Jean Marc Jancovici

Publié le par ottolilienthal

 
 
 

La légende veut que Franklin Roosevelt, lors du New Deal (juste après la grande crise de 1929), ait évalué la reprise de l'économie américaine en comptant les trains de marchandises qui circulaient (enfin pas lui directement, probablement !). A l'époque, point de PIB pour suivre l'activité : il n'était qu'embryonnaire dans la tête de quelques personnes, mais ne faisait pas partie des indicateurs suivis au niveau national. Et, de fait, un bon proxy de l'état de la production (donc de l'économie "réelle") était de nombre de trains utilisés pour transporter des marchandises, puisque le producteur et le consommateur d'un bien ne sont qu'exceptionnellement au même endroit.

Désormais, ce n'est plus le train qui assure l'essentiel des échanges physiques, mais le camion. A quelques rarissimes exceptions près, tout produit qui sera acheté par un consommateur "final" (les ménages, mais aussi les entreprises et l'administration pour leur usage propre, et non pour incorporer le bien à une production vendue) passera dans une caisse à roulettes. En s'inspirant de ce que faisait Roosevelt, on peut donc se dire que l'état de l'économie "physique" est mieux reflété par la quantité de tonnes qui sont chargées dans les camions que par le PIB, qui est désormais calculé avec un tel nombre de conventions et d'approximations qu'il est de plus en plus difficile d'interpréter ses variations.

Et là, surprise : ces tonnes chargées dans les camions - qui incluent aussi les biens intermédiaires - diminuent depuis 2007 dans notre pays, c'est à dire en gros depuis le pic de production du pétrole conventionnel dans le monde, qui a marqué le début de la baisse subie de l'approvisionnement énergétique de l'Europe. Le maximum (des tonnes chargées) a aussi eu lieu en 2007 pour l'Europe dans son ensemble. Cet indicateur physique vient se rajouter à d'autres (les m2 construits dans l'année, ou les kWh d'énergie disponibles) qui plaident pour le fait que, sur le plan physique, la contraction de l'économie dure désormais depuis plus de 15 ans.

Quoi que disent les indicateurs monétaires, et quel que soit le mécanisme économique qui en est la traduction, la réalité physique ressentie par une fraction croissante de la population est donc que l'accès à des kg de nourriture, des m2 de logement, ou des kg (ou m3) de biens manufacturés est de plus en plus restreint.

De là à considérer que le vote que nous venons de vivre est logique, il n'y a qu'un pas. Il n'y a qu'à "remonter" le niveau physique de la production, diront d'aucun(e)s. Sauf que c'est très exactement ce qu'essaient de faire les politiques depuis des décennies, et ça fonctionne moyen, précisément parce que les flux physiques se heurtent à des limites... physiques.

Le défi qui nous attend est donc de nous doter de projets compatibles avec un "pouvoir d'achat physique" qui continue globalement à baisser. Pas facile, certes, mais à croire que nous pourrons faire autrement la désillusion risque d'être cruelle.

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Dormez tranquilles jusqu'en 2100 de Jean-Marc Jancovici, livre qui a de quoi laisser scotché. Paru en 2015 avant Le Monde Sans Fin, et après d'autres livres comme "Le Plein SVP" en 2006 et "C'est Maintenant !" en 2009 (co-écrits avec l'économiste Alain Grandjean).
 
À une époque où le niveau d'insouciance était nettement plus élevé qu'aujourd'hui, le livre était assez clairvoyant. Par exemple :
 
1) Par des statistiques implacables sur le PIB et la dette, Jancovici acte pour de bon ce qu'il anticipait depuis un moment : la croissance, c'est terminé. Depuis 2007 le PIB constant / habitant est quasiment au point mort, alors même que la dette explose. Donc on s'endette pour éviter de s'écrouler ! Voilà un constat embêtant, qui depuis n'a fait que se confirmer.
Pour les croyants dans une croissance éternelle le message est tellement brutal qu'aujourd'hui encore ils se raccrochent à des branches improbables pour nier l'évidence.
 
2) Les conséquences observables du changement climatique sont aujourd'hui sans commune mesure avec 2015. Vous verrez par exemple sur ces pages que Jancovici parlait dès l'époque de retrait-gonflement des argiles et de fissuration du bâti, phénomène aujourd'hui assez répandu et médiatisé.
 
Un autre message particulièrement frappant de cette lecture est "l'effet ciseau" entre la contrainte énergétique et le changement climatique, notamment sur ces deux pages.
Si encore nous avions une énergie infinie nous pourrions imaginer nous adapter au changement climatique assez longtemps. Or là nous risquons d'être pris en tenaille.
Voilà en effet une situation ma foi épineuse. 🤔
 
Les pages qui suivent suggèrent que l'Europe est particulièrement concernée. Il est aujourd'hui avéré que le climat et Europe se réchauffe plus vite qu'ailleurs (non mais la France a carrément des problèmes d'eau quoi 😯), et il devrait désormais être évident pour qui veut bien ouvrir les yeux que nous sommes particulièrement vulnérables sur le plan énergétique, pour des raisons géologiques et géopolitiques.
 
(hommage proposé par Cyrus Farhangi)
 
https://www.facebook.com/jeanmarc.jancovici/posts/pfbid02MvLRocCvqSbTfYMZCCNrcS1x7eusWBaQNcGFXsYq2i3VA6VzAZEHWwdmPhdVCsodl?ref=embed_page

Emeutes : le gouvernement met la pression sur les réseaux sociaux

"Quand survient une manifestation de violence au sein des sociétés humaines, qu'il s'agisse d'une guerre comme en Ukraine ou en Syrie, d'émeutes comme en Argentine ou en ce moment chez nous, ou des révoltes du Printemps Arabe, c'est rarement "à chaud" que les explications sur les sous-jacents de l'évolution en cours sont largement diffusées, ou utiles pour l'action.

Mais si ces poussées de violence découlent d'une évolution structurelle, c'est bien de cette dernière dont il faut se soucier dès que la situation "se calme".

Dans ce cadre, existe-t-il un lien entre ces émeutes et l'environnement, c'est à dire le monde physique ? Historiquement, la limite physique a hélas souvent amené de la violence. Malthus attribue à la décrue de la production agricole dans les pays du nord de l'Europe les "invasions barbares", et plus près de nous nombre de conflits viennent d'une insuffisance de ressources prenant la population à revers.

Or, depuis 2008 notre pays - et toute l'Europe - est en légère "contraction physique", parce que l'approvisionnement énergétique - donc les machines au travail qui créent l'économie - est en baisse subie. En témoignent par exemple la baisse des m² construits (en tendance), la baisse de la production industrielle et des tonnes chargées dans les camions, et la baisse depuis 2010, logique à la suite, du revenu disponible des ménages.

Dès lors que, "en tendance", les ménages voient leur revenus réels diminuer, les plans qui fonctionnaient dans le passé vont-ils fonctionner à l'avenir ?

Les grosses villes et les emplois tertiaires ont été créés par l'abondance énergétique (voir https://t.ly/fHG8 ). Faut-il chercher à garder une population essentiellement urbaine dans le monde de demain ? Ne va-t-on pas, avec la contraction énergétique, donner naissance des groupes de plus en plus en plus abondants "d'urbains désoeuvrés", qui seront alors le terreau du désarroi puis de la violence ? Quels métiers seront adaptés à moins de flux physiques ?

La société de consommation devient de plus en plus un rêve inaccessible quand les revenus diminuent, alors même que la publicité et les "influenceurs" poussent à conserver ce rêve. Cette injonction contradictoire ne doit-elle pas fatalement déboucher sur, au choix, de la neurasthénie ou de la violence ?

Assimiler une population immigrée est facile en période d'expansion économique, mais moins évident en période de ressources moins grasses (aucun propos raciste là-dedans : je suis moi-même un immigré de la 2è génération). Comment gérer nos relations avec les pays "du sud" pour que la population de ces pays se sente bien chez elle et n'ait pas spécialement envie d'aller ailleurs dans un monde avec moins de ressources ?

Autant de questions (très) difficiles (et bien d'autres), qu'il serait peut-être sage de ne pas trop tarder à se poser dès que les gendarmes et les émeutiers auront - provisoirement - réintégré leur base arrière. Sinon les mêmes causes risquent hélas de produire les mêmes effets."

JM Jancovici
https://www.lesechos.fr/…/emeutes-le-gouvernement-met-la-pr…
(posté par Joëlle Leconte)

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