothermie, le biogaz… Il n'existe pas de solution miracle, mais certaines technologies peuvent être adaptées, à tel ou tel endroit. Nous devons nous doter d'une analyse technique des solutions possibles, et l'appliquer à une grille de lecture liée à la fois à la souveraineté industrielle et à la lutte contre le réchauffement climatique. Si l'on avait appliqué cette méthode (celle qu'appliquait d'ailleurs le président Obama), on n'aurait pas passé vingt ans à « décarboner » une électricité qui l'était déjà.
Ce discours va passer pour celui d'un techno-solutionniste…
Je suis loin de penser que la technique serait le remède à tout. L'ampleur du défi à relever conduira nécessairement à des évolutions profondes dans la société. Mais je sais que si l'on ne mobilise pas la technique pour des problèmes aussi sérieux, nous n'aurons de remède à rien. Je le dis aux ingénieurs : vous avez une formation, des connaissances, une expérience, que vous avez le devoir d'utiliser pour votre pays, afin de l'aider à résoudre des problèmes vitaux. La technique ne suffira pas – il ne fait guère de doute que nous devrons modifier un certain nombre de nos modes de vie.
Ce n'est pas la technique qui commandera qu'on généralise le covoiturage ou qu'on baisse la température de chauffage, c'est la prise de conscience du citoyen. La technique est un outil possible, qu'on n'a pas le droit de négliger, pour mieux isoler les bâtiments, pour électrifier les usages, pour décarboner les procédés industriels. Avoir imaginé que l'industrie était seulement la cause du problème est un non-sens – elle est aussi l'une des solutions possibles. Avoir imaginé que la technique était uniquement responsable du réchauffement climatique, sans voir que c'est un outil majeur pour le combattre, est irresponsable. On peut être technophile sans être technolâtre.
100 000 recrutements en 10 ans : l’immense défi de la filière nucléaire Les industriels de l’atome vont devoir embaucher massivement ces dix prochaines années, pour soutenir la relance du parc nucléaire. Le chantier est lancé.
Classé « secret défense » en 2018, le rapport « d’Escatha-Collet-Billon », que « Le Point » s’est procuré, donnait un calendrier précis à Emmanuel Macron.
Sa réponse balbutiante a sidéré, cet hiver, les parlementaires enquêtant sur « les raisons de la perte de souveraineté énergétique » de la France. « Personne ne m'a jamais dit… Je ne me souviens pas que ce rapport me soit parvenu », bredouillait l'ancien ministre de l'Écologie Nicolas Hulot, ce 28 février, alors que les députés l'interrogeaient sur un rapport explosif remis au gouvernement en juillet 2018… et aussitôt enterré. Un brûlot dont la presse, à l'époque, s'était brièvement fait l'écho, sans avoir pu consulter le document, classé « secret défense » dès sa réception.
Pour l'aider dans sa préparation de la future loi de programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), le gouvernement, alerté de pertes de compétences dans la filière nucléaire, avait en effet confié à deux experts de l'atome – l'ancien administrateur du CEA Yannick d'Escatha et l'ex-délégué général à l'Armement Laurent Collet-Billon – une mission : évaluer les impacts d'éventuelles périodes d'inactivité et « les conditions dans lesquelles les capacités industrielles requises pour la construction de réacteurs pourraient être remobilisées ».
Le rapport enjoignait de lancer « au plus tôt » la construction de six nouveaux réacteurs pour maintenir les compétences d'une filière déjà en (très) grande difficulté… L'exécutif n'en fera rien. « Ce n'est pas un rapport qui décide de la politique du gouvernement », tranchera sèchement, à l'époque, le ministre de l'économie Bruno Lemaire, codestinataire du document.
La lecture rétrospective de ces 65 pages, que « Le Point » s'est procurées après leur partielle déclassification dans le cadre de la commission d'enquête menée par les députés Raphaël Schellenberger – président (LR) – et Antoine Armand – rapporteur (Renaissance) –, éclaire d'une lumière crue la façon dont les alertes ont été ignorées, au plus haut sommet de l'État.
Ni le secrétaire général de l'Élysée Alexis Kohler, ni le conseiller énergie du président – à l'époque Antoine Pellion, aujourd'hui secrétaire général à la planification écologique –, ni le directeur du cabinet d'Édouard Philippe, ni encore les ministres concernés – Nicolas Hulot et Bruno Le Maire –, tous destinataires du rapport, n'ont jugé opportun de suivre ses conclusions, étayées par les auditions de plus de 70 acteurs de la filière alertant d'une situation en passe de devenir particulièrement critique.
L'absence de décision fustigée
Les conséquences concrètes de la politique, inscrite dans la loi en 2015, visant à réduire à 50 % la part du nucléaire dans le mix électrique, y sont décrites en mots tranchants : « Le risque premier est d'ordre humain, avec une question fondamentale de confiance dans l'avenir », écrivent les auteurs. « La population d'ingénieurs, chercheurs, techniciens, étudiants, constate que le secteur nucléaire ne prévoit aujourd'hui aucune commande de construction neuve » et déserte les entreprises.
« La moitié des industriels de la filière éprouve des difficultés de recrutement, à tous les niveaux, les départs vers d'autres secteurs industriels sont observés », le nombre d'inscrits en génie atomique s'effondre… « Cette tendance, si elle se poursuit, rendra illusoire le maintien des capacités industrielles de la filière », poursuivent les auteurs, prévenant que les chantiers de maintenance, d'export ou de prolongement du parc existant, trop restreints, « ne permettront pas d'entretenir les compétences ».
Si l'absence de construction devait se prolonger cinq ou six ans après la mise en service de Flamanville (Manche), les conséquences pourraient être irréversibles, préviennent les auteurs. « Assystem, société spécialisée dans l'assistance à l'ingénierie, estime qu'en l'absence de décision, les compétences disparaîtraient en douze à dix-huit mois, et qu'il faut cinq ans pour recréer une filière compétente », s'alarment-ils…
« Le maintien des compétences est un objectif atteignable, sous réserve que les dispositions permettant d'éviter une désaffection massive des personnels soient prises. A contrario, l'absence de telles dispositions pourrait aboutir à la fin définitive du nucléaire civil et donc militaire. »
Le coup de pouce de l'armée… et du Covid
Pour l'éviter, ils conseillent aux pouvoirs publics un calendrier précis : « Il est indispensable d'annoncer en 2019, à la suite de la PPE [Programmation pluriannuelle de l'énergie, NDLR], le maintien d'un socle nucléaire de précaution », la décision de lancement « d'une série de trois paires de réacteurs de troisième génération EPR2, incluant le nom du premier site », devant intervenir « au plus tard en 2021 ».
Le gouvernement n'en fera rien : en 2019, la PPE, si elle inscrit dans le marbre la fermeture de quatorze réacteurs nucléaires d'ici 2035 – elle en précise même la liste –, ne dit pas un mot de l'avenir, se contentant d'ordonner des études « sur le 100 % renouvelables », de nouveaux rapports et un « programme de travail ». Le virage stratégique du gouvernement n'interviendra qu'en 2022, avec « trois ans de retard », notent amèrement les membres de la commission d'enquête dans leur récent rapport. Avec quelles conséquences ?
« Heureusement, la situation a changé, et des gens responsables ont réussi à limiter la casse », souligne un fin connaisseur du secteur. Les premiers sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de troisième génération (SNLE 3G), commandés en 2021 à Naval Groupe, comprendront ainsi des cuves et des générateurs de vapeur des chaufferies nucléaires forgées par Framatome, au Creusot.
« Cela permettait d'entretenir des compétences dans l'ensemble de la filière », précise la même source. « Et alors qu'en 2019, elle n'avait aucune perspective, la crise du Covid l'a aidée », explique un industriel. « Une commande de Barracuda (sous-marins d'attaque) a soutenu la filière, et la crise sanitaire a figé des mouvements. Les transferts d'activité vers la filière aéronautique programmés par certains sous-traitants ne se sont finalement pas faits, on a même observé des mouvements inverses. »
Défi colossal
Le Gifen, syndicat professionnel de l'industrie nucléaire française, travaille actuellement à une vaste revue de détail, qui permettra d'actualiser les conclusions du rapport « d'Escatha-Collet-Billon », et d'analyser précisément les besoins et les points de tension à venir en termes de compétences et de main-d'œuvre, dans l'ensemble des métiers. « À partir du moment où les commandes d'EPR seront lancées, les besoins en main-d'œuvre vont s'étaler dans le temps. Les cinq premières années sont des années d'études, de génie civil… Les équipes de montage, avec des tuyauteurs, des robinetiers, etc., ne seront pas mobilisées immédiatement. »
Le défi reste néanmoins colossal, alors que la filière va devoir recruter, dans les dix prochaines années, entre 10 000 et 15 000 personnes par an. Le retard pris demeure un handicap. « À l'occasion de l'audition de Mme Élisabeth Borne, Première ministre, une forme de duplicité nous est apparue et de nombreuses contradictions apparentes restent en suspens », s'alarme ainsi le président de la récente commission d'enquête parlementaire Raphaël Schellenberger.
« Depuis plus d'un an, et l'annonce du plan sur le nouveau nucléaire, nous ne constatons encore aucune déclaration sur la stratégie de financement » et les besoins futurs en électricité décarbonée paraissent aux députés « sous-estimés », rendant toute planification hasardeuse.
Des questionnements que le nouveau délégué interministériel au nouveau nucléaire, Joël Barré, nommé il y a seulement quelques mois, travaille à lever, en attendant le vote d'une nouvelle PPE qui inscrira l'ambition dans le marbre. La commande de six gigantesques chaudières est attendue, chez Framatome, avant la fin de l'année.
Suspension de l’Arenh, gouvernance… « Le Point » s’est procuré les 30 propositions du rapport de la commission d’enquête sur la perte de souveraineté énergétique de la France, attendu le 6 avril.
Ils ont passé six mois à ausculter l'un des plus grands fiascos de politiques publiques, qui a conduit la France au bord de la falaise et contraint l'exécutif, cet hiver, à demander aux usines de réduire leur production et aux Français de porter des pulls, pour éviter le black-out. La commission d'enquête sur les raisons de la perte de souveraineté énergétique de la France, décrochée par le groupe LR à l'automne, publiera jeudi son rapport – une somme de 400 pages, documentant « trois décennies » de « retard considérable accumulé en termes de souveraineté énergétique », selon les éléments que Le Point a pu consulter. Et les 30 propositions que les parlementaires formulent pour « rebâtir notre souveraineté électrique » tout en « réduisant rapidement notre dépendance aux énergies fossiles » promettent d'être scrutées à la loupe.
En effet, le travail de la commission, saluée pour son sérieux, a déjà imprimé sa marque. Les auditions publiques, tout au long de l'hiver, de 88 acteurs et témoins de cette épopée aux airs de tragi-comédie ont souvent laissé le public pantois, devant la révélation des errements, des compromissions politiques, de l'incompétence ou des lâchetés ayant amené le pays à se retrouver, au seuil de l'hiver 2022, contraint d'acheter à prix d'or à ses voisins une électricité qu'il n'était plus capable de produire, tandis que les factures explosaient. Annexées au rapport, les 1 500 pages de retranscription de ces auditions – responsables politiques, hauts fonctionnaires, experts, patrons d'entreprises, syndicalistes… – resteront pour l'Histoire.
« Tout le monde savait » que la politique de réduction de la part du nucléaire à 50 % du mix électrique, associée à la fermeture de moyens de production pilotables, allait dans le mur, a résumé l'ancien directeur de l'énergie au ministère (de 2007 à 2014) et actuel patron de l'Andra, Pierre-Marie Abadie, au cours de son audition. Les alertes ont été ignorées, voire couvertes. Et ensuite ? « C'est un rapport d'enquête parlementaire, pas une cour de justice », confiait au Point le rapporteur Antoine Armand (Renaissance), à la veille de présenter son bilan. « Nous devons faire un état des lieux lucide de notre situation énergétique, et de ce que nous pouvons faire. Il y a eu pendant longtemps une forme d'inconscience, avec le refus d'admettre qu'on ne peut pas à la fois produire plus d'électricité, produire vert, et avec moins d'énergie. Il faut sortir des mantras, et assumer la réalité telle qu'elle est. »
Solder l'inventaire
Un exercice politiquement délicat pour des députés membres de partis politiques ayant tous plus ou moins failli à éviter le désastre. S'il insiste sur les années 2012 à 2017, marquées par la mise en œuvre d'une politique de décroissance du nucléaire inspirée d'un accord du PS avec les Verts, le rapport n'épargne, selon nos informations, ni les gouvernements de droite qui ont précédé l'élection de François Hollande, ni l'exécutif actuel, dont les décisions, de la fermeture de Fessenheim à l'arrêt du programme de réacteur de quatrième génération Astrid, ont été prises « dans la continuité du quinquennat précédent ». Jusqu'au tournant amorcé en 2022 par Emmanuel Macron, et que les parlementaires espèrent renforcer, en formulant une série de propositions.
Certaines, portées dans son propos introductif par le président LR Raphaël Schellenberger, feront grincer quelques dents, comme la demande d'exiger des ONG participant aux décisions qu'elles soient « représentatives » et « financièrement transparentes », ou la possibilité « d'engager la responsabilité » de ministres qui ne réuniraient pas les instances de consultation scientifiques et techniques officielles – le témoignage de l'ancien haut-commissaire à l'Énergie atomique Yves Bréchet, jamais reçu en six ans de mandat et dont les multiples alertes se sont perdues dans les limbes, avait sidéré les membres de la commission.
Les autres ont fait consensus parmi les députés, quel que soit leur bord politique. Organisées en chapitres (traitant de la gouvernance, de la production, de la relance du nucléaire), elles visent explicitement à « ramener tout le monde dans le réel », selon les mots d'un membre de la commission, en partant d'abord d'un constat, largement partagé par la communauté scientifique : les consommations d'énergie anticipées d'ici à 2050 dans les différentes trajectoires ne suffiront pas pour, à la fois décarboner l'économie, et réindustrialiser le pays. « Si nous ne mettons pas en ligne nos objectifs climatiques et industriels avec notre prochaine programmation pluriannuelle de l'énergie, nous n'y arriverons pas », tranche un parlementaire.
Suspension « sans délai » de l'Arenh
Alors que l'avenir du mix énergétique doit être débattu d'ici à la fin de l'année, le rapport recommande que l'ambition soit portée « sur trente ans, inscrite dans une loi et étayée par la science et par l'industrie », en constatant « le fossé de production qui nous sépare de la souveraineté énergétique ». Cette loi, réclament les députés, devra faire l'objet « d'un suivi étroit et régulier par le Parlement », qui devra de manière générale être davantage associé à l'élaboration des textes, notamment via l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), dont les nombreux rapports alertant de la crise énergétique à venir avaient été négligés.
En termes de gouvernance toujours, les députés réclament que la direction générale de l'énergie soit à nouveau rattachée au ministère de l'Industrie, afin de suivre au plus près « nos vulnérabilités industrielles ». Et ils préconisent que le réseau de transport d'électricité RTE revoie d'urgence ses « critères de sécurité d'approvisionnement ». « Pendant des années, RTE a répété que tout allait bien, que l'on pouvait fermer Fessenheim, les centrales du Havre, de Porcheville, etc., et qu'il suffirait d'importer de l'électricité de chez nos voisins quand le vent ne souffle pas. Notre sécurité repose aujourd'hui sur les interconnexions. C'est extraordinairement imprudent, et cela nous a conduits dans l'impasse », souffle un membre de la commission.
À court terme, les députés demandent aussi que le prix du gaz soit décorrélé de celui de l'électricité, dans l'attente d'une refonte globale du marché européen plus protectrice de la « spécificité française ». Signal politique fort, ils recommandent « la suspension sans délai de l'Arenh [Accès régulé à l'électricité nucléaire historique] », ce mécanisme qui contraint EDF à vendre à prix coûtant une partie de son électricité à ses concurrents, et unanimement dénoncé au cours des auditions pour avoir plombé les capacités d'investissement d'EDF. Un message ferme envoyé au gouvernement, qui a toujours rejeté cette mesure réclamée avec constance par de nombreux acteurs. Les concessions électriques, insistent-ils, devront aussi être « maintenues dans le domaine public », en appliquant un dispositif de « quasi-régie », afin d'éviter toute mise en concurrence.
Réduire la dépendance aux énergies fossiles
En parallèle, une série de propositions vise à renforcer la sécurité énergétique en « accélérant vers la sobriété et l'efficacité énergétique » – ce que fait déjà le gouvernement –, et en « développant les énergies renouvelables thermiques » – où la France, concentrée sur le développement du solaire et de l'éolien, accuse un retard frappant. Biogaz, biomasse, géothermie… Les « objectifs de chaleur renouvelables pourraient être au moins doublés à l'horizon 2030 », estime le rapport. Alors que l'Ademe, par exemple, évalue à 140 térawattheures le potentiel de biogaz qui pourrait être fourni en France par la conversion des biodéchets et des résidus agricoles, la production plafonne… à 7,6 TWh.
Relever la filière nucléaire
Pour accompagner la relance de la filière nucléaire, aujourd'hui plombée de dettes et souffrant d'un lourd déficit de compétences, les députés appellent à un développement massif de moyens, à la fois humains (pour produire les nombreuses études nécessaires à la prolongation du parc de réacteurs ou au développement de l'EPR 2), administratifs et financiers, pour relever les défis et anticiper les besoins futurs. Ils proposent par exemple de « soutenir le renforcement des capacités d'enrichissement de l'uranium sur le territoire français » – une possibilité déjà étudiée par Orano, mais difficile à concrétiser sans appui étatique. Ou de « relancer la construction d'un démonstrateur de type Astrid », d'une puissance potentiellement plus modeste, pour « rattraper le retard accumulé » dans les réacteurs de quatrième génération.
Le rapport a été adopté le 30 mars par les membres de la commission, au cours d'une séance à huis clos. Pas à l'unanimité toutefois : les députés LFI et EELV, fermement opposés au nucléaire, ont voté contre. « La volonté systématique de discréditer le scénario d'un passage à 100 % d'énergies renouvelables n'est pas appropriée », a sèchement remarqué Julie Laernoes (EELV-Nupes), dénonçant « un certain nombre de contrevérités » contenues dans le rapport, sans parvenir toutefois à en citer une seule, selon le compte rendu des échanges publié sur Internet, par erreur, pendant quelques minutes. Les élus PS, dont le rapport éreinte particulièrement les anciens dirigeants, se sont abstenus.
Nucléaire : les propositions chocs de la commission d'enquête
EXCLUSIF. Suspension de l'Arenh, gouvernance... " Le Point " s'est procuré les 30 propositions du rapport de la commission d'enquête sur la perte de souveraineté énergétique de la France, atte...
L'énergie nucléaire du futur et les conséquences de l'abandon du projet de réacteur nucléaire de 4e génération « Astrid »... Repères ? 8 juillet 2021 : L'énergie nucléaire du futur et les conséquences de l'abandon du projet de réacteur nucléaire de 4e génération « Astrid » ( rapport de l'opecst ) Par MM. Stéphane PIEDNOIR, sénateur et Thomas GASSILLOUD, député au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques Notice du document Disponible au format PDF (3,5 Moctets) Tous les documents sur ces thèmes : Recherche, sciences et techniques Énergie Commander ce document Rapport n° 758 (2020-2021) de MM. Stéphane PIEDNOIR, sénateur et Thomas GASSILLOUD, député, fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, déposé le 8 juillet 2021
Nicolas Sarkozy et François Hollande ont clos les travaux de la commission d’enquête sur la perte de souveraineté énergétique de la France. Une vaste tragicomédie.
Ils ont défilé à l'Assemblée nationale, cet hiver, comme les personnages d'une fresque théâtrale. En tout, 88 acteurs et témoins d'une épopée tragicomique qui aura conduit la France, en 2022, au bord du gouffre énergétique, contrainte d'importer, à prix d'or, une électricité qu'elle n'était plus capable de produire.
Les jeunes députés – le président de la commission Raphaël Schellenberger (Haut-Rhin, LR) et son rapporteur Antoine Armand (Haute-Savoie, Renaissance) ont tout juste 30 ans – voulaient savoir comment notre vénérable pays avait pu en arriver là…
En cent cinquante heures d'auditions, leurs aînés leur ont rejoué un spectacle effarant. Avec ses héros, des tartuffes, ses bouffons… Avec ses imbéciles et ses porteurs de lanternes. Jusqu'à l'apothéose : ce numéro de voltige livré par deux anciens présidents, juste avant le tomber de rideau.
« C'est vrai ou ce n'est pas vrai ? »
Arrivé très préparé, Nicolas Sarkozy endosse le costume de président visionnaire, à l'aise dans son personnage, alternant gravité et saillies ironiques. Lorsqu'il arrive à l'Élysée, en 2007, et décide d'un second EPR à Penly (Seine-Maritime), quel est l'état d'esprit, lui demande-t-on ? Pourquoi le projet est-il dans les limbes ?
« Le nucléaire a fait l'objet d'une campagne de dénigrement digne des chasses aux sorcières du Moyen Âge. C'était une hystérie médiatique, et collective », se souvient-il, comme pour souligner le courage qu'il aurait manifesté en soutenant quand même la filière, lui qui n'a « jamais changé d'avis », insiste-t-il, « sur le nucléaire ».
Il relit ses déclarations de l'époque, imprimées sur une fiche. Donne des dates. « Le 6 février 2009, à Flamanville, j'annonce mon intention de faire du nucléaire le moteur de la reprise économique. » Un rêve englouti par le tsunami qui balaiera Fukushima. À Angela Merkel qui confirme alors la fermeture de neuf centrales nucléaires en Bavière, il lancera : « Mais il vient d'où, le tsunami en Bavière ? » La salle rit.
Le spectacle est divertissant, le personnage familier. « C'est vrai ou ce n'est pas vrai ? » alpague plusieurs fois l'ancien président, forçant l'approbation. On entend des « oui, c'est vrai » en coulisse. « Ah, bah alors… on sait que c'est vrai ! »
« Droit dans le mur »
Certes, c'est sous sa présidence que l'Arenh (Accès régulé à l'électricité nucléaire historique) est mis en place – ce mécanisme qui contraint EDF à vendre à prix coûtant une partie de son électricité à ses concurrents, plombant ses capacités d'investissement. Mais que voulez-vous... « On peut être contre, mais ce n'est pas cela qui a détruit la filière », soutient-il.
L'accord de 2012 noué entre le PS et les Verts pour fermer 24 réacteurs, si ! « Ségolène Royal et François Hollande sont allés droit dans le mur en klaxonnant. […] J'avais prédit que la réduction de la part du nucléaire dans le mix électrique entraînerait une vague de délocalisations, que ce serait un cataclysme économique et une folie. »
Il vibrionne, assène quelques vérités cinglantes, éludant d'une pirouette sa part d'ombre – la libéralisation du marché de l'électricité, décidée sous Jospin mais qu'il mettra en œuvre, l'absence de commandes de nouveaux réacteurs, la guerre entre EDF et Areva, qu'il observe sans y mettre un terme…
Le « ce n'est pas moi » de Hollande
François Hollande, plus tard, a la même mémoire sélective. « J'ai toujours défendu la filière », soutient-il. La réduction de la part du nucléaire à 50 % du mix en 2025, inscrite dans la loi par Ségolène Royal, ne faisant l'objet d'« aucune trajectoire », ose-t-il, il était évident qu'elle ne s'appliquerait pas. Quel serait donc le problème ?
« Ce qui me frappe le plus, confiait au Point Raphaël Schellenberger à la veille de ce dernier round, c'est la légèreté avec laquelle ce sujet vital pour la nation était en réalité traité… » Une légèreté observée chez la plupart des acteurs – qui se sont révélés n'être que des acteurs, justement.
Des gens jouant le rôle qu'on leur avait assigné sans s'interroger sur le sens de leurs actions, des plus hauts fonctionnaires aux ministres, en passant par les conseillers ministériels ou les présidents d'institutions comme l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) ou RTE (Réseau de transport d'électricité). « Je ne m'attendais pas à voir étalées tant d'approximations », raconte, abasourdi, un autre membre de la commission.
Parjure ou ignorance ?
Le ton est donné dès la première audition, le 2 novembre, quand, pour la première fois, le discours antinucléaire le plus caricatural, celui que les Français entendent dans les médias depuis des décennies, doit reculer sous la menace d'être poursuivi pour parjure. Devant les députés, l'anthropologue Nathalie Ortar, directrice de recherche au ministère de la Transition écologique, affirme avec aplomb, sous serment : « Suite à Tchernobyl, on a eu des écoles où les enfants sont tombés massivement malades de leucémie. Cela a été étayé scientifiquement. De la même façon qu'il y a eu des morts massifs – on le sait aussi, cela a été étayé scientifiquement – de bergers en Corse. »
À LIRE AUSSILe grand déballage explosif de l'ancien patron d'EDF face aux députésSommée, dès le lendemain, dans un courrier officiel consulté par Le Point, d'indiquer ses sources aux parlementaires, la « scientifique » demandera que ses propos soient retirés, finissant par reconnaître, penaude, avoir fait preuve d'une « grave négligence » en relayant des rumeurs sans le moindre fondement.
Effaré, l'un des membres de la commission aura cette réflexion : « Cela démontre à quel point la propagande antinucléaire a pénétré ceux qui se prennent pour des scientifiques au sein de l'institution. » L'employée du ministère, dont les mots ont été retirés du rapport d'audition, ne sera finalement pas poursuivie pour parjure. « Peut-on sanctionner l'ignorance et l'incompétence ? » soupire le même député.
« Tout le monde savait »
De l'ignorance, de l'incompétence… mais aussi du cynisme et de la basse politique, les membres de cette commission hors norme, dont le sérieux est partout salué, en auront déterré par brassées. Il y a cet « accord de coin de table » de 2012 – ce sont les mots d'Arnaud Montebourg – actant la fermeture de 24 réacteurs et inscrit dans la loi « sans aucune analyse de besoin ou étude d'impact », confirmera Manuel Valls.
Il y a ces rapports écrits par le gestionnaire de réseaux RTE sous-estimant systématiquement les besoins énergétiques futurs, contre l'avis des experts et des scientifiques. Il y a ces alertes de l'ASN, des patrons successifs d'EDF, de l'Union française de l'électricité (UFE), du haut-commissaire à l'Énergie atomique Yves Bréchet s'inquiétant d'une baisse de la puissance pilotable installée, mettant en péril la sécurité d'approvisionnement du pays, remises en main propre à différents ministres et conseillers, et aussitôt enterrées.
À LIRE AUSSITransition énergétique : la France organise un « club nucléaire » en Europe « Tout le monde savait », confirmera Pierre-Marie Abadie, directeur de l'énergie au ministère de 2007 à 2014 et actuel patron de l'Andra au cours d'une audition hallucinante. « Pourquoi n'avez-vous pas collectivement démissionné ? » lui demande le rapporteur Antoine Armand. Pas de réponse autre qu'un silence gêné… Laurent Michel, patron de la direction énergie climat du ministère depuis fin 2012 et toujours en poste, s'en tiendra à une solide langue de bois pour nier tout problème.
Ravageuses pour l'image des politiques, les auditions des anciens ministres Dominique Voynet, Ségolène Royal ou Nicolas Hulot resteront dans les annales… Ce dernier répondant en bredouillant n'avoir pas eu connaissance d'un rapport capital remis en 2018 par l'ancien administrateur général du CEA Yannick d'Escatha et qui enjoignait à l'exécutif de lancer au plus tôt la construction de six réacteurs pour enrayer la perte de compétences de la filière. « Je ne sais pas, je ne crois pas… » « Si; si, vous l'avez eu », corrigera sa directrice de cabinet, qui confirmera aussi avoir aussitôt enterré le sujet.
« Sanction politique, pas pénale »
« Nous avons entendu deux catégories de personnes, analyse Raphaël Schellenberger, celles qui croyaient à la sortie du nucléaire et celles qui se sont habituées au pouvoir et qui sont encore là… » Comme l'actuel secrétaire général à la Planification écologique Antoine Pellion, conseiller de Ségolène Royal en 2014-2016 puis d'Emmanuel Macron à l'Élysée, défendant aujourd'hui une politique radicalement opposée à celle qu'il portait dans le passé. Ou l'ancienne directrice de cabinet de Ségolène Royal, Élisabeth Borne, actuelle Première ministre.
« Ils sont arrivés aux manettes convaincus qu'il fallait sortir du nucléaire. Aujourd'hui, ils essaient de dédramatiser les décisions prises, sans reconnaître leurs erreurs et en se persuadant que le nouveau projet d'Emmanuel Macron reste compatible avec un mix à 50 % de nucléaire. Ils ont complètement intériorisé ce plafond, et n'ont jamais compris l'effet délétère qu'il pouvait avoir sur la filière. »
À l'heure où l'exécutif, après une brusque prise de conscience, s'attelle à redresser la barre dans un contexte douloureux – EDF étant lesté de dettes et confronté à un lourd problème de corrosion sous contrainte –, le rapport de la commission d'enquête est particulièrement attendu.
La haute trahison, ce n’est pas d’avoir un programme politique débile et de vouloir le mettre en œuvre.Le président de la commission d’enquête Raphaël Schellenberger
Dans l'opposition, des voix se sont élevées pour réclamer des têtes… Elles seront déçues. « La haute trahison, ce n'est pas d'avoir un programme politique débile et de vouloir le mettre en œuvre », tranche Raphaël Schellenberger, qui souhaite avant tout que ces travaux servent d'enseignement pour l'avenir.
Une prochaine loi de programmation sur le climat et l'énergie doit fixer, au plus tard à l'automne, les grandes orientations énergétiques du pays pour les vingt ans à venir. « La sanction doit être politique, pas pénale », confirme une députée, membre assidue de la commission.
Le rapporteur Antoine Armand, qui a accumulé plus de 5 000 pages de documents annexes, a déjà commencé la rédaction de son rapport, en concertation avec les autres membres de la commission, qui ont réussi – le fait est assez rare pour être souligné – à travailler dans une ambiance apaisée, quel que soit leur groupe politique, sans jamais jouer d'effets de manche.
Le texte, qui doit être adopté le 30 mars, comprendra une série de propositions pour garantir un meilleur niveau d'information scientifique, « sécuriser les décisions » et éviter que des dérives politiques aussi graves puissent impacter des sujets de sécurité nationale. « Il faut un arc républicain pour la souveraineté énergétique », a récemment appelé le communiste Fabien Roussel. De l'autre côté de l'hémicycle, il a été entendu.
Canicule, sécheresse... pourquoi le parc nucléaire espagnol est-il peu sensible aux aléas climatiques ? A l'occasion de la canicule qui touche l'Espagne, j'aimerais aborder une question qui revient de temps en temps : Pourquoi les indisponibilités causées par la chaleur sont-elles moins fréquentes sur le parc nucléaire espagnol sur que son homologue français ?
Nouveaux réacteurs: Agnès Pannier-Runacher envisage un programme nucléaire encore plus important...La France se dotera dans les prochaines années d'au moins six nouveaux réacteurs nucléaires EPR2, auxquels pourraient s'ajouter huit supplémentaires. Et si le nombre de ces nouvelles infrastructures allait finalement au-delà?
la France s'allie à dix Etats de l'UE pour "soutenir de nouveaux projets" pour la filière Ces 11 pays défendent les bienfaits de l'énergie nucléaire pour "atteindre nos objectifs climatiques", une ligne critiquée par des Etats comme l'Allemagne et l'Autriche.
Nucléaire: "la seule manière de produire de manière viable de l'électricité propre"..."L'électricité, à l'échelle nationale, ne se stocke pas (…) Il faut produire de l'électricité au moment où on en a besoin". Hervé Machenaud, Ancien PDG de la division Asie-Pacifique d'EDF et Auteur de "La France dans le noir" (éditions Les belles lettres)
Nucléaire : le pilier du nouveau monde électrique
https://www.contrepoints.org/2023/01/22/448779-nucleaire-le-pilier-du-nouveau-monde-electrique
Nucléaire : le pilier du nouveau monde électrique...L’électricité nucléaire, une énergie propre tant pour ses usages que pour sa production, sera ainsi au cœur du futur.... La réponse aux défis énergétique est là, toute trouvée, et testée, c’est l’énergie nucléaire, même si encore peu de personnes osent l’affirmer avec conviction tant elle a été dénigrée.
De Macron à Mélenchon ou Le Pen, chacun privilégie, pour résoudre la question cruciale des ressources énergétiques, le déni de la réalité.
Si le président, après la « fable de Fessenheim », a fait une volte-face spectaculaire sur le nucléaire, ses principaux opposants ne sont pas avares de fariboles grossières sur le sujet. Jean-Luc Mélenchon veut faire croire que nos centrales nucléaires ne fonctionnent pas en cas de grosse chaleur, tandis que Marine Le Pen, en guerre contre les éoliennes, prévoit la construction de deux nouvelles centrales nucléaires par an, un planning techniquement intenable.
Emmanuel Macron. Président de la République, le 5 septembre 2022 à l’Élysée
Incapable de reconnaître ses erreurs sur la politique énergétique conduite pendant son premier quinquennat (il planifiait alors la fermeture de 14 réacteurs d’ici à 2035), Emmanuel Macron, après un revirement spectaculaire en faveur de l’atome, a tout simplement décidé de récrire l’Histoire. Pour justifier la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, en 2020, à la veille d’une crise énergétique hautement prévisible, le président a inventé une fable : Fessenheim, à l’en croire, n’était plus en état de fonctionner, les opérations de maintenance ayant été stoppées avant son élection.
Pris en avril 2017, juste avant l’élection d’Emmanuel Macron, le décret actant la fermeture de la centrale conditionnait l’arrêt des deux réacteurs à la mise en service de l’EPR de Flamanville ! Si EDF n’a pas préparé la centrale au quatrième examen décennal qui devait permettre de prolonger son exploitation de dix ans, une maintenance de très haut niveau a donc été effectuée, dans la perspective de plusieurs années d’attente. Les adaptations exigées par l’Autorité de sûreté nucléaire après Fukushima ont toutes été réalisées et, entre 2016 et 2019, pas moins de 313 millions d’euros ont été investis dans la maintenance.
En manque de gigawatts. En réalité, à l’accord conclu en 2012 entre François Hollande et EELV sur la réduction du parc (et qu’Emmanuel Macron avait repris à son compte) se sont ajoutées d’autres motivations, reconnues à demi-mot par le président en septembre : « Fessenheim était […] à la frontière de l’Allemagne, qui n’est pas alignée avec nous sur le nucléaire »… Le gouvernement, en 2018, aurait pu choisir de faire marche arrière. « La décision de fermer Fessenheim était certes bien avancée, et il aurait fallu relancer les chantiers de prolongation, ce qui aurait pris du temps et aurait eu un coût politique. Mais la rationalité économique, technique et climatique était de la garder », tranchera l’expert en énergie Nicolas Goldberg. Alors qu’il a manqué à la France, ces derniers jours, environ 11 gigawatts de capacités pilotables installées pour passer les pointes de consommation, les 1,8 gigawatt de Fessenheim auraient été utiles… Ils auraient surtout évité l’émission de plusieurs millions de tonnes de CO2, la production de Fessenheim ayant majoritairement été remplacée, jusqu’à présent, par l’importation d’une électricité hautement carbonée en provenance des centrales à gaz et à lignite allemandes. Un fait si pénible à admettre publiquement, pour un gouvernement « vert », que le président lui préfère… une postvérité
Jean-Luc Mélenchon. Leader de LFI, le 16 juin 2022 sur France Bleu
Partisan d’une sortie totale du nucléaire dès 2045, le leader de La France insoumise se trompe d’argument : le nucléaire s’accommode très bien de la chaleur ! Une centrale nucléaire tourne à Abou Dhabi, où la température dépasse couramment les 40 °C, et la plus grande centrale des États-Unis, celle de Palo Verde, est installée en plein désert, dans l’Arizona. Pour refroidir ses réacteurs, un système, conçu en 1976, achemine les eaux usées de la ville de Phoenix, grâce à un tuyau long de 46 kilomètres, vers un immense réservoir, où toute une faune s’est développée.
En réalité, selon la technologie choisie pour leur refroidissement, les centrales nucléaires ont besoin de plus ou moins d’eau. En France, les réacteurs installés en bord de mer, et certains le long de fleuves, ne disposent pas de tours de refroidissement. Pour refroidir leurs réacteurs, 50 mètres cubes d’eau par seconde sont détournés du fleuve, refroidissent le système, et retournent immédiatement (réchauffés de 4 à 8 degrés) se diluer dans les eaux… Compte tenu des volumes, pour les 18 réacteurs situés en bord de mer, aucun problème ne se posera jamais. Pour les réacteurs situés au bord de fleuves importants, comme le Rhône, dont le débit moyen varie de 600 à 900 mètres cubes par seconde, des problèmes ponctuels peuvent survenir : le débit du Rhône est descendu, cet été, à 330 mètres cubes par seconde. Si aucun réacteur n’a été arrêté, il a parfois fallu réduire la puissance pour éviter que les 99 % de l’eau prélevée qui retournent au fleuve ne le réchauffent à la sortie du condenseur. Pour préserver les écosystèmes, l’Autorité de sûreté nucléaire a fixé pour chaque centrale des seuils de température à ne pas dépasser, en amont et en aval, en fonction des études environnementales accumulées depuis quarante ans.
En circuit fermé. En bord de la Garonne, un fleuve particulièrement touché par le réchauffement climatique, la centrale de Golfech est ainsi régulièrement amenée à réduire, voire à stopper, sa production. Mais ces arrêts représentent une infime partie de la production nucléaire : les pertes de production liées à la chaleur ont représenté 0,3 % du total d’électricité nucléaire produite ces vingt dernières années. Très ponctuellement, selon RTE, l’indisponibilité a déjà pu atteindre 10 % de la capacité installée, et une récente étude publiée dans Nature Energy estime que les pertes de production mondiales liées aux indisponibilités climatiques pourraient atteindre près de 2 % en 2100.
La solution est connue : au bord des fleuves ou des rivières dont le débit est plus faible, 30 réacteurs fonctionnent déjà en « circuit fermé », cela veut dire que seuls 2 mètres cubes d’eau par seconde sont prélevés pour compenser l’eau qui s’évapore des tours aéroréfrigérantes. Ce système de refroidissement utilise l’air ambiant, et non l’eau. Ils ne poseront aucun problème de sûreté, même si le débit des cours d’eau tombait à 20 mètres cubes par seconde. En 2050, l’intégralité du parc actuel aura été renouvelée ou adaptée, en tenant compte des contraintes imposées par le réchauffement climatique. Si le nouvel EPR, situé à Flamanville, en bord de mer, reste en circuit ouvert, les futurs réacteurs placés en bord de fleuve fonctionneront tous en circuit fermé
Marine Le Pen. Leader du Rassemblement national, le 22 mars 2022 sur BFMTV
La cheffe de file du Rassemblement national, en guerre contre les éoliennes, auxquelles elle reproche leur coût, leur intermittence et leur impact sur l’environnement, promettait pendant sa campagne un moratoire sur toute nouvelle construction et le démantèlement des parcs arrivés en fin de vie. Mais son plan pour les remplacer apparaît peu crédible, en l’état actuel de la science et des technologies. Ainsi, Marine Le Pen promet à la fois la prolongation des 56 réacteurs actuels jusqu’à 60 ans, et le renouvellement total du parc à un rythme soutenu : deux réacteurs seraient construits chaque année à partir de 2031. Un planning que même les plus convaincus des pronucléaires savent intenable : « Dans un monde idéal, on pourrait construire un réacteur par an entre 2035 et 2040, puis monter à deux réacteurs par an », confiait au Point l’ancien patron d’EDF Jean-Bernard Levy il y a quelques mois. En dehors du parc nucléaire, Marine Le Pen dit compter sur le développement de nouvelles capacités hydroélectriques, ainsi que sur l’hydrogène « vert », dont on ignore encore comment le produire en quantité, le transporter, et l’utiliser de manière sûre à grande échelle. En 2040, sans la moindre éolienne, la France risquerait de se retrouver dans le noir… ou contrainte de construire en catastrophe des centrales au gaz
Suivant la commission des affaires économiques du Sénat, le gouvernement a déposé lundi un amendement qui vise à supprimer l’objectif fixé par la loi de transition énergétique de 2015.
C’est un sacré revirement, un changement de cap majeur de la politique énergétique du pays. Le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires, discuté en séance publique au Sénat à partir de mercredi, prévoit désormais la suppression pure et simple de l’objectif de réduction à 50% de la part du nucléaire dans la production d’électricité (contre plus de 75% aujourd’hui).
Cet objectif de réduction à 50% était pourtant la mesure phare de la loi de transition énergétique de 2015, présentée comme «l’un des textes les plus importants du quinquennat» de François Hollande et censée esquisser un nouveau modèle de consommation et de production énergétique (plus de sobriété et d’énergies renouvelables, moins de fossile et d’atome). En 2019, l’échéance pour atteindre ces fameux «50 %» avait déjà été reportée à 2035, alors que la loi de 2015 prévoyait un horizon à 2025. Et ce, contrairement à une promesse de campagne d’Emmanuel Macron, qui avait promis de «garder le cadre» de la loi de transition énergétique.
Mais mercredi dernier, la commission des affaires économiques du Sénat, par la voix de son rapporteur, Daniel Gremillet (LR), a porté à cet objectif un coup potentiellement fatal (si le projet de loi était adopté en l’état). Cette commission a en effet largement amendé le projet de loi d’accélération du nucléaire. Afin, de son propre aveu, de «transformer» en «vision politique» le «texte technique» présenté en novembre par la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher (dont la rédaction peut encore évoluer, puisque après le Sénat, il devra aussi être examiné à l’Assemblée nationale).
D’un plafond à un plancher
Ainsi, donc, la commission des affaires économiques du Sénat a supprimé l’objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire dans la production d’électricité d’ici 2035. Mieux, elle a même inscrit dans le texte l’idée de «maintenir la part du nucléaire dans la production d’électricité à plus de 50 % à l’horizon 2050», passant du principe d’un plafond à celui d’un plancher.
Ce qui semble parfaitement convenir au gouvernement, puisque ce dernier vient de déposer lundi un amendement visant lui aussi à supprimer l’objectif précis et chiffré de 50 % de nucléaire dans le mix électrique, pour le remplacer par un objectif très vague consistant à «diversifier le mix électrique en visant un meilleur équilibre entre le nucléaire et les énergies renouvelables».
Outre la suppression de l’objectif de 50 %, le Sénat a aussi supprimé le plafond de 63,2 GW de capacité nucléaire installée prévu dans la loi de 2015, ce à quoi le gouvernement ne s’oppose pas. Cette disposition impliquait, en creux, de fermer des réacteurs nucléaires si l’Etat souhaitait en construire de nouveaux, afin de respecter ce plafond.
Objectif de décarbonation
Insistant sur la «décarbonation» du mix électrique plutôt que sa diversification, changement de terme qui permet de faire la part belle au nucléaire – puisqu’on peut théoriquement décarboner toute la production d’électricité grâce au nucléaire sans avoir recours à une diversification incluant les énergies renouvelables, pourtant elles aussi décarbonées –, le Sénat précise que cet objectif de décarbonation suppose la construction de réacteurs nucléaires. Et avance même un chiffre : «La construction de quatorze réacteurs pressurisés européens.» Alors que l’application de la loi de 2015 supposait la fermeture de 12 réacteurs (la France en compte aujourd’hui 56).
Le projet de loi «d’accélération du nucléaire» vise donc bien, à ce stade, à modifier en profondeur les objectifs de la politique énergétique française… alors même qu’un débat public relatif à ces objectifs est encore en cours, organisé par la Commission nationale du débat public. L’empressement du gouvernement à faire voter cette loi sans attendre la fin de ce débat, en actant la suppression de l’objectif de 50 % de nucléaire, pose question.
ENTRETIEN. Le texte d’accélération de la filière, qui arrive au Sénat, confirme le soutien de l’Élysée à l’atome et irrite l’Allemagne, décrypte Dominique Louis, le patron d’Assystem.
Sur le chemin rugueux d'une souveraineté énergétique retrouvée, le gouvernement avance une marche après l'autre… Après l'adoption, en première lecture, le 10 janvier, du projet de loi d'accélération des énergies renouvelables, le texte visant à accélérer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires arrive, mardi 17 janvier, au Sénat.
Un symbole pour le gouvernement qui, après avoir longtemps défendu le recul progressif du nucléaire, a brusquement viré de bord, Emmanuel Macron promettant la construction d'au moins six nouveaux réacteurs EPR pendant sa campagne. Très technique, le texte de onze articles devrait être adopté sans encombre par la Chambre haute, avant d'arriver à l'Assemblée, où il promet de déchaîner les débats.
Car il devance un calendrier hautement éruptif : la Commission nationale du débat public (CNDP), dirigée par Chantal Jouanno, examine en ce moment même l'opportunité de construire, ou non, six nouveaux réacteurs de type EPR2. Et la vraie discussion aura lieu lors de la première loi de programmation énergie climat, dont l'adoption, espérée en juillet 2023, fixera les grandes orientations du mix électrique pour les prochaines décennies.
Une nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) suivra, l'actuelle actant toujours la fermeture de douze réacteurs nucléaires d'ici à 2035. « L'objectif », a précisé la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher devant les sénateurs, est de couler le premier béton « d'ici à la fin du quinquennat ».
« C'est un texte très concret, mais aussi très politique, qui s'adresse à l'opinion pour montrer que le gouvernement fait le job », tranche Dominique Louis, patron du leader européen d'ingénierie nucléaire Assystem, l'un des premiers acteurs de la filière nucléaire française.
Fondée en 1966 pour accompagner le démarrage du premier parc, son entreprise est au cœur des enjeux de souveraineté énergétique – premier sous-traitant d'EDF, elle est au front pour assurer la réouverture du parc ou réaliser le grand carénage, qui verra prolonger la durée de vie des réacteurs.
La parole de Dominique Louis est rare, mais il suit, en expert, l'évolution des débats sur l'avenir du nucléaire français, à l'aube d'un réel renouveau mais confronté à une somme de défis que ce tout premier texte n'effleure pas. Quels sont-ils ? Le débat public sur notre futur énergétique souffre-t-il d'angles morts ? Comment appréhender le bras de fer qui oppose la France à l'Allemagne sur le nucléaire ? Entretien.
Le Point : Depuis son discours de Belfort en février 2022, Emmanuel Macron n'a pas concrétisé sa promesse de lancer en France la construction de réacteurs nucléaires. Le texte d'accélération qui arrive au Sénat est un premier marqueur. En êtes-vous satisfait ?
Dominique Louis : Il faut être admiratif du chemin parcouru. Depuis la publication, à la fin de l'année 2021, du rapport de RTE sur les « futurs énergétiques 2050 », qui détaillait pour la première fois les impasses scientifiques et techniques de scénarios à 100 % d'énergies renouvelables, les débats ont retrouvé un peu de rationalité, et aujourd'hui un texte est présenté pour permettre d'accélérer la construction de centrales nucléaires.
Quel renversement ! Ce cheminement s'explique, en grande partie, par le conflit ukrainien : nécessité fait loi. L'opinion a brusquement pris conscience que l'énergie est un sujet central et que sa rareté et son prix pouvaient ébranler toute la société. On entend beaucoup moins certains experts « gourous » qui avaient la faveur des médias.
La crise actuelle a montré l'urgence de renforcer nos capacités propres de production d'électricité. Le texte présenté est-il vraiment de nature à accélérer les choses ?
C'est un texte très concret, qui devrait permettre de raccourcir les délais avant que ne démarre la construction. D'une part, il simplifie les procédures d'urbanisme, de sorte que l'on pourra commencer les travaux de terrassement et la construction des bâtiments annexes, dès qu'on aura l'autorisation environnementale, avant le décret autorisant la construction des réacteurs eux-mêmes. En gros, on devrait gagner deux ans, peut-être même davantage.
D'autre part, il sécurise juridiquement les projets en uniformisant les recours, qui iront directement au Conseil d'État. C'est essentiel : souvenons-nous des violences et recours en cascade qui avaient conduit, au début des années 1980, à l'annulation du projet de centrale de Plogoff [au printemps 1981, entre 50 000 et 100 000 personnes manifestaient contre un projet de centrale près de la pointe du Raz, dans le Finistère, finalement annulé par François Mitterrand, NDLR].
Il faut éviter que la justice soit instrumentalisée pour faire de l'obstruction. Car je suis persuadé que certains militants et politiques antinucléaires ne vont pas renoncer. Maintenant, qu'on ne se leurre pas : ce texte ne va pas changer fondamentalement les choses. Le principal défi reste celui de la construction. Comment faire en sorte de ne pas mettre quinze ans pour construire ? C'est aux industriels de répondre.
On sait que la filière a beaucoup perdu en main-d'œuvre et en compétences…
Assystem recrute 2 500 ingénieurs par an, la formation n'est pas un sujet bloquant. Pendant presque vingt ans, on a expliqué à cette filière qu'on allait la faire disparaître dans les trente prochaines années. Pas de quoi faire rêver d'une carrière d'ingénieur, de technicien ou d'ouvrier soudeur ! Mais on voit bien que, dès lors qu'il existe un projet qui s'inscrit en plus dans la protection du climat, les recrutements reviennent. Quant à la formation, c'est un problème de court terme, que la filière saura régler.
On ne peut pas tout attendre du gouvernement, c'est aux entreprises de se montrer suffisamment attractives et de proposer les bons salaires. En réalité, les vrais défis vont porter sur les délais et les coûts. Nous devons rapidement passer de la construction de quelques prototypes à une construction en série.
Il va falloir détailler l’ambition de la filière pour les cinquante prochaines années, car cela va peser sur son dimensionnement.
Dans ce contexte, annoncer la construction de six nouveaux réacteurs EPR, comme l'a fait Emmanuel Macron, est un peu court pour entrer dans cet effet de série. Framatome, qui fabrique les chaudières, doit savoir rapidement s'il faudra en faire six ou vingt pour pouvoir relancer ses investissements et adapter ses usines. Son plan de charge aujourd'hui intègre, par exemple, les futurs réacteurs anglais…
Quelle sera, par ailleurs, la feuille de route d'EDF à l'international ? De nombreux pays veulent développer le nucléaire, comme l'Arabie saoudite, l'Inde, la Pologne, la Suède, les Pays-Bas, etc. De quelle façon notre filière sera-t-elle impliquée ?
Le fait de donner cette visibilité est fondamental. Or cette feuille de route n'est pas claire. Si tout le monde a en tête qu'on construira forcément plus de six EPR, il va falloir détailler l'ambition de la filière pour les cinquante prochaines années, car cela va peser sur son dimensionnement. Ce n'est pas un problème à court terme, mais il faut s'y préparer.
Une cellule interministérielle dédiée au nouveau nucléaire a été créée le 8 novembre, dirigée par l'ancien directeur général de l'armement Joël Barre, un homme qui a l'habitude de gérer les plannings et les budgets à très long terme. Pour ceux qui vivent ces sujets de l'intérieur, c'est une excellente nouvelle.
Qu'attendez-vous du prochain débat sur l'avenir du mix énergétique de la France ?
Les discussions vont permettre de poser clairement sur la table un certain nombre de problématiques. Quelle sera notre stratégie pour 2050 ? On voit d'ores et déjà que le fait d'avoir un système de production d'électricité mixant nucléaire et renouvelable n'est pas simple à faire fonctionner. Par ailleurs, comment résoudre le problème de l'emprise foncière ?
Quand on explique qu'on veut construire 50 parcs éoliens offshore, avec chacun une soixantaine d'éoliennes, il faut se demander où on va les mettre ! Ce plafond de verre est sous-estimé, et il concerne de la même façon le nucléaire. Les partisans du tout nucléaire plaident pour la construction d'une trentaine d'EPR. Mais où les construire ? Ce débat aura lieu, il est incontournable pour prévoir le long terme. Mais il n'est pas nécessaire de le trancher aujourd'hui.
Que voulez-vous dire ?
L'essentiel est d'enclencher le renouvellement du parc nucléaire, et de mettre le pays dans la bonne direction. Il y aura toujours des gens qui militeront pour une sortie totale du nucléaire mais ils sont minoritaires. On voit clairement deux tendances se dessiner chez les écologistes, entre ceux pour qui le dogme fondateur reste le rejet du nucléaire, et ceux qui n'y sont pas accrochés. Ce sont ces derniers qui rallieront le maximum d'opinions.
De toute manière, les décisions n'engageront les gens au pouvoir que sur le court terme. Nous sommes déjà en train de construire massivement du renouvelable, dont la durée de vie est de vingt ans. C'est une bonne chose, car cela permettra de répondre à l'urgence en nous laissant dix ans pour décider, ou non, d'en construire davantage.
Et, fondamentalement, équiper les toitures de panneaux solaires est une mesure excellente. Mais il ne serait pas astucieux, aujourd'hui, de prendre des décisions définitives, même si la construction d'un grand nombre de réacteurs nucléaires me paraît assez inéluctable, car nous allons être très vite confrontés au problème du coût de l'énergie.
Quel mix imaginez-vous ?
Le problème du renouvelable, c'est son côté aléatoire. Si vous avez de la chance, que l'hiver est doux et qu'il y a du vent, tout va bien. Vous pouvez presque arrêter vos centrales nucléaires ! Mais, si l'hiver est froid, sans vent ? Nous devrons décider où mettre le curseur. Je le déplore, mais je pense que l'autosuffisance à 100 % est impossible, sauf à reposer à 100 % sur du nucléaire. À partir du moment où l'intermittence entre en jeu, un déséquilibre s'installe.
Peut-être faudra-t-il accepter un modèle où nous exporterons notre électricité 80 % du temps et l'importerons les 20 % restants pour passer une pointe ? On voit bien que la réponse des Allemands est de construire beaucoup de centrales à gaz, qu'ils démarrent au moment de passer la pointe. J'espère, pour le climat, que la France n'en construira pas, mais alors elle devra acheter son électricité à l'extérieur.
Dans le contexte que nous connaissons, Emmanuel Macron doit certainement regretter la fermeture de Fessenheim… Mais je pense qu'aujourd'hui le problème est pris par le bon bout. Maintenant, il va rester la problématique de Bruxelles et des Allemands.
Un conseil des ministres franco-allemand doit se tenir le 22 janvier, sur fond de crise larvée entre nos deux pays sur la question énergétique. L'Europe, comme l'Allemagne, s'oppose systématiquement aux textes visant à soutenir le développement des sources d'électricité bas carbone, car elles englobent le nucléaire français. Cette opposition est-elle tenable ?
L'Allemagne est en train d'expulser les habitants d'un village pour agrandir une mine de charbon à ciel ouvert. Personne n'exproprie les gens d'un village pour cinq ans ! J'en ai l'intime conviction : les Allemands ont une stratégie de long terme largement basée sur les énergies fossiles, pour au moins trente à cinquante ans. S'ils n'étaient pas tenus par les Verts, je pense qu'ils feraient marche arrière en soutenant que les rejets de CO2 ne sont pas si graves que ça.
Nos voisins se sont trompés en pensant que la France allait, elle aussi, sortir du nucléaire et ne faire que de l'éolien. Ils n'avaient pas prévu ce récent revirement en faveur de l'atome, qui fait que nous sommes aujourd'hui beaucoup plus proches de la politique énergétique britannique.
La France peut-elle imposer son choix ?
C'est un problème de volonté politique, et je pense que nos gouvernements feront le job, car la pression sur les prix de l'énergie va devenir insoutenable. S'il était élu en 2027, je suis sûr que même un opposant au nucléaire changerait d'avis : il n'y a pas d'alternative au nucléaire en France. Cela risque de créer des frictions avec l'Allemagne. On voit se développer un ressentiment contre Berlin qui a mis toute l'Europe dans l'embarras en se tournant vers le gaz russe il y a 30 ans, en dépit des avertissements.
Les Allemands ont pensé qu'en situation de paix avec la Russie ils pourraient exporter leurs produits à valeur ajoutée et leurs machines-outils tout en bénéficiant d'une énergie bon marché. C'était assez égoïste de leur part. C'est pour cela que ceux qui réclament aujourd'hui qu'on ne recrée pas une situation de conflit avec l'Allemagne s'aveuglent à nos dépens.
Oui, la relation avec l'Allemagne va se tendre. Mais la France n'est pas isolée : la Suède et même les Pays-Bas veulent relancer le nucléaire. Il ne restera en Europe que l'Allemagne, le Luxembourg et l'Autriche pour s'y opposer.
Aujourd'hui, Berlin cherche, par tous les moyens juridiques et internationaux, à s'opposer au programme nucléaire polonais, au nom de la sécurité de sa frontière. L'enjeu pour nos voisins est de défendre leur compétitivité industrielle. Nous devons, nous aussi, défendre la nôtre.
La France doit-elle sortir du marché européen de l'électricité, comme le réclament les oppositions ?
À force de faire des tarifs spéciaux pour tout le monde – les boulangers, les ébénistes, etc. –, il va bien falloir que quelqu'un paye. Je ne vois pas comment éviter une réforme en profondeur de ce marché, car, compte tenu de ce qu'est l'économie française, le prix de l'électricité va devenir insoutenable pour nombre d'acteurs économiques.
Le système actuel, qui lie le prix de l'électricité au dernier moyen de production appelé, a été conçu à une époque où l'énergie était abondante, dans l'objectif suivant : celui dont la production n'était pas écoulée faisait baisser les prix ! La crise du gaz a inversé les choses. Et cette crise va durer. D'autres pays, en Europe, militeront pour réformer profondément ce système, il n'y a pas d'alternative.
l'agacement du président de l'Autorité de sûreté face à la politique énergétique...« Je ne souhaite pas, en tant que président de l’Autorité de sureté nucléaire, que la poursuite d’exploitation des réacteurs nucléaires en France soit la variable d’ajustement d’une politique énergétique qui aurait été mal calibrée »
Nucléaire : la relance ? « Il ne faut pas compter sur ceux qui ont créé les problèmes pour les résoudre » (Albert Einstein) La relance actuelle du parc nucléaire français, bien que tardive, est une bonne nouvelle pour l’industrie et pour les Français. Mais sera-t-elle suffisante pour rattraper le retard pris pour une production d’électricité décarbonée, abondante et bon marché ?
Invité de Ivan Rioufol sur CNEWS le 11 décembre 2022, le spécialiste en politique énergétique Fabien Bouglé met en évidence les rôles joués par les lobby écologistes tels Greenpeace, WWF, ainsi que par les industries éolienne et du gaz allemands, pour infiltrer le gouvernement français et mettre fin à la toute puissance de la technologie nucléaire de notre industrie.
En moins de deux décennies, en menant une politique énergétique désastreuse, les gouvernements français successifs ont transformé la France, puissance mondiale indépendante en terme d'industrie et de technologie nucléaire, en une succursale sous dépendance de l'Allemagne et des USA.
La politique énergétique française a été infiltrée et sabotée de l'intérieur au sein même du gouvernement pour promouvoir les énergies dites "renouvelables" et mettre fin à l'hégémonie de l'énergie nucléaire. Quelques noms pour illustrer cet état de fait.
Corinne Lepage, Ministre de l'Environnement sous Jacques Chirac au milieu des années 1990, a mis tout en oeuvre pour fermer le réacteur nucléaire superphenix, fleuron de la technologie française. Elle est depuis avocate des promoteurs du marché éolien.
Dominique Voynet, ministre de l'environnement sous Lionel Jospin, qui avait pour mission de promouvoir le nucléaire, a déclaré dans un entretien avoir sciemment saboté et fait supprimer l'énergie nucléaire de la liste des énergies d'avenir lors d'un congrès de négociations de l'Union Européenne en 2000 à Bruxelles. Elle avait contribué auparavant à faire fermer superphenix en 1998. Il s'agit clairement d'un acte de haute trahison de la part d'une personnalité politique.
Le député François Brottes, rapporteur pour la mise en place de la baisse du nucléaire à 50%, et du développement des éoliennes sous le gouvernement de François Hollande, est nommé président de Réseau de Transport d'Électricité (RTE) de 2015 à 2020. Un des principaux détracteurs de l'énergie nucléaire est donc installé au coeur de la poltique énergétique de la France.
Xavier Piechaczyk, qui lui succède en tant que directeur du RTE, a pour collaboratrice la militante écologiste déléguée générale de France Énergie Éolienne (FEE), Pauline Le Bertre.
Xavier Piechaczyk est aujourd'hui responsable de Ecowatt, pour expliquer aux Français comment gérer les pénuries d'électricité.
Fabien Bouglé rappelle que la rentabilité des éoliennes est désastreuse, elles sont plus chères, plus nombreuses et inefficaces depuis le constat de diminution de vent ces dernières années en Europe qui limite grandement l'efficacité de ces équipements. Il faut également noter que l'industrie éolienne n'a rien d'écologique, l'injection de millions de tonnes de béton dans les sous-sols marins détruit un éco-système vivant d'une valeur inestimable sur des surfaces considérables.
Pourtant, l'éolien continue d'être aux coeur des revendications des écologistes.
L'ONG écologiste radicale Greenpeace, habituée aux actions coups de poings, est au centre de la politique énergétique européenne. En infiltrant l'appareil d'état allemand, ses militants ont pu également influencer et oeuvrer à la mise en place d'une politique décisionnaire en faveur des énergies "renouvelables" en France.
Ancien directeur des campagnes de Greenpeace France, le député écologiste européen Yannick Jadot fut condamné en 2005 pour atteinte aux intérêts supérieurs de la nation pour sa participation à l"opération plutonium", l'espionnage de sous-marins nucléaires français dans la rade de Brest. Il a grandement contribué pendant des années avec Europe Écologie Les Verts (EELV) à faire pression sur les institutions pour imposer l'énergie éolienne dans les campagnes et les mers françaises.
Jennifer Morgan, directrice de Greenpeace International de 2016 à 2022, a quitté ses fonctions le 28 février 2022 pour occuper le poste de représentante spéciale pour la politique climatique internationale auprès du gouvernement allemand, elle est également vice-ministre du ministère fédéral des Affaires étrangères en Allemagne sous la direction du ministre Annalena Baerbock.
Frans Timmermans, vice-président de la commission européenne, a pour bras droit un ancien militant de Greenpeace.
L'Office Franco-Allemand pour la Transition Énergétique (OFATE) est une structure de valorisation du modèle énergétique allemand dont le siège se trouve au ministère de l'économie à Berlin, et les locaux de la direction se trouvent à Paris au ministère de la direction de l'énergie et du climat, dirigée par un Allemand écologiste.
Greenpeace, WWF, les lobby du gaz (GRDF) et des éoliennes qui livrent une véritable bataille anti-nucléaire contre les états français et allemands, sont des organisations membres de l'OFATE. Il s'agit clairement d'une ingérence étrangère dans les affaires de la politique énergétique et industrielle de la France.
Avec la réduction drastique de la production nucléaire, pour la première fois depuis plus de 40 ans, on est obligé d'importer de l'énergie, ce qui plombe notre compétitivité industrielle ainsi que notre déficit commercial, accentuant une perte de souveraineté considérable. Aujourd'hui on importe 11 térawattheures par an d'énergie électrique provenant d'Allemagne, ce qui représente 3 à 4 milliards d'euros de dépenses publiques.
La technologie d'avenir Astrid, qui utilisait les déchets des autres centrales nucléaires comme combustible pour alimenter les réacteurs nucléaires de type superphénix de quatrième génération, a été définitivement abandonnée le 30 août 2019 par le gouvernement Macron. Astrid pouvait pourtant assurer 1000 à 3000 ans d'indépendance énergétique grâce aux déchets nucléaires.
L'industriel américain Bill Gates a repris le projet Astrid, garantissant aux USA cette souveraineté énergétique future.
Donc, si cet hiver, Elisabeth Borne vous explique gentiment que pendant quelques heures durant la journée vous n'aurez plus d'électricité, n'en soyez pas surpris !
samedi 17 décembre 2022
https://www.agoravox.tv/tribune-libre/article/fabien-bougle-denonce-la-politique-95991
L’audition du Haut-commissaire à l’énergie atomique souligne magistralement l’absence totale de vision à long terme des dirigeants politiques français dans le domaine essentiel de l’énergie, et les lourdes fautes commises.....Extraits du préambule de l’audition de Yves Bréchet, ancien Haut-commissaire à l’énergie atomique, membre de l’Académie des sciences, le 29 novembre 2022 devant la commission parlementaire sur la souveraineté et l’indépendance énergétique de la France.
Quand Dominique Voynet se vantait d’avoir sabordé le nucléaire Français...Une vidéo qui a resurgi sur fond d’inquiétude sur les délestages que pourrait subir la France éclaire d’une lumière crue la responsabilité politique dans la situation actuelle. Tous ceux qui ont été de près ou de loin aux responsabilités ces 25 dernières années expliquent que non, le déclin de la filière nucléaire, ce n’est pas leur faute
à l’origine était Superphénix, puis vint le déclin avec Jospin...L’abandon de Superphénix fut plus qu’une erreur technique, humaine et financière, ce fut une faute grave contre la France....’un incroyable enchaînement de crises « administratives » entièrement créées par un nombre réduit d’acteurs antinucléaires. Ces derniers ont su habilement exploiter les recours juridiques et l’émotion populaire pour finalement aboutir à la fermeture de cette centrale en 1998...
Nucléaire, eau, climat : bilan de canicule
https://www.lemonde.fr/blog/huet/2022/11/17/nucleaire-eau-climat-bilan-de-canicule/
Nucléaire, eau, climat : bilan de canicule...Durant cet été 2022 caniculaire, les centrales nucléaires ont-elles nui à la vie de nos cours d’eau ? La question est logique, au vu des températures et des débits estivaux. Même si les épisodes caniculaires ont été bien plus courts qu’en 2003, leur répétition a soumis les éco-systèmes à rude épreuve.
La relance du nucléaire en France va créer des dizaines de milliers d’emplois qualifiés Les besoins de main-d’œuvre sont immenses et vont encore augmenter dans les prochaines années en France, rapporte “Bloomberg”. Non seulement pour les projets de construction de nouveaux réacteurs, mais aussi pour rénover le parc existant de centrales nucléaires vieillissantes.
Les dirigeants français et européens maltraitent le nucléaire depuis 20 ans. Résultat : alors que la France rayonnait dans le monde et dominait l’Europe dans l’industrie nucléaire pendant les années 1990, les Américains confortent maintenant leur position en Europe en remportant l’appel d’offre pour une première centrale nucléaire en Pologne.
Selon l’économiste spécialiste de l’énergie, pour relancer le nucléaire, la réponse passe par les compétences... et les mathématiques.
Dès 2012, dans un rapport fouillé, le spécialiste de l'énergie Jacques Percebois, directeur du Centre de recherche en économie et droit de l'énergie (Creden), avait alerté les autorités sur les risques menaçant l'avenir énergétique du pays : règles de marché bancales, sous-investissements, attentisme dans les décisions de renouveler ou de prolonger le parc nucléaire, perte de compétences… Un rapport qui avait été rapidement enterré. Aujourd'hui, il espère un « réveil » français.
Le Point :La crise que nous vivons, aggravée par la guerre en Ukraine, couvait depuis longtemps. N'était-elle pas prévisible ?
Jacques Percebois : Nous avions des éléments isolés, qui se sont subitement agrégés pour donner une situation difficile. Après la Seconde Guerre mondiale, la grande préoccupation de l'État était l'indépendance énergétique. Cette indépendance a longtemps été garantie grâce au charbon national, mais celui-ci était coûteux. Quand l'économie française a opté pour la mondialisation, elle s'est tournée vers le pétrole, bon marché. Puis les chocs pétroliers nous ont fait prendre conscience que, si l'on voulait à la fois une énergie bon marché et la souveraineté nationale, la seule solution pour la France était le nucléaire. Ce choix s'est avéré excellent, car il a garanti aussi bien la compétitivité de notre économie que notre indépendance. Mais progressivement, à partir des années 1990 et de la libéralisation des marchés énergétiques, l'illusion a grandi que l'on pouvait faire produire nos biens partout dans le monde, qu'il suffisait de les transporter, et que cette mondialisation apporterait la paix à l'échelle internationale. Nous avons fait trois erreurs que nous payons aujourd'hui. La première, c'est qu'on a subordonné la politique énergétique à celle de la concurrence. On a cru que le marché pourrait résoudre tous les problèmes. La Commission européenne s'est donné pour priorité de lutter contre les monopoles et contre les performances des grands énergéticiens français qu'étaient EDF, Engie et Total, qui déplaisaient à nos voisins. La deuxième erreur, c'est que, à partir des années 2010, on a de plus en plus privilégié une vision écologique et non pas industrielle des choix énergétiques. On a considéré que l'énergie devait être subordonnée aux considérations environnementales, parce que l'environnement avait la priorité. Nous avons sacrifié notre industrie, et indiscutablement fragilisé l'industrie nucléaire française. Notre troisième erreur est plus politique : nous n'avons pas suffisamment défendu notre atout nucléaire. Après Fukushima, en 2011, la France a eu le nucléaire honteux , notamment vis-à-vis de l'Allemagne.
Nos dirigeants se sont-ils aveuglés ?
Je pense que, en privilégiant le marché, on a privilégié une vision à court terme des choix énergétiques. Le mot « planification » était proscrit.
On a aussi le sentiment d'une réflexion politique qui est déconnectée des réalités physiques. Nos stratégies ont longtemps été fondées sur l'idée que la consommation d'électricité allait baisser, qu'on allait vers davantage de sobriété…
On peut reprocher à beaucoup d'avoir pensé qu'on pouvait aller vers une très forte réduction de la consommation d'électricité. Car ils ont oublié que, si l'on veut sortir des énergies fossiles et électrifier les usages, que ce soit dans les transports, dans l'habitat ou dans l'industrie, on doit au contraire l'augmenter considérablement. Et il faut bien la produire ! Les échanges d'électricité aux frontières restent marginaux, même si on en parle beaucoup, et la production demeure essentiellement nationale. Le gestionnaire Réseau de transport d'électricité (RTE) a, dans ses prévisions, sous-estimé les besoins. Plus personne ne défend les scénarios d'un mix 100 % renouvelable, qui ont longtemps semblé avoir la préférence de RTE. Mais, en pariant sur l'hypothèse qu'on allait fermer des réacteurs alors qu'il aurait fallu en construire, nous avons fait des choix discutables - par exemple le fait qu'on ait abandonné le projet Astrid, qui préparait la quatrième génération de réacteurs et sur lequel nous étions en pointe. Nous n'avons pas maintenu nos compétences, et les prix que nous subissons aujourd'hui risquent d'aggraver la délocalisation de certaines activités industrielles.
Les finances d'EDF peuvent-elles être apurées ?
L'Arenh, ce dispositif qui oblige EDF à brader une large part de sa production à ses concurrents, a fragilisé les comptes d'EDF. Mais on constate un problème plus général, spécifiquement français, de lien entre l'État et les entreprises publiques. L'État a toujours eu tendance à considérer l'entreprise publique comme une vache à lait, et en même temps comme le bras séculier de sa politique. Le problème à gérer maintenant si l'on veut relancer le parc nucléaire, c'est celui des compétences. La réponse doit commencer au lycée, en redonnant toute leur place aux mathématiques.
Est-ce qu'on peut encore redresser les choses ?
Il faut l'espérer, et commencer par sauver le soldat nucléaire tout en favorisant le développement des énergies renouvelables qui peuvent être mises en production rapidement. À l'heure actuelle, à court terme, on risque en effet d'avoir des problèmes de pénurie. Mais les centrales nucléaires vont refonctionner. Pour l'avenir, il faut une politique qui appuie l'efficacité énergétique et offre l'énergie à son juste prix tout en aidant les plus défavorisés. Mais on a besoin d'un sursaut de la France, qui ne doit pas être à la remorque de l'Allemagne. Nous payons un peu aujourd'hui le choix allemand. La France a encore beaucoup d'atouts, elle se doit de les protéger.
Propos recueillis par Géraldine Woessner
Arrêtée en 1985, la centrale nucléaire bretonne n’a toujours pas été entièrement démantelée. La faute aux recours juridiques et à un manque d’anticipation.
En 2038, lorsque les visiteurs s'aventureront du côté de Brennilis, ils pourront contempler le vaste marais du Yeun Elez avec le lac Saint-Michel et les monts d'Arrée en toile de fond. Panorama qui ne figure aujourd'hui que sur des photos prises avant 1962. Cette année-là, grues et pelleteuses l'ont défiguré pour y construire la première, et unique, centrale nucléaire à réacteur à eau lourde refroidi au gaz carbonique de 70 mégawatts. Autant dire une étincelle à côté des 900 à 1 500 MW développés, plus tard, par la technologie à eau pressurisée qui, plus efficace, aura finalement raison des turbines bretonnes, stoppées dès 1985, sur lesquelles auront travaillé jusqu'à 200 personnes.
C'est à partir de là que l'histoire s'est vraiment mise à bégayer, avec un projet de démantèlement si interminable qu'il donne le vertige : entre la première chape de béton coulée et le déclassement total du site (prévu, lui, pour 2040), soixante-dix-huit années se seront écoulées pour seulement… dix-huit d'exploitation ! Si le prototype peut donc être considéré comme une tentative avortée, pas question en revanche de rater la suite, c'est-à-dire son démantèlement complet. Pour EDF, l'enjeu est énorme. Pas seulement en raison du coût (de l'ordre de 850 millions d'euros), mais parce que l'opération - première mondiale pour ce type d'installation -, est surveillée de près à l'étranger dans un secteur très concurrentiel. « On a cette chance d'avoir en France EDF qui est constructeur, exploitant et démanteleur, ce que n'a pas l'Allemagne, par exemple, indique Franck Fahy, directeur du projet de déconstruction de Brennilis. On a tout intérêt à développer ce savoir-faire avec une capacité à le vendre à l'export. »
(Mauvais) exemple. Un « savoir-faire » contesté par les opposants au nucléaire qui, après avoir tout fait pour bloquer les opérations, agitent le chantier en (mauvais) exemple. « Ils ne savent pas faire », assène la porte-parole locale du réseau Sortir du nucléaire Chantal Cuisnier. Alors qu'EDF conçoit ce chantier pharaonique comme une vitrine internationale, la militante pointe, elle, le manque d'anticipation de la filière. « À l'époque, on pensait d'abord à construire, moins à déconstruire », reconnaît Franck Fahy. Résultat, lorsque les machines se sont arrêtées, tout le monde s'est retrouvé face à un problème complexe : comment démanteler un site abritant des déchets radioactifs dont la durée de vie s'évalue en milliers d'années ? « Qu'allons-nous laisser à nos descendants ? » s'interroge de son côté Bernadette Lallouet. Pour la présidente de l'association Vivre dans les monts d'Arrée, le « retour à l'herbe » brandi comme un slogan par les gestionnaires de la centrale n'est qu'une illusion. « La radioactivité reste », assure Chantal Cuisnier. En réalité, arrêtée depuis plus de trente-cinq ans, la centrale ne contient plus de combustible depuis vingt-cinq ans ni aucun déchet hautement radioactif.
Aujourd'hui y sommeillent toujours 6 000 tonnes de déchets « faiblement radioactifs », selon l'Andra. Le reste a déjà été évacué au terme du long processus de mise à l'arrêt de la centrale, bouclé en 1992. Cette première phase achevée, la suite s'est révélée plus compliquée car, entre-temps, l'État a changé de stratégie. À l'arrêt de Brennilis prévalait la doctrine d'un « démantèlement différé » consistant à attendre, une fois les combustibles retirés, une baisse naturelle de la radioactivité avant de s'attaquer au site. Mais sous l'impulsion de l'Autorité de sûreté nucléaire qui s'inquiète de possibles dispersions, la doctrine change au début des années 2000 pour un « démantèlement immédiat ». « Avec l'ouverture des centres de stockage, on devenait en capacité de le faire », éclaire Franck Fahy. Mais cette volonté d'aller plus vite s'est heurtée à une foule d'obstacles juridiques. Le chantier, qui avait démarré pour ôter les premiers éléments non radioactifs en plus des combustibles, s'est alors mis à avancer au ralenti.
Blocages. Le réseau Sortir du Nucléaire tente de bloquer un premier plan de démantèlement. Motif : EDF n'avait « pas démontré l'intérêt d'un démantèlement immédiat »... Et l'emporte grâce à une erreur administrative : le gouvernement avait oublié de transposer en droit national une directive européenne sur les études d'impact. Le Conseil d'État annule tout. Une nouvelle enquête publique est lancée, et la commission locale d'information (CLI) des monts d'Arrée créée. L'organe public est chargé d'étudier la faisabilité des manœuvres planifiées par EDF. « Nous sommes là pour vérifier que tout est conforme. » En 2009, un nouveau dossier pour un démantèlement est soumis à enquête publique. Verdict : rejeté, en raison des recours visant le chantier du site d'entreposage devant accueillir les déchets ! Va donc pour un démantèlement « partiel »... Une décennie plus tard, nouvelle tentative, nouvelle enquête publique relative à un démantèlement complet. Le projet est détaillé dans un document de plus de 2 500 pages et le public a 49 jours, entre le 15 novembre 2021 et le 3 janvier 2022, pour en prendre connaissance. Le 7 mars dernier, la préfecture du Finistère prononce sa décision : avis favorable sans réserve. Le décret doit être publié à l'automne 2023.
Cela ne signifie pas que les bulldozers vont entrer tout de suite en action. « À partir de maintenant, il y aura encore dix-sept ans de travaux, et c'est la complexité de ce démantèlement qui explique cette longueur », restitue Jacques Brulard, de la CLI. De fait, ce qu'il reste à déconstruire est surtout l'imposante cuve qui renfermait les combustibles, surmontée d'un dôme haut de 56 m. « Il a fallu de nombreuses heures d'étude sur un prototype pour concevoir le moyen automatisé d'intervenir dans un espace restreint, car les murs sont un enchevê- trement complexe de béton armé et de tubes », remarque Franck Fahy. Avant de passer à l'action, une simulation de découpe a été menée à l'institut de recherche technologique Jules-Verne de Nantes, où une maquette à l'échelle 1/2 a été faite.
Opération risquée. Mais ce qui est pratique avec le virtuel, c'est qu'il écarte tout risque d'incendie, car, dans la vraie vie, les matériaux composant l'armature sont très inflammables. « J'espère qu'il n'y aura pas trop d'accidents, comme en 2015 lors de la découpe des échangeurs », note Chantal Cuisnier. Des salariés avaient alors souffert des fumées à la suite d'un incendie accidentel. Aucune radioactivité n'avait été mesurée, mais pour l'activiste, cela aurait dû constituer un argument de plus en faveur du maintien de l'installation en l'état avec le reste des déchets confinés sur place, en attendant que la radioactivité diminue avec le temps. L'ancienne doctrine, en somme...
Sauf que le temps, en matière d'atome, est une donnée élastique. Or, concernant une structure vieillissante, le risque de dégradation est à considérer, notamment avec des conditions climatiques de plus en plus extrêmes. Comme ce 19 juillet. Alors que les monts d'Arrée sont en proie aux incendies, les 80 salariés de la centrale sont invités à quitter les lieux, enfumés. Finalement, les flammes n'atteindront pas, pour cette fois, le site. Mais la répétition probable d'épisodes similaires dans les années à venir constitue, là aussi, un argument de poids. Cette fois en faveur d'un démantèlement complet immédiat. Il ne fait que commencer
Pourquoi la France, qui était en avance sur le nucléaire, se trouve prise au dépourvu ? Retour sur vingt-cinq ans de lâchetés et de gâchis…
Cette fois, ils veulent des noms. Alors que des dizaines de milliers d'entreprises menacent, au seuil de l'hiver, de mettre la clé sous la porte, étranglées par des hausses stratosphériques de leurs factures d'électricité, l'opposition déboule sur le champ de bataille sabre au clair, exigeant des réponses. Pourquoi notre parc nucléaire, un fleuron de 56 réacteurs, se retrouve-t-il en partie en rade à l'instant le plus critique, EDF se montrant incapable d'accélérer ses opérations de maintenance et de régler en urgence un problème de corrosion ? Qui a conçu ce système européen de fixation des prix si contesté, pénalisant lourdement une France qui s'était assurée, justement, de ne pas trop dépendre du gaz russe ? Était-il pertinent de fermer des capacités de production d'électricité « pilotables » pour demander aujourd'hui aux Français de « mettre des pulls » ?
« Il faut établir les responsabilités », tempête dans les médias le chef de file des députés LR à l'Assemblée, Olivier Marleix, qui s'apprête à ouvrir en grande pompe, le 26 octobre, une commission d'enquête sur « les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France ». « Si les efforts normaux avaient été faits pour revitaliser la filière, nous serions aujourd'hui le Qatar de l'électricité en Europe », grince un ancien haut fonctionnaire, qui n'aura cessé d'alerter sur les tensions à venir, aujourd'hui ulcéré de voir politiques et industriels se renvoyer la responsabilité du fiasco. « La crise ukrainienne n'a fait que révéler des années d'errements. Il est temps d'ouvrir le dossier, de remonter la chaîne des décisions et des non-décisions, et de nommer les responsables », pense-t-il.
Une « opération vérité » qu'au sein même de la majorité, certains appellent de leurs vœux… Tout en redoutant qu'elle tourne à la vendetta politique. « Une nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie doit être votée au printemps, et nous devons éviter de reproduire les mêmes erreurs », concède un député Renaissance, qui participera à la commission. « Je suis prêt à balayer devant ma porte : il est clair que fermer Fessenheim n'était pas d'une inspiration lumineuse. Mais les hésitations qu'on reproche à Emmanuel Macron ont concerné tous les gouvernements, de droite comme de gauche… » De fait. Retour, en quelques dates clés, sur trente années d'affaiblissement de la filière nucléaire française.
Ont-ils compris, à l'époque, qu'ils venaient de mettre le doigt dans un engrenage qui allait conduire à une profonde révision de nos politiques énergétiques ? Le 19 juin 1997, le Premier ministre Lionel Jospin, appelé à Matignon par Jacques Chirac après sa victoire aux législatives, confirme la promesse faite aux Verts pour les rallier à sa « majorité plurielle » : le surgénérateur de Creys-Malville, prototype de réacteur de quatrième génération à neutrons rapides qui commençait tout juste à fonctionner de manière satisfaisante, après avoir connu depuis 1985 une exploitation chaotique, sera abandonné.
La ministre de l'Environnement Dominique Voynet signe elle-même l'arrêté de fermeture quelques mois plus tard, applaudie par l'ensemble de la mouvance antinucléaire, comme par ses prédécesseures Ségolène Royal et Corinne Lepage, qui avaient multiplié entraves et recours juridiques pour le débrancher. La rupture est brutale : capable d'utiliser 100 fois plus efficacement qu'actuellement l'uranium naturel et de « brûler » les déchets nucléaires les plus problématiques, notamment le plutonium et certains produits de fission, Superphénix était la promesse, poursuivie par la France depuis le premier jour, d'un « nucléaire durable »… et à ce titre, la bête noire des opposants à l'atome. Les raisons invoquées à l'époque - coût prohibitif, échec industriel - seront toutes démenties par une série de rapports, confirmant le caractère strictement politique de la décision.
À cet instant, « le terreau extrêmement puissant du consensus politique autour du nucléaire civil se fissure », analyse un membre du gouvernement d'alors. Au sein du cabinet de Dominique Voynet, les militants antinucléaires exultent… Comme les pronucléaires du gouvernement Jospin, auxquels la portée de l'événement échappe totalement. « On avait truffé le cabinet de Voynet d'espions socialistes, tout le monde se méfiait de tout le monde… Mais on ne s'est pas du tout rendu compte de la rupture que ça représentait. »
Sous la pression des militants écologistes, Lionel Jospin renonce également au projet de construction d'un nouveau réacteur au Carnet, en Loire-Atlantique, dont la mise en service aurait permis de fermer la très polluante centrale à charbon de Cordemais - toujours debout, elle tournera, cet hiver, à plein régime. Conseillée par Bernard Laponche, un pilier de la mouvance antinucléaire qui a rejoint son cabinet, Dominique Voynet entame en parallèle une campagne active en faveur du gaz et des « technologies modernes d'utilisation du charbon », appelant la France à « jouer un rôle actif » dans la construction des grands gazoducs internationaux… À Bruxelles, elle s'oppose, contre l'avis de Lionel Jospin, à ce que le nucléaire soit inclus dans les mécanismes du développement propre. L'Allemagne de Gerhard Schröder, qui vient de décider de sortir du nucléaire au profit du gaz, est portée aux nues. En 2002, le candidat des Verts à la présidentielle franchit pour la première fois la barre des 5 % au premier tour… Une consécration.
Studios de France Inter, le 8 mai 2002. Roselyne Bachelot, nommée la veille ministre de l'Environnement, s'installe face au journaliste Stéphane Paoli pour sa première interview. « Quelle est votre position sur le nucléaire ? » l'interroge un auditeur. Sa réponse va déclencher le premier scandale du gouvernement Raffarin. Roselyne Bachelot énonce placidement, à rebours des discours ambiants, que le nucléaire étant « la source d'énergie la moins polluante », elle entend en faire, avec les renouvelables, un pilier dans « sa lutte contre le réchauffement climatique, qui constitue aujourd'hui la principale menace pour la planète ». Le tollé est formidable. « Le gouvernement est aux mains du lobby nucléaire », tempête l'écologiste Noël Mamère, quand la presse dénonce « la gaffe écolo de Mme Bachelot ».« J'avais transgressé le tabou ultime », se souvient l'intéressée, encore estomaquée de la violence des attaques qui suivront son intervention. En dehors d'Alain Juppé, personne, au gouvernement, ne la soutient… « L'éventualité d'être catalogué comme "nucléocrate" terrorisait tout le monde. »
Apparues dans les années 1990 « quand on a constaté un surdimensionnement du parc nucléaire », les premières hésitations vis-à-vis de l'atome se sont rapidement transformées en opposition assumée, souligne l'historien de l'énergie Yves Bouvier. Au même moment, la libéralisation du marché de l'énergie, voulue par Bruxelles, offre un formidable tremplin aux fournisseurs alternatifs et aux énergies renouvelables. « À partir du moment où l'on envisage un marché structuré autour d'entreprises privées, le nucléaire n'a plus sa place », analyse l'historien. Et la gauche comme la droite, qui cherchent à rafraîchir leur image, font aux écologistes modernes, sympas, furieusement à la mode, des yeux de Chimène. « La question du réchauffement climatique et de la nécessaire électrification des usages, à l'époque, n'était absolument pas prise en compte, en dehors d'une minorité que personne n'écoutait, souligne Alexis Quentin, délégué syndical CFE Énergies. On comptait sur une baisse importante de la consommation d'électricité, et on n'envisageait pas de renouveler le parc nucléaire avant 2020… » Quelle contradiction, dès lors, à ce que la mouvance antinucléaire, prônant la décroissance, épouse la cause de la lutte contre le réchauffement climatique ?
Au sommet de la Terre de Johannesburg, Nicolas Hulot souffle à l'oreille de Jacques Chirac des mots qui feront date : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. […] Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. » Le piège se refermera des années plus tard : « En associant le combat des antinucléaires à la lutte contre le réchauffement climatique, nous nous sommes privés du meilleur outil pour le combattre », soupire l'ancien président de l'Assemblée nationale Bernard Accoyer, aujourd'hui à la tête de l'ONG Patrimoine, nucléaire et climat (PNC).
En coulisses pourtant, la situation du parc français commence à inquiéter - déjà. « Depuis 1998, la ligne du gouvernement était de faire baisser les tarifs de 1 % par an », raconte un ancien cadre d'EDF, « et nous étions nombreux à penser que c'était de la folie furieuse, car nous voyions nettement arriver le mur d'investissements devant nous, pour prolonger et renouveler le parc… » La perte de compétences est une constante source d'angoisse. Face à la fermeture du marché intérieur, les industriels se sont tournés vers l'export pour maintenir leur savoir-faire. Le projet d'un réacteur de troisième génération EPR, lancé avec l'allemand Siemens sur injonction de François Mitterrand (le président socialiste, qui voulait un « acte fort » pour sceller l'amitié franco-allemande, jettera à la poubelle un projet plus raisonnable sur lequel travaillait EDF), d'une complexité inouïe, alimente les querelles au sein de la filière, la nouvelle entité Areva, présidée par Anne Lauvergeon, s'étant mise en tête d'en vendre partout - en assumant elle-même les risques financiers, au besoin. En concurrence directe avec Areva sur le marché international, EDF, fragilisée, perd quelques contrats. Dans ce contexte tendu, Jacques Chirac hésite, tergiverse… Et finalement décide, en 2004, de lancer la construction d'un seul EPR, à Flamanville. Lorsque le chantier démarre, des années plus tard, les compétences sont déjà perdues.
« Il pensait faire un coup politique… Et on a vu Saturne dévorer ses enfants », se désole un ancien proche de Nicolas Sarkozy. Dans l'exaltation de la campagne présidentielle, celui-ci avait signé le pacte de Nicolas Hulot, et promettait rien de moins qu'une « révolution écologique » ! Lorsque s'ouvre le Grenelle de l'environnement, à l'automne 2007, toutes les ONG de l'écologie politique sont autour de la table, rassemblées par le nouveau ministre d'État à l'Écologie, l'enjôleur Jean-Louis Borloo, chargé de la délicate mission de se concilier ce beau monde, tout en gardant la main sur les fondamentaux. Le nucléaire, officiellement, est exclu des débats. Sauf que…
Le Grenelle va offrir aux antinucléaires et aux tenants d'un système décroissant une formidable caisse de résonance, au moment où la compétence « énergie » échappe à Bercy pour rejoindre le ministère de la Transition écologique. « Jean-Louis ne connaissait rien au sujet, il a épousé les thèses qu'on lui présentait », soutient l'un de ses anciens alliés. « Ce transfert de la gestion de l'énergie et du nucléaire a eu des conséquences considérables dans l'appareil d'État », confie au Point l'un des dirigeants d'EDF. « À partir de cette date, on ne parle quasiment plus de nucléaire. Les instances administratives, chargées de planifier les besoins à moyen terme, disparaissent, et le secrétariat passe à la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC). Et les réunions s'arrêtent ! »
Nicolas Sarkozy confirmera tout de même la construction d'un deuxième EPR à Penly. Mais un rapport remis en 2010 au gouvernement, s'interrogeant sur la pertinence qu'il y aurait à diversifier les technologies en construisant des réacteurs de moindre puissance, est aussitôt classé « secret-défense » - une façon commode d'enterrer le sujet. En 2011, quelques mois après le drame de Fukushima, Jean-Louis Borloo confie : « Je suis convaincu que la France n'a pas besoin de cet EPR si elle parvient à réduire massivement sa consommation énergétique tout en augmentant sa production d'énergies renouvelables. La réduction du nucléaire doit se faire de manière progressive. Une sortie totale ne peut s'envisager avant 2040. » Quasiment du Ségolène Royal dans le texte.
L'accord de gouvernement négocié pendant la campagne présidentielle entre Martine Aubry et Cécile Duflot, que François Hollande puis Emmanuel Macron reprendront à leur compte, achève de faire basculer la politique énergétique vers un désengagement du nucléaire : il prévoit d'abaisser de 75 % à 50 % la part du nucléaire dans le mix électrique d'ici à 2025… C'est-à-dire la fermeture de 17 à 20 réacteurs, estimera la Cour des comptes. L'objectif est inscrit dans la loi de transition énergétique portée en 2015 par Ségolène Royal… Et la machine s'affole. « L'échéance de 2025 est très rapidement apparue intenable », avoue un conseiller de l'époque, qui croit encore possible, alors, de la tenir pour 2035.
Nommé à la tête du gestionnaire de réseaux RTE par François Hollande, le député socialiste François Brottes s'attache à crédibiliser la politique choisie, produisant des études rassurantes sur l'équilibre futur du système électrique. « La fermeture des centrales au fioul et au charbon, depuis 2012, a représenté 13 gigawatts. La fermeture annoncée de Fessenheim et, potentiellement, de cinq tranches au charbon représenterait 5 GW supplémentaires », admet-il en 2019 devant les députés. « Or le pic de consommation en 2018 était de 96,66 GW. On aura donc fermé l'équivalent de 19 % des besoins au moment des pics de consommation. » Il n'anticipe toutefois pas de problème, estimant que « le développement du solaire et de l'éolien répond aujourd'hui aux enjeux de sécurité de l'approvisionnement et de sûreté du système électrique ». L'hiver suivant, alors qu'un anticyclone s'abat sur l'Europe pendant de longues semaines, la France est contrainte d'importer massivement son électricité, notamment depuis les centrales à lignite (le plus polluant des charbons) allemandes.
L'autorité indépendante de sûreté nucléaire tente bien d'alerter, chaque année, avec constance, sur le risque majeur de se priver de marges, alors qu'il va falloir gérer les réexamens de sûreté d'un parc vieillissant et faire face à d'éventuels aléas… En vain. Sur le bureau de François Hollande comme sur celui d'Emmanuel Macron les rapports se succèdent, émanant de l'Académie des sciences, de celle des Technologies, de parlementaires… « J'ai écrit 4 000 pages de rapports, sur la coexistence du nucléaire et des énergies renouvelables, sur les travaux à lancer pour qu'elle soit possible, sur le stockage des déchets, le démantèlement, sur le programme de recherches Astrid », confie Yves Bréchet, haut-commissaire à l'énergie atomique de 2012 à 2018. Remis en mains propres à différents conseillers, comme Stanislas Reizine, passé de l'Élysée au groupe Suez, ou Antoine Pellion, aujourd'hui secrétaire général à la Planification écologique après avoir conseillé Ségolène Royal, François Hollande et Jean Castex. Également destinataire de tous les rapports, le directeur général de la DGEC, Laurent Michel… Aucun ne donnera suite.
Lassé d'alerter dans le vide, Yves Bréchet finit par claquer la porte en 2018, quand Emmanuel Macron décide de l'arrêt, sans aucun débat, du programme de recherche sur les réacteurs Astrid. En construction à Marcoule (Gard), ce prototype de réacteur de quatrième génération, relancé par Jacques Chirac en 2006 après l'arrêt malheureux de Superphénix, avait pour objectif de « fermer le cycle » du nucléaire, c'est-à-dire de réduire considérablement les déchets produits en réutilisant le plutonium, et d'offrir à la France une indépendance électrique de plusieurs siècles en permettant d'utiliser son énorme stock d'uranium appauvri. « L'exécutif jette aux oubliettes soixante années de recherche scientifique », s'indigneront, dans un rapport au vitriol, les députés et sénateurs rassemblés au sein de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. « Cette décision, prise sans débat alors que l'on sait que notre consommation électrique va considérablement augmenter dans un contexte de réchauffement climatique, est incompréhensible, jugera le député LREM Thomas Gassilloud. Les intérêts à long terme du pays ne semblent pas avoir été pris en compte. » Au même moment, un rapport commandé par Bercy à l'ancien administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique Yannick d'Escatha somme le gouvernement de commander au plus tôt trois paires de réacteurs EPR, sous peine de voir la filière sombrer. Il est classé secret-défense… Et rapidement enterré.
Jusqu'à ce que la crise énergétique contraigne le gouvernement à un brusque revirement. En février 2022, en pleine campagne électorale, Emmanuel Macron s'engage à commander six nouveaux réacteurs, avec une option sur huit autres, reprenant le scénario d'un mix à 50 % de nucléaire en 2050 élaboré par RTE (dont le nouveau président, Xavier Piechaczyk, fut le conseiller « énergie » de François Hollande). « En même temps », le président promet un développement sans précédent des énergies renouvelables. Diversement accueillie, l'annonce, pour l'instant, n'a pas été suivie de commandes, alimentant les doutes sur la volonté réelle d'Emmanuel Macron de la concrétiser. Et certains questionnements demeurent. Pourquoi, par exemple, limiter l'ambition à 14 réacteurs, compte tenu de l'ampleur des besoins et alors qu'il faudra à terme remplacer l'ensemble du parc ? « La filière a dit clairement que c'était sa limite, elle ne peut pas faire davantage », affirme, gênée, une source proche de l'exécutif, qui justifie l'absence de commande par le fait que « le design de l'EPR 2 n'est pas prêt. Qu'ils fassent leur boulot, et on commandera… » Ambiance.
« Je n'ai jamais dit cela », confiait au Point, la mine sombre, le patron d'EDF Jean-Bernard Levy, quelques mois à peine avant d'être remercié, sur fond de conflit ouvert avec un exécutif rejetant sur sa « mauvaise gestion » la responsabilité de la crise. « Dans un monde idéal, un monde où les gouvernements successifs garderaient la même politique et cesseraient de faire du stop-and-go, on pourrait construire un réacteur par an entre 2035 et 2040, puis monter à deux réacteurs par an. On saurait le faire ! Il faut planifier les bureaux d'études, les besoins en génie civil, les lignes d'assemblage… Tout est possible », avançait alors Jean-Bernard Levy. Sous réserve - l'un des plus grands défis pour EDF - de former une petite armée d'ingénieurs, de soudeurs, de robinetiers…
Le design de l'EPR 2, remis au gouvernement au printemps 2021, n'attend plus que les premières commandes pour être finalisé, et s'adapter aux sous-traitants qui seront alors choisis. L'entreprise, qui affiche des pertes historiques, aura-t-elle les moyens de les honorer ? Peut-être, « si l'État actionnaire cesse de se comporter comme un fonds de pension californien en demandant à EDF des dividendes massifs, en se servant sur la rente pour combler le déficit, et en lui demandant de vendre à prix cassé à ses fournisseurs », suggère Cécile Maisonneuve, conseillère auprès du centre énergie et climat de l'Institut français des relations internationales. « Cette ambiguïté de l'État actionnaire ou stratège, qui change de casquette en fonction des circonstances, n'a pas aidé EDF. » Un constat partagé d'un bord à l'autre du spectre politique : pour sauver la filière, il faudra, avant tout, changer de paradigme §
Si la plupart de ses études sont d’excellente qualité, certaines ont fait sortir de leurs gonds les scientifiques les plus mesurés : fin 2018, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) concluait que la France pourrait tirer 100 % de son électricité des énergies renouvelables d’ici à 2050, sans que cela lui coûte plus cher qu’avec le nucléaire. Une affirmation aussitôt démentie par les spécialistes, dénonçant les lourdes impasses techniques et économiques d’un document pourtant destiné à « éclairer les politiques publiques ». L’Ademe, alors sous la présidence de l’ancien militant des Verts Arnaud Leroy (également architecte du volet énergie du programme d’Emmanuel Macron en 2017), aurait-elle tenté de « manipuler l’opinion », comme le dénoncera dans Le Monde le journaliste scientifique Sylvestre Huet ?
Publiée deux ans plus tard, une étude beaucoup plus sérieuse du gestionnaire de réseau RTE invalidera la thèse. Sans dissiper les doutes sur l’agenda de l’Ademe, havre historique des chercheurs de la mouvance antinucléaire. « Lorsque le programme Messmer de construction du parc est lancé en 1974, la CFDT se structure autour des mouvements alternatifs et antinucléaires, à l’inverse de la CGT », explique l’historien de l’énergie Yves Bouvier. À la recherche d’alliés en 1979, François Mitterrand s’en rapproche. Bernard Laponche, architecte de la ligne antiatome de la CFDT, rejoint sa campagne et vivra comme une « trahison », dira-t-il, la mise à l’écart des antinucléaires après l’élection.
Pour consoler ses soutiens, François Mitterrand crée l’Agence française pour la maîtrise de l’énergie (AFME) – un organisme rassemblant notamment l’Agence pour les économies d’énergie et le Commissariat à l’énergie solaire – et la dote de moyens importants pour réfléchir à un nouveau modèle de société, basé sur la sobriété… La première agence officielle de décroissance est née ! Bernard Laponche la présidera trois ans, ouvrant partout des antennes et surveillant les recrutements. Devenue l’Ademe en 1991 après de nouvelles fusions, elle a le plus souvent été présidée par des personnalités hostiles au nucléaire, et ses études sont notoirement favorables aux énergies renouvelables§
En dépit des 120 milliards d’euros dépensés pour développer l’éolien et le photovoltaïque, la France n’a pas atteint ses objectifs de déploiement des énergies renouvelables, définis par la programmation pluriannuelle de l’énergie. Au 30 juin 2022, notre parc éolien atteignait une puissance installée de 20 GW, loin derrière l’objectif de produire 24,1 GW d’ici à fin 2023. Et la puissance du parc photovoltaïque atteignait 15,2 GW, contre un objectif de 20,1 GW. Emmanuel Macron ambitionne de porter, d’ici à 2050, la puissance installée du solaire et de l’éolien en mer respectivement à 100 GW et à 40 GW. Une hausse sans précédent, indispensable pour décarboner l’industrie. Elle ne pourrait toutefois pas empêcher les coupures d’électricité cet hiver, et ne les empêchera pas les hivers à venir : nos 7 000 éoliennes ont produit moins de 2 % de l’électricité consommée en janvier, pendant l’intense vague de froid assortie d’un anticyclone
Par Géraldine Woessner
Pourquoi l'opinion sur le nucléaire a basculé - Le Monde de l'Energie
https://www.lemondedelenergie.com/pourquoi-opinion-nucleaire-bascule/2022/09/09/
Pourquoi l’opinion sur le nucléaire a basculé...Avec le recul et l’accumulation des statistiques, l’irrationalité des décisions de moratoire, d’arrêt, voire de sortie du nucléaire apparaît : le nucléaire est l’une des sources d’énergie les plus sûres, avec l’un des taux de décès provoqués par quantité d’électricité
75% des personnes interrogées soutiennent l'énergie nucléaire, 65% seraient favorables à la construction de nouveaux EPR, contre 51% il y a près d'un an. La crise actuelle, qui pèse sur le pouvoir d'achat des Français, expliquerait ce résultat.
Depuis l'explosion des prix de l'énergie, le nucléaire aurait le vent en poupe. Selon un sondage de l'Ifop commandé par le JDD, dont les résultats ont été publiés par nos confrères le samedi 17 septembre, 75% des personnes interrogées seraient favorables au nucléaire. 65 % d'entre elles seraient même favorables à la construction de nouveaux réacteurs, contre 51 % selon un sondage d'octobre 2021. Dans toutes les catégories d'âge et d'orientation politique, la proportion des personnes en faveur de cette énergie est majoritaire, avec des différences notoires. Les partisans du nucléaire représentent 53% des personnes se déclarant de EELV, 66% des sondés votant à gauche, contre 88% pour ceux votant à droite. Les plus jeunes soutiennent moins que les plus âgés cette énergie - 69 % pour les moins de 35 ans, contre 84 % pour les plus de 65 ans. Les Français refuseraient de manière nette le "scénario à l’allemande où on abandonne la production d’énergie nucléaire", analyse Frédéric Dabi, directeur général opinion à l’Ifop, auprès de nos confrères.
Autres éléments à noter : la moitié des sondés estime que le nucléaire est propre et utile à la lutte contre le changement climatique, pendant que l'autre pense l'inverse. "Sur le nucléaire, ce n’est pas la fin du monde qui crée l’adhésion, mais bien la peur pour le portefeuille", analyse Frédéric Dabi chez nos confrères. Depuis plusieurs mois, le contexte national de très fortes tensions en matière d'approvisionnement électrique inquiète les Français. De premier exportateur d'électricité en Europe, l'Hexagone est désormais devenu importateur, 32 réacteurs nucléaires sur 56 étant à l'arrêt fin août en raison d'opérations de maintenance prévues et des arrêts liés à des problèmes de corrosion. Le prix de l'électricité bat des records, atteignant les 1.000 euros le mégawattheure contre moins de 100 euros il y a un an.
Dans ce contexte, 67% des personnes interrogées disent que l'énergie nucléaire est bon marché, et 81% d'entre elles estiment qu'elle est indispensable à l'indépendance énergétique de la France. Concernant sa dangerosité, les choses sont moins tranchées. Alors que 71 % des interrogés estiment qu'il s'agit d'une énergie fiable, 62 % des sondés pensent qu'elle est dangereuse. "Il y a donc des personnes qui perçoivent le nucléaire comme fiable et dangereux à la fois", analyse Frédéric Dabi. L'Ifop a réalisé un sondage en ligne pendant deux jours, auquel un échantillon de 1.003 personnes représentatif de la population française majeure, selon la méthode des quotas, a répondu, explique le JDD.
https://www.capital.fr/economie-politique/energie-les-trois-quarts-des-francais-soutiennent-le-nucleaire-selon-un-sondage-1446465
La future commission d’enquête parlementaire sur la souveraineté énergétique veut mettre le gouvernement sur le gril… Avec l’aide de Nicolas Sarkozy.
« Si je suis convoqué, je viendrai », a discrètement fait savoir l'ancien président Nicolas Sarkozy au patron du groupe Les Républicains Olivier Marleix, décidé à « établir les responsabilités de la perte de souveraineté énergétique » du pays, alors que les prix de l'énergie flambent et que la France est menacée de rationnements cet hiver. La commission d'enquête, réclamée à grands cris par le député d'Eure-et-Loir, aura bel et bien lieu : les Républicains ont exercé leur « droit de tirage », procédure qui permet à chaque groupe d'obtenir une commission d'enquête par an. Ne reste plus au bureau de l'Assemblée nationale qu'à la valider : la commission devrait être sur pied mi-octobre, et prévoit d'étaler ses travaux sur six mois.
Un poison lent pour Emmanuel Macron, bruyamment désigné comme « coupable » par les oppositions qui lui reprochent ses longues tergiversations sur la stratégie énergétique du pays. « Qui nous a conduits à la crise actuelle ? L'opinion publique est saturée depuis des années de discours mensongers. Il faut une fois pour toutes nommer les responsables », tempête Olivier Marleix, qui dénonce depuis des années le dépeçage industriel de la France en général, et en particulier le rôle joué par l'ancien ministre de l'Économie, un certain Emmanuel Macron, dans la vente des turbines d'Alstom à l'américain General Electric (la justice a été saisie), que l'État français, via EDF, rachètera sept ans plus tard pour deux fois leur prix de vente.
Conçue comme un véritable tribunal politique, la commission pourrait achever de saccager l'hiver d'un gouvernement confronté à la pire crise énergétique depuis les années 1970. Nicolas Sarkozy, président de 2007 à 2012, aurait d'ores et déjà accepté le principe de son audition – une première : aucun ex-président n'a jamais prêté serment devant les députés. « Il a pris ses responsabilités, lancé les EPR », glisse l'un de ses confidents. « Il ne supporte pas d'être mis dans le même sac que ses successeurs, qui eux n'ont rien fait. »
L'ensemble de la chaîne de décision devrait être entendu, précise le futur président de la commission, le député du Haut-Rhin Raphaël Schellenberger, dont la circonscription abrite le site de l'ancienne centrale nucléaire de Fessenheim, débranchée en 2020. « Nous voulons entendre les responsables successifs du CEA, d'EDF, de l'Ademe… Les dirigeants de RTE (le Réseau de transport de l'électricité, NDLR), qui depuis dix ans produisent des études prétendant que tout ira bien. Nous voulons identifier ceux qui ont installé l'idée, dans l'opinion publique, qu'on pouvait construire notre croissance économique à moindre coût, en rognant toutes nos marges de sécurité énergétique », grince-t-il, précisant que des demandes d'audition seraient « évidemment envoyées » à Ségolène Royal et à François Hollande, qui s'était politiquement engagé en 2011, dans le cadre d'un accord avec les Verts, à faire chuter de 75 % à 50 % la part du nucléaire dans la production d'électricité. « L'objectif n'est pas de régler nos comptes, assure le député, mais de pousser le gouvernement à prendre des décisions pour l'avenir. » Peut-être. En attendant, les couteaux sont sortis.
« Rendez-moi mon Macron », s’insurge l’essayiste américain Michael Shellenberger, pour qui la « fin de l’abondance » cache un échec du politique.
« La fin de l'abondance et de l'insouciance » : c'est la terrible prédiction du président de la République française. Pourquoi ? Parce que l'Union européenne s'est dangereusement rendue dépendante du gaz russe. Or ces derniers ont décidé de mener une guerre de conquête en Ukraine qu'il est impensable de soutenir, même indirectement, en continuant à acheter de l'énergie à Vladimir Poutine. Le problème de la déclaration d'Emmanuel Macron, c'est que l'abondance énergétique en Europe ne dépend de Vladimir Poutine que parce que nous l'avons bien voulu, nous explique Michael Shellenberger, essayiste américain et défenseur d'un nucléaire qui permettrait de sortir du défi climatique par le haut. Selon lui, la crise énergétique est due avant tout à l'incompétence des dirigeants occidentaux. Entretien explosif.
Le Point : Pensez-vous, comme Emmanuel Macron, que nous arrivons à la fin de l'abondance en Europe ?
Michael Shellenberger : Bien sûr que non, c'est absurde. Qu'Emmanuel Macron et EDF aient échoué à entretenir correctement les joyaux du système énergétique européen, à savoir les centrales nucléaires françaises, voudrait dire que les Européens doivent devenir pauvres ? C'est factuellement faux. Le problème est d'origine technique, les soudures des tuyauteries n'ont pas été correctement inspectées. Il s'agit de machines ! Ce n'est pas de la sorcellerie et c'est loin d'être aussi difficile que de lancer un télescope dans l'espace, de faire de la fusion nucléaire ou d'envoyer un robot sur Mars. On parle de tuyaux soudés ensemble. Évidemment, il faut que ce travail soit bien fait, qu'il soit régulièrement inspecté. Mais ce sont des machines, ni plus ni moins. Je suis très déçu par Emmanuel Macron. Il y a un an, il produisait une superbe vidéo concernant son plan France 2030, rappelant les prouesses technologiques dont la France était capable. Que lui est-il arrivé ? Qui est cet imposteur, si facilement défait par une question de maintenance du parc nucléaire ? Rendez-moi le Macron de 2021 !
Pourtant, la crise géopolitique et énergétique que nous vivons est bien réelle.
Oui, mais ç'aurait justement dû être le moment de gloire de l'industrie nucléaire française. Et il se passe le contraire ; cela me fend le cœur. L'échec des centrales au moment où l'Europe en a le plus besoin est une conséquence directe de la négligence et du dédain pour le nucléaire, associés à une passion délétère pour les énergies renouvelables. EDF a investi des milliards d'euros dans l'éolien, ce qui a conduit à augmenter la consommation de gaz. Le nucléaire a été démonétisé, l'éolien et le photovoltaïque ont été portés aux nues. On en voit les conséquences maintenant. Les chefs d'État, Emmanuel Macron inclus, doivent préparer leurs populations à un hiver rigoureux.
Une partie de la responsabilité incombe aussi à Joe Biden et Justin Trudeau, qui n'ont pas produit assez de gaz naturel pour compenser l'embargo russe, alors qu'on en dispose d'assez en Amérique du Nord pour alimenter l'Europe pendant mille ans ! L'augmentation de leur production ne prendrait qu'un an, pas davantage. Malgré la disponibilité de ces réserves de gaz et la simple nécessité d'entretenir les centrales nucléaires, Emmanuel Macron adopte une grille de lecture malthusienne.
Mais comment pourrait-il y avoir une fin de l'abondance, si ce n'est de notre propre fait ? Emmanuel Macron suggère que cette fin est subie, mais c'est faux ! Il faut absolument que l'Europe se sèvre du gaz russe. Le fait que vous achetiez à l'Allemagne de l'électricité produite à partir du charbon devrait être un sujet de honte nationale. C'est choquant, triste, et c'est surtout la démonstration éclatante de l'influence démesurée qu'exercent les tenants d'une politique malthusienne. Votre président devrait affirmer, au contraire, que cela prouve qu'il faut plus de centrales nucléaires, qu'il faut entretenir celles qui existent avec attention, qu'il faut cesser de dénigrer ceux qui travaillent dans le nucléaire. J'ai parlé à de nombreux anciens responsables du parc nucléaire d'EDF. Ils m'ont dit être partis parce qu'ils étaient mal considérés depuis que la France a pris en 2015 cette décision délirante d'abaisser à 50 % du mix énergétique national le taux d'électricité produite par le nucléaire. Cette baisse impliquait évidemment une augmentation de la consommation de gaz. Les Français n'ont pas une aussi grande responsabilité que les Allemands dans la situation actuelle, mais ils sont loin d'être innocents. La France a augmenté sa consommation de gaz alors même que le continent devenait de plus en plus dépendant de la Russie pour son approvisionnement.
Pourtant, personne en France n'a suggéré d'exploiter le gaz de schiste qui se trouve sous nos pieds…
Oui ! Vous aviez, selon l'EIA [l'Agence américaine d'information sur l'énergie, NDLR], presque 4 000 milliards de mètres cubes de gaz de schiste récupérables dans vos sous-sols en 2015. Mais là n'est pas le problème : avec du nucléaire, pas besoin de gaz, ou très peu. La France pourrait alors exporter ses stocks vers ses voisins névrosés d'outre-Rhin.
Que pensez-vous de la décision du gouvernement français de construire quatorze nouveaux EPR ?
J'en suis évidemment ravi. C'est le chemin de l'abondance ! J'ajouterais que je ne suis pas convaincu par le design de ces réacteurs, qui est le reflet de la paranoïa autour du nucléaire civil. Il aurait fallu en rester à celui de Framatome 1200, qui était très bien. Cela dit, maintenant que le design existe, il faut y aller ! Il faut augmenter le nombre de ces réacteurs afin d'en faire baisser les coûts de construction.
Construire des EPR est sans doute une bonne solution de long terme, mais avant qu'ils ne soient fonctionnels, que conseilleriez-vous ?
L'Europe a besoin de gaz maintenant : à cause du nihilisme climatique qui est en train de détruire la civilisation occidentale, Biden et Trudeau ont refusé d'augmenter la production de gaz de schiste. Ils sont prisonniers de zélotes de la cause climatique. En juin, lors du G7, Macron a annoncé à Joe Biden, devant des journalistes, que les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite ne produiraient pas plus de pétrole, sous-entendant que les États-Unis devaient s'en charger. Sans surprise, Biden n'a pas compris le message et a simplement demandé à son tour à l'Arabie saoudite d'en produire davantage. Mais ils ne veulent pas le faire ! Ils aiment que le prix du baril soit élevé.
Il faut faire preuve d’un peu d’ambition !
Les Français sont trop diplomates, il faut être plus américain ! Être plus direct, convoquer le Donald Trump qui sommeille en vous et aller réclamer du gaz aux États-Unis. Il faut que Macron s'exprime devant le Congrès et propose un échange de procédés techniques, avec des entreprises américaines qui aideraient à l'exploitation du gaz de schiste en France et des ingénieurs français qui contribueraient à la construction de nouvelles centrales nucléaires aux États-Unis. Il faut faire preuve d'un peu d'ambition !
Pourquoi avons-nous choisi de ne pas exploiter le gaz et le pétrole de schiste en Europe ?
L'ancien secrétaire général de l'Otan, mais aussi Hillary Clinton, affirment que Poutine a financé les activistes anti-gaz de schiste en Europe. Même si l'on n'a pas accès aux preuves, on ne peut pas exclure qu'ils se trompent. Mais ce sont des sources sérieuses ! Poutine lui-même a fait de la désinformation au sujet du gaz de schiste. La fracturation hydraulique n'est pas un danger écologique. Il faut simplement traiter les eaux usées, ce qui n'est pas difficile. C'est une technologie très efficace, qui a une empreinte écologique faible. Les conflits d'intérêt ne s'arrêtent pas là : Tinne Van der Straeten, la ministre belge de l'Énergie, travaillait au sein d'un cabinet d'avocats qui a notamment défendu Gazprom.
Selon certains environnementalistes, les énergies renouvelables nous mettent en harmonie avec la nature. Il s’agit d’une véritable infantilisation, symptomatique d’une décadence assez profonde.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que de nombreux environnementalistes sont des fanatiques. C'est ce que Pascal Bruckner appelle le « fanatisme de l'Apocalypse ». Ils voient certains carburants comme intrinsèquement bons ou mauvais. Personnellement, je pense que le charbon est bon s'il sert à sortir des gens de la pauvreté ; mais mauvais, s'il est brûlé en Europe de l'Ouest. Le nucléaire est vu par certains comme véritablement démoniaque. Inversement, selon eux, les énergies renouvelables rétablissent l'harmonie avec la nature. Il s'agit d'une véritable infantilisation, symptomatique d'une décadence assez profonde. C'est d'ailleurs pour cela que la crise de l'énergie, aussi douloureuse soit-elle, est positive : elle va réveiller les Européens, même si le continent risque de se diviser sur la question. La réponse à une crise de l'abondance est une hausse de la production d'énergie, pas une baisse !
Propos recueillis par Gabriel Bouchaud
La presse a abondamment communiqué sur le redémarrage de la centrale au charbon de Saint-Avold, dont les 600 MW de puissance constitueront un apport insuffisant mais très précieux..Rappelons que la centrale de Fessenheim arrêtée en 2020 pour des raisons politiciennes disposait de 1 800 MW de puissance et n’émettait que 4 g de CO2 par kWh produi
Le journal officiel a publié le 8 juillet 2022 le décret reconnaissant l’utilité publique de Cigéo, le projet de stockage des déchets radioactifs de haute activité (HA) et de moyenne activité à vie longue (MA-VL) en couche géologique profonde. ..La déclaration d’utilité publique (DUP) est une étape importante pour le projet Cigéo et pour l’Andra. Elle atteste de la reconnaissance de l’intérêt général du projet au regard de l’enjeu auquel il répond : protéger sur le très long terme l’Homme et l’environnement des déchets les plus radioactifs.
Les États-Unis consentent le plus gros investissement jamais réalisé pour sauver leurs centrales nucléaires...Alors que plusieurs pays européens tergiversent quand à l’avenir de leurs centrales nucléaires, les États-Unis foncent sur l’atome pour lutter contre le réchauffement climatique.
Nucléaire : les 7 mensonges capitaux des opposants radicaux (Tribune)
https://www.lemondedelenergie.com/nucleaire-mensonges-tribune/2022/03/25/
les 7 mensonges capitaux des opposants radicaux...e tout temps, les antinucléaires intégristes n’ont pas hésité à proférer des arguments trompeurs pour prêcher leur évangile et mystifier le peuple qui peut se laisser berner facilement faute de connaissances sur le sujet...
Depuis l’invasion de l’Ukraine, on entend moins les discours diabolisant l’Europe ou le nucléaire. Mais il reste encore quelques illusions tenaces.
"...Enfin, il y a le nucléaire. On savait depuis des années que l'atome civil était indispensable si l'on voulait vraiment lutter contre le réchauffement climatique. Le rapport du Réseau de transport d'électricité de l'an dernier a confirmé que, sans lui, ce serait extrêmement difficile, voire impossible, surtout si l'on souhaitait réindustrialiser le pays. S'ajoute désormais à cet impératif celui du sevrage par rapport au gaz russe. N'oublions pas que le programme nucléaire français répondait à ses débuts à une préoccupation d'indépendance énergétique. Nous y sommes. Ainsi, l'exercice de contorsionniste de Yannick Jadot, qui manifeste devant l'ambassade de Russie à propos de l'Ukraine tout en continuant à justifier laborieusement la sortie du nucléaire à terme, nous fait mal pour lui. Il est des baratins qui vieillissent mal."
Étienne Gernelle
(extrait de l'article ci dessous)
https://www.lepoint.fr/editos-du-point/etienne-gernelle/gernelle-au-dela-de-cette-limite-votre-bobard-n-est-plus-valable-24-03-2022-2469430_782.php?M_BT=6286141392673#xtor=EPR-6-[Newsletter-Matinale]-20220324-[Article_5]
Nucléaire : là où Macron a fait des erreurs
https://www.contrepoints.org/2022/03/12/423214-nucleaire-la-ou-macron-a-fait-des-erreurs
Macron a passé l’ensemble de son quinquennat à essayer de détruire la filière nucléaire....La ministre de la Transition écologique, issue du parti Europe Écologie Les Verts, a toujours été une ennemie acharnée de l’atome et à la toute fin du quinquennat Macron elle a finalement estimé que « faire du 100 % renouvelable est un pari trop risqué ». L’éclair de lucidité intervient lorsque le mal est fait
« L’Allemagne et la Belgique sont les exemples parfaits de ce qu’il ne faut pas faire »...Christopher Dembik, responsable de la recherche macroéconomique de la banque d’investissement danoise Saxo Bank, a critiqué de manière virulente la politique énergétique de l’UE en général, et de l’Allemagne et de la Belgique en particulier, dans ses perspectives trimestrielles.
Nucléaire nouvelle génération : Selon Thierry Breton, l’UE va devoir investir « 500 milliards d’ici à 2050 »....Le commissaire européen au Marché intérieur juge « crucial » d’ouvrir au nucléaire le projet de labellisation verte de l’UE
« L’énergie nucléaire peut se vanter d’une excellente maîtrise de son potentiel de danger »..."l’abondante désinformation entretenue par des organisations réputées écologistes sur le sujet (politiques, ONG…)".."toute une culture visant à répandre la peur pour susciter un rejet en bloc"
Hausse du prix de l'électricité : "On est protégé par le parc nucléaire"...le parc français "a été construit après le choc pétrolier" dans les années 1970.."nous avons 10 ans de stock d'uranium sur notre sol"
La pénurie d’uranium pousse les prix à la hausse ce qui est un régal pour les propriétaires de mines qui devraient extraire 125 millions de pounds en 2021. La demande d’uranium devrait passer de 162 millions de pounds cette année à 206 en 2030 et 292 en 2040 selon l’Association Mondiale du Nucléaire.
Du côté des producteurs les extractions devraient diminuer de 15% d’ici à 2025 et de 50% d’ici à 2030 à cause du manque d’investissements et de la difficulté de trouver de l’uranium.
Pour les spéculateurs, l’uranium est du pain béni ! Le fonds vautours, Sprott Inc a lancé un trust afin de spéculer sur l’uranium. Le fonds a amassé 24 millions pounds d’uranium et a parfois acheté jusqu’à 500'000 pounds (livre) par jour. Le pari à la hausse devient une opportunité financière majeure. Après avoir roupillé pendant des années vers les 20$, le prix de l’uranium a explosé à presque 50$ la livre.
Du côté des traders de WallstreetBets, ils se sont jetés dessus comme un labrador devant un os. Cameco a pris jusqu’à 75% depuis août et le futur sur l’uranium +40%.
La pénurie d'uranium est une opportunité d'achat pour les spéculateurs
https://2000watts.org/index.php/energies-fossiles/peak-oil/1226-energies-economie-petrole-et-peak-oil-revue-mondiale-septembre-2021.html
Cordemais-Fessenheim : échec au climat
Fin de partie pour le projet Ecocombust. La centrale de Cordemais ne sera pas convertie à la biomasse. EDF jette l'éponge face aux coûts de l'opération...
Il ne s'agit pas d'une véritable surprise pour qui connaissait un peu ce projet qui pouvait paraître intéressant sur le papier mais qui n'avait pas de vraie dimension industrielle. On sait aussi que le bilan environnemental était loin d'être aussi séduisant qu'affiché par certains : une part de charbon restait nécessaire et le projet n'était pas bas carbone, l'approvisionnement en combustible biomasse même de récupération présentait un impact environnemental conséquent, ...
Fin de l'illusion donc et retour au pragmatisme.
Pour autant, on nous annonce que la centrale va devoir continuer à fonctionner au charbon au moins jusqu'en 2024 (voire 2026 dixit RTE), et pour des durées limitées, pour assurer la sécurité du réseau... tiens donc !
Lorsqu'il s'est agi de fermer 2 réacteurs de Fessenheim il y a un an, il n'y avait aucun problème de réseau puisque la centrale de Cordemais allait continuer à fonctionner... soi-disant avec de la biomasse. Mais sans Cordemais, ça devient problématique.
Chacun aura donc compris la manipulation :
- on vous raconte une fable sur une centrale charbon qui va devenir propre ;
- on ferme la centrale de Fessenheim pour faire plaisir à des électeurs écolo qu'il faut séduire et à nos voisins allemands (mais pas pour faire plaisir au climat, chacun l'a compris) ;
- on attend un peu pour que la ficelle ne paraisse pas trop grosse ;
- on annonce que le projet de conversion de la centrale charbon est abandonné pour des raisons x ou y ;
- on se désole de devoir la maintenir en service (pour des durées limitées, rassurez-vous) au nom de la continuité de service.
… et le tour est joué : on a fermé la centrale nucléaire qui produit en toute sûreté une électricité fiable et décarbonée et on maintient en service (mais pour des durées limitées rassurez-vous) la centrale charbon qui est le mode de production le plus émetteur de CO2 (ce sera un million de tonnes de CO2 par an qui seront émis par cette centrale).
On fait même monter au créneau les élus locaux, écologistes compris, qui s'inquiètent de la perte de 500 emplois liés à la future fermeture de Cordemais... après avoir supprimé d'un trait de plume près de 2 000 emplois à Fessenheim alors que rien, en dehors de considérations électoralistes de court terme ne justifiait cette décision.
En février 2020, une dizaine de ministres se retrouvaient dans une tribune publiée dans la presse pour se féliciter de la fermeture du premier réacteur de Fessenheim, considérant qu'il s'agissait « d'une étape historique ». Nous avons aujourd'hui la confirmation que c'était, en l’occurrence, un bien triste épisode d'une funeste histoire écrite par des politiciens calculateurs loin d'être à la hauteur de leurs responsabilités vis à vis du climat.
Nous sommes bien face à une grande arnaque et à un mauvais coup prémédité contre le climat.
Copyright © 2021 Association Sauvons Le Climat
Ex-opposante au nucléaire, Zion Lights soutient désormais l'atome. Présidente des Voix du Nucléaire, Myrto Tripathi tente de mobiliser la société civile française sur ce sujet. Interview croisée.
Le nucléaire est-il une chance pour le climat ? Depuis plusieurs mois et alors que les plans de relance post-Covid font la part belle à la question de la transition énergétique, le débat autour du rôle que pourrait jouer l'atome dans l'équation énergétique ne cesse de monter dans la société civile. En France évidemment, vu le poids historique joué par la filière nucléaire (70% de la production électrique environ) et la volonté affichée par le gouvernement de réduire cette part à 50% d'ici 2035.
Les discussions passionnent aussi au-delà de nos frontières, au Royaume-Uni par exemple, où le poids du nucléaire est certes largement moins important (20% de la production), mais où la question du renouvellement du parc actuel se pose de façon aiguë. Activiste du secteur de l'environnement depuis une quinzaine d'années, la Britannique Zion Lights est une des grandes figures de ces débats. Ex-porte-parole de l'association Extinction Rebellion, celle qui était naguère opposante au nucléaire, a effectué un virage à 180 degrés et est désormais convaincue que l'atome est indispensable pour atteindre les objectifs climatiques.
Ex-cadre dans le secteur du nucléaire (chez Areva et Framatome) qu'elle a quitté pour occuper des fonctions de conseillère auprès de l'ex-ministre de l'environnement Brice Lalonde avant de devenir dirigeante d'une organisation environnementale, Myrto Tripathi a de son côté créé l'association Les Voix du Nucléaire il y a deux ans en France; Objectif : mobiliser la société civile sur la défense de l'atome. Les deux activistes se confient pour l'Express.
Zion, vous avez travaillé pendant plusieurs années comme porte-parole d'Extinction Rebellion, organisation dans laquelle vous portiez une position antinucléaire. Après avoir quitté ce mouvement, vous vous êtes engagée auprès d'Environmental Progress, une association pro nucléaire. Que s'est-il passé ?
Zion Lights : C'est une évolution assez naturelle de ma conscience environnementale. Je travaille comme activiste depuis 15 ans, et après avoir alerté pendant de nombreuses années sur le risque climatique, il me semblait important de m'engager en faveur de solutions viables. Le nucléaire en est une.
Dans la presse anglo-saxonne, vous expliquez quand même avoir été dupée par certains activistes sur l'impact climatique du nucléaire...
Z.L : Lorsque vous êtes impliqué dans l'écologie, vous êtes antinucléaire par principe. Vous ne questionnez pas cette position, vous vous contentez de vivre avec. J'étais jeune et je croyais également sans vérifier ce que les gens autour de moi disaient à propos des radiations et des déchets nucléaires. Plus tard, en me documentant sur ce sujet, j'ai appris que ces choses étaient en réalité fausses. Et j'ai découvert également que les gens avec qui j'avais fait campagne ne voulaient pas entendre la vérité.
C'est comme le déni climatique, il y a une sorte de "déni nucléaire" au Royaume-Uni. Beaucoup de gens veulent croire qu'il est possible d'avoir un mix électrique qui fonctionne avec 100% d'énergies renouvelables, ce qui est faux. Et quand j'évoque le nucléaire comme une option, cela les contrarie. Les choses évoluent cependant dans le bon sens, nous sentons qu'il y a une fenêtre d'opportunité pour dialoguer sur ce sujet, que les pays préemptent à nouveau cette question.
D'où la participation, avec les Voix du nucléaire, à l'événement place de la République à Paris fin septembre, qui réunit des membres de la société civile et des experts pour promouvoir l'énergie nucléaire...
Z.L : Oui. Environmental Progress a l'ambition de structurer un mouvement au niveau mondial de défenseurs de la cause nucléaire. Le moment est assez opportun. Avec les grèves pour le climat, le mouvement autour de Greta Thunberg depuis 2018, on sent que les jeunes sont très préoccupés par la question climatique.
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Myrto Tripati : L'événement faisait partie d'un mouvement plus large, "Stand up for Nuclear" organisé dans 45 villes et plusieurs dizaines de pays. L'idée sous-jacente est de montrer qu'il y a une part significative de la population civile, ne représentant rien d'autre qu'elle-même, qui est ouvertement pro nucléaire. Cela permet de casser cette image largement relayée par les opposants, que nous serions l'instrument ou les porte-parole de lobbys industriels. Au contraire, la société civile à une vraie compréhension des bénéfices du nucléaire, à savoir une énergie qui contribue à la transition énergétique, à l'amélioration de la qualité de l'air, à la création d'emplois non délocalisables, et de la production d'une électricité à bas coût. Le deuxième objectif, c'est de mettre fin au tabou. L'urgence climatique nous impose de parler de ce sujet. En France, près de 86% des 18-34 ans en France pensent que cette technologie à un impact néfaste sur le climat. C'est juste catastrophique. Car ces jeunes, qui sont les décideurs d'aujourd'hui et de demain, placent le changement climatique au coeur de leur préoccupation. Nous devons faire de la pédagogie pour que leur choix soit parfaitement éclairé sur cette question.
Le débat sur le nucléaire semble désormais très polarisé et ancré dans le marbre chez les anciennes générations. Il semblerait que les jeunes n'ont pas toujours de religion sur le sujet. C'est là aussi une opportunité pour vous ?
M.T : Dans un sens oui. La génération précédente a été marquée de façon profonde par les mouvements antinucléaires (en Allemagne et en France, notamment) des années 70. Ce sont d'ailleurs ces mouvements qui sont à l'origine du sentiment antinucléaire, qui n'existait pas vraiment au moment de la création des premières centrales dans les années 60 et 70. Les jeunes générations voient bien que nous vivons avec le nucléaire depuis maintenant des décennies. Ils comprennent de façon pragmatique que la peur qui a pu être légitime au lancement des grands plans, ne s'est jamais matérialisée. Enfin, il ne faut pas oublier que cette génération est née avec les fakes news. Ils sont très sensibilisés à la vérification de l'information. Or l'histoire du nucléaire est liée depuis toujours aux fakes news. Il n'y a pas d'industrie générant plus de fausses informations, de croyances erronées, que celle-ci.
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Z.L : Au Royaume-Uni, la population n'a pas d'opinion si tranchée sur le sujet, pas que les jeunes. Ils ne sont pas radicalement opposés, mais pas fervents supporters de la technologie. Donc c'est plutôt encourageant pour notre action. Mais nous avons fort à faire pour convaincre, car l'opposition au nucléaire parle très fort, et depuis bien plus longtemps que nous. Je m'efforce à rééquilibrer la balance en communiquant beaucoup sur les réseaux sociaux, dans la presse.
Mais le nucléaire est un sujet technique. Il y a des experts dans chaque camp, et il est parfois difficile pour le grand public de se faire une opinion, encore plus d'en changer...
M.T : C'est justement la raison pour laquelle nous avons créé Les Voix du Nucléaire, nous souhaitons ouvrir le débat de manière pacifiée. Le nucléaire n'est pas plus technique que l'ensemble des technologies qui nous entourent, les avions, les ordinateurs, les smartphones. En le rendant technique, on s'empêche d'en parler et on laisse le champ libre aux opposants, qui ont déjà un large écho dans l'opinion publique.
Z.L : Il y a des gens qui ne changeront jamais d'avis sur le sujet. C'est vrai pour de nombreuses questions. Il y a plusieurs années, j'ai écrit un livre sur les enfants, qui comportait un chapitre sur les vaccins. Je me suis fait attaquer par les antivaccins, qui soutenaient que j'étais payé par Big Pharma. La plupart des gens n'ont aucune culture scientifique et vous imposent leurs idées reçues, leurs vagues croyances. Quand vous vous appropriez un sujet, vous devez être honnête et humble. Retourner à la bibliothèque, étudier le sujet en profondeur, ne pas rester à la surface. Le point positif c'est que ces derniers temps, de plus en plus de scientifiques sortent de leur tour d'ivoire pour défendre l'énergie nucléaire. Cela nous aide beaucoup.
Au final, le plus important n'est-il pas de convaincre les politiques ? L'impulsion publique est fondamentale dans la construction de nouvelles centrales, car la sphère privée à elle seule ne peut en assumer les coûts. La logique court-termiste dans laquelle nous vivons n'est-elle pas rédhibitoire pour cette industrie ?
M.T : Le politique est essentiel en effet. Comme tout projet d'infrastructure de long terme, le nucléaire a besoin d'investissements massifs au lancement. C'est vrai pour le nucléaire comme pour les aéroports, les lignes de train ou la Philharmonie de Paris. La puissance publique donne aux industriels mais aussi aux financiers la garantie que la décision politique ne viendra pas modifier leurs perspectives de retour sur investissement. Donc oui, le court-termisme est un vrai problème. Les politiques sont élus pour 5 ans, quand la construction d'une centrale dure en théorie de 7 à 8 ans. Le sujet nucléaire est à la base un sujet technique et scientifique qui est pris en otage par le politique. Dans nos démocraties, il est au coeur de nombreux débats entre partis. C'est un instrument régulièrement utilisé pour faire basculer un vote, nouer des alliances. Mais la vraie question n'est pas tellement celle du temps politique. C'est une bataille d'opinion publique. Si vous avez une majorité de soutiens, le coût d'une décision positive sur le nucléaire prise par le politique s'abaisse mécaniquement.
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Z.L : Je discute régulièrement avec nos responsables, ils supportent tous l'énergie nucléaire, y compris notre Premier ministre. Mais dès lors qu'il s'agit de prendre des décisions importantes et engageantes sur le long terme, ils n'arrivent pas à franchir le pas. C'est un vrai risque, car les projets de centrale peinent à trouver les financements, et certains de nos partenaires industriels, comme EDF, hésitent à se retirer du pays faute d'impulsion. Aujourd'hui, l'électricité nucléaire représente 20% de notre mix électrique, mais d'ici 2030, nous allons fermer 14 réacteurs. Deux réacteurs beaucoup plus puissants (Sizewell C et Hinkley Point C) sont censés les remplacer...mais vu comme les choses avancent au plus sommet de l'Etat, il n'y a presque aucune chance d'y parvenir à cette échéance.
Mais cette baisse du nucléaire ne pourrait-elle pas être compensée par le solaire et l'éolien ? Au Royaume-Uni comme partout dans le monde, ces énergies deviennent aussi compétitives en matière de coût que le nouveau nucléaire, dont la facture a par exemple dérapé en France à Flamanville. Que répondez-vous à ceux qui jugent le nucléaire trop cher et trop lent à produire ?
M.T : Je ne veux pas opposer le photovoltaïque et l'éolien au nucléaire. Toutes les technologies bas carbone ont du sens. Mais si l'on doit faire un choix, alors il me semble que le nucléaire est bien plus compétitif dans un contexte comme celui du réseau électrique français. Je m'explique : le coût de la matière première n'est pas le seul facteur à prendre en compte dans le choix d'une énergie. Bien sûr, le vent et le soleil sont gratuits, mais il faut également prendre en compte la construction de l'infrastructure électrique pour accueillir cette production décentralisée, avoir les énergies de secours quand vous n'avez ni vent ni soleil et assumer le prix que cela vous coûte. Les défenseurs des renouvelables oublient souvent de le faire. Nous devons calculer sur l'ensemble du système et pas seulement les coûts de production
Z.L : C'est l'épouvantail utilisé par les antinucléaires, mais cela n'a aucun sens pour moi. Quand vous écoutez les arguments des écologistes, et même d'une grande partie de la population, ils expliquent que le changement climatique n'a qu'un seul but, la réduction des émissions de CO2. Si on suit cette logique, la question des coûts est secondaire. Au Royaume-Uni, on a également un problème avec l'intermittence des renouvelables. Récemment, il y a eu une vague de chaleur qui a réduit drastiquement la production éolienne et donc électrique. Nous avons dû utiliser de l'électricité produite par le charbon. En pleine crise climatique. C'est inacceptable. Le charbon est la pire des solutions en termes de pollution de l'air, ou pour les gens qui vivent à côté des centrales. Et c'est ridicule alors qu'il existe une solution pilotable, le nucléaire, dont les centrales peuvent fournir pendant 80 ans une énergie décarbonée. Il n'y a rien qui peut s'y comparer.
Il y a également la question des déchets nucléaire. N'est-ce pas un problème insoluble de l'équation nucléaire ?
Z.L : On ne peut pas nier la question des déchets nucléaire. Mais cette problématique repose également sur un mythe tenace. J'étais autrefois antinucléaire, et comme tout le monde, j'avais en tête cette idée d'une industrie sale, où les déchets n'étaient pas recyclés ou globalement mal gérés. Un peu comme dans Les Simpsons. C'est tout le contraire. Le traitement des déchets nucléaires est l'un des plus contraignant au monde. Aux Pays-Bas, ils ont même un musée où ils entreposent certains déchets à très faible radioactivité. C'est intéressant car ils renversent l'image associée aux déchets et cassent cette image d'Epinal d'une industrie mal gérée. Des croyances notamment dues à la pop culture. Au contraire, on ne parle jamais des déchets liés au démantèlement des panneaux solaires, ou encore des processus d'extraction des métaux rares nécessaires à la construction des panneaux qu'il faut bien sortir de terre.
M.T : Toutes les activités humaines génèrent des déchets, le CO2 est un déchet. Pour moi il s'agit d'un faux débat. Si vous êtes préoccupés par la notion de déchets, commencez par jeter un oeil à la pollution de l'air liée aux centrales à charbon. Chaque année, elle tue 10.000 personnes en Europe. Prenez également l'impact des déchets plastiques sur la biodiversité, des polluants chimiques que nous n'arrivons pas toujours à gérer. Ce ne sont pas des risques à horizon de 100.000 ans et dont la réalisation n'est qu'hypothétique comme la radioactivité liée au nucléaire. Ce sont des faits tangibles, immédiats. J'ajoute que la France avait un programme visant à réutiliser les déchets nucléaires comme carburant pour les réacteurs avec son programme Astrid. Celui-ci a été suspendu...
En France, le parc est quand même vieillissant, certaines centrales atteignent les 40 ans, ce qui pourrait poser un problème de sécurité...
M.T : Il faut bien distinguer l'âge sur le papier de l'âge de l'infrastructure. Il y a de gros travaux de maintenance sur les centrales. Et vous avez l'Autorité de Sûreté nucléaire, un organe indépendant de l'industrie, qui donne pour 10 ans, tous les 10 ans, un agrément pour la prolongation de durée de vies des centrales. D'ailleurs, la veille de la fermeture de la centrale de Fessenheim (le 29 juin dernier, NDLR), qui était la doyenne des centrales à 43 ans, cette autorité a indiqué qu'il s'agissait d'une des meilleures centrales françaises en matière de sécurité.
La volonté de la France de réduire la part de production nucléaire à 50% de son mix électrique, ou la Belgique de sortir du nucléaire d'ici quelques années doit vous faire sursauter.
M.T : C'est une décision qui n'a aucun sens. Nous allons réduire nos capacités de production d'une énergie déjà bas-carbone pour la remplacer par deux énergies intermittentes qui ne sont pas calibrées pour être utilisées à très grande échelle sur le réseau électrique. Cela ne se justifie ni pour le climat, ni pour des raisons de sécurité, ni pour des raisons économiques et encore moins politiquement dans les territoires ou ces centrales sont implantées. C'est en contradiction complète avec l'ambition de ces deux Etats de réduire leurs émissions de CO2. En Belgique, cela résultera dans l'ouverture de centrale à gaz subventionnées par l'État. C'est ridicule.
Z.L : J'ai une opinion encore plus radicale. Pour moi, chaque fermeture de réacteur est un crime contre l'humanité dans ce contexte de crise climatique. Notre planète se réchauffe, et chaque acte qui va à l'encontre de la baisse globale des émissions est selon moi un crime contre la planète. Nous avons la chance d'avoir cette technologie. Nous devrions aider les pays en voie de développement comme en Afrique ou en Inde à l'obtenir car ce sont eux qui vont souffrir le plus des effets du changement climatique, et ils n'ont pas d'infrastructures pour y faire face.
Bernard Accoyer : « Nous allons vers un manque d’électricité »...L’ancien président de l’Assemblée exhorte les candidats à la présidentielle à sortir des utopies et à se saisir de la question « vitale » de l’énergie.
le lourd impact de la suspension du projet de réacteur de 4ème génération Astrid....Un rapport parlementaire tire à boulets rouges sur l'impact de l'abandon par la France en 2019 du projet de réacteur nucléaire de 4e génération Astrid. Et il réclame une stratégie de recherche sur le nucléaire avancé
REPORTAGE. Créée après l’accident de Fukushima, la Force d’action rapide nucléaire (Farn), unité unique au monde, peut intervenir en 12 heures en cas d’accident grave.
La patronne du bistro posé sur l'aérodrome de Saint-Sylvain, pas très loin de Saint-Valery-en-Caux (Seine-Maritime), continue à servir des verres, imperturbable. Pourtant, dehors, c'est presque une ambiance de guerre. Balayé par les vents, un hélicoptère bedonnant tourne sans cesse, qui pose et enlève d'énormes colis ; à côté, une barge ficelée sur une remorque attend, prête à servir ; pas très loin, un camion équipé d'un bras articulé déplace des arbres arrachés et des pylônes pliés en deux ; un peu partout, des hommes casqués slaloment entre trois immenses tentes kaki, semblables aux modèles militaires. La Force d'action rapide nucléaire (Farn) est à l'action. Ce 20 janvier, les hommes qui composent cette unité d'élite ont fort à faire : à cinq kilomètres de là, ils doivent coûte que coûte refroidir le réacteur 4 de la centrale de Paluel. Une panne électrique générale a coupé le système de refroidissement d'eau. Si la mission échoue, la catastrophe nucléaire guette.
On l'aura compris, tout cela n'est qu'un exercice. L'accident est fictif. Les hommes de la Farn s'entraînent, comme ils le font trois à quatre fois dans l'année. Ils doivent se tenir prêts à intervenir, dans n'importe quelle centrale nucléaire de France, en douze heures. Ces hommes savent tout faire : dégager une route jonchée d'arbres ou de gravats, alimenter en eau, en électricité ou en air un réacteur – c'est le cœur de leur mission –, et même prendre le contrôle d'une centrale nucléaire si les agents habituels ne peuvent plus le faire. L'unité a été créée après l'accident de Fukushima, il y a tout juste dix ans. Depuis le 1er janvier 2016, ses 300 membres sont répartis entre un état-major, basé à Saint-Denis, et quatre services régionaux situés auprès de quatre centrales, dont celle de Paluel.
Chacune de ces bases régionales dispose de cinq « colonnes » – un terme du GIGN –, composées de quatorze équipiers. En permanence, quatre sont prêtes à partir. Tout est minuté, avec une discipline quasi militaire. En cas d'alerte déclenchée par l'état-major, une première équipe légère se déploie sur la zone et établit la première base ; elle est rejointe, douze heures plus tard, par une première colonne, puis, après le même délai, par une seconde. Très choyées, les équipes de la Farn disposent d'un arsenal à faire pâlir d'envie un régiment du génie : soixante-huit véhicules lourds (camions semi-remorques, camions-grues…), quarante-quatre véhicules légers (pick-up 4x4, barges de débarquement…), un hélicoptère, plus une batterie de drones, robots et autres petits engins aptes à pénétrer dans une zone irradiée. Manipulés à distance, les robots de la société peuvent ainsi entrer dans une enceinte nucléaire et actionner, par exemple, des vannes, même en cas de forte irradiation.
On l'aura compris, tout cela n'est qu'un exercice. L'accident est fictif. Les hommes de la Farn s'entraînent, comme ils le font trois à quatre fois dans l'année. Ils doivent se tenir prêts à intervenir, dans n'importe quelle centrale nucléaire de France, en douze heures. Ces hommes savent tout faire : dégager une route jonchée d'arbres ou de gravats, alimenter en eau, en électricité ou en air un réacteur – c'est le cœur de leur mission –, et même prendre le contrôle d'une centrale nucléaire si les agents habituels ne peuvent plus le faire. L'unité a été créée après l'accident de Fukushima, il y a tout juste dix ans. Depuis le 1er janvier 2016, ses 300 membres sont répartis entre un état-major, basé à Saint-Denis, et quatre services régionaux situés auprès de quatre centrales, dont celle de Paluel.
Chacune de ces bases régionales dispose de cinq « colonnes » – un terme du GIGN –, composées de quatorze équipiers. En permanence, quatre sont prêtes à partir. Tout est minuté, avec une discipline quasi militaire. En cas d'alerte déclenchée par l'état-major, une première équipe légère se déploie sur la zone et établit la première base ; elle est rejointe, douze heures plus tard, par une première colonne, puis, après le même délai, par une seconde. Très choyées, les équipes de la Farn disposent d'un arsenal à faire pâlir d'envie un régiment du génie : soixante-huit véhicules lourds (camions semi-remorques, camions-grues…), quarante-quatre véhicules légers (pick-up 4x4, barges de débarquement…), un hélicoptère, plus une batterie de drones, robots et autres petits engins aptes à pénétrer dans une zone irradiée. Manipulés à distance, les robots de la société peuvent ainsi entrer dans une enceinte nucléaire et actionner, par exemple, des vannes, même en cas de forte irradiation.
Les hommes qui composent la Farn sont tous des agents EDF. Ils partagent leur temps entre leur métier traditionnel et l'unité. À l'image des gendarmes qui intègrent le GIGN, ils forment une sorte d'élite du nucléaire. Si on ne leur demande pas de ramper dans la boue d'une forêt amazonienne, une bonne condition physique est exigée. Leur capacité de résistance au stress n'est pas plus éprouvée, mais Pierre Eymond, le patron de ces super-agents, raconte qu'ils sont confrontés au début de leur incorporation à des images de catastrophes (Fukushima, tremblement de terre à Haïti…), ce qui en dissuade certains. Chacun suit ensuite six semaines d'une formation mise à jour chaque année. Un investissement qui justifie qu'on signe au minimum pour cinq années au sein de l'unité.
La force d'action rapide nucléaire n'est pourtant pas le GIGN. Les super-gendarmes interviennent en permanence, alors que la Farn devrait ne jamais intervenir. Chez EDF, on assure que tout est fait, et plus encore, pour ne jamais arriver à cette extrémité. La Farn, c'est le pompier du tout dernier recours, lorsque l'ensemble des barrières dressées par EDF n'a pas suffi à éviter l'accident nucléaire majeur. Depuis la catastrophe de Fukushima, en 2011, la sûreté des centrales – en clair, ce qui doit empêcher l'accident nucléaire – a été renforcée. Chaque site dispose ainsi de moteurs diesel d'ultimes secours, destinés à fournir en électricité un réacteur si, tour à tour, flanchaient l'alimentation extérieure par le réseau normal, la turbine à combustion, puis les diesel traditionnels… Les diesel d'ultimes secours sont eux-mêmes mieux protégés que fort Knox : un mur de béton les protège, assez épais pour résister à un séisme, une inondation ou une tornade (une Twingo volante qui percuterait l'enceinte ne la fendillerait pas, assure-t-on chez EDF). Ils disposent aussi d'une réserve de fuel grâce à laquelle ils peuvent faire fonctionner le refroidissement d'un réacteur pendant 72 heures.
Depuis un peu plus de quatre ans, époque de sa création, la Farn n'est donc jamais intervenue sur une centrale. Elle a, en revanche, prêté main-forte aux agents d'EDF lors de deux catastrophes majeures : après la tempête Irma, sur l'île de Saint-Martin en 2017, et l'an dernier dans la vallée de la Roya, dévastée par les crues gigantesques. Évidemment, la dextérité des agents de la Farn à piloter une centrale n'a pas été éprouvée dans ces deux cas ; ils étaient là pour leur capacité à analyser une situation de crise (que faire, où, quand, etc.) et à déblayer les voies d'accès, avant tout.
En l'absence appréciable d'accidents nucléaires majeurs en France et ailleurs dans le monde depuis 2016, EDF prête donc une grande attention aux exercices d'entraînement. « On imagine les situations les plus inimaginables ! » s'amuse Jean-Marie Boursier, le directeur de la centrale de Paluel. En Normandie, on a créé artificiellement des conditions dantesques : une pandémie, un risque de submersion façon Fukushima, et une tempête qui oblige les agents de la Farn à déblayer les routes. Leur mission : alimenter en eau le réacteur 4. En l'absence de refroidissement, le cœur du réacteur risque de fondre. Les hommes de la Farn déploient donc un interminable tuyau qui plonge dans un bassin de rétention d'eau de la centrale et se fixe, plusieurs centaines de mètres plus loin, sur une conduite placée à cet effet dans le mur du réacteur. Si le bassin était vide, les agents auraient une parade : utiliser un tuyau plus long encore pour s'alimenter dans un fleuve côtier, situé à quelques kilomètres de là.
Chaque agent dispose d'un sac à dos léger à son nom, contenant le nécessaire vital pour tenir 24 heures, même s'il était isolé, et d'un sac plus volumineux garni de réserves pour 72 heures. À quelques kilomètres de la base logistique de l'aérodrome, à Saint-Valery-en-Caux, la Farn a installé une tente de décontamination, par laquelle transite chaque agent à son retour de la centrale accidentée. L'exercice touche à sa fin. À l'aérodrome de Saint-Sylvain, l'hélicoptère effectue ses dernières rotations. La tente dortoir, avec sa douzaine de lits de camp alignés dans une rigueur très militaire et sa climatisation, n'aura pas servi : les agents dormaient tous à l'hôtel. Il ne s'agit pas seulement de confort : si, en cas d'accident nucléaire majeur, la mission doit être remplie en 24 heures, les exercices durent trois jours : le Code du travail empêche la Farn de faire travailler 24 heures d'affilée ses super-agents, même pour se préparer à empêcher une catastrophe nucléaire majeure.
Par Michel Revol
Consultation populaire sur le nucléaire : le citoyen a-t-il un avis éclairé ?....Ces pseudo-enquêtes publiques sont inutiles, coûteuses en euros et en délais..Le gouvernement se disperse dans des procédures stériles aux relents antinucléaires, dont le caractère démagogique est manifeste.
les Français peuvent donner leur avis sur la prolongation des réacteurs au-delà de 40 ans ...L’ASN, l’Autorité de sûreté du nucléaire, vient d’ouvrir une consultation publique..La phase de consultation lancée aujourd’hui se terminera le 15 janvier
L'ASN ouvre la voie à une prolongation des réacteurs au-delà de 40 ans. Mais chacun des 32 réacteurs fera l'objet d'une décision individuelle... ....ce quatrième examen décennal, réalisé sur chaque unité, revêt une importance particulière parce qu'à leur conception il avait été retenu une hypothèse de 40 ans de fonctionnement.
Fermeture de la centrale de Fessenheim : beaucoup d’idées reçues…Contrairement à ce qui a pu être annoncé par le gouvernement ou certains journaux, la fermeture de la centrale de Fessenheim ne répond à aucun impératif environnemental ni de sûreté..
La juridiction financière publie un rapport qui critique le manque d'anticipation de l'arrêt des centrales nucléaires, dont celle de Fessenheim.
Le 3 janvier 1946, le général de Gaulle crée le commissariat général du Plan. À la sortie de la guerre, cette instance a pour objectif d'élaborer un plan pour « la modernisation et l'équipement économique de la métropole », en particulier dans les secteurs du charbon et de l'électricité. Le commissariat cesse d'exister en 2006, la planification de l'économie n'est plus en odeur de sainteté depuis pas mal de temps, et pourtant, à EDF, on le regrette. La production d'électricité par l'atome ne souffre pas d'à-peu-près. Une vision à long terme est nécessaire, particulièrement en matière de nucléaire, pour lancer de grands projets mais aussi pour les arrêter. La Cour des comptes vient de le rappeler. Dans un copieux rapport, les sages de la rue Cambon étrillent le caractère improvisé de l'arrêt des deux réacteurs de la centrale de Fessenheim. Ils s'inquiètent aussi de l'avenir, puisque le gouvernement a décidé de fermer quatorze réacteurs, les plus anciens du parc.
Les sages consacrent une bonne vingtaine de pages à la fermeture de la centrale alsacienne. Le titre du paragraphe concerné donne le ton : « Un processus chaotique et un coût pour l'État ». La décision, on s'en souvient, fut très politique. Candidate à la primaire de la gauche en 2011, la première secrétaire du PS, Martine Aubry, négocie un accord avec Cécile Duflot, son homologue écologiste. Les deux dames, qui surjouent devant les caméras leur bonne entente, topent pour fermer Fessenheim, entre autres mesures visant à réduire la part du nucléaire. François Hollande, qui bat Aubry lors du scrutin socialiste, est un peu obligé de respecter l'accord de sa rivale. Une fois élu à l'Élysée, il le réitère lors de la conférence environnementale, le 14 septembre 2012. Mais, entre la promesse et la réalité, il y a une marge. Ainsi que le rappelle le rapport, rien n'oblige, par exemple, EDF à arrêter ces deux réacteurs. L'autorité de sûreté nucléaire les juge d'ailleurs aptes au service, et ils rapportent beaucoup d'argent à l'électricien ainsi qu'aux actionnaires étrangers du site alsacien. EDF regimbe donc, assez naturellement. Qui doit donc décider de fermer ? Chacun se renvoie la balle. Les salariés sont un peu déboussolés. « Les multiples rebondissements, écrivent les magistrats, ont tout d'abord donné lieu à une communication désordonnée. »
Bien entendu, Jean-Bernard Lévy, le patron d'EDF, peut difficilement s'opposer à l'État, son actionnaire très majoritaire. Les deux parties finissent par s'accorder. Mais les magistrats regrettent les tergiversations du gouvernement. L'arrêt des deux réacteurs est d'abord lié à la mise en service de l'EPR de Flamanville, avant qu'Emmanuel Macron, en 2018, ne change son fusil d'épaule : il décide de dissocier les deux événements, parce que le chantier de l'EPR ne cesse de prendre du retard. Une illustration, écrivent les magistrats, de « la difficulté pour l'État de concilier son rôle d'actionnaire majoritaire d'une entreprise publique et de responsable de politique énergétique ».
L'indemnisation d'EDF pour la fermeture de son outil industriel laisse aussi les magistrats pantois. Le protocole signé entre les deux parties, écrivent-ils, fait peser « un risque financier pour l'État ». L'indemnisation comprend deux parties : l'une pour les dépenses anticipées liées à la fermeture, l'autre pour le manque à gagner. « Certaines dispositions de mises en œuvre (modalités de calcul, clauses de rendez-vous réguliers…) mériteraient d'être précisées par avenant afin de limiter ce risque », observe le rapport. EDF a, de plus, plutôt bien joué lors de ces négociations : l'entreprise a obtenu d'être indemnisée comme si la centrale de Fessenheim allait fonctionner jusqu'en 2041, soit durant soixante ans en tout, alors que l'entreprise « prévoit dès aujourd'hui certains arrêts de centrales à leur cinquième visite décennale (soit après cinquante ans de fonctionnement) ». En clair, observent les magistrats de la rue Cambon : EDF gagne dix ans de cash garanti. De plus, les calculs de l'indemnisation d'ici 2041 sont « incertains », disent les magistrats, car les prix de l'électricité fluctuent en permanence sur les marchés.
La lecture de la partie consacrée à l'avenir du parc nucléaire donne elle aussi le sentiment d'une certaine improvisation. À part en 1997, lorsque Lionel Jospin décide de fermer Superphénix, un gouvernement n'avait jamais procédé à l'arrêt anticipé d'une installation nucléaire. À Fessenheim, il a donc fallu essuyer les plâtres. Au moins, cette expérience pourrait servir de banc d'essai pour les quatorze autres réacteurs dont l'arrêt est prévu par le gouvernement d'ici 2035. Là encore, pourtant, la Cour des comptes s'interroge. La décision d'Emmanuel Macron pourrait coûter beaucoup d'argent public. A priori, EDF ne devrait pas être indemnisé, parce que ces quatorze réacteurs promis à la casse figurent parmi les plus anciens du parc. Mais le précédent de Fessenheim inquiète les magistrats. « L'exemple de Fessenheim montre qu'EDF peut réclamer des indemnisations dans le cas où les fermetures de centrales n'interviendraient pas à la date que l'entreprise avait prévue, indépendamment de la durée d'amortissement effective des centrales », préviennent-ils. Les montants d'une éventuelle indemnisation, disent-ils, sont « potentiellement élevés ».
À la lumière du précédent alsacien, la Cour s'interroge aussi sur l'anticipation de l'avenir énergétique du pays. « L'expérience de la fermeture de la centrale de Fessenheim montre qu'une anticipation de la trajectoire de fermeture des réacteurs est nécessaire », écrivent les magistrats. Il s'agit d'anticiper les conséquences pour l'emploi local, pour le réseau de transport (qu'il faudra adapter), pour les déchets nucléaires (dont les flux varieront), mais aussi pour le mix énergétique : comment remplacer cette perte de production d'électricité, par exemple ? Les quatorze réacteurs condamnés à la fermeture ont une capacité de production à peine inférieure à l'ensemble des éoliennes installées aujourd'hui en France, si elles tournaient à plein régime en permanence… Or on ne remplace pas en quinze ans une telle capacité, sauf à prévoir dès aujourd'hui un plan de rechange.
Le rapport demande donc un peu plus d'anticipation, et un peu moins de navigation à vue. Pour l'heure, le gouvernement réfléchit à dix, voire quinze ans. Il faut voir plus loin, demandent les magistrats de la rue Cambon. La ligne d'horizon pour dessiner l'avenir énergétique du pays devrait, selon eux, s'établir à 2050. Le problème c'est que, d'ici là, il y aura au moins cinq élections présidentielles. Donc, peut-être, cinq nouvelles promesses électorales.
Site du gouvernement : Arrêt d'un réacteur à Fessenheim : une première étape pour réduire la part de l’énergie nucléaire
Commentaire de Jean-Marc Jancovici : "
A la question "pourquoi fermer Fessenheim" le gouvernement répond d'abord : "C’est la plus ancienne centrale française".
Donc l'âge signifierait danger ? Mais l'ASN, qui a précisément le mandat de dire si une centrale est bonne pour le service, n'avait rien contre l'âge de Fessenheim. Incidemment les modèles équivalents aux USA sont partis pour fonctionner 60 ans.
Que le gouvernement fasse croire qu'il serait à même d'avoir un jugement techniquement plus fondé que celui de l'ASN relève de l'imposture, sauf à aller jusqu'au bout de la logique et dissoudre l'ASN pour incompétence. Tant que nous y sommes, pourquoi ne pas le faire ?
Puis, un peu plus bas, arrive le mensonge, bien gras et bien dodu : "Ce projet vise à faire du Haut-Rhin un territoire de référence à l’échelle européenne en matière d’économie bas carbone.".
Que l'on fasse du bas carbone en supprimant du bas carbone, voilà qui est trop fort : est-ce que les shadoks y avaient seulement pensé ?
Le mensonge et l'imposture n'étant pas des motifs de démission aussi puissants que les sextapes, il faut croire qu'ils sont beaucoup moins dangereux pour l'avenir !
NB : des fois que le site soit modifié après publication de ce post, on trouvera plus bas deux copies d'écran pour attester que je n'ai pas rêvé."
(publié par Joëlle Leconte)
https://www.facebook.com/jeanmarc.jancovici/posts/10159035025192281
Les intentions du réseau d’associations Sortir du nucléaire sont claires, contenues dans son nom. Ce qui l’est moins, en revanche, ce sont les méthodes employées par cette nébuleuse proche de Greenpeace pour obtenir gain de cause...
Fessenheim, chronologie d'une fermeture politique
http://www.sfen.org/rgn/fessenheim-chronologie-fermeture-politique
Le 22 février 2020, la première unité de la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin) sera définitivement arrêtée...Une décision politique, qui nécessite un retour en arrière afin de comprendre pourquoi la France se sépare d’un moyen de production d’électricité sûr et bas carbone....
...Le gouvernement a demandé à EDF de mettre en place un "plan d'action" pour remettre la filière nucléaire aux "meilleurs niveaux d'exigence"...(note d'Otto : le gouvernement tance la filière, en état incertain par la faute des gouvernements...)
Yves Bréchet alerte sur l'avenir du nucléaire, « fleuron » de l'industrie française, aujourd'hui victime de l'idéologie comme du déclin de l'État stratège.
Yves Bréchet, haut-commissaire à l'énergie atomique de 2012 à 2018, a longtemps appliqué le principe de Jean-Pierre Chevènement : un serviteur de l'Etat, « ça démissionne ou ça ferme sa gueule ». Mais, aujourd'hui, le polytechnicien, membre de l'Académie des sciences et président du conseil scientifique de Framatome, a retrouvé sa liberté de parole. Dans un entretien tonitruant – « qui n'engage que moi » – l'ingénieur lance un cri d'alarme sur l'avenir du nucléaire en France et déplore les idées reçues qui prolifèrent sur cette filière, alimentées par l'idéologie comme par l'absence de culture scientifique dans les médias. Plus généralement, il alerte sur la fin de l'Etat stratège, capable d'avoir une vision sur long terme. La faute, dit-il, à des élites qui ne savent plus ce qu'est l'industrie et ne se soucient plus que de faire des coups de com. Pourtant, entre le réchauffement climatique et la guerre économique, il y a urgence…
Le Point : Nouveau dépassement de budget de 1,5 milliard d'euros pour l'EPR de Flamanville, arrêt du projet Astrid… Les mauvaises nouvelles s'accumulent pour le nucléaire en France. La filière est-elle en mauvaise passe ?
Yves Bréchet : En France, le nucléaire a des difficultés, c'est vrai. Mais connaissez-vous une filière industrielle qui n'en aurait pas quand son principal client, l'Etat, ne sait pas ou n'ose plus dire ce qu'il veut et que l'on s'évertue à rendre le nucléaire honteux ? Dans les médias, on parle ainsi de manière obsessionnelle des déboires du nucléaire, on tresse des lauriers à ses concurrents énergétiques et on accumule des contrevérités sur les déchets, sans jamais se soucier de vérifier ces informations. Je ne connais pas beaucoup de filières industrielles qui pourraient survivre à ça. Dès qu'un chat se coince la queue dans la porte d'une centrale, c'est un accident nucléaire ! Il ne s'agit pas de dire que tout va bien. Aujourd'hui, l'industrie a du mal à se remettre en marche après vingt ans (une génération !) sans avoir eu de grands projets. Ce n'est pas la même chose d'entretenir un parc nucléaire et d'en construire un nouveau. Dans les années 1970, l'industrie nucléaire construisait cinq centrales par an. Quand on parle aux vétérans, on se rend compte qu'à l'époque aussi les débuts étaient compliqués. Mais l'Etat savait ce qu'il voulait. On était alors capable de mobiliser des capacités industrielles de haute valeur pour une mission qui était claire et durable.
C'est ce qui explique pourquoi la Chine est capable de construire des EPR alors que nous accumulons les difficultés ?
Les deux EPR de Taishan, construits en partenariat avec la France, ont eu des surcoûts de 50 %, liés à l'augmentation du prix de la main-d'œuvre chinoise. Mais les surcoûts des EPR en Europe, comme à Flamanville, n'ont rien à voir avec cela, ils sont dus à une accumulation de bourdes. Dans le premier projet de Flamanville, il y avait par exemple 17 largeurs de porte différentes. Vous imaginez ça chez Ikea ? Quand vous n'avez plus construit de chantier depuis vingt ans, il faut réapprendre. Ces déboires sont la conséquence de la perte de compétences industrielles. Le nucléaire n'est que la partie émergée de l'iceberg. Nous avons complètement détruit notre industrie depuis trente ans. Dans les ministères, ils ont ainsi oublié que fabriquer des choses ce n'est pas juste concevoir des applis pour votre iPhone. Mais la situation pour le nucléaire n'est pas désespérée si on en prend conscience ! Et, pour cela, il faut une ligne de conduite claire avec des réglementations qui ne changent pas tous les six mois au fil de la construction, ainsi qu'une vision sur plusieurs années.
Que pensez-vous de la lettre envoyée au président d'EDF par le gouvernement, qui évoque la construction de six EPR ?
Si c'est vrai, c'est une lueur d'espoir – et un courage politique. On ne peut avoir une industrie fiable et rentable que si elle a une perspective et qu'on standardise les nouvelles centrales. Mais j'attends de voir les actes suivre les discours, car j'ai l'habitude de voir des manœuvres de jésuite autour du nucléaire…
« La capacité de l'Etat à mener une vision à long terme se délite, alors qu'en même temps il bavarde de plus en plus. »
Sommes-nous passés d'un pays capable de grands projets industriels à une vision à court terme ?
Nous assistons à la lente dégradation de l'Etat stratège. La capacité de l'Etat à mener une vision à long terme se délite, alors qu'en même temps il bavarde de plus en plus. Bien sûr, l'Etat ne peut pas être stratège en tout. A titre personnel, cela ne me dérange pas que les avions fassent des vols privés. Mais l'énergie, comme la santé, ce n'est pas n'importe quoi. L'énergie nécessite de se projeter dans trente ans, car il n'y a pas de retour sur investissement immédiat. Nous sommes par exemple dans un pays où 90 % de l'électricité (nucléaire + hydraulique) dépend des turbines, et on vend ces turbines conçues par Alstom à une entreprise américaine, General Electric. En apprenant cela, l'ingénieur et le citoyen que je suis est tombé de sa chaise. On a longtemps reproché à l'Etat français de s'appuyer sur des élites techniques (Polytechnique) et administratives (l'Ena). Mais songez que, de 1947 à 1975, Louis Armand, père de la SNCF et d'Euratom, donnait un cours fabuleux sur les technologies de l'industrie française à l'Ena. Ces élites avaient au moins conscience des compétences qui leur manquaient ! Inutile de préciser que tout cela a disparu. Robert Dautray, qui a travaillé sur la bombe H, me confiait que, quand on sortait du corps des Mines, c'était un honneur d'aller d'abord dans les mines. On n'aurait pas confié des missions de conseil à ces élites avant qu'elles n'aient fait leurs armes sur des sujets concrets. Aujourd'hui, des jeunes gens frais émoulus donnent des conseils dans des domaines qu'ils ne connaissent pas, essentiellement pour remplir leur carnet d'adresses. Je le sais, car je suis un pur produit du système. La génération qui a construit le parc nucléaire français a aussi élaboré le TGV ou la filière aéronautique. Elle savait qu'il fallait reconstruire le pays et assurer sa souveraineté à la suite des chocs pétroliers, là où nos élites actuelles n'ont plus qu'à construire leur carrière.
Aucun membre du gouvernement ne trouve-t-il grâce à vos yeux ?
Agnès Buzyn est l'une des rares ministres compétentes et courageuses. Il faut la mettre sous cloche pour la préserver ! Sinon, si vous cherchez une réflexion un peu construite sur l'industrie chez les politiques, il faut aller voir Jean-Pierre Chevènement. C'est quand même inquiétant que, dans un pays comme la France, ce soit un octogénaire qui ait la vision la plus claire sur l'énergie. Je précise que je ne suis pas politiquement proche de lui.
« Remplacer le nucléaire décarboné par les énergies renouvelables ne réduit en rien le dioxyde de carbone. »
Pourtant, avec le réchauffement climatique, il y a urgence…
L'urgence climatique n'autorise pas les effets de manches. Et nous sommes en plus dans une guerre économique qui a succédé à la guerre froide. Dans cette configuration, on a plus que jamais besoin d'un Etat stratège. La problématique est de décarboner notre énergie. Mais, aujourd'hui, on s'évertue à décarboner une électricité déjà décarbonée ! Remplacer le nucléaire décarboné par les énergies renouvelables ne réduit en rien le dioxyde de carbone. L'Allemagne avait 20 % de nucléaire, mais a décidé d'en sortir, rouvrant ainsi ses usines à charbon, sans parler des milliards par an que coûte cette transition énergétique. Vous pensez que la France peut se permettre d'investir 1 200 milliards d'euros dans un parc de production éolien, avec des turbines à gaz pour pallier les absences de vent quinze jours par an ? Tout ça sans aucune diminution des gaz à effet de serre ? C'est autant d'argent qui n'ira pas dans la rénovation du bâtiment et dans l'électrification des transports. Mais plutôt que de se demander : « Qu'est-ce qu'on peut faire d'efficace ? », on se demande : « Qu'est-ce qu'on peut annoncer ? » Les énergies renouvelables locales font sens. Mais les mettre sur le réseau électrique, c'est beaucoup plus compliqué. Il faut pour cela des investissements massifs dans la recherche sur le stockage. Au lieu de cela, on subventionne des panneaux photovoltaïques importés de Chine…
Les coûts de l'éolien ne sont-ils pas aujourd'hui moins élevés que ceux du nucléaire ?
L'EPR coûte cher et nécessite des délais. A supposer qu'il coûte 13 milliards – ce qui est bien trop cher –, il faut cependant avoir conscience qu'il va durer soixante ans. Il produira 600 millions de mégawattheures et rapportera près de 60 milliards d'euros. Non seulement nous sommes myopes en ne voyant plus le long terme, mais nous avons aussi des verres déformants. Le prix au pied de l'éolienne est certes légèrement moins élevé que celui du nucléaire, mais les éoliennes auront une durée de vie de deux à trois fois plus faible et fonctionnent un tiers du temps, ce qui multiplie le prix par cinq ou six. Et je ne vous parle pas des problèmes de stabilité du réseau.
Regrettez-vous l'abandon du projet Astrid, prototype de réacteur de quatrième génération ?
Le nucléaire est une énergie qui consomme une matière inutile, l'uranium, et qui, en plus, la consomme mal. Il crée ainsi des déchets à longue durée de vie dont le plus problématique est le plutonium (90 % des déchets à vie longue). L'uranium appauvri laisse 300 000 tonnes de déchets qui ne sont pas nocifs, mais inutiles. L'idée des réacteurs à neutrons rapides, dont Astrid devait être le démonstrateur, c'est de transformer le plutonium et l'uranium appauvri en combustible : on multiplie par 500 les réserves uranifères et on divise par 10 les déchets à longue durée de vie. C'est la technologie industrielle la plus mature pour fermer le cycle, c'est-à-dire aboutir à un recyclage complet des matières. Arrêter Astrid, c'est nous priver de la souveraineté en termes de ressources. Ce n'est pas un hasard si de grandes nations comme la Chine, mais aussi Bill Gates, financent d'importants travaux de recherche sur ces réacteurs à neutrons rapides. En France, c'est un summum d'hypocrisie, car on nous dit que les études papier vont continuer et qu'un jour on saura faire, comme par magie. Mais les gens qui prennent ces décisions n'ont pas la moindre idée de ce qu'est une industrie ! Ce n'est pas le même métier que de faire des fusions-acquisitions dans une banque, si vous voyez ce que je veux dire…
Comment expliquez-vous les incompréhensions sur le nucléaire ? Selon un récent sondage BVA, 69 % des Français pensent que le nucléaire participe à la production de gaz à effet de serre.
Le nucléaire rejette 200 fois moins de dioxyde de carbone que le charbon, soit 100 fois moins que le gaz et autant que l'éolien. Même le Giec a rappelé, dans son rapport de 2018, qu'on ne fera pas l'économie du nucléaire. Par ailleurs, on sait parfaitement démanteler des centrales en fin de vie : plus de 40 d'entre elles ont été rendues « au vert » dans le monde. Si on n'arrive pas à achever le démantèlement de celle de Brennilis, c'est pour des raisons d'obstruction juridique ! On sait aussi parfaitement gérer les déchets nucléaires par vitrification puis entreposage géologique profond en sous-sol argileux. Et pourtant, on nous répète des désinformations ad nauseam, selon le principe d'Herriot qui explique qu'un mensonge qui a longtemps servi devient une vérité. Ce qui est choquant, ce ne sont pas tant les contrevérités propagées par les associations antinucléaires et véhiculées par les médias que le fait que l'Etat s'en désintéresse. Après un tel sondage, le gouvernement aurait dû réagir pour rappeler que le nucléaire ne contribue pas au réchauffement climatique. Mais nos responsables préfèrent acheter la paix dans les dîners mondains plutôt que de remplir leur devoir d'information. Dans une démocratie, le vrai poison est le mensonge toléré et, dans le cas du nucléaire, c'est presque un mensonge instrumentalisé.
« Par kilowattheure produit, le nucléaire tue 1 700 fois moins que le charbon, 350 fois moins que le pétrole et 4 moins que le solaire ou l'éolien, si l'on compte les chutes lors de la pose et de l'entretien. »
Est-ce un problème d'éducation scientifique ? Les journalistes, comme les politiques, ne brillent pas forcément dans cette matière…
Un journaliste scientifique comme Sylvestre Huet, qui est l'honneur de votre profession, n'est à ma connaissance pas un scientifique de formation. Ce n'est pas une question de formation, mais de temps passé à comprendre. Si la pratique de la science est un métier, la rationalité scientifique, elle, relève du bien commun. Je ne suis pas un adepte d'une scientocratie, c'est-à-dire de l'idée que les scientifiques prennent toutes les décisions. En revanche, il faut apprendre à distinguer ce que l'on sait de ce que l'on croit, ne pas confondre le fait d'être concerné et d'être compétent. Nous sommes dans une période où la science est omniprésente, mais où les obscurantistes ne se sont jamais fait autant entendre. Le nucléaire n'est que le révélateur d'un mal du siècle : la disqualification des experts. Il témoigne par ailleurs du mépris qu'on peut avoir pour les citoyens tout en faisant mine de les écouter. En Suède, ils ont ainsi organisé un vrai débat citoyen sur le sujet, et le responsable de la gestion des déchets n'a pas hésité à discuter avec la population très régulièrement, et toujours avec des groupes inférieurs à 20 personnes. Comme remède, il faut développer une éducation au raisonnement qui commence dès l'école primaire, reconnaître que la connaissance scientifique est un bien commun essentiel, prendre le temps de parler avec les citoyens, et pas uniquement avec ceux qui confisquent leur parole en s'autoproclamant « représentatifs et non gouvernementaux ».
Mais que répondez-vous à ceux qui disent que le nucléaire civil est dangereux ?
Par kilowattheure produit, le nucléaire tue 1 700 fois moins que le charbon, 350 fois moins que le pétrole et 4 fois moins que le solaire ou l'éolien, si l'on compte les chutes lors de la pose et de l'entretien. Une centrale n'explosera pas comme une bombe. Ce qui ne veut pas dire que ce n'est pas un secteur intrinsèquement dangereux. Chaque accident – Three Mile Island, Tchernobyl, Fukushima – a conduit au développement de nouvelles mesures de sûreté. J'aimerais qu'on puisse en dire autant de toutes les industries dangereuses. Le nucléaire est très contrôlé, avec en France une Autorité de sûreté nucléaire qui compte un millier de personnes, totalement indépendantes – vous pouvez demander à EDF. Mais je pense surtout que les citoyens devraient aller visiter les centrales, et que ce soit les gens qui y travaillent qui les accueillent et non pas des communicants. Nos concitoyens verraient des grands professionnels fournissant une électricité deux fois moins chère qu'en Allemagne avec une stabilité d'approvisionnement inégalée, alors même qu'on les traîne dans la boue. Et ils réaliseront qu'on a là un fleuron industriel, qui mérite d'être apprécié à sa juste valeur, loin des manœuvres électorales qui le prennent comme victime expiatoire.
Propos recueillis par Thomas Mahler, Michel Revol et Géraldine Woessner
Lire aussi Le nucléaire pour les nuls
Lire aussi « Le nucléaire a sauvé 2 millions de personnes ! »
Nucléaire : une saisine parlementaire sur Astrid ?
https://www.lemonde.fr/blog/huet/2019/10/18/nucleaire-une-saisine-parlementaire-sur-astrid/
....la décision assez brutale du gouvernement relève d’un problème plus général des relations du Président Emmanuel Macron avec l’expertise scientifique et technologique. Un peu comme lorsque le Président décide, tout seul, sans consulter aucun expert, que le chantier de Notre-Dame de Paris prendra… cinq ans. Bazarder ainsi une expertise qui pourrait se révéler cruciale dans un demi-siècle parce que l’on en fait une variable d’ajustement budgétaire sur quelques années est fort imprudent… mais sans aucune sanction politique à craindre....
Arrêt du réacteur nucléaire de quatrième génération ASTRID : le député André Chassaigne saisit le parlement....... commentaire de Jean-marc Jancovici : « Notre époque est décidément étonnante : c'est un premier ministre PS qui a arrêté Superphénix, mais c'est un député issu de la même mouvance qui réclame que l'on reconsidère l'arrêt d'Astrid, qui en est "la suite". L'argument principal invoqué ? Le climat.».....
...l’arrêt d’ASTRID est une ânerie historique, le gâchis de soixante-dix années d’investissement de la République, presque 1 milliard d’euros partis en fumée… Mais ce n’est qu’un révélateur parmi d’autres de la déliquescence du tissu industriel de notre pays et la décrépitude du service de l’État....
Appliquer l’économie circulaire au nucléaire, telle était l’ambition du réacteur nucléaire Astrid. Créer un vrai cycle fermé, où les déchets sont un combustible, était même l’ambition originelle des pères du nucléaire civil dans les années 70. Mais l’officialisation de l’abandon du réacteur de quatrième génération met fin à cette idée et pose in fine la question de la poursuite du développement de l’atome dans l’Hexagone...
En catimini, le Commissariat à l’Energie Atomique met fin aux programmes de recherche sur le réacteur de 4ème génération ASTRID...Cet abandon est la démonstration que la raison et la science ont quitté le rang des éléments constitutifs d’une décision publique. Seuls comptent l’opinion publique et les sentiments.....
La polémique née d’un communiqué d’une association mélange préoccupations légitimes et rumeurs. Nos explications..........................
Pour en finir avec l'uranium marin
https://energieetenvironnement.com/2019/06/23/pour-en-finir-avec-luranium-marin/
Le thème de l’extraction de l’uranium de l’eau de mer revient sans cesser hanter les discussions sur la disponibilité totale de ce carburant. Selon ses partisans, cette technique nous donnerait accès à des quantités illimitées d’énergie. Quelques projets de recherche dans le domaine semblent donner de la crédibilité à cette thèse. Et pourtant, l’Agence internationale de l’énergie atomique ne mentionne pas l’uranium marin dans son évaluation des ressources uranifères. Pourquoi? Selon le chercheur italien Ugo Bardi, parce que le taux de retour énergétique (EROEI) du procédé est au final presque nul......
Le 3 juin a été diffusé le dernier épisode de la nouvelle série à succès « Chernobyl ». Co-produite et diffusée par la chaine de télévision américaine HBO (Games of Thrones, Westworld…) et par OCS en France, cette mini-série revient sur l'accident nucléaire de Tchernobyl le 26 avril 1986.......
Bertrand Cassoret est un défenseur de l’environnement et de la transition énergétique, ce n’est pas un climatosceptique. S’il estime que nous devons favoriser le développement des énergies renouvelables, il souligne toutefois que pour maintenir le niveau de notre train de vie, il est absolument impératif de poursuivre notre politique dans le domaine du nucléaire.......................
Les grands médias ont étrangement tendance à oublier les bonnes nouvelles, surtout lorsqu’elles concernent l’énergie nucléaire (ce n’est pas vendeur, coco…). En ces temps d’annonces moroses, voici compilées ci-dessous 10 bonnes nouvelles revigorantes négligées par les grands médias en 2018..............................
Énergie électrique : l'Europe a décidé de se suicider
https://www.contrepoints.org/2019/01/28/335649-energie-electrique-leurope-a-decide-de-se-suicider
Les transitions énergétiques non seulement fragiliseront le paysage électrique européen de manière critique mais constitueront un désastre économique et financier............................................................................
C’est l’aspect mathématique de la question de la réduction des énergies fossiles que Joshua S. Goldstein, professeur émérite de relations internationales à l’American University, et Staffan A. Qvist, ingénieur en énergie et consultant, invoquent dans une tribune publiée dans le Wall Street Journal, dans laquelle ils plaident pour la réhabilitation du nucléaire comme une énergie idéale pour freîner le réchauffement climatique....