Woody Allen

Publié le par ottolilienthal

Nous avons lu les Mémoires de Woody Allen

À la surprise générale, une maison d'édition américaine a publié les Mémoires du cinéaste qu'avait refusés Hachette. Allen en profite pour régler ses comptes.

Le secret a été bien gardé. Les éditions américaines Arcade Publishing ont annoncé hier à la surprise générale qu'elles publiaient les Mémoires de Woody Allen que Hachette avait renoncé à sortir à la suite de protestations multiples. Sous le même titre, À propos de rien. Il y a deux livres à la fois. La première partie est une version papier de l'ambiance heureuse et nostalgique de Radio Days ou de La Rose pourpre du Caire. Il y décrit son enfance à Brooklyn avec des anecdotes très drôles sur sa mère qui ressemblait physiquement à Groucho Marx, son père, un sympathique petit escroc aux poches percées, sa cousine Rita qui l'emmenait au ciné voir des films avec des « fins miraculeuses », sa passion pour le jazz et la clarinette… Il était déjà, tout petit, « un naufragé de la vie », un angoissé, un torturé. « Certains voient le verre à moitié vide, d'autres à moitié plein... Je vois le cercueil à moitié plein », écrit-il. Il raconte aussi longuement ses débuts comme auteur comique pour des shows télévisés, ses spectacles dans des clubs, ses fredaines avec de multiples beautés, dont Diane Keaton, son « étoile polaire ».

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Il évoque bien sûr ses films, un peu trop vite souvent, pour dire qu'il a aimé travailler avec Scarlett Johansson, « une star de cinéma née » et « sexuellement radioactive » ; Marion Cotillard, autre « grande actrice », la seule qui a pleuré sur le tournage « sans que je n'aie jamais pu comprendre pourquoi », alors qu'elle était « superbe » ; Carla Bruni à qui il ose demander, lors d'un dîner à l'Élysée, si elle voulait bien figurer dans son film – ce qu'elle fit après avoir consulté Nicolas Sarkozy. Et, évidemment, Mia Farrow avec laquelle il est resté plus de dix ans. Woody Allen évoque le bon temps et les multiples films qu'ils ont tournés ensemble, dont Hannah et ses sœurs, Broadway Danny Rose… Il la décrit comme une actrice « belle, brillante qui sait jouer, dessiner », « une femme de rêve ».

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C'est à partir de là que le deuxième livre commence. Plus sombre. Un réquisitoire. Rétrospectivement, écrit le cinéaste, il y avait plein de « signes avant-coureurs » qu'il n'a pas voulu voir. S'ensuit une liste d'accusations sordides : Mia Farrow était de manière malsaine trop proche de l'un de ses fils d'un précédent mariage ; elle a renvoyé plusieurs orphelins quelques semaines après les avoir adoptés ; les membres de sa famille – un de ses frères est en prison pour abus sexuels sur enfant ; elle aurait maltraité ses propres enfants, même si Allen ne l'a jamais vu faire – il s'appuie sur les déclarations de deux autres enfants –, et deux d'entre eux se sont suicidés.

Famille dysfonctionnelle

Lorsque Mia Farrow adopte la petite Dylan, Woody Allen, qui ne s'intéressait pas beaucoup aux enfants jusque-là (ils ne vivent pas dans le même appartement), se prend d'affection pour la fillette. Après des années de tentative, Mia Farrow tombe enceinte. Leur relation se refroidit. Woody Allen a une théorie : « J'avais accompli ma fonction de la mettre enceinte. J'étais devenu inutile. » Il écrit également que Mia Farrow a « suggéré » que leur fils Satchel (qui se fait appeler Ronan) serait en fait le fils de Frank Sinatra : « Je pense que c'est le mien, même si je ne saurai jamais. » Après la naissance de Ronan, Mia accapare le bébé, et leur relation se détériore.

Soon-Yi, l'une des filles adoptées par l'actrice avec son précédent mari, a des relations tendues avec sa mère. Woody Allen l'emmène voir des matchs de basket et, de fil en aiguille, au début des années 1990, ils deviennent amants, après la projection d'un film de Bergman et une discussion sur Kierkegaard. Elle a 22 ans – 30 ans de moins que lui – et fait des études à la fac. « Au tout début de notre relation, quand le désir sexuel règne de manière suprême, on ne pouvait pas s'empêcher de se caresser », raconte-t-il. Il fait des photos érotiques avec son nouveau Polaroid et en laisse quelques-unes par oubli sur le manteau de la cheminée. Mia Farrow, de passage dans l'appartement, les découvre. C'est évidemment un drame. « Bien sûr, je comprends son choc, son désarroi, sa rage… C'était une réaction normale », écrit Allen. Soon-Yi et lui finissent par se marier en 1997. C'est à elle qu'il dédicace le livre et consacre de nombreuses pages vers la fin sur la félicité de leur foyer qu'apparemment la jeune femme mène avec une efficacité « prussienne ». Grâce à lui, explique-t-il, elle a échappé à un foyer toxique où elle avait été négligée « lors des 22 premières années horrifiques de sa vie ». Quand on lui demande si, compte tenu du scandale et des répercussions, il regrette d'avoir épousé Soon-Yi, il répond toujours : « Je le referais sans l'ombre d'une hésitation. »

Je n'ai jamais touché Dylan. C'est une fabrication totale du début jusqu'à la fin.

Mais Mia Farrow, qu'il décrit comme « enragée » et « hystérique », ne lui a pas pardonné. Elle l'accuse d'abus sexuels sur Dylan, sa fille adoptive qui avait 7 ans à l'époque. Woody Allen, comme il l'a toujours fait, nie les accusations et estime qu'il s'agit d'une « quête comme celle du capitaine Achab » de Mia pour se venger. « Je n'ai jamais touché Dylan, écrit-il, c'est une fabrication totale du début jusqu'à la fin. » Il reconnaît que, lorsqu'il est venu dans la maison de Farrow dans le Connecticut en août 1992, il s'est assis par terre pour regarder la télé avec les autres enfants et les baby-sitters. Mia était partie faire des courses. « Il est possible que j'aie posé ma tête sur le sofa sur les genoux de Dylan », dit-il. Rien d'inapproprié, selon lui. C'était l'après-midi, et il était dans une pièce remplie de personnes qui regardaient la télé. Pour lui, c'est Mia Farrow qui a endoctriné Dylan en lui faisant dire qu'il l'avait emmenée dans le grenier et l'avait agressée. Il règle ses comptes avec le procureur et le juge, qu'il accuse d'avoir succombé aux charmes de l'actrice. Pour Allen, leur jugement serait totalement biaisé. Allen a fait l'objet de deux enquêtes qui n'ont trouvé aucune preuve d'abus. Et ajoute-t-il, il a été autorisé à adopter deux fillettes avec Soon-Yi.

Amertume

Allen reste amer. Il n'a jamais plus vu Dylan et est brouillé avec Ronan, à qui il en veut beaucoup. Le jeune homme a pris le parti de sa sœur et a fait pression, dit-il, sur les acteurs pour qu'ils boycottent ses films. Ronan deviendra célèbre par la suite pour avoir été l'un des premiers à écrire un article dénonçant Harvey Weinstein, le producteur de Hollywood. Et il a aussi violemment protesté contre la publication des Mémoires de son père par Hachette.

Le dernier film de Woody Allen, A Rainy Day in New York, n'est pas sorti aux États-Unis. « Je ne peux nier que ça entre dans mes fantasmes poétiques d'être un artiste dont le travail est invisible dans son propre pays, explique Allen. Henry Miller me vient à l'esprit. D. H. Lawrence. James Joyce. Je me vois debout au milieu d'eux avec un air de défi. C'est à ce moment-là que ma femme me réveille pour dire : “Tu ronfles !” »

Modifié le - Publié le | Le Point.fr
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