Bertrand Cantat
Il n’aura fallu que quelques mots pour mettre le feu aux poudres. En découvrant Bertrand Cantat s’exprimer sur scène comme une victime, Marlène Schaff a littéralement explosé. Hors d’elle, la professeure de la Star Academy a pris son téléphone pour dénoncer frontalement le chanteur, dont le discours déplacé fait écho à une nouvelle polémique attisée par le documentaire coup de poing signé Netflix.
Elle n’a pas attendu la fin de la vidéo pour dégainer. Ce dimanche 6 avril, Marlène Schaff, la professeure d'expression scénique de la Star Ac, a sorti son téléphone pour balancer un tweet cinglant. Cible dans le viseur ? Bertrand Cantat, plus controversé que jamais. Une vidéo, devenue virale mais pas datée, montre le chanteur s’adressant à son public en plein concert… et plutôt que d’assumer ses actes passés, l’ancien leader de Noir Désir préfère s’en prendre aux médias et à ses détracteurs. Il n’en fallait pas plus pour faire sortir de ses gonds la coach la plus cash du château de Dammarie-lès-Lys
Tout est parti d’un post sur X (ex-Twitter), signé d’un autre internaute en colère : un long texte sans filtre, où ce dernier accuse le chanteur d’avoir "tué deux femmes", de "chouiner sur sa petite personne", et conclut par un implacable : "Même la honte a honte pour toi." Ce cri du cœur a fait le tour du web… jusqu’à arriver sur la timeline de Marlène Schaff. Et là, pas question de garder le silence, la chanteuse retweete : “Je trouve le culot et la perversion de cet individu inacceptable. 3 ans et 1/2 de prison pour avoir massacré une femme avec ses mains. Détruire. Manipuler. Le voir SE METTRE en position de leader sur scène. Être applaudi… Des musiciens comme des lapins dans les phares. Vomir.” Voilà qui est dit.
Le cas Cantat relancé par une série révoltante sur Netflix
Si la colère explose aujourd’hui, c’est parce qu’un documentaire a rallumé la mèche. Depuis le 27 mars dernier, la mini-série De rockstar à tueur : le cas Cantat, disponible sur Netflix, a ravivé une affaire que beaucoup auraient préféré oublier. En trois épisodes intenses, le reportage retrace la chute de celui qui fut l’icône du rock français… avant de devenir symbole d’un féminicide médiatisé. On y replonge notamment dans la mort de Marie Trintignant sous les coups de ce dernier, le procès du chanteur puis sa condamnation à huit ans de prison dont il n’a purgé que la moitié. Mais surtout, on redécouvre l’affaire Krisztina Rady, la mère de ses enfants, retrouvée pendue en 2010.
À l’époque, son suicide avait bouleversé, sans soulever autant de questions. Cette fois tout est différent. Pour cause ? Des messages vocaux glaçants, laissés par Krisztina à ses proches avant son geste, changent tout. La mère de famille y évoque un quotidien sous emprise, une vie de violences psychologiques, de peur, de souffrance. Un témoignage posthume qui résonne cruellement, et qui a fini de convaincre les sceptiques. Bertrand Cantat, lui, reste discret depuis toutes ces années... Et quand il sort du silence, c’est pour se victimiser. Un retournement de situation qui donne la nausée à beaucoup… et qui a littéralement fait bondir Marlène Schaff.
Je trouve le culot et la perversion de cet individu inacceptable.
— Marlene Schaff (@MarleneSchaff) April 6, 2025
3ans et 1/2 de prison pour avoir massacré une femme avec ses mains.
Détruire. Manipuler.
Le voir SE METTRE en position de leader sur scène.
Être applaudi…
Des musiciens comme des lapins dans les phares.
Vomir. https://t.co/twfa1344ck
https://actu.voici.fr/news-people/le-culot-et-la-perversion-marlene-schaff-demolit-bertrand-cantat-apres-un-discours-polemique-du-chanteur-sur-scene-801995?
INTERVIEW. La journaliste Anne-Sophie Jahn, coréalisatrice du documentaire « De rockstar à tueur : le cas Cantat », sur Netflix, raconte les coulisses de son enquête, commencée en 2016...
Depuis sa sortie sur Netflix, fin mars, le documentaire De rockstar à tueur : le cas Cantat, réalisé par Anne-Sophie Jahn, Nicolas Lartigue, Zoé de Bussierre et Karine Dusfour, s'est hissé dans le top 10 de 23 pays. Il a cumulé près de 2 millions de visionnages en France dans les trois jours qui ont suivi sa sortie. La journaliste Anne-Sophie Jahn, collaboratrice du Point et coréalisatrice de la série documentaire, revient sur l'affaire qui a bouleversé la France à l'été 2003 et dissèque le récit médiatique qui en a été fait, traquant ses incohérences, auscultant les silences : dépouillement des archives, immersion sur les lieux, recueil de témoignages…
En 2017, son enquête publiée dans Le Point avait fissuré l'omerta médiatique. En 2023, son livre Désir Noir (éd. Flammarion) parachève ce travail de déconstruction. Avec le documentaire choc De rockstar à tueur : le cas Cantat, elle reconstitue le puzzle du féminicide de Marie Trintignant et met l'industrie du disque et les médias face à leurs responsabilités, en exhumant des images saisissantes de l'interrogatoire du chanteur à Vilnius. Rencontre.
Le Point : Votre documentaire est entré dans le top 10 Netflix de 23 pays. Comment expliquez-vous ce succès à l'international ?
Anne-Sophie Jahn : Je pense que l'histoire est racontée de manière accessible, pour que ça puisse parler à tout le monde. Finalement, cette histoire est universelle. Si les protagonistes sont deux stars exceptionnelles, c'est un féminicide assez banal. En Allemagne, en Italie, au Mexique, en réalité, c'est l'histoire de milliers de femmes dans le monde, avec une mécanique qui est toujours la même, notamment le système de défense.
Vingt ans après la mort de Marie Trintignant sous les coups de Bertrand Cantat, l'affaire fascine encore.
C'est une affaire incroyable, pleine de rebondissements. Depuis la sortie du documentaire, beaucoup de gens se sont interrogés sur leur rapport à la violence, même ceux qui n'ont pas été eux-mêmes victimes. L'affaire soulève aussi des réflexions sur l'idéalisation du couple, sur cette idée que l'amour doit être passionné et dévorant. Quelque part, ça nous renvoie tous à des choses très personnelles. J'ai même reçu des messages d'hommes qui m'ont dit : « J'étais le premier à dire qu'il fallait le laisser tranquille, qu'il avait purgé sa peine. Eh bien je me rends compte que je me suis trompé. » C'est aussi la force du format true crime.
En 2017, vous publiez une première longue enquête dans Le Point, où vous révélez l'omerta autour des violences commises par Bertrand Cantat. Pourquoi décidez-vous à ce moment-là de vous replonger dans cette affaire ?
En 2016, j'étais journaliste musique au Point, et j'écrivais un livre sur le rock, dans lequel je dédiais un chapitre à l'affaire Cantat. J'ai commencé à me plonger dans les archives pour comprendre ce qui s'était passé. Et là, j'ai été absolument choquée. Pendant très longtemps, comme beaucoup de Français, j'avais retenu l'histoire d'une dispute qui avait mal tourné : Bertrand Cantat avait poussé Marie Trintignant, elle était tombée contre un radiateur, elle avait eu une hémorragie, elle était morte. C'était extrêmement triste, mais ça restait un accident. En reprenant le fil, je me suis rendu compte que je m'étais complètement trompée sur cette histoire.
L'enquête m'a vite obsédée. J'ai ensuite écrit un livre sur l'affaire et je suis allée sur place, à Vilnius. J'ai dormi dans l'appartement au-dessus de celui où les faits se sont produits. Je me suis rendu compte, par exemple, que la cour résonnait énormément, ce qui expliquait pourquoi deux témoins, la concierge et un autre voisin, avaient entendu une voix d'homme hurler. Être sur place rendait tout plus réel et tangible.
Vous souvenez-vous de ce que vous faisiez, le 27 juillet 2003, quand arrive l'information que Marie Trintignant est dans le coma ?
Oui, j'avais presque 18 ans, je venais d'obtenir mon bac, c'était l'été. Je vivais dans une chambre de bonne étouffante, en pleine canicule. Les chansons de Noir Désir, elles, étaient partout, comme « Le vent nous portera ». C'étaient des tubes intergénérationnels, même mon père aimait. Cantat était alors bien plus connu que Marie Trintignant. Et puis, soudain, cette histoire éclate… C'est un peu le fait divers de l'été de mes 18 ans. Au début, les circonstances restaient floues. Ce qui me frappe encore aujourd'hui, c'est à quel point je ne remettais pas en question le discours dominant. Je me souviens très bien des journaux télévisés : on parlait d'une simple dispute, l'histoire se résumait à ça.
Quand vous vous replongez dans l'affaire, que découvrez-vous ?
Je tombe rapidement dans les archives sur le rapport d'autopsie, qui mentionne 19 coups. Il n'y a absolument plus aucun doute, ce n'est pas un accident. Pourtant, dans les journaux de l'époque, quelques jours après la sortie du rapport, les journalistes évoquent toujours un accident. C'est sidérant : la version de Cantat s'est imposée.
J'ai eu l'impression d'avancer de choc en choc. Après sa condamnation, on aurait pu croire que l'affaire était close. Mais non. En 2010, quand son ex-femme Kristina Rady, avec qui il vit, se suicide, Bertrand Cantat est encore en liberté conditionnelle. Une femme se suicide sous le même toit que lui, et l'enquête est refermée presque immédiatement. Pas d'investigation approfondie, rien. Quand l'information sort, certains titres de presse parlent d'un « nouveau malheur pour Cantat ». Tout est ramené à lui. Kristina Rady est oubliée. Cette affaire a été mal racontée, en permanence.
Comment expliquez-vous avoir été la seule à obtenir des révélations de l'entourage de Bertrand Cantat, notamment d'un membre de Noir Désir ?
Je ne suis pas la seule à avoir obtenu des informations. C'est là tout le problème. En creusant, certains journalistes m'ont dit : « Ah mais oui, bien sûr, Bertrand Cantat était violent. Tout le monde le savait. » Dans le milieu de la musique, c'était une évidence. Il avait déjà été violent. Et pourtant, cette information n'était jamais sortie.
À l'époque, Cantat était une immense star, et les journalistes préféraient obtenir une interview de lui, ou de son entourage, plutôt que de publier ce genre de révélations. Résultat : les rumeurs circulaient, mais elles ne faisaient jamais surface dans les médias.
Le membre du groupe qui raconte le « pacte de Vilnius » a donné son accord pour que son témoignage soit publié, mais du moment où c'était anonyme. C'est important, parce que cela montre qu'il voulait que ça sorte. Pour les autres, comme ils ont tous menti en 2003, je pense qu'ils ne sont pas prêts à assumer que cela fait plus de vingt ans qu'ils protègent un tueur.
Quand vous sortez votre première enquête dans Le Point, quelles sont les réactions ?
On sortait tout juste de #MeToo, j'étais naïvement convaincue qu'on était en pleine libération de la parole. Mais je me suis pris un mur. J'ai été frappée par la violence des réactions, venant aussi bien d'hommes que de femmes, avec des propos extrêmement agressifs et menaçants : « Tu vas voir ce qui va t'arriver. » Surtout, 90 % des insultes étaient sexistes. J'étais une « hystérique », comme étaient considérées Marie Trintignant ou Lio, qui a toujours dénoncé le traitement médiatique de l'affaire.
On dit souvent que Bertrand Cantat a été protégé par la gauche, qu'en pensez-vous ?
Il a été protégé non seulement par son entourage et sa maison de disques, mais aussi par sa famille politique. Après sa sortie de prison, il s'est impliqué politiquement pour José Bové aux élections européennes de 2014. Lorsqu'on prête son image à une figure politique, on devient une caution morale. Et de manière plus globale, le fait qu'il soit de gauche, qu'il lutte pour des causes comme les sans-papiers ou l'écologie, lui a donné une image très favorable – celle de quelqu'un qui se soucie des autres, de quelqu'un de « bien ». Cela a empêché de voir qu'en réalité, c'était tout simplement un homme violent.
Pourquoi l'industrie musicale semble-t-elle être le seul secteur où l'omerta persiste, comme si rien n'avait changé ?
Parce que certains artistes restent intouchables. On l'a vu avec Gérard Depardieu ou d'autres personnalités : il y a cette idée que l'artiste est au-dessus des règles, on le place sur un piédestal. Et puis Cantat n'était pas juste un chanteur, il était l'un des plus gros vendeurs de disques en France, plus encore que Johnny Hallyday à une époque. Il y avait donc des intérêts financiers à préserver.
Dans l'industrie musicale, le mythe de l'artiste intouchable, maudit, et incompris, dont la violence serait presque romantisée, a aussi longtemps perduré. Cantat était un rockeur, un homme entier, en colère… et cette colère était perçue comme une facette de son génie – c'est aussi ça, le fantasme du rock. C'était un milieu très macho. Les violences conjugales ont longtemps été minimisées, banalisées. Cela commence à évoluer, mais le changement se fait lentement.
Pourquoi réaliser un documentaire, 22 ans après les faits ?
Parce que cette histoire est encore aujourd'hui mal racontée. J'entends toujours qu'ils avaient bu, qu'après tout, elle n'était pas toute blanche, et que les faits ne sont pas si clairs. Pourtant ils le sont : un homme a tué une femme à mains nues, de 19 coups, il ne fera que quatre ans de prison, et un retour triomphal sur scène. Ce documentaire raconte en quelque sorte le « casse du siècle ». En reprenant toutes les informations qui étaient sorties sur l'affaire, et en les mettant bout à bout, on comprend à quel point cette histoire est symptomatique des féminicides, un crime commis à 80 % par des hommes, contre des femmes et dont le nombre, année après année, ne baisse pas.
Avez-vous déjà parlé à Bertrand Cantat ?
Non, mais j'ai essayé. Pour tous mes articles, je l'ai contacté via son avocat et sa maison de disques, mais il a refusé de répondre. J'avais même envoyé mes questions à l'avance, des questions très simples : Avez-vous été violent avec Marie Trintignant ? Avec une autre femme ? Comment expliquez-vous le message téléphonique de Kristina Rady, et les témoignages ? Rien de piégeux, juste des faits. Il a refusé en exigeant que je lui donne les noms des témoins avant d'envisager une réponse. Ce qui, d'une certaine manière, ressemble déjà à un aveu… Mais il n'a jamais répondu, ni à l'époque, ni plus tard, quand je l'ai recontacté pour mon livre.
Après une enquête, un livre et un documentaire, avez-vous encore des questions sans réponse dans cette affaire ?
Oui, une. Combien de femmes ont été victimes de Bertrand Cantat ? Certaines de ses ex-compagnes n'ont jamais témoigné, ni à la police, ni à personne. Il y a au moins trois noms qui reviennent. Peut-être qu'elles n'ont pas été victimes, mais elles n'ont jamais dit que ce n'était pas vrai. Elles ont juste refusé de parler.
Il y a vingt ans, l’actrice Marie Trintignant était tuée par son compagnon, le chanteur du groupe Noir Désir, Bertrand Cantat. Dans les médias, on parle alors de « crime passionnel », de « violente querelle » … mais peu de violences conjugales
Pour se rendre compte du chemin parcouru, il faut peut-être commencer par jeter un œil au courrier des lecteurs. « Ma plus grande douleur aujourd’hui est de voir Bertrand souffrir ainsi », peut-on lire le 13 août 2003 dans les Inrockuptibles. « Je ne pourrais jamais dire "ce type est une ordure, un salaud" », abonde un autre lecteur. Sur Lemonde.fr, l’un des rares journaux à être doté, depuis le début des années 2000, d’un site sur lequel on peut laisser des commentaires, un internaute déplore que « Bertrand Cantat doive porter la croix de tous les hommes qui frappent leurs femmes, sous prétexte qu’il a un nom connu* ». Lorsque ce message est publié, le 25 août, voilà trois semaines que le chanteur de Noir Désir dort en prison, à Vilnius, en Lituanie. Dans la nuit du 26 au 27 juillet, il a roué de coups sa compagne, l’actrice Marie Trintignant. Rapatriée en France dans un état désespéré, elle décède le 1er août.
L'affaire provoque un séisme dans l'opinion. Et si elle se produisait aujourd'hui, elle ferait assurément, comme il y a vingt ans, la une pendant des semaines. Elle contient tous les éléments pour alimenter le feuilleton médiatique : le rockeur archi-populaire, visage du militantisme, qui tue une des actrices les plus connues de sa génération, fille de figures du 7e art. Leur histoire - tout comme leurs vies passées - alimentent la curiosité. Entre Paris, Bordeaux et Vilnius, les journalistes enquêtent, alimentés par des avocats bavards, déçus que la justice lituanienne refuse que le dossier soit plaidé en France. Mais parlerait-on aujourd’hui du meurtre de Marie Trintignant de la même manière ? Ecrirait-on ce qu’on a écrit en 2003 ?
« L’histoire est racontée comme s’ils étaient coresponsables »
A 20 Minutes, comme ailleurs, la réponse est unanime : non, assurément non. De notre côté, par exemple, nous ne titrerions jamais « Procès passionnel » comme nous l’avons fait à la veille de la première audience. « Notre regard sur les violences faites aux femmes a évolué, notamment ces dernières années avec #MeToo, précise Floréal Hernandez, rédacteur en chef. Aujourd’hui, c’est une évidence pour nous tous qu’on ne tue pas par amour, mais, à l’époque, il y avait une méconnaissance sur ce sujet. »
En 2003, le terme « violences conjugales » est quasiment absent de tous les articles sur l’affaire. Dans L’Obs, on parle « d’une dispute ayant mal tourné », d’une « violente querelle ». Dans Le Monde, d’une dispute « qui dégénère en bagarre ». Sur France 2, il est question d’un « huis clos tragique » dans lequel « deux vies, deux carrières [ont été] brisées ». « Dans l’immense majorité des articles, le champ lexical est celui de l’amour, pas de la violence, note Anne-Sophie Jahn, auteure d’une récente enquête sur le sujet, Désir Noir. L’histoire est racontée comme s’ils étaient coresponsables : ils ont bu, se sont disputés, elle en est morte. »
Décrédibiliser la victime
Bertrand Cantat est parfois même présenté comme la victime. Une tribune publiée dans Libération par Jacques Lanzmann commence ainsi : « Il y a eu les coups, les coups répétés, assénés. C’est inexcusable, mais c’est explicable. Que s’est-il passé avant les coups ? Sont-ils partis soudainement ? Ou, au contraire, ont-ils été contenus, retenus, jusqu’à l’ultime humiliation ? » L’écrivain n’y va pas par quatre chemins : Marie Trintignant a poussé son meurtrier à bout. « Les mots font plus mal que les coups », insiste-t-il. Dans de nombreux articles, les propos du chanteur décrivant, lors de ses auditions, sa compagne comme « hystérique », sont repris tel quel.
Me Olivier Metzner, qui défend Bertrand Cantat, ne fait d'ailleurs pas mystère de sa stratégie : décrédibiliser la victime. On rappelle à l’envie qu’elle a eu quatre enfants de quatre pères différents, on affirme qu’elle avait des problèmes de drogue… « La défense a réussi ce tour de force de présenter la victime et ses proches comme des gens pas très sympathiques, se remémore un ancien journaliste d'agence de presse. Elle, c’était un peu l’emmerdeuse, sa famille en faisait trop. Lui, au contraire, c’était le pauvre gars qui se retrouvait dans quelque chose de plus grand que lui. » Dans Rock & Folk, le journaliste estime même la peine du clan Cantat supérieure à celle de la famille de la victime. « Que l’image de la famille Cantat, de son ex (la mère de ses enfants…), de son frère, du groupe accouru, font mal… ! Plus encore que celle du clan Trintignant décomposé par la douleur. C’est que la mort est propre au moins. Terrible, mais définitive. »
« On ne connaissait pas grand-chose aux violences conjugales »
L’autopsie est pourtant sans appel : 19 traces de coups ont été relevées sur le visage et le corps de la victime. Surtout, le rapport infirme la version initiale de Bertrand Cantat, selon laquelle Marie Trintignant s’est cogné la tête contre un radiateur après qu’il l’a poussée. Ce sont bien les coups au visage qui ont provoqué l’œdème cérébral à l’origine du décès. « Si cela se passait maintenant, la défense n’emploierait pas cette stratégie. Et si elle le faisait, ça se retournerait contre elle », assure Frédéric Vézard, alors grand reporter au Parisien.
Il a été envoyé à Vilnius peu après les faits, a enquêté de longs mois sur l’affaire, puis a écrit un livre en 2007 sur le sujet, Bertrand Cantat, Marie Trintignant, l’Amour à mort. « Aujourd’hui, on serait beaucoup plus critique sur le discours de Cantat : les accusations d’hystérie, la dispute qui dérape…On sait que ce sont des arguments classiques, mais, à l’époque, on ne connaissait pas grand-chose aux violences conjugales, on ignorait l’ampleur du phénomène et son caractère systémique », précise-t-il.
Mais, en ces années 2000, la question des violences faites aux femmes n’intéresse pas beaucoup les rédactions. « Il y avait cette idée que ce qui se passe dans la chambre à coucher n’est pas digne d’intérêt », se souvient l’ancien agencier. Tous en sont d’ailleurs convaincus, si l’affaire n’avait pas eu un tel casting, personne n’en aurait jamais entendu parler. « Je ne sais pas si j’ai déjà employé l’expression "crime passionnel" dans un article mais au début de ma carrière, ça se disait et ça ne choquait personne », assure Stéphane Durand-Souffland, chroniqueur judiciaire au Figaro, qui a couvert le procès en 2004. Aujourd’hui, ça ne lui viendrait pas à l’esprit de l’utiliser. « Nous sommes sensibles à l’air du temps, notre regard évolue », poursuit-il. En relisant ses articles, notamment un dans lequel il évoque un chanteur « toujours épris » qui, depuis le box des accusés, réaffirme son amour pour Marie Trintignant, il estime qu’il nuancerait aujourd’hui son propos. « Je rappellerais que tous les hommes violents jurent qu’ils aiment leur victime. Je le sais maintenant ; à l’époque, je l’ignorais. »
« Le discours de Nadine Trintignant trouvait moins d’écho que celui du clan Cantat »
La famille de la victime et leur avocat, Me George Kiejman, ont peiné à faire émerger la thèse d’un homme violent envers les femmes. « Ça paraît assez fou, mais à l’époque, le discours de Nadine Trintignant trouvait moins d’écho que celui du clan Cantat », se souvient Frédéric Vézard, qui rappelle que l’enquête menée en France n’a pas permis de mettre en lumière des antécédents de violence. Krisztina Rady, l’ancienne compagne de Bertrand Cantat, mère de leurs deux enfants, est probablement sa meilleure alliée. « Au procès, son témoignage était un des moments les plus forts. Elle a beaucoup de charisme et quand elle répète qu’il n’a jamais levé la main sur elle, on la croit, elle paraît très sincère », se souvient Stéphane Durand-Souffland. Au terme d’un procès relativement expéditif et qui ne s’attardera que peu sur le fond de l’affaire, Bertrand Cantat a été condamné à huit ans de prison.
Combien de temps a-t-il fallu pour que Marie Trintignant soit pleinement considérée comme une victime ? Et lui comme un auteur de violences conjugales ? Sa véritable chute est peut-être venue de celle qui l’a protégé bec et ongles, Krisztina Rady. En 2010, celle qui est redevenue sa compagne se suicide. Même si l’enquête ne permet pas de faire un lien avec le comportement de Bertrand Cantat, l’opinion ne croit pas aux coïncidences. « Son image est écornée, mais ça ne provoque pas un raz-de-marée, il a fait cette même année une tournée à guichets fermés », note Anne-Sophie Jahn. C’est elle qui a exhumé, en 2013, un long message laissé par Krisztina Rady sur le répondeur de ses parents. Elle y raconte sans détour les violences dont elle est victime.
Dès lors, les soutiens, même les plus proches, notamment au sein de Noir Désir, se font de plus en plus discrets. Sa volonté de reprendre à tout prix sa carrière divise. En octobre 2017, coïncidence : Bertand Cantat fait la couverture des Inrocks alors que le mouvement #MeToo émerge aux Etats-Unis. Cette fois, la une crée une telle polémique que l’hebdomadaire est obligé de présenter ses excuses. C’est peut-être ça aussi, l’affaire Cantat : une affaire de violences conjugales tristement banale qui a permis, au cours de ces vingt dernières années, de prendre le pouls de la société.
* Ces courriers des lecteurs sont extraits du livre d’Anne-Sophie Jahn, « Désir Noir » (Flammarion)
24/07/23
Malgré sa discrétion, l’acteur supportait de plus en plus mal la perte de sa fille Marie, morte sous les coups du chanteur Bertrand Cantat en 2003.
« Je suis mort le 1er août 2003, le jour où Marie est morte. À l'intérieur de moi, tout est détruit », avait confié Jean-Louis Trintignant à Catherine Ceylac. Dans son livre Àla vie, à la mort (publié en mars 2018 chez Flammarion), la journaliste avait été témoin du déchirement que ressentait encore l'acteur de 87 ans, quinze ans après le drame de Vilnius. « Je devais venir la retrouver ce soir-là et je ne suis pas venu. C'était un grand voyage en voiture, quatre ou cinq jours. C'est peut-être de ma faute : si j'avais été présent ce soir-là, elle ne serait sans doute pas morte. Cette culpabilité me pèse beaucoup parce que je suis presque sûr d'avoir raison », a-t-il ajouté à propos de sa fille, frappée à mort par le chanteur de Noir Désir, le 27 juillet 2003 en Lituanie, sur le tournage du téléfilm Colette.
Si Nadine Trintignant, son ex-femme (ils sont séparés depuis 1976), n'a jamais hésité à condamner publiquement le meurtrier de sa fille (elle a même écrit un livre à charge sur Bertrand Cantat, en plein procès), Jean-Louis Trintignant, lui, était toujours resté plutôt discret sur ce sujet, préférant se recueillir dans son deuil. Après avoir perdu un enfant, Pauline, morte à neuf mois étouffée avec son biberon, l'acteur a couvé sa fille aînée, assurant même une partie de son éducation à la maison. Très proche de Marie, il la soutint même quand elle quitta Samuel Benchetrit, son mari, pour s'installer avec Bertrand Cantat, en 2003. Le père et la fille jouaient à l'époque ensemble dans les Poèmes à Lou, adaptation des textes de Guillaume Apollinaire, au théâtre des Amandiers. Le chanteur, fou amoureux de la comédienne, assistait à toutes les représentations. Jean-Louis Trintignant le trouvait possessif, mais cultivé, et lui a même proposé de jouer son rôle dans la pièce. Quelques mois plus tard, en apprenant que celui-ci avait tué sa fille à coups de poing dans leur chambre d'hôtel à Vilnius, Jean-Louis Trintignant a voulu « éliminer lui-même le meurtrier » (il l'a confié en mai 2012 à André Asséo, dans son livre Du côté d'Uzès). Il prendra finalement sur lui en pensant à ses petits-enfants, les quatre enfants de Marie Trintignant. « Ne pleure pas celle que tu as perdue. Au contraire, réjouis-toi de l'avoir connue », était-il parvenu à articuler entre deux sanglots lors de son inhumation…
Bertrand Cantat n'a fait que quatre ans de prison ferme pour le « meurtre commis en cas d'intention indirecte indéterminée » de Marie Trintignant. En 2011, il participe à l'adaptation de trois pièces de Sophocle par Wajdi Mouawad appelée « Des femmes », qui met en scène le destin tragique d'Antigone, Déjanire et Électre. Pour ce spectacle dont il a co-composé la musique, il doit chanter sur scène au Festival d'Avignon, où Jean-Louis Trintignant doit lui-même se produire. « Il a été incapable d'assumer quoi que ce soit après le drame », déclare ce dernier au Figaro. « Et aujourd'hui, c'est un homme que je déteste, et je vais dire une chose terrible, il s'est conduit comme une merde et il est l'homme que je déteste le plus au monde... » L'acteur et sa famille demandent l'annulation du concert. Le chanteur cède.
Un an plus tard, le père de Marie Trintignant réagit à nouveau sur Europe 1 alors que Bertrand Cantat se confie pour la première fois depuis sa sortie de prison aux Inrocks : « Je croyais qu'après le drame il [se suiciderait], mais il ne l'a pas fait », déplore-t-il. « Franchement, c'est quelqu'un pour qui je changerais de trottoir si je le voyais. Je l'ai rayé de ma vie et c'est tout. J'ai essayé de vivre sans Marie, mais c'est très difficile. Je ferais tout pour ne pas le croiser. » Heureusement pour lui, ce n'est jamais arrivé.
L'ex-leader de Noir Désir, Bertrand Cantat, a perdu le 16 janvier le procès en diffamation qu'il nous avait intenté à la suite d'une enquête publiée en 2017.
Par Etienne GernelleL'ancien chanteur de Noir Désir, condamné pour le meurtre de Marie Trintignant en 2003, a perdu le procès qu'il avait intenté au Point. En cause, les révélations d'Anne-Sophie Jahn dans un article du 30 novembre 2017 intitulé : « Cantat, enquête sur une omerta ». On y trouvait, notamment, ce témoignage d'un ancien membre de Noir Désir racontant, sous le couvert de l'anonymat, son arrivée à Vilnius avant le procès du chanteur : « Kristina [son épouse, NDLR] m'a vu et elle m'a demandé, à moi et à tous les autres membres du groupe, de cacher ce que l'on savait. Elle ne voulait pas que ses enfants sachent que leur père était un homme violent. Je savais qu'il avait frappé la femme avec qui il était avant Kristina. Je savais qu'il avait tenté d'étrangler sa petite amie, en 1989. Je savais qu'il avait frappé Kristina. Mais, ce jour-là, nous avons tous décidé de mentir. Nous étions tous sous son emprise. Et nous pensions qu'il se soignerait. »
Cette longue et minutieuse enquête, qui éclairait la personnalité de Cantat et son rapport aux femmes, détonnait évidemment par rapport à la thèse de l'« accident » de Vilnius, encore fréquemment défendue. Le chanteur, qui a longtemps pu compter sur des soutiens fidèles, notamment celui des Inrockuptibles, espérait peut-être intimider par cette procédure, sinon notre journal, du moins d'autres témoins éventuels. Il a été débouté de ses demandes par la 17e chambre correctionnelle du Tribunal de Paris. C'est une (petite) bonne nouvelle au cœur de cette atroce histoire : la loi du silence, si fréquente en matière de violences faites aux femmes, ne s'impose pas toujours.
...j’ai bien noté depuis que, comme souvent, la prison n’a pas réellement conduit le condamné à une remise en question, une contrition ou surtout, un changement de paradigme quant à sa relation au monde. Le gars a continué à cogner les femmes et à se penser comme victime...il y a une grosse présomption du fait que, sans lui, son autre femme serait encore vivante. Et il est de plus en plus clair que pour lui, imposer sa volonté à une femme n’est pas réellement un problème, aujourd’hui encore. De ce point de vue, son personnage d’artiste torturé tendance maudit, il peut se le carrer au cul....
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Cantat, l'homme pressé de nous faire la morale - Causeur
https://www.causeur.fr/bertrand-cantat-trintignant-brexit-concerts-149983
..On pourrait attendre de la part d’un homme qui n’a pas tout à fait conduit sa vie de manière exemplaire à ce qu’il la ramène un peu moins, qu’il fasse autant que possible profil bas et qu’au moins il ne se pique pas de distribuer les bons et les mauvais points moraux..
Bertrand Cantat avait déjà été violent avec ses petites amies avant qu'il tue sa compagne l'actrice Marie Trintignant à Vilnius (Lituanie), en août 2003, révèle une enquête du Point publiée ce jeudi.
Selon un membre de Noir désir, l'ancien groupe du chanteur bordelais, interrogé par l'hebdomadaire, les membres du groupe étaient au courant de ces faits, mais ont choisi de ne rien dire lorsqu'ils ont été entendus par un juge lituanien, durant le procès de Bertrand Cantat, en 2005.
Un silence qu'avait demandé Kristina Rady, épouse du chanteur, qui souhaitait que ses enfants ne sachent pas que leur père était violent.
Elle-même a nié avoir été battue par Bertrand Cantat, alors que ça avait été le cas, selon ce membre de Noir désir.
"Je savais qu’il avait frappé la femme avec qui il était avant Kristina. Je savais qu’il avait tenté d’étrangler sa petite amie, en 1989. Je savais qu’il avait frappé Kristina. Mais ce jour-là, nous avons tous décidé de mentir. Nous étions tous sous son emprise. Et nous pensons qu’il se soignerait", avoue le membre de Noir désir.
Selon le musicien, "beaucoup de gens dans le milieu bordelais savaient que Kristina avait été battue avant l’affaire Vilnius, mais ils se sont tus". Une information confirmée au Point par un journaliste bordelais.
Lorsqu'il est sorti de prison, en 2007, Kristina Rady s'est remise avec le chanteur. Mais, par la suite, ne supportant pas qu'elle le quitte pour un autre, Bertrand Cantat l'aurait harcelée et menacée.
Une voisine raconte d'ailleurs que Kristina Rady lui avait confié ses enfants : "Elle avait peur que son mari ne vienne la chercher violemment", assure-t-elle.
Enfin, Le Point rend compte d'un message vocal laissé par Kristina Rady sur le répondeur de ses parents, en 2009 : "J'espère qu'on va pouvoir s'en sortir et que vous pourrez encore entendre ma voix, et sinon, alors vous aurez au moins une preuve que…", dit-elle, après avoir évoqué des violences physiques et psychologiques, et raconté avoir "échappé au pire" à plusieurs reprises.
Kristina Radi s'est suicidée le 10 janvier 2010, à 41 ans.
Alors que Bertrand Cantat revient dans le monde de la musique en présentant son nouveau single L'Angleterre, un extrait vidéo de Catherine Ceylac datant de 2013 est massivement partagé sur Internet. Dans ces images, la journaliste interpelle les téléspectateurs face à la médiatisation du retour sur scène du chanteur...