le Cercle des Légendes..

Publié le par ottolilienthal

Il y a 30 ans était assassiné Mohamed Boudiaf, président algérien

L’assassinat du président algérien est un profond traumatisme dans la mémoire collective

Il y a trente ans jour pour jour, le lundi 29 juin 1992, était assassiné le président algérien Mohamed Boudiaf, à Annaba (Est), en plein discours devant les caméras de la télévision.

Un de ses gardes du corps, le sous-lieutenant Lambarek Boumaarafi, dit Abdelhak, du Groupe d'intervention spécial (GIS, troupe d'élite des services secrets), a été désigné par la justice comme étant son assassin. La thèse de « l'acte isolé », défendue par la justice lors du procès de 1995, avait été pourtant mise en doute par la commission d'enquête spéciale qui, dans son premier rapport de juillet 1992, évoquait des « commanditaires », mais sans les identifier.

Mohamed Boudiaf, un des « Six », le groupe fondateur du FLN-ALN en 1954, chef historique de la révolution algérienne, avait pris les rênes du pouvoir en Algérie en janvier 1992, à la suite de l'interruption par l'armée du processus électoral. Le premier tour des toutes premières législatives pluralistes d'Algérie, de décembre 1992, donnait une large majorité aux islamistes du Front islamique du Salut (FIS). Le second tour, prévu le 16 janvier 1992, allait confirmer la prise du pouvoir législatif (et du coup exécutif) par les islamistes : cette perspective était inacceptable du point de vue des militaires et d'une partie de la société civile qui craignaient l'édification d'un État théocratique en Algérie.

Retour d'exil

Invitant (ou poussant) le président de l'époque, Chadli Bendjedid, à la démission et dissolvant le Parlement pour provoquer un bug institutionnel, les militaires planchèrent sur la mise en place d'une période de transition (deux ans) pour relancer la machine institutionnelle tout en neutralisant la menace FIS. Les militants et les cadres de ce parti ont été massivement arrêtés et envoyés dans des camps d'internement dans le sud algérien, alors que des attentats commençaient à endeuiller le pays et que des maquis islamistes se formaient dans quasiment toute la partie nord du pays.

C'est dans ce contexte que les autorités ont fait appel à Mohamed Boudiaf, qui vivait en exil au Maroc depuis 1964, s'étant opposé à tous les régimes algériens successifs, de Ben Bella à Chadli en passant par Boumédiène. Dès septembre 1962, il avait créé le premier parti d'opposition de l'Algérie post-indépendance, le Parti de la révolution socialiste (PRS). Les militaires cherchent, en ce début 1992, une figure rassurante, un symbole, un homme qui n'a jamais été mêlé au système politique : le choix se fait autour de Boudiaf qui, du Maroc, hésite, avant d'accepter la présidence du Haut Comité de l'État (HCE), instance présidentielle devant mener la transition et faire face au début de ce qui préfigure une massive insurrection islamiste. Le 16 janvier 1992, Mohamed Boudiaf, 72 ans, arrive à Alger et prend ses fonctions. Il assumera la répression contre le FIS mais tentera aussi de lancer ses propres projets : la lutte contre la corruption et l'édification d'un nouveau mouvement politique ouvert sur les jeunes et la société civile, le Rassemblement patriotique national. Il ne cachait pas non plus son intention de se présenter à la prochaine présidentielle, prévue dès la fin de la période de transition…

 

Crime en direct

Ces 166 jours d'exercice du pouvoir, dans un climat lourd où les attentats islamistes disputent la une des médias aux scandales de corruption, s'achèveront brutalement par une double rafale du Beretta M12 déchiquetant son dos et l'arrière de son crâne alors que Boudiaf prononçait un discours à la Maison de la culture d'Annaba. Au JT du 20 heures du même jour, les Algériens découvrent, sidérés, les images de l'attentat, l'explosion de la grenade sous ses pieds, les rafales, le public paniqué qui plonge à terre pour éviter les tirs croisés de la garde présidentielle complètement désarçonnée, les visages blêmes des blessés, incrédules devant la catastrophe et le crime.

Ses funérailles à Alger resteront dans la mémoire collective comme un grand moment de tristesse, mais aussi de colère : la foule massive qui accompagna la dépouille du président, un des déclencheurs de la guerre de libération, qui parlait dans ses discours un langage direct rompant avec le logiciel des apparatchiks FLN, cette foule-là laissait exploser sa hargne contre le système, lui imputant la responsabilité de l'assassinat.

« L'acte isolé »

La thèse officielle défendait la version d'un assassin, élément des forces spéciales, qui se serait radicalisé et qui souhaitait assassiner un symbole du pouvoir qui a « volé » la victoire au FIS. C'est ce sous-lieutenant, Boumaarafi, qui a été condamné à mort par la cour criminelle d'Alger en juin 1995, alors que la partie civile refusait d'assister au procès à cause, notamment, du refus de la cour de verser au dossier le rapport de la commission d'enquête.

On peut lire dans le rapport final, datant de décembre 1992, de la commission d'enquête, présidée par Ahmed Bouchaïb : « La commission s'est posé la question de savoir s'il y avait une relation entre les négligences constatées [commises par la garde présidentielle] et l'attentat, autrement dit, y a-t-il complicité entre les responsables de ces négligences et l'auteur matériel du crime ? »

Un complot ?

Se dédouanant vis-à-vis de l'opinion publique, la commission d'enquête reconnaît que ses investigations n'ont pu « aller au-delà de l'auteur matériel » de l'assassinat, tout en accusant, vaguement, une « féodalité politico-financière ». « L'assassin n'a pas agi seul aussi bien durant la préparation de l'assassinat qu'au moment de l'acte », déclarait à El Watan, le 10 décembre 1992, le président de la commission Ahmed Bouchaïb, décédé en 2006.

En juin 1998, Fatiha Boudiaf, veuve du président assassiné, avait affirmé dans une interview à El País qu'elle était « certaine » que les islamistes sont étrangers à ce crime et mettait en cause « la mafia politico-financière » et « la bureaucratie corrompue qui s'enrichit aux dépens du peuple ».

Mais depuis le procès de 1995, le dossier est clos et l'assassin désigné, Lambarek Boumaarafi, est toujours en prison (l'Algérie a proclamé un moratoire sur les peines capitales depuis 1993). Seulement un dernier carré de fidèles et de proches assistent à la modeste cérémonie de recueillement sur la tombe de Mohamed Boudiaf chaque 29 juin…

"J'ai été dégoûtée" : comment Marthe Gautier, la découvreuse de la trisomie 21, a été effacée de l'Histoire

Son nom et son visage sont inconnus du plus grand nombre, mais c'est elle qui a découvert la cause de la trisomie 21. Marthe Gautier serait l'une de ces femmes victimes de "l'effet Matilda", dont la contribution à la science a été minimisée. "Complément d'enquête" raconte le 10 juin l'histoire d'une découverte... et d'une dépossession.

Elle a découvert le chromosome supplémentaire responsable de la trisomie 21, mais ce n'est que soixante ans plus tard que Marthe Gautier sera récompensée : elle a reçu la médaille de Commandeure de l'ordre national du Mérite. Elle avait alors 93 ans. Effacée de l'Histoire au profit d'un confrère qui s'est approprié la gloire de sa découverte, Marthe Gautier est l'une de ces femmes dont la contribution à la science a été minimisée. C'est "l'effet Matilda", théorisé au début des années 1990 par l'historienne des sciences Margaret Rossiter, en hommage à Matilda Gage, militante féministe qui, dès la fin du XIXe siècle, avait noté qu'une minorité d'hommes avaient tendance à s'accaparer des théories élaborées par des femmes.

Avec le témoignage de la nonagénaire et les explications de Corinne Royer, auteure d'un roman sur ce destin contrarié (Ce qui nous revient, éd. Actes Sud), "Complément d'enquête" raconte l'incroyable histoire de cette découverte.  

"Grand bricolage" avec le plasma d'un coq... issu de la ferme parentale

En 1958, Marthe Gautier est une brillante chercheuse à l'hôpital Trousseau, à Paris. Elle travaille sous l'autorité du Pr Turpin, un généticien. Celui-ci a depuis toujours l'intuition que ce que l'on appelle alors le "mongolisme" est d'origine chromosomique. Mais pour le démontrer, il faudrait faire des cultures cellulaires... ce dont personne en France n'est capable, explique-t-il à son équipe. C'est alors que, selon ses dires, la jeune Marthe lève le doigt : "Mais si, monsieur le professeur, dit-elle, moi, je sais faire des cultures cellulaires."

La chercheuse de 34 ans va alors se lancer dans ce qu'elle appelle un "grand bricolage". Elle applique des techniques apprises à Harvard, aux Etats-Unis, qu'elle est la seule à maîtriser en France. Il lui faut du plasma de coq pour ses expérimentations ? Elle rapporte à Trousseau une volaille de la ferme de ses parents, agriculteurs à Ocquerre (Seine-et-Marne). Et un soir, alors qu'elle observe les chromosomes d'un enfant trisomique... "Au lieu d'en trouver 46, j'en trouve 47. Alors je m'inquiète... Et je recommence le lendemain, et c'est toujours 47… Et voilà comment une découverte se fait !" raconte la chercheuse, dont l'œil pétille à ce souvenir.

Dépossédée, mise à l'écart de sa propre découverte

A l'époque, Marthe Gautier n'a pas de microscope pour faire des photos. Un élève du Pr Turpin, Jérôme Lejeune, lui propose de les faire pour elle. La chercheuse lui confie ses lames d'observation. Elle ne les reverra jamais. Il présentera seul la découverte au Canada, lors d'un congrès. Dans l'article qui l'annonce quelques mois plus tard, le nom de Marthe Gautier est bien cité, mais en deuxième position et mal orthographié.

Jérôme Lejeune bénéficie seul des honneurs et des promotions. Il sera même décoré du prestigieux prix Kennedy en 1962. La scientifique est mise à l'écart de sa propre découverte. Le Pr Turpin lui-même ne l'a jamais vraiment remerciée, dit-elle. "J'ai été plutôt dégoûtée, confie-t-elle. Dé-goû-tée." Sans chercher à rétablir la vérité, Marthe Gautier a par la suite quitté le service du Pr Turpin pour se consacrer avec succès à la cardiopédiatrie. 

Extrait de "Les effacées de l'Histoire", un reportage à voir dans "Complément d'enquête" le 10 juin 2021.

France Télévisions

https://www.francetvinfo.fr/societe/droits-des-femmes/video-j-ai-ete-degoutee-comment-marthe-gautier-la-decouvreuse-de-la-trisomie-21-a-ete-effacee-de-l-histoire_4658037.html#xtor=EPR-2-[newsletterquotidienne]-20210612-[lesimages/image2]

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