Stieg Larsson, l'enquête inachevée..
Le suspect, identifié comme Stig Engström, « est décédé », a expliqué le procureur chargé de l'affaire, qui « ne peut donc pas engager de poursuites ».
La justice suédoise est impuissante à mener à bien l'enquête sur le meurtre d'Olof Palme, du nom du Premier ministre assassiné en 1986. Plus de 30 ans après les faits, l'institution a annoncé, mercredi 10 juin, clore l'enquête, le principal suspect étant décédé.
Ce suspect, identifié mercredi comme Stig Engström, « est décédé, je ne peux donc pas engager de poursuites ni même l'interroger, c'est pourquoi j'ai décidé de clore cette enquête », a déclaré le procureur chargé de l'affaire, Krister Petersson, lors d'une conférence de presse en visioconférence. Dirigeant social-démocrate charismatique, Olof Palme a été froidement abattu sur un trottoir gelé du centre de Stockholm le 28 février 1986, à l'âge de 59 ans, alors qu'il rentrait à pied du cinéma avec sa femme, sans garde du corps.
Le nom de Stig Engström, également connu comme « l'homme de Skandia », du nom de l'entreprise pour laquelle il travaillait à l'époque, est régulièrement apparu dans les médias en tant que suspect. C'était un opposant aux idées de gauche d'Olof Palme. Arrivées parmi les premiers sur les lieux du crime, les autorités l'ont interrogé en tant que témoin, mais l'ont jugé peu fiable car changeant régulièrement de version. Il est mort en 2000.
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Le meurtrier du Premier ministre de l'époque avait réussi à prendre la fuite, emportant l'arme du crime. Des milliers de personnes ont été entendues, des dizaines d'autres ont revendiqué l'acte et le dossier occupe 250 mètres d'étagères. Christer Pettersson, un petit délinquant toxicomane, a été inculpé pour cet assassinat en juillet 1989 après avoir été identifié par l'épouse d'Olof Palme, Lisbet, lors d'une présentation de suspects très critiquée. Son témoignage avait été fragilisé par les conditions, entachées d'irrégularités, dans lesquelles il avait été recueilli. Après avoir avoué le meurtre, ce marginal s'était rétracté. Il est mort en 2004 et Lisbet, en 2018.
Au fil des années ont été également soupçonnés, entre autres, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, séparatistes kurdes turcs), l'armée et la police suédoises ou les services secrets sud-africains – Olof Palme était très critique à l'égard de la politique d'apartheid du pays. L'enquête pourrait toutefois être rouverte si de nouveaux éléments apparaissaient à l'avenir.
Source AFP
ENTRETIEN. L'affaire a obsédé Stieg Larsson, journaliste et auteur de la série « Millénium ». Un homme, Jan Stocklassa, a eu accès à ses archives. Il nous raconte.
Le 28 février 1986, le chef du gouvernement suédois Olof Palme était abattu en pleine rue. Une affaire non classée qui a obsédé Stieg Larsson, journaliste et auteur de la série Millénium. Un homme, Jan Stocklassa, a eu accès à ses archives. Il en a fait un livre, qui rouvre l'affaire. Depuis Stockholm, il nous raconte sa découverte.
Le Point : Comment en êtes-vous arrivé à vous intéresser à un assassinat non élucidé et vieux de 30 ans ?
Jan Stocklassa : Le vrai départ remonte à il y a 10 ans, lorsque j'ai décidé d'écrire un livre sur des lieux où des meurtres avaient été commis. Dans ce contexte, je suis tombé par hasard sur la personne qui avait été le premier suspect de Larsson dans l'affaire de l'assassinat d'Olof Palme, le docteur Alf Enerström. C'est en creusant autour de lui que je suis arrivé au meurtre de Palme. Ainsi, la trajectoire de mon livre a été déviée vers cette affaire, que j'ai poursuivie durant huit années. J'ai continué à faire des recherches autour d'Alf Enerström et ses amis, quelques personnes qui incluent un certain Jacob Thedelin, dont il est question dans mon livre. Mais le moment-clé, évidemment, c'est lorsque j'ai découvert, il y a 5 ans, tous les documents appartenant à Stieg Larsson. Tous ses papiers, toutes ses recherches, dans 20 boîtes d'archives dans les réserves d'Expo, la revue fondée par Stieg Larsson.
Aviez-vous des connexions dans la revue Expo pour faciliter l'accès aux archives que personne ne connaissait ?
Absolument pas. J'ai vécu à l'étranger très longtemps, et toutes ces années passées loin de la Suède sont pour moi comme une grande page blanche, y compris les années Stieg Larsson. Bien sûr, je me souviens du meurtre de Palme parce que j'étais déjà en âge de voter et que c'était un politicien très actif. Mais j'ai quitté le pays un an après son assassinat, à une époque où, question information, il n'y avait pas Internet et où le téléphone fonctionnait très mal et coûtait une fortune ! Je suis revenu en Suède en 2004, vierge de tout. Ce qui est une bonne chose parce que je n'étais pas imprégné par tout le déroulé de l'affaire Palme. Et j'ai pu me faire ma propre opinion, avec en plus de la distance. Comme un survol en hélicoptère au-dessus du problème.
La revue Expo est-elle toujours active ?
Oui, même si la situation est toujours, sans doute comme au temps de Larsson, économiquement compliquée. Mais ils sont encore très forts pour une petite publication. La rédaction compte environ une dizaine de personnes, ce qui est pas mal pour un mensuel. Ils ont aussi un site web extrêmement dynamique.
Racontez-nous le jour où vous avez découvert les archives ?
Ça a d'abord été évidemment très long de parvenir à ces archives. Il a fallu que je persuade Expo de me laisser y accéder. Puis Daniel Poohl, le rédacteur en chef, a accepté. Nous y sommes allés dès le lendemain. Ce jour-là, il s'est mis à neiger très fort. Une neige poudreuse, très épaisse. C'était à l'autre bout de Stockholm, la conduite était particulièrement difficile. J'ai garé ma Volvo en attendant Poohl. Les archives se trouvent dans un bâtiment construit pour le stockage. Nous avons marché à travers des couloirs et des couloirs. Puis, au deuxième étage, il s'est arrêté devant une porte totalement anonyme, avec juste un numéro. Il a ouvert la porte et il y avait à l'intérieur infiniment plus de documents que ce que je pensais, et que ce dont lui se souvenait ! Je pense qu'il n'avait pas idée que ces archives représentaient 20 boîtes. Pour moi, c'était une surprise totale. Alors, pour trouver ce qui m'intéressait, j'ai dû venir à plusieurs reprises. Parce que, la première fois, je suis resté assis toute la journée à fouiller, mais nous nous sommes mis d'accord pour que je puisse les emporter à la maison. J'ai commencé par prendre une boîte alors qu'il aurait fallu que j'en emporte quatre ou cinq d'un coup ! Parce que je cherchais à l'intérieur des noms de choses ou de personnes bien précises. J'ai fini par scanner les documents, ce qui a grandement facilité mes recherches.
Votre livre, La Folle Enquête de Stieg Larsson, compile l'enquête de Larsson, puis la vôtre. Pourquoi avoir scindé les deux ?
Il y a eu un moment où j'ai commencé à faire mes propres recherches parmi ce que Stieg avait trouvé, quand j'ai décidé d'aller moi-même sur le terrain pour rencontrer Bertil Wedin, un collaborateur des services secrets sud-africains, que Stieg considérait comme un intermédiaire dans l'assassinat de Palme. C'est ce que pensait Stieg en 1986, 1987, et aussi après dix ou quinze ans de recherches. Voilà où j'ai repris l'enquête.
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L'ex-compagne de Stieg Larsson, Eva Gabrielsson, cautionne votre ouvrage. Comment l'avez-vous rencontrée ?
Je lui ai tout simplement téléphoné. La première fois, j'étais très impressionné parce qu'elle a traversé une période extrêmement dure, par rapport à l'héritage de Stieg et aux procès qui ont suivi. Mais elle-même n'est pas dure. Seulement, c'est une personne qui a posé des limites qu'elle ne laisse pas franchir aux journalistes ou aux personnes extérieures. Nous avons commencé à nous rencontrer, toujours dans le même café, et, encore aujourd'hui, je lui demande son accord avant d'agir moi-même. Je ne dépasse jamais cette limite.
Votre livre révèle l'identité du tueur supposé d'Olof Palme, sous le pseudo de Jacob Thedelin. Avez-vous de ses nouvelles ?
Il est de retour dans sa ville d'origine, en Suède. Lorsque le livre est sorti, il a quitté la Suède pour quelque temps, mais il est à présent de retour. Mes sources m'informent encore de ses déplacements. Je sais aussi qu'il est en colère, et qu'il a discuté de mon livre avec Bertil Wedin. Bertil lui-même était très effrayé immédiatement après la parution de l'ouvrage en Suède, mais je pense qu'à présent cela va mieux.
Êtes-vous allé voir la police pour leur exposer vos conclusions sur le meurtrier ?
La première fois que je les ai rencontrés, l'été dernier, ils ne m'ont pas pris au sérieux. Nous nous sommes revus ensuite à plusieurs reprises, à leur demande. Chaque fois, je pensais qu'ils m'écoutaient sans m'écouter, puis j'ai réalisé qu'en réalité ils étaient en train de considérer ma thèse avec le plus grand sérieux. Ils m'ont fait revenir de nouveau après la publication du livre, juste avant Noël, et de nouveau début 2019.
La police a notamment demandé la suppression de la photo de l'homme appelé Jacob Thedelin ?
Oui, cela m'a beaucoup surpris parce que c'est eux qui me l'ont donnée. Et, quand on fournit une photo à un journaliste ou à n'importe quelle personne publique, cela devient public ! Puis, pour une raison qui m'échappe, mon éditeur a demandé à la police l'autorisation de publier cette photo. Ils n'ont pas répondu durant des semaines. Mais, juste avant la publication, ils l'ont censurée. Il a donc fallu la retirer. Mon éditeur m'a dit que la police avait donné pour motif que publier cette photo n'était pas possible en vertu du fait qu'il s'agit d'une « enquête en cours », ce qui est très étonnant. Et cela signifie que, lorsqu'ils m'ont donné la photo, il n'y avait pas d'enquête en cours, mais qu'aujourd'hui il y en a une…
La police serait donc désormais sur la piste de Jacob. Pensez-vous qu'il le sache ?
Je pense que, pour le moment, il ne se doute de rien parce que la police n'a sans doute rien fait de perceptible pour lui.
Pensez-vous que la police puisse un jour résoudre cette affaire ?
Je le pensais, mais je suis moins optimiste qu'il y a quelques mois. Parce que j'ai réalisé le peu de ressources dont la police dispose. Ils ne sont que trois à travailler sur cette affaire, alors qu'ils devraient être dix. Parce que les archives, alignées, rempliraient 250 mètres d'étagères ! Alors, reprendre l'affaire représente un travail colossal. Je ne suis pas certain qu'ils en viennent à bout.
La Folle Enquête de Stieg Larsson, de Jan Stocklassa, traduit du suédois par Julien Lapeyre de Cabanes (Flammarion, 448 pages, 22 euros). À paraître le 6 février.
L'affaire Olof Palme, c'est 30 ans d'enquête, 10 225 personnes auditionnées, 130 aveux, 250 mètres d'étagères, 9 ans de lecture pour un juriste averti