énergie : le scénario TerraWater

Publié le par ottolilienthal

TerraWater, un scénario « réaliste » pour le mix électrique en 2050

Alors que le débat s’anime sur la place du nucléaire dans la production de demain, un nouveau scénario associe nucléaire, renouvelables et stockage hydraulique.

« J'ai fait un rêve… » C'est le point commun qui caractérise, aujourd'hui, l'ensemble des scénarios sur le mix énergétique du futur versés au débat public, qu'ils émanent du réseau de transport d'électricité RTE, de l'Ademe ou de Negawatt : tous reposent sur des hypothèses extrêmement ambitieuses, que ce soit en termes de technologies (celles qui seront nécessaires n'existent pas encore), de comportements (la société devra changer radicalement pour consommer moins), ou même de ressources (la disponibilité des matériaux qui seront indispensables n'est pas garantie.) Alors que les discussions s'ouvriront bientôt sur la prochaine Programmation pluriannuelle de l'énergie (l'actuelle, qui prévoit la fermeture rapide d'une quinzaine de réacteurs nucléaires, étant devenue obsolète), la Commission nationale du débat public s'est autosaisie du sujet, avec un parti pris méthodologique qui laisse les experts songeurs…

Ce 8 novembre, l'instance présidée par Chantal Jouanno a décidé de ne soumettre au public, qui débattra de la question : « Avons-nous besoin d'un nouveau programme de réacteurs nucléaires ? », que trois scénarios : ceux de l'Ademe et de Negawatt, résolument antinucléaires, et le fruit du travail très sérieux conduit par le gestionnaire de réseaux RTE, dont s'est inspiré Emmanuel Macron pour bâtir son projet – mais qui limite la part du nucléaire dans le mix à 50 % au maximum, comme l'a loi l'exige. Pourtant, d'autres scénarios sont possibles, et celui présenté cette semaine par l'association Les Voix du nucléaire promet de faire parler de lui.

Technologies éprouvées et hypothèses réalistes

« Les scénarios existants reposent sur un ensemble de paris industriels, technologiques et humains qui pénalisent leur crédibilité », explique Myrto Tripathi, ingénieure et présidente des Voix du nucléaire, qui a piloté les travaux de la poignée de spécialistes du secteur de l'énergie sollicités, à titre bénévole. Les trajectoires prônées par Negawatt ou par l'Ademe, par exemple, supposent des modifications profondes de comportements, d'énormes gains d'efficacité ou le développement d'un réseau hydrogène, dont les technologies sont encore balbutiantes. Celles tracées par RTE reposent en grande partie sur un développement très important des interconnexions, c'est-à-dire la capacité de la France d'importer de l'électricité (les capacités d'import devraient quadrupler, à 39 GW, anticipe RTE), ou la construction de centrales thermiques décarbonées, grâce à l'utilisation de la biomasse.

« Le problème de ces scénarios, c'est qu'avec des » si « on peut tout faire », souligne Myrto Tripathi. Mais qu'arrivera-t-il, « si » nos voisins européens refusent, ou ne sont pas en mesure, de nous vendre de l'électricité ? « Si » le rythme de rénovation thermique des bâtiments n'est finalement pas décuplé ? « Si » la biomasse s'avère insuffisante pour alimenter des centrales thermiques « propres » ? « Si » les technologies permettant la production à grande échelle et le transport d'hydrogène n'arrivent pas aussi vite que souhaité à maturité ?

Les auteurs du scénario TerraWater ont donc décidé d'une approche prudente, en considérant d'une part le but à atteindre (la neutralité carbone en 2050), et d'autre part les moyens existants pour y parvenir. Leur plan, à l'inverse de ceux soumis au débat public, mobilise des technologies existantes et s'efforce de réduire au maximum les éléments (importations, changements de comportements…) comportant une lourde part d'incertitude. « Car le risque, estime Myrto Tripathi, serait tout simplement de manquer nos objectifs. »

 

ENR, nucléaire et un fort développement de l'hydraulique

TerraWater repose sur quelques principes simples : des technologies éprouvées, une recherche permanente de simplicité pour ne pas bouleverser le réseau et une production abondante d'électricité pour pouvoir décarboner l'économie sans dépendre des importations.

Le scénario, pour simplifier, s'appuie sur les trois piliers qui composent l'électricité à bas carbone : les énergies renouvelables, le nucléaire et l'hydraulique. L'ONG de défense du nucléaire propose sans surprise un renouvellement massif du parc de réacteurs, avec la construction de 22 EPR2 d'ici à 2050 – une ambition conforme à ce que peut réaliser la filière. En parallèle, la recherche (interrompue par Emmanuel Macron) sur la quatrième génération de réacteurs serait relancée, dans l'espoir d'arriver à maturité après 2050.

Les auteurs insistent également sur un développement rapide des énergies renouvelables, mais dans des proportions jugées « plus réalistes » : le rythme de déploiement des énergies renouvelables serait multiplié par 2,5, pour parvenir dès 2035 à 33 GW d'éolien terrestre, 13 GW d'éolien en mer et 41 GW de photovoltaïque installés.

 

Enfin, nouveauté qui fait toute l'originalité du scénario, ses auteurs prévoient une vraie relance de l'hydraulique, écartée jusqu'alors en raison d'une forte opposition sociétale à de nouveaux chantiers. Le scénario prévoit de multiplier quasiment par dix les capacités des stations de transfert d'énergie par pompage, les step. Utilisée depuis un siècle, cette façon de stocker de l'énergie en grande quantité est la seule éprouvée aujourd'hui : lorsque la production d'électricité est supérieure à la consommation, une step transfère de l'eau par pompage d'un réservoir bas vers un réservoir haut. Ensuite, lorsque la demande l'exige, l'eau est turbinée pour produire de l'électricité. La France compte huit step en activité aujourd'hui, d'une capacité totale de 5 GW, mais dispose du potentiel pour en construire beaucoup plus, selon différents rapports. « Elle ne le fait pas pour des raisons essentiellement sociétales », tranche Myrto Tripathi, qui admet que le sujet est épineux : selon le scénario, il faudrait équiper de step 250 kilomètres carrés du territoire, et exproprier quelque 12 000 personnes. « Cette superficie paraît importante, pourtant cela ne représente qu'un tiers de l'artificialisation des sols induite par le seul développement du solaire prévu dans le scénario de RTE », relativise la jeune femme.

«Malin », mais encore superficiel

Le scénario, finalement, se veut sobre en matières, plus respectueux de la biodiversité, et prévoit que, à terme, éolien et photovoltaïque puissent être démantelés lorsqu'une nouvelle génération de réacteurs nucléaires pourra les remplacer. « Ces technologies exigent des quantités importantes de matériaux, comme le cuivre, dont la disponibilité va devenir très critique. Elles ont vocation à décarboner d'autres pays que le nôtre, des pays qui n'ont ni nucléaire ni potentiel hydraulique. » Le scénario prévoit également que la fabrication d'hydrogène serait limitée aux usages stationnaires, là où se situent les besoins pour limiter le recours aux batteries et aux réseaux spécifiques de transport.

Soumis à la relecture de nombreux experts, TerraWater a soulevé un intérêt certain. « Je l'ai trouvé assez malin », a lancé le médiatique ingénieur Jean-Marc Jancovici, le 2 novembre, devant les députés. « Il manque toutefois une analyse fouillée des coûts de ce système, des matériaux nécessaires, etc. », souligne François-Marie Bréon, physicien-climatologue et chercheur au Laboratoire des sciences du climat. « Le potentiel hydroélectrique mériterait des études environnementales. Il faut rester prudent, mais ce scénario est assez intéressant pour qu'on prenne les moyens de l'étudier en détail. »

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