Le temps des fainéants...

Publié le par ottolilienthal

Nous avons l’impression de lire sans cesse, et de plus en plus : sur nos smartphones, nos ordinateurs, nos tablettes. En réalité, vous le savez bien, nous parcourons plus que nous ne lisons. La lecture est devenue une activité rapide, utilitaire, presque machinale. Une étude de l’ARCEP de 2023 révèle que les jeunes passent plus de deux heures par jour sur les réseaux, mais moins de trente minutes à lire un livre. Et même cette lecture, le plus souvent, se fait désormais en diagonale. Nous lisons de plus en plus sans comprendre.

Une capacité cognitive en recul

La neuroscientifique Maryanne Wolf sonne l’alerte : à force de lire vite, nous perdons la capacité à lire lentement. Cette "lecture profonde", mobilisant mémoire, attention, imagination, devient rare. Le cerveau, plastiquement, s’adapte… mais dans le mauvais sens. Ce phénomène touche particulièrement les plus jeunes, dont le cerveau se forme dans un environnement numérique constant. Nous perdons non seulement notre capacité de concentration mais aussi notre profondeur.

L’oubli de la lenteur féconde

“Chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même” écrivait Marcel Proust en 1905. Une phrase devenue presque étrangère à notre époque. Lire lentement, c’est s’immerger, réfléchir, relier. C’est créer du sens. Or cette lenteur est aujourd’hui vécue comme une perte de temps. Les esprits pressés oublient que la pensée complexe exige de la lenteur. On sait de moins en moins réfléchir à ce qu’on lit.

Les décideurs ne lisent plus

Dans les entreprises, les dirigeants reconnaissent ne plus lire les rapports : ils les survolent. Ils lisent les titres, les tableaux, les résumés. Mais une décision stratégique ne se nourrit pas d’un résumé. Elle se construit sur la compréhension fine, le contexte, les nuances. Lire mal, c’est décider mal. Et avec l’IA, c’est pire : les dirigeants et managers ne lisent plus que des synthèses et parfois des synthèses de synthèses.

Lire lentement : un acte de résistance

À l’ère du flux permanent, lire lentement devient un geste subversif. C’est refuser l’urgence, la simplification, l’oubli. C’est retrouver la liberté de penser par soi-même, à l’écart des algorithmes et des raccourcis cognitifs. C’est choisir la densité contre la superficialité, pour mieux séparer le bon grain de l’ivraie.

 
Cathy Alegria

Publié le mercredi 23 avril 2025

https://www.xerficanal.com/strategie-management/emission/Cathy-Alegria-Nous-perdons-la-competence-de-lire-attentivement

 

Depuis que l'humanité existe, nous avons utilisé toutes les énergies disponibles pour nous dispenser d'utiliser la nôtre : l'animal, puis la vapeur, puis les énergies fossiles, l'atome… Mais le XXIème siècle annonce une telle victoire de l’homme sur l’effort qu’il pourrait avoir des conséquences existentielles. En 2023, un économiste, Pascal Perri avait écrit « Génération Farniente » pour montrer que le déclin français provenait d’abord d’un renoncement à l’effort, et que cette allergie collective au travail mettait en danger notre modèle social. Impossible de garder notre niveau de vie en travaillant collectivement moins que les autres. Cette année, c’est le fondateur de l’institut Sapiens, Olivier Babeau, qui analyse le déclin de l’effort sous l’angle historique et sociétal. Il montre dans son livre « l’ère de la flemme » que le phénomène est à l’œuvre dans tous les pays occidentaux.

L’effort est devenu moins nécessaire. Autrefois, il permettait de répondre aux besoins de la pyramide de Maslow ; il s’agissait de chasser, pêcher, pour survivre, il fallait aussi faire des efforts pour s’intégrer dans la société. Or cet investissement personnel n'est plus nécessaire. La manière de vivre change. Avant l'introduction du canapé, la vie était binaire : soit on dormait, soit on poursuivait une activité. Elle ne l’est plus. Pour les plus jeunes, la paresse n'est pas un défaut, c'est la norme. Un supplément « Ados » du « Monde » a été titré en 2023 : « La flemme, ça se gère ».

On demande aux enfants moins d'efforts physiques et leur capacité pulmonaire diminue. On leur demande moins d'efforts intellectuels et leur niveau scolaire s’effondre. En première, on n'exige plus une dissertation mais la rédaction d'un paragraphe, et au bac on ne présente plus 35 textes mais 16… Les conséquences se font sentir dans les entreprises. La fin du courage est un drame privé qui devient un malheur public.

La technologie et le marketing théorisent la recherche du moindre effort : ce qui crée la fidélité, c'est la facilité pour le client – commander en un seul clic chez Amazon. Bientôt, avec les implants neuronaux d’Elon Musk, l’« homo confort » pensera un ordre, et la machine l'exécutera ! Même les relations affectives en souffrent : avec le « swipe », le défilement des profils de Tinder, plus besoin d’un vrai engagement. Le smartphone, qui nous a rendus accro à ses « bouffées de dopamine », et les réseaux sociaux qui prospèrent sur des « shorts », c’est-à-dire des vidéos courtes en défilement continu, diminuent les capacités de notre cerveau. La lecture s'effondre, et c’est « une régression majeure », car la vidéo ralentit l'apprentissage et atrophie l'imagination.

Depuis mai 1968, l'idée que la réussite venait de l'effort a été discréditée. Pour Olivier Babeau, « l'imméritocratie » a triomphé. Pourtant, plus on protège nos enfants de la souffrance et de l'effort, plus la vie leur semble un fardeau lourd à porter. La civilisation du moindre effort est un monde de zombies dépressifs.

Peut-être d’ailleurs avons-nous mal compris le processus de reproduction des élites. Car le trésor précieux que les familles favorisées transmettent à leurs rejetons n'est pas leur génétique, ni l’argent pour aller dans de bonnes écoles, puisqu’il est facile aujourd’hui d’obtenir une bourse : non, ce qu’on leur transmet, dans les familles de profs, ou d’ingénieurs, ce sont les méthodes de travail et la niaque. Ce qui différencie l'élève qui réussit de celui qui échoue, ce n’est pas le QI, c'est l'effort.

Le renoncement global à l'effort s'observe à des degrés divers dans tous les vieux pays, mais pas dans les pays émergents. Allons-nous, comme les Romains, péricliter tandis qu'eux prospéreront ? Il n'y a pas de fatalité à la mort des civilisations : elle est le résultat d’une série de renoncements et de petites lâchetés.

Mais pour inverser le processus, il faut du courage.

Christine Kerdellant

https://www.xerficanal.com/strategie-management/emission/Christine-Kerdellant-La-fin-de-l-effort-la-victoire-de-la-flemme

 

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