Dr Frédéric Saldmann ou la quête de l'éternelle médiatisation

Publié le 3 juillet 2022 par ottolilienthal

« Gourou » des VIP et coach de M. et M^me Tout le Monde, le médecin assure détenir les secrets de jouvence.

Il faut lutter contre le stress parce que ça provoque des tas de problèmes digestifs, en particulier des gaz, des ballonnements… Il suffit de se mettre sur la pointe des pieds en levant les bras en hauteur [Cyril Hanouna s'exécute], inspirer plusieurs fois de suite et ça débloque, ça évacue les gaz. » « Justement, j'ai envie de péter, là ! » lâche le présentateur devant un auditoire hilare.

Sur le plateau de Touche pas à mon poste !, ce lundi 7 mars, le D^r Frédéric Saldmann, reçu pour la troisième fois en un mois, est invité à aider les téléspectateurs à « gérer le stress et l'angoisse en période de guerre ». Mais de l'Ukraine, il ne sera guère question ; le médecin star des plateaux télé délivrera ses conseils pour retrouver un ventre plat, augmenter sa libido et maigrir sans stress. Tout y passe, sans tabou : les fesses molles, le pet odorant, les problèmes d'érection, les muscles du périnée, « l'orgasme sec »…

Sourire ultra-bright, yeux bleu glacier à la Francis Huster, chemise blanche façon BHL – un ami –, Frédéric Saldmann, cardiologue et nutritionniste à la ville, ne se départit pas de son sérieux et délivre, pêle-mêle, son ordonnance miracle : prendre une douche froide, pratiquer le french kiss, le tantrisme, le jeûne séquentiel, parler de soi à la troisième personne « comme Alain Delon », respirer son propre gaz carbonique… Mais « Le Professeur » – comme l'appelle Hanouna, qui a trouvé en lui un bon client – ne dévoile pas tous ses trucs pour rester zen et jeune. « Le mode d'emploi est dans le livre ! » conclut-il dans un grand sourire.

« D^r Knock » ou « M. Jouvence » ?

Frédéric Saldmann, 68 ans, qui publie son seizième livre, La Santé devant soi (sous-titré « Le secret millénaire qui va changer votre vie » (Robert Laffont)), est-il le guérisseur des temps modernes ou un cousin éloigné du « D^r Knock », comme le suggérait un article du Canard enchaîné ? En tout cas, pour des millions de fans (Prenez votre santé en main !* dépasse les 3 millions de lecteurs) et dans une quarantaine de pays, le docteur Saldmann – qui n'est donc pas professeur – est le médecin qui vous veut du bien, le « D^r Détox », le « M. Jouvence » qui vous apprend à vous soigner seul, sans médicament ni chirurgie. Il est devenu le « gourou » des VIP (Claude Lelouch, Charlotte Rampling, Alexandre Jardin, Jacques-Antoine Granjon, Joël Robuchon et Yann Moix ne jurent que par lui) et, pour tous ceux qui ne parviendront jamais à obtenir un rendez-vous (le prochain créneau est dans… deux ans), le coach de M. et M^me Tout le Monde.

« C'est le médecin à portée de main, résume Thierry Billard, son éditeur qui l'a connu chez Flammarion [le Doc a la particularité de changer fréquemment de maison d'édition] à l'époque où son manuscrit sur l'hygiène ne trouvait pas preneur. On s'en lave les mains ! a finalement été un best-seller, y compris aux États-Unis (« Wash Your Hands ! »).

Les raisons du succès ? « Son approche grand public, son côté direct ; il sait bousculer les pudeurs, dédramatiser les petits tracas du quotidien, avance le directeur éditorial qui l'a retrouvé chez Robert Laffont. Pour lui, un livre, c'est une consultation intime avec le lecteur. Il raconte des choses que les autres médecins n'osent pas dire. »

C'est lui qui avait popularisé une étude sur la présence d'urine dans les ramequins de cacahuètes des cafés**, lui encore qui, bien avant la pandémie, bannissait la poignée de main (Les nouvelles épidémies, comment s'en protéger ? écrit avec le P^r François Bricaire, Flammarion, 2009). Le D^r Saldmann est le roi des recettes de grand-mère pour booster l'immunité. Des astuces qu'il dit tirer d'études scientifiques qu'il compulse chaque matin sur PubliMed, et de ses recherches sur le rat-taupe nu, un petit rongeur qui ressemble à « un vieux pénis frappé » (sic), connu pour sa longévité exceptionnelle et sa résistance aux cancers.

Toute mort avant 120 ans est pour lui « une mort prématurée »

Effet du Covid : la prévention et l'hygiène ne sont plus ni ringards ni tabous, et les conseils du D^r Saldmann trouvent un nouvel écho. « Chacun s'aperçoit qu'il faut s'occuper de sa santé, se félicite ce spécialiste du check-up qui consulte à l'hôpital européen Georges-Pompidou (Paris 15), au tarif sécu. On assiste à une prise de conscience exceptionnelle ! » Les ouvrages de ce Havrais d'origine, petit-fils de fripiers polonais, touchent toutes les classes sociales : ils sont en tête de gondole dans les Relay de gares, les hypers et supermarchés, on les trouve dans les maisons de la presse des petits bourgs et ils cartonnent sur Amazon. Son public, essentiellement féminin à l'origine, devient davantage mixte et a considérablement rajeuni. D'où sa présence chez Hanouna ou sur Konbini, où sa vidéo a été vue « 1,4 million de fois », annonce-t-il fièrement.

« Les études ont montré que quand on a douze rapports sexuels par mois, ça augmente de dix ans l'espérance de vie en bonne santé », entonne le boomer devant la caméra de ce média en ligne prisé des millennials. Avant d'enchaîner sur une autre formule qu'il affectionne, adaptée à son public : « À partir de 19 ans, on commence à vieillir et on perd 2 % de muscles par an. » Pourtant, dans sa première conférence TED, il affirmait que c'était « après 30 ans » que l'on perdait « 1 à 2 % de muscles par an »… Et à partir de 40 ans ? Là, « c'est un vrai champ de tir ! » assène-t-il.

Alors, comment lutter contre notre « obsolescence programmée » ? En devenant l'« autoentrepreneur de sa santé », répond le praticien, qui compte dans sa patientèle « une petite cohorte de centenaires ». Toute mort avant 120 ans est pour lui « une mort prématurée ». Il fait donc le maximum pour y arriver.

Sa cure de jouvence : vélo elliptique, douche froide et jeûne

La jeunesse éternelle est devenue l'obsession de ce sexagénaire, père de six enfants de trois mères différentes et grand-père deux fois, qui n'hésite pas à mentir sur son âge. Mais pourquoi donc cette course effrénée contre le temps ? Assis sur une banquette du café de Flore – son QG –, devant un café allongé, il répond ce qui est, pour lui, une évidence : « Le vieillissement n'a pas d'intérêt ! » Il s'intéresse à la cryogénisation qu'il envisagerait après sa mort. « Cette technique permettrait d'augmenter le nombre de transplantations (rein, cœur…) par une meilleure conservation des organes », précise-t-il avec le plus grand sérieux.

Se basant sur les travaux d'un Prix Nobel de médecine de 2009, Saldmann s'attèle également à rallonger ses télomères (les extrémités des chromosomes). Leur taille est un indice de longévité. Ses télomères à lui – qu'il a mesurés – sont bien sûr longs et « formidables ». « J'applique tout ce que j'écris dans mes livres et ça marche ! » commente-t-il par SMS.

Son premier cobaye, c'est lui. Cet « ancien gros » (sic) qui n'aimait pas l'école nous montre une photo sur son smartphone : « Il y a 25 ans, avec 25 kilos de plus ! » L'homme est méconnaissable. Il avait des problèmes de tension, du cholestérol… Depuis, tous les matins, dès 7 h 30, celui qui n'aimait pas le sport enfant est juché sur son vélo elliptique – « mon deuxième bureau » –, ensuite direction la douche… froide (« un shoot d'endorphines » qui lui fait voir « la vie en rose toute la journée », jure-t-il), pas de petit-déjeuner, mais du thé vert et du café (pas plus de 4 par jour) jusqu'à 13 heures. Avec ses trois jeûnes, séquentiel – il ne mange pas pendant 16 heures –, spirituel – il pratique la méditation 15 minutes par jour –, et sexuel – il confie être adepte du tantrisme –, le D^r Saldmann assure détenir les clefs de la longévité.

Pour compléter cette « cure de jouvence », ajoutez à cela une intense activité cérébrale (« se mettre en danger, voyager, apprendre des langues étrangères, découvrir de nouvelles cuisines… », prescrit-il) et, bien sûr, une alimentation saine. Hygiéniste mais pas ascète, celui qui organise régulièrement des dîners mondains dans son duplex parisien et apprécie les grands restaurants s'autorise quelques « écarts de route ». Des écarts qui doivent se chiffrer puisque cet auteur de best-sellers avoue être « à découvert depuis 30 ans » !

Le cardiologue a commencé à s'intéresser à la nutrition dans les années 1990, en se rendant compte des dégâts que l'alimentation pouvait causer sur le cœur. En Californie, il a étudié et enseigné cette matière, « formidable outil de prévention cardiovasculaire », trop souvent caricaturée à son goût. C'est là-bas qu'il apprendra à faire rire son public pour le capter et à écrire des livres à l'anglo-saxonne. « Un livre de santé médicale en France, ça doit être chiant ! » Lui pense que l'on peut être sérieux et drôle à la fois, expliquer des choses compliquées avec des mots simples.

« Affirmations fantaisistes »

Mais pour certains lecteurs exigeants, son interprétation des études, leur manque, parfois, de fiabilité statistique (il vante par exemple les bienfaits des pistaches sur les troubles de l'érection d'après une étude menée sur 17 hommes en Turquie, troisième pays producteur de pistaches…), l'absence de notes de bas de page dans ses livres et une bibliographie peu scientifique sont un problème. « L'extracteur », un collectif de citoyens engagés contre la désinformation pseudoscientifique, qui a enquêté sur le phénomène Saldmann, dénonce des « affirmations fantaisistes » : « Les sources qui apparaissent sont déformées et modifiées pour leur faire dire ce qu'elles ne disent pas… Le but de Saldmann n'est pas la vulgarisation, il ne parle que très peu de médecine ou de nutrition. Il picore et prétend citer des études pour donner un vernis scientifique à des livres de développement personnel mystiques et ésotériques. » « J'énerve beaucoup de gens ! reconnaît-il. Parce que je ne passe pas par la case médicament. » Pour lui, l'essentiel, ce sont ses millions de lecteurs. « Aux quatre coins du monde, les gens me suivent ! »

L'âge aidant peut-être à quelque chose, il s'interroge sur sa foi et se penche sur les traditions et les textes sacrés, jusqu'à faire dans son dernier livre, La Santé devant soi, une étrange apologie de la prière, du bénédicité, du pèlerinage ou encore du carême. Dans « l'ordonnance du Bon Dieu », on trouverait, dit-il, « la clé de l'hygiène de vie ». « Les croyants vivent en moyenne sept ans de plus en bonne santé que les autres », avance-t-il, sans citer précisément l'étude concernée. Est-il lui-même croyant ? « Je ressens une très forte spiritualité », confesse celui qui s'est marié avec sa troisième femme dans toutes les religions du monde.

Au bout de seize livres, ne risque-t-il pas de se lasser et de lasser son public ? Non, il assure faire des découvertes tous les jours grâce au rat-taupe nu et aux publications qu'il dévore par centaines. Point de routine donc pour celui qui ne part jamais en vacances au même endroit (ce serait un des secrets de la longévité) et jamais trop longtemps. « En trois semaines de vacances, on perd 20 points de QI, martèle-t-il. Je ne vous dis pas l'état d'un cerveau de retraité… » Le cardiologue établit même un lien entre retraites précoces et maladie d'Alzheimer. Autant dire que cet hyperactif n'est pas pressé de raccrocher : « Pour moi, arrêter de travailler, c'est mourir ! Mon rêve, c'est de ne jamais m'arrêter… » Pas avant 120 ans, en tout cas.

Les 10 phrases cultes du D^r Saldmann
« 12 rapports sexuels par mois augmentent de 10 ans l'espérance de vie en bonne santé »
« Les femmes préfèrent faire l'amour en chaussettes »
« Les croyants vivent en moyenne sept ans de plus en bonne santé que les autres »
« Toute mort avant 120 ans est une mort prématurée »
« Toutes les victimes du coronavirus ont en commun un mauvais système immunitaire »
« Après 30 ans, on perd 1 à 2 % de muscle par an »
« 30 % de calories en moins, c'est 20 % de vie en »
« En 3 semaines de vacances, on perd 20 points de QI »
« Un enfant de 7 ans a consommé aujourd'hui autant de sucre que son grand-père dans toute sa vie »
« Manger 3 centimètres de croûte brûlée sur une pizza, c'est comme fumer 200 cigarettes »

* Albin Michel, 2015.

**« Les nouveaux risques alimentaires », Ramsay, 1997.

Émilie Trevert