la chronique de Serge Zaka

Publié le par ottolilienthal

« Jusqu’à +3°C d’ici 2100, nous pourrons nous adapter, pas au-delà, c’est impossible »...

L’agroclimatologue Serge Zaka réagit au rapport sur le climat rendu par Météo-France jeudi, annonçant +4°C d’ici 2100...

Si le réchauffement climatique se poursuit au rythme actuel, conformément aux prédictions du Giec, il faudra « se préparer à un réchauffement de + 4 °C sur la France hexagonale en fin de siècle ». Ce sont les conclusions du rapport commandé par le gouvernement à Météo-France, et rendu ce jeudi.

Les niveaux de réchauffement se traduiraient en France hexagonale et en Corse par une hausse des températures moyennes de +2 °C en 2030, +2,7 °C en 2050, +4 °C en 2100. Dans une France à +4 °C, la température moyenne annuelle s'élèvera à 14,2 °C (contre 10,9 °C sur la période 1976-2005), pouvant atteindre des pointes à 15 °C sur l'agglomération parisienne, soit le climat actuel de la région de Montpellier, et grimper au-delà de 18 °C sur la moitié sud, la rapprochant de l'Andalousie.

Selon le rapport, « les dérèglements seront généralisés, avec des phénomènes plus extrêmes » : sécheresses fréquentes en été et se poursuivant en automne, avec des événements pouvant même s'étaler sur plusieurs années consécutives, étés caniculaires de vingt-cinq jours au lieu de deux, et des pics de chaleur à 50 degrés.

Sont également décrits des pluies de plus fortes intensités, des feux de forêts généralisés et multipliés en région méditerranéenne, et moins de deux mois d'enneigement en moyenne montagne. « Ce rapport, destiné aux acteurs de l'adaptation, souligne l'importance de nous préparer dès maintenant à un climat différent avec des extrêmes plus sévères », concluent les spécialistes de Météo-France.

Pour l'ingénieur agronome et agroclimatologue Serge Zaka, envisager des stratégies d'adaptation à +4°C d'ici soixante-quinze ans est tout simplement aberrant, et irréalisable.

Le Point : Pourquoi vous alarmez-vous de ce rapport ?

Serge Zaka : Une France à +4° d'ici la fin du siècle, ça ne semble pas alarmer grand monde, or il le faudrait. En agriculture, à +2,7°C, on peut encore envisager des stratégies d'adaptation, mais à +4°C, c'est une impasse. Aucune culture française ne survivra aux températures annoncées. Avec des températures supérieures à 45 degrés, biologiquement parlant, nos champs de maïs et de tournesols brûlent. Ces trois dernières années, on a vu les melons cuire sur pied, et il ne faisait que 42°C. Les fleurs de tomates sont sèches à 35°C, le maïs ne peut pas non plus se reproduire au-delà de cette température. Les vaches laitières souffrent à 40 degrés, et à 45 c'est la mort assurée. Alors oui, on pourra cultiver plus de légumes en hiver, des salades, des poireaux ou des aubergines, avec un accès à davantage d'eau, à condition qu'elle soit bien gérée. L'Europe du Nord et la Russie pourraient devenir le grenier du continent. Mais en été, que fera-t-on ? On se retrouvera avec un trou.

Les pistes d'adaptation de l'agriculture déjà en cours ne suffiront-elles pas à assurer notre souveraineté alimentaire ?

Non, car toutes les mesures déjà engagées par certains agriculteurs et certaines filières ne supporteront pas de telles situations extrêmes. La pistache de cavaillon, comme les clémentines du Languedoc-Roussillon, ne tiendront pas à 45°C. Même si l'on envisage de remplacer le maïs par la culture de l'olive et du sorgho, ce ne sont des solutions viables que jusqu'à 41°C. On pourrait envisager de la figue de barbarie à Perpignan, le niébé (un haricot africain) ou la cacahuète dans le Sud-Ouest, mais cela demanderait des centaines de milliards d'euros d'investissements.

La résilience des sols et des nappes, comme dans les départements de l'Hérault et l'Aude, pourrait-elle faire espérer que des épisodes de fortes pluies puissent compenser les périodes de sécheresse ?

C'est illusoire car elles ne compensent pas. Dans le Sud, les excès de pluie vont intervenir dans les épisodes cévenols, comme on commence à le voir ces dernières années, donc avec des inondations plutôt que des eaux bénéfiques aux réserves souterraines. Dans le Nord, comme le montre déjà le rapport Explore2, on verra un agrandissement des nappes. Mais attention, parce que biologiquement parlant, un stress hydrique et thermique sont différents. Le 28 juin 2019, date à laquelle on a enregistré le pic de 46° sur la commune de Vérargues, le stress était thermique, et non pas hydrique : il y avait de l'eau dans les sols pendant que les feuilles de vignes brûlaient. Alors même si on irrigue des tomates cultivées dans le nord de la France, elles vont cuire. On ne peut pas dépasser la réalité des limites de l'ADN et de la biologie. Au Canada, le 29 juin 2021, 49,7 °C ont été enregistrés, le summum de l'inimaginable. En un jour, le pays a connu une perte de 70 % de production de moutarde… Et ce n'est pas un aliment essentiel à notre survie.

Doit-on tirer des leçons des pays du Maghreb, déjà confrontés à ces phénomènes climatiques extrêmes ?

Ils sont déjà en voie de désertification, les systèmes agricoles sont arrivés à terme, et leurs gouvernements se demandent déjà comment ils vont nourrir leurs populations. En France, si l'on s'en tient à ces prédictions, les parties sud et semi-continentale seront problématiques. Mais la Bretagne, la Normandie, ou le Pas-de-Calais pourront produire. Une concentration de l'activité agricole sur ces parcelles limitées aurait de terribles impacts environnementaux.

Que faites-vous des innovations en matière d'agronomie pour envisager ce futur ?

Des salades sous étagères climatisées, c'est bien pour Singapour ou les Émirats arabes unis. Est-ce que notre avenir sera une fuite en avant vers des innovations dans des containers climatisés ? On achètera plutôt nos salades à la Finlande.

Vous travaillez également sur l'impact du changement climatique sur les forêts. Quel serait-il à de telles températures ?

La situation sera complètement insoutenable pour nos forêts, subissant à la fois un stress hydrique et thermique. On a déjà un dépérissement des forêts, car les écosystèmes s'effondrent face à l'accélération et la diversité des événements qui s'enchaînent. La vitesse de mortalité des arbres est plus rapide que la vitesse de reprise, et que la vitesse de remontée des espèces par le sud. Comme en agriculture, il faudrait un plan marshall pour préparer ces arbres et trouver les mains pour les planter… Alors même que le budget de la recherche à ce sujet diminue.

Cela signifie-t-il que les projets comme l'agroforesterie, l'agrivoltaïque, la recherche sur les variétés résistantes sont vaines ?

Même avec de l'ombrage, des panneaux photovoltaïques, il fera quand même 50°C sous les panneaux. Et même les OGM ne survivront pas. Sans parler de l'impact dans les villes : tous les arbres que l'on envisage de planter dans nos métropoles pour lutter contre les îlots de chaleur vont crever. Je ne suis pas du genre pessimiste, mais ce rapport me laisse désemparé. La seule solution, c'est de ne pas atteindre ces +4°C ! À +3°, nous pourrons nous adapter, à condition de s'y mettre immédiatement, -et nous sommes déjà en retard, et que les États européens déboursent des centaines de milliards d'€. Mais à +4°C, on entre dans l'inconnu.

Serge Zaka : « Il va falloir abandonner certaines cultures agricoles »...

INTERVIEW. L’agroclimatologue, invité de Futurapolis Planète, l’événement consacré à l’innovation et à la transition écologique, du 5 au 7 décembre à Toulouse, dessine la future carte agricole française.

L'agroclimatologie, science ancienne mais encore méconnue du grand public il y a trois ans, fait désormais figure d'outil essentiel pour anticiper les bouleversements agricoles liés au changement climatique. Serge Zaka, qui est son visage médiatique en France, explique comment les cultures vont devoir migrer vers le nord de l'Europe, nécessitant une réorganisation complète des filières agricoles et un accompagnement des pouvoirs publics.

Le Point : Nous avons connu, la semaine dernière, une situation météorologique assez folle, avec, à Paris, un début d'hiver neigeux suivi de températures de 17 °C le week-end. L'agriculture est-elle chamboulée par ce type d'événements ?

Serge Zaka : En novembre, les événements climatiques n'ont pas énormément d'impact sur l'agriculture. Mais ce type d'alternance illustre bien les défis auxquels nous sommes confrontés. 2022 a été la deuxième année la plus sèche en France, suivie de l'année la plus humide en 2024. Or, pour avoir des rendements stables d'année en année, il faut un climat de la moyenne, pas un climat de l'écart-type. Le changement climatique entraîne une multiplication des événements extrêmes, notamment hydriques. S'y adapter est, pour les agriculteurs, extrêmement complexe.

Certains ont investi, après la sécheresse de 2022, dans du matériel d'irrigation qui n'a pas encore servi puisqu'un véritable déluge a suivi. D'autres se demandent s'ils ne doivent pas prévoir à la fois du matériel de drainage et d'irrigation. Leurs plantations sont soumises à tellement d'événements climatiques qu'ils n'arrivent plus à produire sereinement. Pour les plantes aussi, c'est difficile : elles ne savent plus si elles doivent s'adapter à la sécheresse ou à l'excès d'eau.

Ces préoccupations semblent nouvelles dans le débat public, or ce sont des données que la science connaît depuis longtemps.

Oui, c'est incroyable, la première fois qu'un ministre de l'Agriculture en France a entendu parler de l'agroclimatologie, c'était en 2021, après un épisode de gel tardif particulièrement destructeur. Les réflexions que nous avons maintenant auraient dû avoir lieu sous l'ère Chirac, cela montre à quel point nous sommes en retard. L'olivier ou la vigne sont des cultures à exploitation longue. Si nous avions commencé à nous adapter il y a trente ans, nous aurions aujourd'hui des essais sur le terrain, des améliorations génétiques et des arbres matures déjà en production.

Les caractéristiques méditerranéennes remontent vers le Bassin parisien, mais les cultures ne suivent pas automatiquement. Les variétés qui ont été parfaitement adaptées au climat aquitain ne le sont plus quand ce climat devient méditerranéen. Il va falloir réapprendre. Par exemple, plus on avancera dans le siècle, plus il sera coûteux de produire du maïs dans le sud-ouest de la France. Il faudra déployer de plus en plus de stratégies pour qu'il reste rentable sous un climat qui lui sera de moins en moins favorable.

Les précipitations ne sont pas homogènes : le Sud aura moins de pluie, le Nord parfois plus.

Il faudra progressivement abandonner certaines cultures au profit d'autres plus adaptées. Dans le Sud-Ouest, le maïs pourrait être remplacé par de la tomate, de l'olive, du sorgho, du millet, parfois de l'arboriculture ou de l'aubergine. Et ce maïs, on peut le déplacer vers Nancy, dans les plaines de l'Aisne… C'est un décalage de filière. L'important est d'abord de bien placer les cultures au bon endroit, dans un climat qui leur est favorable, avant même de réfléchir à l'irrigation ou à l'amélioration des pratiques.

Est-ce aussi simple, de déplacer les cultures vers le nord ?

Non, ce n'est pas une simple translation. Les précipitations ne sont pas homogènes : le Sud aura moins de pluie, le Nord parfois plus. Si vous faites remonter des abricots trop au nord, ils vont se heurter à des printemps très pluvieux qui nuiront à leur floraison. C'est un champ d'études scientifiques très complexe. Il y a aussi l'effet CO2, par exemple, qui est favorable pour le blé. Le blé va être de plus en plus présent dans le nord de l'Europe, mais surtout, il va pousser de plus en plus. Cela a des implications géopolitiques importantes. La Russie pourrait en bénéficier.

Quelles nouvelles cultures pourraient arriver en France ?

La figue, la figue de Barbarie, le kaki et tous les agrumes sont de nouvelles filières qui arrivent dans le sud de la France. Parfois, il faut savoir pivoter : à Agen, par exemple, l'avenir n'est peut-être plus dans le pruneau, qui a besoin de froid en hiver, mais dans l'abricot sec ! Économiquement, cela pourrait être pertinent, étant donné que la région dispose déjà des structures de séchage et que la forme de l'abricot ressemble à celle du pruneau. Il faut trouver une culture qui permette de conserver les usines de pruneaux – ce que ne permettrait pas, par exemple, la culture des agrumes ou des noix.

Il ne suffira pas d'écouter les climatologues pour résoudre les défis de l'agriculture. Spécialistes du climat, agronomes, agromodélisateurs, économistes, industriels, pouvoirs publics, même les chefs étoilés et le monde de la gastronomie, tous doivent travailler ensemble. Il est essentiel d'avoir une pensée systémique.

On ne peut pas créer de nouvelles filières, faire des vignobles à Londres ou de l'huile d'olive à Poitiers si on ne travaille pas sur l'éducation alimentaire et l'aspect économique de l'agroalimentaire. Il faut des investissements pour le marketing, la consommation locale, la création de nouvelles AOC et IGP, l'intégration dans les chaînes agroalimentaires. Si le consommateur, en bout de chaîne, ne sait pas comment cuisiner la farine de sorgho et n'y est pas habitué, il n'en achètera pas – et les importations remplaceront les productions locales.

Les agriculteurs ne peuvent pas porter seuls cette transition. Ils ont déjà suffisamment de problématiques sur le terrain et de problèmes de revenus. L'État doit intervenir pour fédérer ces nouvelles filières plutôt que de laisser se multiplier des initiatives dispersées.

Les besoins en eau vont augmenter avec l'évapotranspiration et les températures plus élevées, tandis que les précipitations baisseront en été. Sans une nouvelle vision de la gestion de l'eau, nous n'arriverons pas à produire. Je ne parle pas que du maïs, mais aussi des courgettes, des tomates, des autres fruits et légumes – des aliments essentiels pour la santé. D'autant plus dans une société qui souhaite manger moins de viande.

Mais ce n'est pas noir ou blanc : en changeant de culture, on peut réduire la pression sur l'eau. Un abricotier a besoin de plus d'eau qu'un pistachier. De plus en plus de producteurs de maïs abandonnent cette culture au profit de l'olive, par exemple. L'agriculture de demain devra être pensée globalement : choix des cultures adaptées au territoire, amélioration des sols, installation de haies pour couper le vent, développement du maraîchage sous arbres, améliorations génétiques… La solution n'est pas unique, elle est multiple.

Propos recueillis par

https://www.lepoint.fr/sciences-nature/serge-zaka-il-va-falloir-abandonner-certaines-cultures-agricoles-04-12-2024-2577101_1924.php

« La Normandie : futur enfant gâté du réchauffement climatique ? » Une question provocante mais pas aussi saugrenue à l’écoute des propos de Serge Zaka, adhérent puis administrateur d’Infoclimat dès l’âge de 14 ans, ingénieur agronome à Agrosup’Dijon à 22 ans, docteur en agroclimatologie à l’Inrae de Lusignan à 26 ans et, depuis, chercheur-modélisateur scientifique dans le même domaine.

« L’agriculture normande doit faire face au changement climatique mais ce sera l’une des régions les plus productives de France ». Serge Zaka ne tiens pas un discours « catastrophe » sur le réchauffement climatique mais un discours « factuel basé sur des résultats scientifiques les plus propres possible ». A contrario, au sud d’une ligne Bordeaux/Lyon, les effets négatifs seront bien plus impactants.

À quel moment de votre vie avez-vous pris conscience du changement climatique ?

« Je travaille dans la météorologie depuis que je suis très jeune, ma prise de conscience a donc été précoce. En revanche, ma prise de conscience de l’impact du réchauffement climatique sur l’agriculture est plus tardive. Elle date du 28 juin 2019. Ce jour la, il a fait 46 °C avec 40 km/h de vent. Dans mon village, tous les végétaux dont la vigne, les oliviers, le laurier (…) ont brûlé. J’ai réalisé alors que le réchauffement climatique, ce n’était pas seulement quelques pertes de rendements ici ou là mais qu’il pouvait se traduire par des pertes très importantes en quelques heures. Autre date clé, les 6, 7 et 8 avril 2021 avec 2 milliards d’euros en raison d’un gel tardif sur floraison. »

C’est la première fois dans l’histoire de notre planète que l’homme est responsable d’un tel changement ?

« Il y a toujours eu des changements climatiques sur la planète pour causes naturelles : volcans, astéroïdes, déplacement des continents, paramètres astronomiques comme l’inclinaison de la Terre ou bien encore la distance par rapport au soleil… La grande différence par rapport à ce que nous vivons aujourd’hui, c’est la vitesse de ce changement. Historiquement, les écarts de températures se sont étalés sur des milliers d’années, laissant le temps aux écosystème de s’adapter. Alors, oui, c’est la première fois que l’Homme pèse sur le climat. Les explications sont multifactorielles : gaz à effet de serre, modification des paysages, destruction des forêts, attribution différentes des terres agricoles avec notamment des pâtures qui disparaissent… »

Dispose-t-on encore d’une marge de manœuvre pour inverser la tendance ?

« Oui pour l’instant et jusqu’en 2050. Les marges de manœuvres existent mais plus on attend, plus elles vont se restreindre. Attention aussi aux boucles rétroactives positives. Je m’explique, attention aux aggravations naturelles. Si une forêt dépérit, certains arbres vont mourir. Si certains arbres meurent, le soleil va encore plus pénétrer dans la forêt et réchauffer encore plus le sol. Il faut donc limiter ces boucles de rétroactivité positive pour éviter un emballement climatique. Ce n’est pas encore le cas mais le risque est réel. »

Nous ne sommes pas égaux face à ce changement. Certaines régions du monde ont-elles plus à perdre que d’autres ?

« Si l’on regarde les choses sous un angle purement agricole, il y a du positif. Toutes les régions canadiennes, russes, biélorusses, ukrainiennes, suédoises, norvégiennes, écossaises (…) vont profiter de la hausse des températures grâce à une augmentation des saisons des cycles culturaux. Le blé pourra être semé plus tôt. Certaines cultures comme le maïs, le sorgho, le pois chiche vont arriver par le sud. Il y aussi le CO2 qui va favoriser la photosynthèse. A contrario, en ce qui concerne le pourtour méditerranéen et la partie centrale de l’Europe, les effets seront négatifs avec des sécheresses plus longues, des canicules plus intenses. L’agriculture va en faire les frais. Le changement climatique, ce n’est pas la disparition de l’agriculture mais un décalage vers le nord. Avec des limites cependant car ce décalage risque d’être très rapide. Il n’est pas certains que les agriculteurs et les filières agricoles disposent de suffisamment de temps pour s’adapter. On est toujours un peu à la traine. »

Et la Normandie ?

« Elle se situe au milieu de tout ça. On peut s’attendre à des rendements en blé à la hausse grâce au CO2, de même en colza et tournesol, une stabilité en maïs… À condition cependant de bien maîtriser l’irrigation et la vie du sol pour mieux garder l’eau. En résumé, des effets plutôt positifs en cultures d’hiver, neutres en culture de printemps et plutôt négatifs pour l’herbe avec une grosse pousse de printemps mais une perte de rendement en été. Autre effet positif pour la Normandie, l’émergence de nouvelles filières comme l’arrivée de la pêche d’ici 2040 à la place de la pomme ? In fine, en France, les régions les plus défavorisées sont celles au sud d’une ligne Bordeaux/Paris. »

L’agriculteur normand de demain a-t-il plus à craindre des canicules, de la douceur hivernale suivie de coups de gel tardif, du vent et des cyclones, de l’excès d’humidité à certaines périodes de l’année ?

« Il faudra être vigilant aux canicules et aux sécheresse estivales d’autant plus qu’il a moins l’habitude que son collègue du sud de gérer l’eau. Il pourrait aussi privilégier des techniques comme l’agriculture de conservation pour préserver l’humidité des sols. Tenir compte des paysages et des haies qui coupent le vent et limitent l’évapotranspiration. Tout cela s’inscrit dans la maîtrise du microclimat au niveau de la parcelle sans oublier l’hydrologie régénérative… Autre paramètre à considérer, le gel tardif puisque la floraison va être de plus en plus précoce. Par ailleurs, s’il ne faut pas forcément s’attendre à plus de vent, de grêle ou d’orage, on aura un peu plus de précipitations avec des excès d’humidité à l’automne et en hiver et un déficit estival. La répartition intra annuelle des précipitations sera différente. C’est gérable par une bonne maîtrise de l’eau et des retenues-réserves qui pourraient arriver en 2030 et devenir plus importantes d’ici 2040. »

Peut-on espérer en la science et les nouvelles technologies pour nous apporter des solutions durables ?

« Oui et c’est déjà le cas avec la génétique variétale qui a apporté des améliorations conséquentes. Le progrès technique, technologique, chimique (…) a multiplié par sept le rendement en blé en Normandie depuis 1945. Face aux nouvelles problématiques environnementales et climatiques, la sélection génétique variétale constitue toujours une réponse. On pourrait par exemple travailler sur un système racinaire du blé capable d’aller plus en profondeur pour chercher l’humidité. Je pense aussi au numérique, à la modélisation, à la satellisation… Il existe énormément de solutions pour l’agriculture mais elles doivent être adossées à des réponses agronomiques de terrain. Des réponses avec du bon sens paysan : évolution des dates de semis, évolution des pratiques culturales, évolution des filières… Chacune d’elles peut apporter son petit pourcentage d’amélioration. L’une n’est pas meilleure que l’autre, elles sont complémentaires. »

26 janvier 2024 - Par

Thierry Guillemot

 

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