roulez jeunesse !
Loin de la génération Sex, drugs and rock and roll des années 90 ou de celle qui a grandi avec le film Projet X, sorti en 2012, la jeunesse actuelle semble de moins en moins aimer sortir, et encore moins dans les lieux de fête traditionnels. C’est ce que montre la récente enquête “U Going Out”, réalisée par la plateforme Keep Hush : la culture clubbing est moins en vogue auprès de la Gen Z – ces jeunes nés entre 1997 et 2010. Et ce n’est pas la fermeture de 2 800 discothèques en France depuis les années 80 – selon les chiffres de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie – qui nous dira le contraire.
L’essayiste Vincent Cocquebert voit cette jeunesse comme « une sorte de miroir grossissant d’un air du temps social qui nous concerne tous » : l’ère du cocooning. « Aujourd’hui, les individus sont en recherche de sécurité, d’entre-soi, de bien-être et de confort. Ils ont un rapport au risque qui n’est pas celui qu’on observait à la fin du XXe siècle, où la prise de risque était valorisée », analyse l’auteur de La Civilisation du cocon (éditions Arkhé).
Génération control freak
Des risques, le monde de la nuit en est truffé pour Lisa, 25 ans. « Le fait d’être avec plein de gens que potentiellement je ne connais pas, dans un endroit où il peut y avoir tout et n’importe quoi, et de ne pas savoir d’office comment je vais rentrer, ça va vite me rendre anxieuse », confie-t-elle.
La jeune directrice de production a fait de ses vendredis soirs une parenthèse en décalage avec l’effervescence festive qui ouvre le week-end : « J’en profite pour préparer un plat plus élaboré que les autres jours. Pendant la journée, j’ai réfléchi au film que j’allais regarder, à l’activité que j’allais faire… », déroule-t-elle non sans excitation.
Mais la fête ne disparaît pas pour autant. Elle se déplace vers des sphères privées et surtout très quadrillées. « Chez les jeunes, il y a une espèce de mouvement à faire davantage la fête chez soi, et la sociologie l’explique principalement par un souci de contrôle. Contrôle de son ambiance, de la musique, de qui vient à la soirée… pour ne pas se confronter à l’inconnu, à l’étrangeté du monde d’une certaine manière », étaye Maxime Duviau, sociologue spécialiste de la jeunesse à l’université de Pau.
Faire carrière sans diplôme : le souhait de beaucoup de jeunes....de plus en plus d’entreprises recrutent des employés sans qualification universitaires. Et de nombreux jeunes, notamment au Royaume-Uni et aux États-Unis, préfèrent entrer directement sur le marché du travail. Explication du “Financial Times”.
La jeunesse, en panne de libido ? Entre angoisses existentielles, puritanisme, concurrence des réseaux sociaux et porno sur Internet, le désir se délite.
e sexe ? Ça ne les intéresse plus. En février 2023, une étude Ifop montrait que 43 % des jeunes Français de 18 à 25 ans n'avaient connu aucun partenaire sexuel durant l'année écoulée. Cette abstinence (volontaire ou non) s'accélère. Il y a huit ans, « seulement » 25 % des jeunes interrogés ne déclaraient aucun rapport sexuel pour l'année écoulée. Le phénomène ne frappe pas que les jeunes Français. Chez les jeunes Américains aussi, l'activité sexuelle est en baisse de manière nette et constante depuis 2008. Mille facteurs peuvent expliquer cette décroissance spectaculaire. La journaliste américaine Kate Julian a enquêté pendant plusieurs mois sur ce qu'elle appelle la « récession sexuelle » : « On m'a dit que c'était peut-être la conséquence de la culture des coups d'un soir, de la pression économique, de l'anxiété croissante, de la fragilité psychologique, des antidépresseurs, du streaming, des œstrogènes relâchés dans l'environnement, de la baisse des taux de testostérone, du porno sur Internet, de la popularité des vibromasseurs, des applis de rencontre, de la paralysie devant la surabondance de choix, des parents trop présents, du carriérisme, des smartphones, de l'info en continu, du manque de sommeil, de l'obésité… Il y aura toujours un fléau moderne pour expliquer les problèmes de libido », écrivait-elle dans The Atlantic en décembre 2018.
On pourrait ajouter à cette liste une dimension politique. « Dans l'inconscient collectif, le sexe est devenu un bien de consommation. S'ériger contre les lois du marché, notamment du X, se traduit parfois par une baisse d'activité jusqu'au désinvestissement. Cette autre "grande démission" prend le contre-pied des comportements sexuels des générations précédentes, de celle du baby-boom », explique Magali Croset-Calisto, psychologue, sexologue et addictologue, autrice de La Révolution du No Sex. Petit traité d'asexualité et d'abstinence (Éd. de l'Observatoire). Elle voit dans cette baisse du désir la « prolongation d'un impératif sociétal fort de l'époque », une sobriété jusque dans le lit, aiguillonnée par l'éco-anxiété qui frappe de plein fouet les jeunes générations. La sexualité suit les mouvements de l'époque : il y aurait dans la jeunesse une envie de rompre avec les codes habituels, une grammaire de la déconstruction appliquée aux rapports charnels, qui seraient, par nature, entachés de soupçons de domination masculine. L'émergence d'une pornographie alternative, éthique ou « inclusive », témoigne de cette tentation de la déconstruction permanente, avec des succès mitigés cependant (lire aussi). Il faudrait un jour étudier le porno amateur, « qui cimente le couple et procure de bons souvenirs » selon Michel Houellebecq, pour mesurer la révolution en cours dans les codes de la pornographie.
43 %
C'est la part des jeunes Français de 18 à 25 ans qui n'ont pas eu de rapport sexuel en 2022, contre 25 % en 2015. Cette tendance lourde est antérieure au Covid.
2,5 milliards
Le nombre de visiteurs annuels sur Pornhub, le site Internet le plus consulté du monde. La France est le 3 e pays le plus consommateur de vidéos pornos.
Netflix détrôné par Pornhub ! La guerre que se livrent les Gafam pour s'approprier des parts du marché de l'attention pourrait bien expliquer, en partie, la baisse du désir chez les jeunes. Depuis que smartphones et tablettes sont entrés dans les chambres à coucher, nous serions trop occupés pour faire l'amour. Une étude publiée par le Wall Street Journal en 2019 établissait une corrélation directe entre consommation de streaming, baisse de la libido et baisse du taux de natalité aux États-Unis. De manière assez spectaculaire, 25 % des Américains interrogés avaient répondu qu'ils préféraient regarder une série plutôt que faire l'amour, et, sans surprise, ce chiffre grimpe à 36 % chez les 18-38 ans. Paradoxalement, l'ultra-accessibilité de la pornographie en ligne, qui permet une satisfaction immédiate des désirs, pourrait elle aussi expliquer la grande flemme sexuelle qui s'abat sur la jeunesse. Les chiffres donnent le tournis. Fin 2022, la plateforme Pornhub figurait parmi les sites Internet les plus consultés du monde, avec 2,5 milliards de visiteurs annuels… devant Netflix (2 milliards), TikTok (1,8 milliard) ou LinkedIn (1,6 milliard). La France fait partie des pays les plus consommateurs, en 3 e place du classement. Les religieux en rêvaient, les Gafam l'ont fait : toute une partie de la jeunesse semble avoir fait vœu de chasteté.
François Kraus, expert en genre, sexualités et santé sexuelle à l'Ifop, souligne le rôle de la généralisation du smartphone et des tablettes dans la dégradation des rapports humains : « Les écrans et les réseaux sont tellement addictifs sur le plan cognitif que les jeunes y trouvent un lieu pour y combler leur ego et leur sociabilité. Le besoin de plaire est satisfait par des services qui leur permettent de se construire une image valorisante d'eux-mêmes, notamment grâce aux "likes". » Instagram, TikTok et Netflix asphyxieraient-ils la libido ? Il y a une corrélation évidente. Les études sont formelles : plus on passe de temps devant des séries, devant du porno ou sur les réseaux sociaux, moins on a envie de faire l'amour.
La vague du plaisir solitaire. Il ne faudrait pas non plus sous-estimer la puissance des modèles culturels, qui évoluent, notamment chez les jeunes. « Les normes de la sexualité se sont féminisées, elles privilégient le couple, reprend François Kraus, l'enchaînement des conquêtes n'est plus valorisé. » L'infidélité, moins admissible que par le passé ? « Difficile de ne pas y voir la marque des modèles culturels anglo-saxons valorisant le respect d'une certaine éthique individuelle. Il y a sans doute l'influence d'un puritanisme américain soft véhiculé par les séries et les films, relève le sondeur, mais aussi le réveil d'un rigorisme religieux, notamment chez les jeunes musulmans et évangéliques. »
La pratique charnelle s'évapore, mais le plaisir demeure. Nombre d'études montrent une explosion de la pratique de la masturbation, notamment chez les femmes. Alors que 19 % d'entre elles déclaraient s'être masturbées « au moins une fois » dans leur vie en 1970, elles étaient 76 % en 2019. S'il est socialement plus acceptable de communiquer aujourd'hui sur son intimité, il faut noter que cette croissance du plaisir solitaire féminin s'accompagne d'une explosion du marché des accessoires sexuels, dont l'usage a quadruplé en moins de quinze ans.
Réguler ses pulsions. Cette quasi-généralisation du plaisir solitaire ne s'est pas pour autant accompagnée de la disparition du discours antimasturbation, qui se régénère à la mode de l'époque : le puritanisme n'a plus besoin de Dieu pour faire valoir ses arguments, la science, ou plus exactement la pseudoscience, se charge de justifier la nécessité de réguler ses pulsions. « D'habitude, je prends une douche froide. Mais là, j'ai décidé de choisir le mode extrême, je me suis baigné dans un lac près de chez moi », témoigne Tonio78, « en abstinence depuis 97 jours », sur les forums du No Fap Challenge (« défi pas de branlette »), une plateforme d'entraide pour arrêter le porno et la masturbation. Le slogan de cette communauté ? « Moins de branleurs pour un monde meilleur. » À aucun moment les administrateurs ne différencient ce qui relève d'une pratique courante de ce qui relève de l'addiction. Car tout est considéré comme problématique. Les arguments avancés sur le site pour justifier l'abstinence s'appuient sur une compilation d'études plus ou moins scientifiques affirmant que la consommation de pornographie et la masturbation qui l'accompagne entraîneraient une « baisse d'attrait pour de vrais partenaires », une augmentation de l'anxiété sociale, de la dépression, un « brouillard cérébral », un manque de motivation, un « engourdissement émotionnel », une « ascension vers des contenus plus extrêmes », une dysfonction érectile, des relations amoureuses insatisfaisantes, une attitude sexiste envers les femmes et une « perte de santé émotionnelle et des facultés cognitives »… Bref, s'ils ne sont pas devenus des légumes à force de se tripoter, les candidats à la rédemption masturbatoire pourront, grâce à l'abstinence, profiter d'un « gain de temps » (argument imparable), d'un « gain d'énergie et de motivation », de plus de « joie de vivre », mais aussi… « d'une amélioration de la prise de masse musculaire », « d'un meilleur pouvoir de séduction, d'une voix plus grave, d'une peau plus belle », ou encore de davantage « d'éloquence dans la prise de parole ». Sur les forums, les internautes s'échangent des conseils de lecture, comme la méthode EasyPeasy, version antipornographie du best-seller d'Allen Carr, l'expert-comptable américain qui rédigea une méthode pour arrêter de fumer par le seul pouvoir de la volonté. « Le porno Internet est le plus subtil et sinistre piège que l'homme et la nature aient jamais créé », affirment les auteurs de cette méthode d'abstinence pour le moins inattendue.
Échappatoire. « Peut-être que le porno tue le désir, mais pour certains il est tout ce qui leur reste », explique Michel Lejoyeux, chef du service de psychiatrie et d'addictologie de l'hôpital Bichat, à Paris. Pour le spécialiste, auteur de En bonne santé avec Montaigne (Robert Laffont), une baisse du désir peut signifier l'existence d'une détresse psychique au sein de la population concernée par cette récession sexuelle : « La sexualité fait partie des premiers comportements auxquels les gens renoncent lorsqu'ils sont déprimés. » Le professeur assiste à une augmentation de la prévalence de la souffrance mentale, des tentatives de suicide, des conduites d'automutilation… Dans ce contexte, la sexualité se réduit alors à la portion congrue, un vague porno permettant d'aller au plus simple où, comme l'écrivait Woody Allen, la masturbation reste encore « la manière la plus sûre de faire l'amour avec quelqu'un qu'on aime »
En France, on prend la bagatelle au sérieux. Selon un sondage Cluster 17 réalisé fin mai pour Le Point sur la vie sexuelle des Français, 61 % de la population juge important d’avoir régulièrement des relations intimes. Cela jusqu’à un âge respectable : 68 % des plus de 75 ans y accordent de l’importance, et près d’un quart d’entre eux déclarent avoir eu des rapports dans la semaine écoulée. Plus inattendu : ceux qui ont le plus haut niveau de revenus sont aussi les plus attachés à la fréquence des rapports. Les différences entre hommes et femmes restent marquées : elles expérimentent un peu moins, sont moins nombreuses à envisager le sexe sans sentiment amoureux. Surtout, elles sont incomparablement plus nombreuses à subir des actes non consentis : 30 % d’entre elles déclarent en avoir vécu, contre 8 % des hommes.
Quoi de neuf, par ailleurs, dans le ciel amoureux ? L’avènement du numérique, principalement : les applications de rencontre ou le sexe par webcam. Pour le reste, les pratiques sont assez similaires suivant les âges, les catégories socioprofessionnelles et les préférences politiques : 17 % des sondés déclarent avoir déjà eu une relation sexuelle avec plusieurs partenaires en même temps, 18 % avec une personne du même sexe, et 34 % avec une personne qu’ils ne connaissaient pas. Les personnes se déclarant homo ou bisexuelles se retrouvent d’autre part en égale proportion (17 %) chez les électeurs de Jean-Luc Mélenchon et ceux de Valérie Pécresse. S’il reste un clivage politique, il est dans l’importance accordée à la famille traditionnelle… et dans l’attachement au clivage lui-même ! 70 % des progressistes et 64 % des multiculturalistes (les familles politiques les plus à gauche du panel) jugent inenvisageable d’avoir une relation amoureuse avec une personne éloignée de leur sensibilité politique. À l’inverse, plus de 70 % des eurosceptiques et des identitaires (les familles politiques les plus à droite du panel) ne jugent pas nécessaire de partager leurs idées politiques avec leur partenaire amoureux§ M. C.
Nombre d’études sur les effets physiologiques de la masturbation concluent que stimuler manuellement ou avec des objets ses propres zones érogènes serait bénéfique pour le corps et le cerveau. Grâce à l’activation de deux hormones (dopamine et ocytocine), ces effets sont d’ordre physique (baisse du stress et de la tension, amélioration de la qualité du sommeil, diminution de la douleur…), mais aussi psychologique (vie sexuelle plus épanouie, amélioration de l’humeur, prévention de l’anxiété et de la dépression). Chez les hommes, les éjaculations régulières (sauf comportement addictif) réduiraient – selon Harvard – les risques de cancer de la prostate. Chez les femmes, l’autostimulation aiderait à prévenir les règles douloureuses et la sécheresse vaginale.