charlatans niouzes

Publié le par ottolilienthal

De la médaille olympique à la « guérison quantique » : l’étrange parcours de Fabien Lefèvre...

À la tête d’une communauté de 300 fidèles, l’ex-kayakiste anime des groupes de « guérison quantique » à 333 euros la journée. Focus sur une reconversion inquiétante...

La scène se déroule en septembre 2024 sur la chaîne YouTube ABC Talk, forte de 235 000 abonnés et consacrée aux thérapies alternatives et à la spiritualité. Confortablement installé sur un canapé rouge, tasse à la main, l'invité de l'émission semble habité par une force mystérieuse. Fabien Lefèvre, ex-athlète de haut niveau, sept fois champion du monde de kayak, double médaillé olympique, se lance avec un naturel déconcertant dans une tirade en « langage de Lumière » : « Yata a knacki yi i ritchi kitinié a kichiki yé lala… »

Un galimatias mystique incompréhensible, sorti d'on ne sait où, mais qui semble ravir Marc Laval, l'animateur et producteur du programme. Lefèvre est surtout là pour faire la promo de son nouveau business de guérisseur quantique. Dans le petit monde du canoë-kayak de haut niveau, la séquence n'a pas le même effet. Elle devient très vite virale, s'échange sur des groupes WhatsApp d'anciens athlètes et entraîneurs, entre commentaires moqueurs et consternation. Mais que s'est-il passé dans la tête de ce champion exceptionnel qui aujourd'hui prétend communiquer avec les Êtres de Lumière ?

Tout semble commencer à la fin de sa carrière sportive, quand la question de la reconversion se pose. En 2014, il remporte son dernier titre mondial sous les couleurs de l'équipe nationale américaine, intégrée après son départ de la sélection française deux ans plus tôt. Installé aux États-Unis, il ne fait plus parler de lui dans l'Hexagone. Mais il est toujours considéré par ses pairs comme un véritable génie du kayak, un athlète hors norme qui a mené toute sa carrière sportive et médiatique en parallèle de celle de Tony Estanguet, triple champion olympique en canoë et chouchou incontesté des Français.

« Je ne comprends pas ce qu'il est devenu »

Une rivalité difficile, qui l'a souvent laissé dans l'ombre d'Estanguet, futur grand patron des JO de Paris. « Fabien a révolutionné sa discipline en élaborant un style de navigation unique. Il a inventé de nouvelles techniques comme le stop-tête qui permet de passer les portes plus vite en slalom. Il n'a pas toujours été traité à sa juste valeur par la fédération, estime Nouria Newman, kayakiste extrême, championne du monde de slalom en 2014, qui s'est entraînée quelques années avec lui. Mais je ne comprends pas ce qu'il est devenu. »

Même incompréhension pour nombre de ses anciens coéquipiers et amis. Cette vidéo sur YouTube fut un choc. « C'était mon ami. On se connaissait depuis l'internat au lycée. À l'époque, c'était une personne très différente de ce que l'on voit aujourd'hui sur les réseaux sociaux », confie au Point Loris Minvielle, lui-même ex-kayakiste de haut niveau.

En quelques années, pendant son séjour aux États-Unis, celui que tout le monde surnommait « Fabulous Fab » est passé du cours tumultueux des rivières aux mondes parallèles du New Age et des « médecines » énergétiques, pratiques controversées, sans aucun fondement scientifique. Sur Instagram, Facebook ou encore YouTube, Fabien Lefèvre vante non plus ses performances de sportif de haut niveau, mais celles du guérisseur quantique attaché à une vision très particulière du monde.

 Tout est énergie, explique-t-il au Point lors d'un long entretien depuis les États-Unis. Les humains sont une expérience physique d'une forme d'énergie d'intelligence suprême qui choisit de s'expérimenter sur Terre. La réalité physique est une réalité holographique projetée, un peu comme dans Matrix, basée sur du coding, des mathématiques et la géométrie sacrée. »

Pour Donatien Le Vaillant, chef de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), toutes les croyances doivent être respectées : « C'est leur utilisation qui pose problème, les manipulations qui peuvent en résulter ainsi que les exigences financières qui y sont associées. Communiquer avec les Êtres de Lumière relève du domaine de la croyance. Cela peut entraîner cependant une forme d'allégeance problématique si, par divers comportements, elle conduit à prendre ses distances et à rompre avec ses proches et son environnement habituel. »

Un business lucratif

Hermétique et assez vague, le discours est d'ailleurs conforme à ce qui est souvent observé dans les domaines du coaching spirituel et du développement personnel, terreau favorable à de nombreuses dérives. La promesse est toujours la même, atteindre « le meilleur de soi », « son plein potentiel ». Pour Fabien Lefèvre, tout part du principe que les humains vivent comme enfermés dans une espèce de matrice, qu'il nomme parfois « le cube de Métatron ».

Leur objectif ultime serait de progresser dans de multiples dimensions pour remonter jusqu'à ce qu'il appelle tantôt la Source, tantôt le Divin, les Guides ou encore la Base de Données Universelle. Une sorte d'être transcendant avec lequel il prétend communiquer directement via son troisième œil, qui n'est autre, selon lui, que sa glande pinéale au cœur du cerveau.

« Il y a des petits cristaux dans la glande pinéale, qui fonctionnent comme une station radio pour capter et émettre des données. Cette glande s'active par la méditation et la respiration. Les informations proviennent de la Base de Données Universelle », justifie l'ex-athlète lors de notre entretien. À ce stade, il est important de préciser que les Êtres de Lumière sont bienveillants, ils veulent aider. Ce qui n'est pas le cas des « “shadow parasites” – les parasites de l'ombre – et autres entités qui créent le bazar dans le corps, contrôlent la conscience ou se logent dans les couches énergétiques d'une personne », nous décrit très sérieusement Fabien Lefèvre.

Ces fauteurs de troubles seraient ainsi la cause de tous les maux : du simple mal-être aux pathologies les plus lourdes, comme le cancer. C'est là qu'intervient la guérison quantique, une technique extrêmement puissante selon le kayakiste, qui assure l'avoir testée sur lui-même : « Après ma carrière d'athlète, j'avais des problèmes digestifs. Pendant plusieurs mois, je n'arrivais quasiment plus à manger. Les médecins ne trouvaient rien. J'ai fait un travail avec une praticienne en guérison énergétique et, 48 heures après, j'ai commencé à pouvoir remanger. Et là je me suis dit : “Wow mec, il y a un truc. C'est cool !” »

Alors coach sportif aux États-Unis, il décide de se former à cette pratique et développe un nouveau business très lucratif, autour de ces soins énergétiques qu'il imprègne de concepts spirituels, d'entités surnaturelles, voire d'extraterrestres, et d'un ersatz de physique quantique. Il développe même ses propres « protocoles » de soins avec, notamment, des codes, comme « T69S » ou « HH19 » qu'il assène à ses clients pour traiter « le burn-out des surrénales » (sic), glandes situées sur le sommet des reins.

« Autoguérison de la personne »

« 3V3, lui, va activer les énergies orgasmiques et extatiques », assure-t-il quand nous l'interrogeons sur cet autre code mystérieux. Encore plus étrange, quand il décrit comment il a pu soulager les douleurs d'un éleveur de porcs dont le genou avait été écrasé contre le béton par une de ses truies. Malgré les opérations, il ressentait toujours des douleurs qui descendaient dans sa jambe jusqu'au ménisque. « Je me suis juste concentré sur son genou pendant à peu près 1 min 30 », rembobine l'ex-champion.

Il découvre alors « un vortex qui s'ouvrait » et, au moment où il l'a fermé, un shadow parasite s'est pointé, « une entité des mondes de l'astral ou de l'éthérique, une entité reptilienne » qui était « enroulée autour de son fémur, branchée sur sa colonne ». Joignant le geste à la parole pour décrire son intervention, il poursuit : « Quand j'ai fermé le vortex, l'entité a sorti la tête, je l'ai attrapée, j'ai ouvert un trou dans la matrice, je l'ai envoyé à la source pour réassignation. »

Une fois le parasite « astral » ou « éthérique » retiré, il demande à l'agriculteur, tel un Jésus revenu sur Terre : « Lève-toi et marche. » Enfin soulagé, l'homme arrivait même à plier son genou : « Il m'a regardé et s'est écroulé en pleurs. Il n'avait plus mal. Ça a pris deux minutes », se souvient Fabien Lefèvre. Un véritable miracle, comme tant d'autres. Toujours dans l'émission ABC Talk, il affirme avoir assisté à une guérison spontanée d'un cancer du sang et d'un cancer du cerveau inopérable lors de ses journées événements de guérison de groupe, organisées régulièrement en France.

L'ancien athlète rejette pourtant le titre de guérisseur. « Je parle toujours d'autoguérison de la personne. Je ne parle jamais de guérison parce que, comme je le dis toujours, personne ne guérit personne. C'est à la personne de cheminer », précise-t-il au Point. Et d'ajouter : « Les personnes qui disent être des guérisseurs ou qui font de la guérison sont des manipulateurs. » Une subtilité sémantique qui échappera certainement à tout malade venu consulter un « coach quantique et facilitateur d'autoguérison » comme il se présente sur son site et sur les réseaux sociaux.

Fabien Lefèvre ne serait qu'un intermédiaire entre ces malades et des entités supérieures auxquelles il demande de l'aide… via sa glande pinéale. « L'idée, c'est vraiment d'aider la personne à retrouver son pouvoir d'autoguérison », précise-t-il. L'autoguérison, un grand classique des éléments de langage des thérapeutes alternatifs. « C'est la base. Si ça ne fonctionne pas, ce n'est pas l'échec du guérisseur, c'est la faute du malade qui n'a pas bien appliqué la méthode et doit réessayer », confirme le Dr Pierre de Bremond d'Ars, médecin généraliste et président du collectif NoFakeMed, qui lutte contre les pratiques thérapeutiques déviantes et sectaires.

« Va quand même voir ton médecin »

Non seulement la personne ne va pas mieux, mais en plus elle culpabilise car elle est responsable de son échec. Fabien Lefèvre jure aussi ne jamais opposer la médecine et sa pratique énergétique. « Sur le plan médico-légal, il se protège des risques de poursuites en prétendant n'intervenir qu'en complément de la médecine conventionnelle et en insistant sur le fait qu'il ne guérit pas, mais que ce sont les personnes qui se guérissent elles-mêmes », analyse le Dr Pierre de Bremond d'Ars.

Reptiliens, Êtres de Lumière, entités des mondes astraux, etc. Tout ce folklore n'est que l'habillage d'un business à l'américaine, parfaitement rodé, reposant sur la crédulité et la vulnérabilité des personnes. Le système Fabien Lefèvre, c'est surtout une communauté d'environ 300 personnes qui, pour environ 55 euros par mois, adhèrent à son « Membership BEyond », un coaching de groupe proposant en fait des visios d'environ deux heures, deux soirs par semaine. Mais il est également possible d'obtenir une « réduction » sur des séances de guérison individuelles, toujours en visio : 222 euros les 50 minutes au lieu de 444 euros pour les non-membres.

Nous avons pu assister à l'une de ces consultations de groupe par écran interposé. Elle réunissait ce soir-là plus de 110 personnes, essentiellement des femmes. Après une séance de méditation connectée au Divin et entrecoupée des habituelles logorrhées cryptiques des Êtres de Lumière, quelques participants s'épanchent. Certaines interventions sont inquiétantes. Il y a par exemple Estelle qui évoque une séparation douloureuse et une profonde dépression qui persiste. Ou Thomas, qui se fait attaquer en pleine nuit par d'étranges entités qu'il tente de repousser, sans succès.

« Et puis il y a un truc bizarre qui se passe en ce moment, j'ai tout mon bras gauche qui est un peu engourdi jusqu'au majeur », souligne-t-il. Explications de Fabien Lefèvre : « Ça peut être lié aussi à ton masculin sacré, c'est-à-dire ta relation au père, tu vois, au grand-père. » Alors que l'ex-kayakiste continue de broder pendant de longues minutes sur l'explication symbolique de cette douleur dans le bras gauche de son client, une autre participante, Lydie, intervient : « Euh, si je peux me permettre, Thomas, va quand même voir ton médecin. » Effectivement, il y a urgence.

La douleur au bras gauche est un symptôme classique de l'infarctus du myocarde. Lydie sait de quoi elle parle. Elle est médecin ophtalmologue. Malgré son solide cursus médical, elle suit assidûment les enseignements de Fabien Lefèvre. Membre de la communauté BEyond, elle a en plus payé près de 4 000 euros pour la formation proposée par le guérisseur et participe à tous les événements qu'il organise en France. Nous l'avions justement contactée quelques jours avant cette visio pour comprendre sa présence dans la sphère de Fabien Lefèvre.

« Je m'intéresse à son travail par curiosité intellectuelle, assure le médecin. Pour suivre cette formation, il faut un certain état d'esprit, notamment accepter d'autres concepts que ceux de la médecine conventionnelle. » Elle qui se dit scientifique et rationnelle n'est pas contrariée quand elle l'entend parler en langage de Lumière ou quand il délivre ses fameux codes de guérison aux malades : « Et il n'est pas le seul à avoir ce type de capacité. Ces messages et codes entraînent des changements importants dans la vie des personnes. Des personnes avec des problèmes moteurs ou des pathologies évolutives peuvent ne plus les avoir. Il se passe des choses étonnantes », nous confie-t-elle encore.

333 euros la journée

Un constat qu'elle aurait fait lors des fameuses journées d'autoguérison quantique auxquelles participent une centaine de personnes ayant chacune payé 333 euros par jour pour y assister. Ces événements, organisés en partenariat avec ABC Talk, se déroulent dans une salle louée dans un hôtel d'une grande ville. En mars, six sessions ont été organisées à Toulouse, Lyon et Montpellier. Les prochaines auront lieu à Bordeaux, Tours, Paris et Lille du 18 au 24 juin et à La Réunion le 14 novembre.

« Nous y faisons un gros travail de libération individuelle », explique Fabien Lefèvre qui, dans cette activité, se fait aider par une équipe de bénévoles très investis. « Ce sont des Français et des Américains. Je les paierai quand ils seront complètement formés », promet-il. Au programme, toujours de la méditation connectée avec les mondes parallèles, séances de transes, codes et langage de Lumière ou encore étreintes à califourchon en binômes. « Le but est de faire, si possible avant la fin de la journée, l'expérience de l'amour inconditionnel », ajoute le guide spirituel.

Ces événements sont en fait des répliques quasi à l'identique de ceux organisés aux États-Unis et un peu partout dans le monde par le coach guérisseur Jerry Sargeant, auprès duquel l'ancien champion du monde de kayak admet, lors de notre entretien, avoir été formé. Jerry Sargeant, qui délivre sans compter l'amour inconditionnel, est un être rare. Il assure tenir tous ses dons de guérison d'aliens qu'il aurait rencontrés il y a quelques années. En 2017, il a aussi été condamné au Royaume-Uni, dont il est originaire, pour avoir affirmé qu'il pouvait guérir le cancer à distance.

Cette expérience de « l'amour inconditionnel » tant revendiquée par Fabien Lefèvre, et inspirée par son mentor, cache une part de son activité moins reluisante. Nous avons pu interroger une ancienne membre de la communauté BEyond, exclue brutalement par le kayakiste avec deux autres fidèles. « Il nous accusait de discuter avec des membres du groupe en dehors de la communauté, de les contacter sans son autorisation », explique la jeune femme.

Des comportements qui questionnent

Dans un mail que nous avons pu consulter, il va jusqu'à la menacer de poursuites judiciaires si elle persiste. Une attitude qui rappelle ce qu'ont vécu les anciens associés de Fabien Lefèvre dans les différentes entreprises qu'il avait créées avec ses amis, membres de sa famille et sportifs de haut niveau, avant son départ pour les États-Unis. « À chaque fois, cela s'est terminé devant les tribunaux », commente l'un d'eux, désabusé.

Quelques années plus tôt, c'était des athlètes qui se plaignaient de son comportement. Lui jure avoir toujours été respectueux. Nous avons pourtant retrouvé un signalement déposé en 2024 auprès de la Fédération française de canoë-kayak décrivant très précisément des faits de harcèlement auprès d'une jeune athlète, âgée de 15 ans à l'époque – il en avait 16 – et avec laquelle il s'entraînait au Pôle Espoir de Pau dès 1998.

Avec deux de ses coéquipiers de l'époque, il la surnomme « la boule », puis « neuneu ». « Ils m'appelleront ainsi tous les jours, plusieurs fois par jour pendant deux ans. Je leur ai demandé d'arrêter, j'ai essayé la sympathie, la colère et plus, mais je n'ai pas réussi à les faire cesser », décrit le signalement. Cela aura pour conséquence de graves troubles du comportement alimentaire, avec des phases de boulimie et d'anorexie : « Je tomberai à 38 kg, parfois moins », souligne le témoignage.

La jeune femme quittera la compétition et mettra dix ans à se reconstruire même si, aujourd'hui, elle garde encore en mémoire le Fabien Lefèvre de sa jeunesse. Rien d'amical et d'affectueux dans ses mots : « Plutôt la volonté d'asseoir une supériorité et de me dévaloriser. » Aujourd'hui à la tête d'une communauté de 300 fidèles qui n'ont de cesse de lui témoigner admiration et reconnaissance, de louer ses guérisons miraculeuses, l'ex-champion a-t-il vraiment changé ?

Les charlatans ne sont jamais timides...

Les retraites constituent le premier poste de dépenses publiques. Cela n’empêche pas certains, de Mélenchon au RN, de proférer des énormités. Michel Barnier avait, lui, promis de dire la vérité. On attend toujours...

Pour une fois, Mark Twain a un peu manqué sa cible. Sa célébrissime formule « Un mensonge peut faire le tour de la terre le temps que la vérité mette ses chaussures » est au minimum incomplète. La réalité, c'est que, le plus souvent, la vérité n'essaie pas de faire la course et demeure en chaussettes.

Sinon, comment expliquer que tant de dirigeants politiques reconnaissent en privé que le levier le plus efficace pour sortir des déficits est de relever l'âge de la retraite, mais ne pipent mot en public ?

La situation est pourtant limpide. Les retraites sont le premier poste de dépenses publiques, et de loin. Elles sont en outre responsables de la moitié de l'accroissement de la dette entre 2018 et 2023, soit 438 milliards d'euros, selon une édifiante étude de Jean-Pascal Beaufret publiée par la revue Commentaire.

Si l'on s'alignait sur nos voisins immédiats, avec un âge de départ compris entre 65 et 67 ans, assorti bien sûr de certains aménagements, la question des déficits ne serait pas résolue mais ferait beaucoup moins peur. Cela s'inscrirait dans une logique d'augmentation du taux d'activité de la population française : on sait que, si ce dernier était comparable à celui de l'Allemagne ou des Pays-Bas, nous serions tirés d'affaire.

Ces vérités que l'on ne peut pas dire

Mais croyez-vous que l'on se pose sérieusement la question de l'âge de la retraite au gouvernement ? Pas très longtemps. « Ah, mais ça, on ne peut pas le dire ! » se voit-on répondre lorsqu'on évoque le sujet. Des faits constatables, issus de données publiques, ne sont donc pas dicibles. Y compris sous Michel Barnier, qui avait pourtant promis de « dire la vérité ». Pas tout entière, faut-il croire.

Cette timidité à verbaliser des évidences n'a d'égale que l'incroyable audace de ceux qui ont fait de la faribole leur fonds de commerce. Croyez-vous que Jean-Luc Mélenchon hésite au moment de réclamer le retour de la retraite à 60 ans ? Les charlatans ne sont jamais timorés, c'est même le principe de cette profession.

Ce n'est pas pour rien que Peter Sloterdijk, l'un des penseurs les plus brillants du monde, parle de « désinhibition cynique » pour désigner ce que l'on appelle de façon imprécise les « populismes ». Cela déséquilibre le débat. La raison se cache, la folie se vante.

On objectera, bien sûr, que c'est plus facile de raconter n'importe quoi lorsqu'on est dans l'opposition. Certes. Cela s'est vu notamment avec les députés LR, qui ont adopté, il y a un an, une ligne semi-cégétiste durant la réforme des retraites. Il faut dire qu'ils ne se voyaient pas, à cette époque, revenir de sitôt aux affaires. De ce point de vue, le fait qu'ils doivent aujourd'hui se coltiner les résultats de leur poltronnerie passée est une forme de justice…

À l'inverse, on a vu le RN, qui s'est un peu vite vu en haut de l'affiche après la dissolution, jeter en quelques jours par-dessus bord des pans entiers de son délirant programme économique de peur d'avoir à en assumer les conséquences.

Tout exposer dès le départ

Mais, quand on est déjà au pouvoir, quel est l'intérêt de ne pas tout dire ? L'alternative, au premier abord, est plutôt simple : tenir quelques mois de plus en avançant des demi-vérités ou bien lâcher les mots et les chiffres qui fâchent, au risque d'un accident immédiat, censure ou fronde sociale. Michel Barnier, jusqu'ici, n'a pas complètement choisi, faisant montre d'une souplesse dont on ne sait s'il faut l'admirer ou la déplorer. Car c'est tout le sujet : ce qui n'est pas formulé ne risque pas de convaincre…

Olivier Blanchard, le brillantissime ancien économiste en chef du FMI, avait détaillé cet été dans nos colonnes sa méthode pour s'en sortir : un plan portant sur 120 milliards d'euros, étalé sur « cinq à dix ans » (pour éviter de tuer la croissance), en conservant des marges en cas de crise et en augmentant l'investissement.

Blanchard prônait surtout la franchise : « Plus la vision qui sous-tend les projets et les engagements du gouvernement est claire, plus grandes sont les chances que le programme soit perçu comme crédible et que la France ne soit pas pénalisée. » Mais, pour cela, il faut arrêter de jouer au chat et à la souris et tout exposer. Dès le début.

 
Chantier de l'A69 : l’improbable passé du « sauveur des arbres » en grève de la faim dans un platane

Avant de basculer dans les pseudosciences, l’arboriste grimpeur Thomas Brail, en grève de la faim dans un platane parisien pour bloquer le chantier de l’A69, a longtemps… abattu des arbres.

Depuis le 31 août, le Tout-Paris écolo défile le nez en l'air sur le très chic boulevard Saint-Germain. C'est là, dans un platane planté en face des fenêtres du ministère de la Transition écologique, que le médiatique activiste Thomas Brail a entamé, il y a 23 jours, une grève de la faim, pour obtenir l'arrêt du chantier de l'autoroute A69 qui permettra bientôt de relier Castres à Toulouse, un projet déclaré d'« utilité publique » en 2018.

Lundi 25 septembre, l'« arboriste grimpeur » a prévenu : il entamera une grève de la soif. « Je n'ai pas peur de la mort. Si je dois mourir, je mourrai », dit-il aux caméras qui se succèdent par dizaines entre les feuillages, les journalistes treuillés à sa hauteur par un système de poulies. Marine Tondelier, Julien Bayou, l'activiste Camille Étienne… L'écologie-people se bouscule, enivrée par la pureté du combat « pour le vivant » de cet « écureuil » poussé dans les ruisseaux et les forêts du Tarn, et contraint de frôler la mort à cause d'un projet « destructeur de terres et antisocial », selon les termes du collectif « Les Soulèvements de la Terre », qui a orchestré au printemps la mobilisation, alors que les opposants locaux – une poignée de riverains – avaient épuisé tous les recours. Parmi eux, Thomas Brail… Élagueur de profession, qui s'est subitement attribué, en 2019, la mission de « sauver » les arbres, après sa rencontre avec un surprenant « gourou ».

Abatteur d'arbres

En effet, le parcours de Thomas Brail, amoureux sincère de la nature, réserve des surprises étonnantes. Peu doué pour les études, comme il le raconte à nos confrères de Libération, le jeune Thomas s'oriente vers un CAP BEP jardins espaces verts. La mairie de Mazamet l'embauche pour s'occuper des parcs, mais Thomas est insatisfait. Il joue de la musique avec ses copains – leur groupe, Aîtal, reprend Téléphone ou Jimi Hendrix dans les cafés du coin, et connaît un certain succès. Le jeune homme se rêve artiste et quitte sa province pour Paris. Thomas Brail travaille dans un bar, fait un peu de mannequinat… Et parvient à monter, avec l'aide de relations, un festival de rock dans sa petite ville natale, à Mazamet. La municipalité accepte de lui prêter le terrain, et assure pendant 10 ans la logistique de « Thoré du Rock », que le chanteur Bruno Solo parraine.

Mais à Paris, la carrière de Thomas ne prend pas. De retour dans sa ville natale, il crée sa société « Cyprès de mon arbre » et se met à son compte en tant que « grimpeur arboriste ». Il n'a aucun problème, alors, à arracher des arbres… En juillet 2016, il abat 56 chênes pyramidaux pour le compte de la mairie de Mazamet. « Ils n'étaient pas malades, ni dangereux », se souvient un employé municipal de l'époque, « mais les racines avaient abîmé les trottoirs dans un lotissement. On en a replanté plus loin… 

Pseudosciences et radicalisation

En 2017 pourtant, tout bascule. « Il a soudain changé, sans qu'on comprenne pourquoi. Il s'est mis à tenir sur la nature un discours quasiment mystique… C'était déroutant », se souvient l'une de ses connaissances.

Contacté, Thomas Brail raconte volontiers au Point la cause profonde de cet « éveil », comme il le qualifie lui-même. « En 2017, je suis allé voir un homme dont on m'avait parlé, Éric Petiot. Il m'a complètement réouvert les yeux sur le végétal ! » Éric Petiot… Un arboriste célèbre dans l'univers mystique des adeptes de la biodynamie, réputé pour ses « recherches » sur l'effet du rayonnement cosmique sur les plantes (il conseille de les protéger avec du basalte), le paramagnétisme, l'électroculture…

Moitié chamane, moitié gourou, Éric Petiot s'installe dans le Pays de Gex en 1990, d'où son entreprise dispense, à prix d'or, des formations loufoques à l'acupuncture végétale, aux huiles essentielles, aux « énergies en agriculture »… Et à la phytothérapie des plantes, en vogue depuis l'interdiction de nombreux pesticides. « Je sortais d'un parcours scolaire inféodé aux multinationales », explique Thomas Brail. « Éric Petiot a des méthodes qui me passionnent. Grâce à lui, je travaille maintenant avec le quadrillage électromagnétique de la planète, le réseau Hartmann. La planète est composée de fer et de nickel, et la rotation dégage des ondes électromagnétiques auxquelles les arbres sont soumis », explique-t-il sérieusement. « C'est pour ça que les graines ne poussent pas n'importe où ! Sinon ça fait des nœuds telluriques ! » Un discours surréaliste, dénué de tout fondement scientifique, et qu'aucun professionnel sérieux de la forêt ne valide.

Thomas Brail retourne plusieurs fois chez Éric Petiot, pour se former au « soin des plantes par les plantes ». « Je soigne avec des extraits fermentés de prêles, d'orties… on peut faire aussi des infusions », dit-il. Les vertus supposées de l'ortie, qui ne sont mentionnées chez aucun des auteurs de l'Antiquité, émergent dans les milieux écolos au début des années 2000… Une cinquantaine d'expérimentations ont été conduites, en France, pour évaluer ses effets sur les ravageurs ou les maladies : aucune n'a montré le moindre effet significatif. Pas plus que n'ont été démontrés les effets de macérations de fougères, de prêles, de consoudes…

« Ces pratiques ne font pas de bien, mais pas de mal non plus… Un peu comme pour l'homéopathie », confiait au Figaro, en 2019, Daniel Veschambre, membre du conseil scientifique de la Société nationale d'horticulture de France (SNHF). En revanche, la Mission de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) pointe régulièrement les dangers des discours qui sous-tendent ces pratiques basées sur un fatras pseudoscientifique, renvoyant à la cosmologie religieuse du fondateur de l'anthroposophie Rudolf Steiner, grand défenseur, dans les années 1920, du pangermanisme et de la suprématie de la « race aryenne ».

Une croisade médiatique

Rapidement, le discours de Thomas Brail se radicalise. En 2017, Éric Petiot lui écrit une chanson, « La Rape de l'ortie », transformant son festival de rock bon enfant en tribune politique. « Cette chanson est un coup de gueule contre les produits chimiques qui tuent nos sols et nos enfants alors que les préparations naturelles peu préoccupantes existent depuis l'antiquité », tempête le grimpeur dans la presse locale.

En mai 2019, Thomas Brail commet son premier coup d'éclat, dans sa petite ville de Mazamet. Alors que le maire prévoit d'abattre trois platanes, qui gênent la visibilité, il s'installe dans l'un d'eux… Et remporte une victoire symbolique, que rapporte à l'époque le journal La Dépêche : un arbre est sauvé, seuls deux seront abattus. France 3 adore…

Sa carrière d'activiste est lancée. Avec des amis parisiens, il crée son association, le « Groupe National de Surveillance des Arbres » (GNSA). Et son vibrionnant président multiplie les coups médiatiques. Il se pend à Condom, dans le Gers, pour sauver des platanes… et on l'appelle dans la France entière. Mais c'est surtout à Paris qu'il s'accroche, où médias et urbains goûtent particulièrement ses discours radicaux et ésotériques. Les bobos sont fans… En 2020, consécration : quelque temps après qu'il a passé 28 jours suspendu devant les fenêtres de son ministère, Élisabeth Borne elle-même le reçoit, au ministère de la Transition écologique pour le consulter sur sa politique de protection des arbres.

Mais qui Thomas Brail représente-t-il ? Son association revendique « 700 membres », dit-il, « et 70 comités locaux ». Impossible à vérifier : elle n'a jamais publié son bilan, ni ses comptes.

Chantier de l'A69 : Delga et Beaune à l'écoute des activistes

Sur le terrain, ce mois de septembre, les acteurs locaux fulminent. « Depuis février dernier, un groupuscule d'à peine 250 personnes, dont la majorité sont des membres de l'ultragauche basés à Toulouse, a commis une soixantaine d'exactions autour du chantier de l'A69 », détaille notre source proche des renseignements. « Et depuis que les travaux ont repris, les ouvriers sont quotidiennement harcelés, ils vivent un enfer. Ces militants sont des opportunistes, qui se sont emparés du combat de Thomas Brail quand la Justice a purgé tous les recours… »

Car sur le projet lui-même, tout a été dit. La nouvelle portion d'autoroute de 54 kilomètres doit permettre de désenclaver un département qui se dépeuple, 75 % des habitants du bassin, comme l'écrasante majorité des élus, y sont favorables. Seule la maire de Teulat, Sabine Mousson, refuse encore l'autoroute – ce qui ne l'a pas empêchée, confirment plusieurs sources, de vendre à bon prix un terrain personnel aux porteurs du projet, plutôt que de bloquer sa réalisation. Au terme de 20 ans de consultations, d'études, de votes, d'expertises, le projet a été approuvé, réapprouvé, et le Tribunal a définitivement ordonné, au mois d'août, que les travaux se poursuivent.

Ils sont déjà bien engagés : au total, 200 arbres doivent être coupés le long des voies existantes, comme une dizaine d'hectares de zones boisées – zones qui seront replantées sur 25 hectares. L'aménagement de la voie existante aurait, lui, entraîné l'arrachage de 1 600 arbres d'alignement… « 95 % des arbres sont déjà coupés, le chantier est inarrétable désormais », grince un élu local. « Alors, les activistes ont cherché un point de faiblesse, et ils ont trouvé des politiques : Carole Delga et Clément Beaune ! » qui ont tous deux reçu Thomas Brail, lui offrant une jolie surface médiatique.

Déni de démocratie

En précampagne active pour les prochaines municipales à Paris, le ministre des Transports chercherait à « donner des gages aux électeurs écolos », juge le même élu. Le 19 septembre, Thomas Brail, très affaibli, est descendu de son arbre pour rencontrer le ministre des Transports. Et s'il ne l'a pas fait plier, beaucoup ont senti un flottement… « Thomas Brail a éveillé des consciences, dont la mienne », a confié ensuite le ministre à l'activiste Hugo Clément, farouche opposant de l'autoroute, annonçant qu'il comptait, dans une poignée de semaines, faire « des annonces courageuses » sur l'avenir de plusieurs autres projets autoroutiers.

Des propos reçus avec stupeur dans le Tarn. « Mais quelle image de la démocratie sommes-nous en train de donner, quelle image ? Des années de consultations, d'enquêtes publiques, de recours… Nous avons respecté chaque étape, d'énormes améliorations environnementales ont été apportées. Et nous sommes victimes d'activistes radicalisés qui occupent l'espace médiatique ? Mais où est l'État de droit ? » s'est emporté, devant la presse convoquée en urgence ce 22 septembre, le président de la Chambre de commerce et d'industrie du Tarn, Michel Bossi, appuyé par le président du département, le socialiste Christophe Ramond. « Ne cédons pas au chantage ! Ou alors dites tout de suite que la démocratie ne vaut rien ! » Un habitant de Mazamet, qui connaît Thomas Brail « depuis plus de 25 ans », s'étouffe. « Qui prend les décisions en France ? Les réseaux sociaux, les sentiments ? Un fou peut décider tout seul de l'avenir du pays ? », « effaré » de voir les médias se pâmer devant un « original pris d'un délire mystique ».

Gandhi et Mandela appelés à la rescousse

Interrogé sur son refus du processus démocratique, qui a conduit au chantier de l'A69, Thomas Brail rétorque : « Il faut aller en parler à Gandhi et à Nelson Mandela. Les gens ne comprennent pas qu'il y a un bouleversement total de la planète. Je défends le vivant ! » Quitte à en mourir ? « Je n'ai plus rien à perdre », lance-t-il aux journalistes, depuis son arbre où une jeunesse en quête de sens vient l'entendre « prêcher ». « Sa femme l'a quitté et il ne voit plus beaucoup son fils », confie une vieille connaissance. « C'est comme s'il était habité. Il me fait de la peine, et il me fait peur. Il a surtout besoin d'aide… »

 

Le ministère des Transports, comme la Préfecture de police de Paris, suit le dossier de très près, redoutant de devoir envoyer les pompiers pour le déloger, si sa santé était en péril. « Si l'État cède à ce chantage, alors ce sera fini. Il ne tiendra plus rien du tout », redoute Olivier Fabre, le maire de Mazamet. Parmi les soutiens de l'arboriste grimpeur, qui exigent l'arrêt immédiat du chantier de l'A69, aucun, aujourd'hui, ne l'a encore appelé à s'alimenter, ni à cesser sa grève.

https://www.lepoint.fr/environnement/chantier-de-l-a69-l-improbable-passe-du-sauveur-des-arbres-en-greve-de-la-faim-dans-un-platane-23-09-2023-2536579_1927.php?M_BT=6286141392673&boc=3627676&nl_key=ea892c9bf26a7f7afeaffd33e0f6585511db5b12c41b69d649cb8370f928ba6c#xtor=EPR-6-[NL-edition-digitale]-20230927-[Vous_Avez_Aime]

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