la chute de la maison Traoré

Publié le par ottolilienthal

Affaire Adama Traoré : l'« opportunisme total » du comité

EXTRAIT. Après six années à collecter les erreurs du comité Adama, la mère d'un des gendarmes incriminés dans la mort du jeune homme parle dans un livre.

Mort le 19 juillet 2016, à Beaumont-sur-Oise, à l'issue d'une interpellation par la gendarmerie, Adama Traoré est devenu au fil des années le symbole des violences policières. D'aucuns y voient un équivalent français de George Floyd, du nom de ce Noir américain tué par un policier blanc, Derek Chauvin, le 25 mai 2020 à Minneapolis. Dans le Val-d'Oise, en 2016, un gendarme, Romain Fontaine, commandait l'équipe d'interpellation du jeune homme. Sa mère, Virginie Gautier, n'a jamais eu accès au dossier de l'affaire et ne parle pas au nom de son fils. Mais, confrontée à la violence de l'exposition médiatique et mue par un sentiment d'injustice, elle a collecté durant six ans les incohérences du comité Vérité pour Adama, soutenu haut et fort par la sœur d'Adama, Assa Traoré.

Derrière l'affaire judiciaire, politique et médiatique, la contre-enquête de notre reporter Erwan Seznec, couplée au témoignage de la mère de Romain Fontaine, Virginie Gautier, paraît le 29 septembre chez Robert Laffont.

 

« Je me suis rendue malade, au sens propre, à ingurgiter toutes les monstruosités écrites sur mon fils. Je ne suis jamais intervenue sur la page Facebook du comité Vérité pour Adama. […] Les commentaires que je lisais appelaient à trouver les gendarmes, à les saigner, à leur faire la peau. Cette page est un exutoire, les gens viennent y dire n'importe quoi sous pseudo, y compris des choses abjectes, mais c'est le cas partout sur Facebook. J'en veux plutôt aux leaders, ceux qui sont derrière. Ils se sont emparés de la mort d'un homme avec un opportunisme total

EXTRAIT

« Et, si moi je dis que le discours d'Assa Traoré est dicté par des militants qui cherchent le buzz pour occuper le terrain et faire avancer leur propre lutte, qui n'a qu'un lointain rapport avec Adama Traoré, est-ce de la diffamation ? Ou bien est-ce qu'en toute bonne foi j'énonce une vérité qui fera avancer le débat ? Et, si moi je dis que les people qui ont pris le parti d'Assa Traoré sont des rigolos, qui parlent sans réfléchir, sans connaître le dossier, et réagissent en bobos de gauche bien-pensants, est-ce de la diffamation ? Ou bien est-ce que, en toute bonne foi, je dis une vérité qu'ils vont avoir du mal à accepter ? Et, si moi je dis que les médias ont pris position pour Assa Traoré et ont fabriqué de toutes pièces ce qu'ils appellent une icône, est-ce de la diffamation ? Ou bien est-ce que, en toute bonne foi, j'exprime un fait réel ? »

Mon fils n'est pas un assassin, de Virginie Gautier, avec Erwan Seznec (Robert Laffont, 252 p., 19 euros). Parution le 29 septembre.

Dissensions autour du comité « Vérité pour Adama »

L’association contre les violences policières créée par Assa Traoré, en 2016, à la suite du décès de son frère, est de plus en plus critiquée. Jusque dans son propre camp.

l'attaque est d'autant plus sévère qu'elle vient d'alliés présumés. Le 2 septembre, le site desarmons.net, qui se donne comme objectif officiel l'abolition pure et simple des forces de l'ordre, a mis en ligne un texte au vitriol, dénonçant ce qu'il considère comme des dérives du comité Adama : starification excessive d'Assa Traoré, opportunisme médiatique, intimidations, violences verbales, paranoïa, la charge est lourde.

Les auteurs précisent qu'ils ont reporté pendant deux ans le moment de manifester leurs désaccords, pour ne « pas donner du grain à moudre à la droite et l'extrême droite ». Le collectif étant anonyme et ne donnant aucune information sur sa représentativité, son mouvement d'humeur pourrait être considéré comme négligeable, s'il ne venait pas confirmer un malaise grandissant autour du comité Adama.

Adama, une marque déposée

Ce dernier a été créé en 2016, à la suite de la mort d'Adama Traoré lors d'une interpellation par les gendarmes, à Beaumont-sur-Oise, le 19 juillet. Très vite, le comité s'est imposé médiatiquement parmi tous ceux qui dénoncent les « bavures » et les violences des forces de l'ordre. Son succès doit beaucoup à la figure charismatique d'Assa Traoré, demi-sœur du défunt. Coachée par des militants d'extrême gauche expérimentés (Youcef Brakni, Samir Elyes), adoubée par des intellectuels médiatiques comme Geoffroy de Lagasnerie (qui a cosigné un livre avec elle, Le Combat Adama, Stock, 2019), Assa Traoré a capté la lumière. Jusqu'à figurer à la une de l'édition européenne du magazine américain Time, en décembre 2020, comme « gardien de l'année » (« gardien » désignant une vigie des droits civiques).

Parallèlement, au fil des années, son comité s'est professionnalisé. La marque « Adama » a été déposée à l'Institut national de la propriété industrielle (Inpi) le 30 septembre 2016, comme propriété collective de dix membres de la famille Traoré, déclinable en photographies, cartes, objet d'art, serviette de toilettes en papier, etc. En mars 2021, Assa Traoré a créé une société, Doumbé Productions, enregistrée au tribunal de commerce de Pontoise (Val-d'Oise), dans le but probable de réaliser un biopic sur son frère, voire sur elle.

 

Le comité ne goûte guère la concurrence médiatique. En privé, des militants déplorent souvent sa tendance à organiser une hiérarchie de fait entre les victimes présumées de violences policières. « Le Comité Adama fait cavalier seul et mène sa révolution sur les réseaux sociaux, invisibilisant le combat d'autres familles ou en s'en attribuant les mérites », déplore desarmons.net.

Onze expertises, aucune mise en examen

Autre grief formulé par desarmons.net, et qui revient souvent : l'agenda politique du comité Adama deviendrait un peu trop voyant. Après avoir beaucoup fréquenté La France insoumise, en particulier par l'intermédiaire de Taha Bouhafs, ses militants se sont rapprochés des écologistes, allant jusqu'à organiser en juillet 2020 une surprenante marche commune contre les violences policières et pour le climat, avec l'association Alternatiba. L'initiative avait suscité des commentaires très réservés sur les réseaux sociaux.

Il y a enfin un problème fondamental que desarmons.net esquive, sans doute délibérément. Adama Traoré est supposé incarner toutes les victimes des violences policières alors que son dossier, sur le plan judiciaire, est fragile. Après six ans d'instruction, aucune mise en examen n'a été prononcée. Dix expertises et contre-expertises médico-légales n'ont dégagé aucun élément établissant une faute quelconque d'un gendarme. Les magistrats instructeurs successifs ne négligeant aucune piste, une onzième expertise est en cours depuis juillet 2021, mais il parait peu probable qu'elle rebatte entièrement les cartes. Les experts à l'œuvre vont relire les conclusions de leurs prédécesseurs, sans pouvoir examiner le corps, inhumé après la deuxième expertise.

« Amal Bentounsi a créé le collectif Urgence – Notre police assassine lorsque son frère a été tué en 2012 par un policier d'une balle dans le dos », rappelle un bon connaisseur des violences policières. « Le fautif a été mis en examen, jugé. Il a pris cinq ans avec sursis en appel. Concernant Adama Traoré, l'enquête ne donne rien, mais Assa insiste pour que le nom de son frère à elle apparaisse en plus grand que celui des autres sur les tee-shirts ou les affiches des opérations communes à tous les comités et associations ! Amal Bentounsi ne lui parle plus, ses soutiens dans la sphère militante se raréfient. » La page Facebook d'Urgence-Notre police assassine est illustrée par une galerie de portraits d'hommes décédés lors d'opération de police. Adama Traoré n'y figure pas.

 
 

Contactées, ni Amal Bentounsi ni Assa Traoré n'ont souhaité s'exprimer

 

Par Erwan Seznec

https://www.lepoint.fr/societe/dissensions-autour-du-comite-verite-pour-adama-07-09-2022-2488930_23.php?M_BT=6286141392673#xtor=EPR-6-[Newsletter-Matinale]-20220907-[Article_8]

".....L’affaire Traoré qui date de 2016, se combine aujourd’hui avec l’émotion mondiale liée à la mort de Georges Floyd, victime de violences policières aux États-Unis. Le racisme est présenté comme le moteur et la raison de ces deux disparitions, qualification qu’il faut regarder de plus près. Le 19 juillet 2016, Adama Traoré, décède à la gendarmerie de Persan à la suite d’une arrestation extrêmement mouvementée. Celle-ci avait pour origine non pas un contrôle d’identité, mais la volonté d’interpeller le frère d’Adama, Bagui au casier judiciaire garni, poursuivi cette fois-ci pour extorsion de fonds avec violence sur personnes vulnérables (il sera pour cela condamné à une peine de 30 mois de prison ferme). À la suite de ce décès, une information judiciaire contradictoire est ouverte. L’affaire suscite une grande émotion, un certain nombre d’organisations s’en emparent et mettant en avant la sœur jumelle d’Adama Traoré énergique et talentueuse, qui devient porteuse d’un combat contre les violences policières dans les « quartiers ». Il n’est pas question ici de détailler toutes les péripéties procédurales de ce dossier, mais de rappeler simplement deux évidences : tout d’abord la fratrie de la famille Traoré est selon l’expression très défavorablement connue des services judiciaires et de la gendarmerie. Ensuite, Adama Traoré et son frère n’ont pas été interpellés parce qu’ils étaient noirs, mais parce que délinquants d’habitude ils étaient poursuivis par la justice. Cela n’excuserait en rien les violences policières s’il est établi qu’elles ont été à l’origine directe du décès. Mais il appartiendra à la justice c’est-à-dire au juge d’instruction, aux experts désignés, au tribunal éventuellement saisi d’en décider. Enfin, normalement dans la république française c’est comme cela que cela devrait se passer.

Sauf qu’entrée en résonance avec l’affaire Floyd aux États-Unis, récupérée par différents courants politiques, l’affaire porte aujourd’hui un enjeu fort, qui est celui des interventions policières dans les banlieues défavorisées et du racisme qu’on leur reproche. Et comme souvent, la mobilisation politique ou communautaire relaie un récit qui vise à faire pression sur la justice pour que celle-ci reconnaisse la responsabilité des gendarmes dans la mort d’Adama Traoré et justifie ainsi l’accusation de racisme adressé aux forces de l’ordre. « Des gendarmes racistes ont tué Adama Traoré parce qu’il était noir, les magistrats qui instruisent, les experts qui se prononcent ne sont que des serviteurs du pouvoir et de la raison d’un État raciste ».

Ce récit, qu’on le veuille ou non, est celui qui sert de support à la stupéfiante intervention du chef de l’État en personne oubliant une fois encore ses obligations. Probablement désireux d’une diversion face à ses difficultés politiques, il intervient dans un processus judiciaire jusqu’à présent régulier en demandant à sa Garde des Sceaux de commettre une illégalité grossière en « se penchant » sur la procédure. Ce que petit télégraphiste, elle fait en déployant un zèle absurde par cette audience piteusement sollicitée de la famille Traoré. Violation de la séparation des pouvoirs, partialité en faveur des plaignants, validation de leur discours, insultes faites aux gendarmes (meurtriers et racistes) et aux magistrats et aux experts (soumis à la raison d’État). Difficile de faire pire...

(extraits)

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Article intéréssant.
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