Tchernobyl

Publié le par ottolilienthal

Il ne faut pas avoir peur du nucléaire, la preuve par Tchernobyl

La tragédie s’explique surtout par la culture soviétique et les réactions à l’explosion du réacteur, moins par la radioactivité qu’elle a émise.

Nous sommes le 26 avril 1986. Des opérateurs de la centrale nucléaire de Tchernobyl démarrent un test défectueux avec le réacteur de l'unité 4. Une fois le processus lancé, les opérateurs vont attendre trop longtemps pour arrêter le réacteur, ce qui déclenche une volatilité extrême. En tentant de la freiner, de la vapeur va se former dans l'eau entourant le combustible nucléaire, pour entraîner un emballement thermique et des niveaux de puissance provoquant l'explosion du réacteur.

Dix jours durant, il va cracher des matières radioactives qui se répandront dans toute l'Europe, exposant des millions de personnes à des risques sanitaires. Selon certaines études, le nombre de décès par cancers dus aux radiations se serait élevé à des centaines de milliers. Ce sont les ouvriers de la centrale qui reçoivent les doses les plus concentrées ; nombre d'entre eux mourront du syndrome d'irradiation aiguë (SIA). Les autorités soviétiques, ukrainiennes et biélorusses évacueront 350 000 personnes pendant plusieurs années et enverront plus de 600 000 ouvriers – des liquidateurs –, pour décontaminer la zone. Pour finir par interdire d'accès une zone de 4 300 kilomètres carrés.

Quelques centaines de morts

La désapprobation générale de l'énergie nucléaire ne va pas tarder à se manifester. Les gouvernements du Danemark, de la Suède ou encore des Philippines promettent d'abandonner l'atome civil. Moins d'un an plus tard, neuf autres pays auront reporté ou abandonné leurs projets de construction de réacteurs. En Europe de l'Est, en 1989, des manifestations contre l'énergie nucléaire éclatent en Lituanie et en Ukraine, à la suite de changements de politique décidés par le Kremlin. Des enquêtes d'opinion révèlent que, depuis Tchernobyl, les deux tiers de l'humanité s'opposent à la poursuite du développement de l'énergie nucléaire.

L'accident de Tchernobyl terrifie, et à raison. Mais certains opposants au nucléaire brandissent la catastrophe comme une preuve du risque profond que représenterait cette énergie nucléaire pour l'humain et la planète. Ils se trompent.

Le nombre de victimes de Tchernobyl est radicalement inférieur à ce qu'affirment les études les plus pessimistes. Les Nations unies ont publié plusieurs rapports rendant compte des décès dus aux radiations en se fondant sur une analyse approfondie de la littérature scientifique existante. Elles en concluent que l'accident n'aurait probablement causé que quelques centaines de morts, au maximum. Toujours selon les Nations unies, seuls 28 des 134 ouvriers et membres des équipes d'urgence atteints de SRA seraient décédés.

De même, en 2008, les Nations unies rapportaient que, d'ici à 2065, 16 000 cas de cancer de la thyroïde allaient pouvoir être imputables à l'accident, sauf que la mortalité de ce type de cancer avoisine les 1 %. En d'autres termes, d'ici à 2065, Tchernobyl pourrait avoir contribué à 160 décès par cancer de la thyroïde. En 2018, l'ONU reverra son estimation à 5 000 cas de cancer de la thyroïde, soit 50 décès attribuables à la catastrophe.

La leucémie est un effet secondaire très redouté des radiations, mais l'ONU n'en a constaté qu'une légère augmentation au sein des équipes de secours. Dans une revue de la littérature scientifique sur le sujet, l'ONU a même déterminé que les études examinant les taux de leucémie chez les liquidateurs n'étaient pas concluantes et souffraient d'« une faible puissance statistique, d'incertitudes dans la reconstitution des doses et d'incohérences internes ».

Pour ses calculs, l'ONU s'est fondée sur les effets sanitaires observés au sein des équipes de secours, ce qui rend également peu probable une augmentation massive des taux de cancer chez les adultes. Chez les enfants, aucune augmentation mesurable de la leucémie n'a été observée, y compris chez ceux ayant été exposés aux radiations in utero. Concernant les autres impacts, il est probable qu'il n'y ait pas d'augmentation mesurable des niveaux de thyroïdite auto-immune, des maladies cardiovasculaires et cérébrovasculaires, ainsi que de l'ensemble des cancers solides.

Pourquoi ? Parce qu'il s'avère que bien des ouvriers chargés du nettoyage, tout comme la majorité des habitants des zones considérées comme « contaminées » ont en réalité reçu des doses similaires à une année de rayonnement naturel. De même, les liquidateurs allaient être étroitement surveillés et déchargés de leur mission après six mois passés sur le terrain.

Un modèle de risque imparfait

D'où viennent donc les estimations de mortalité extrême, ou du moins nettement plus élevées que les chiffres de l'ONU ? En général, d'un modèle de risque imparfait, dit « linéaire sans seuil » (LSS). Selon le modèle LSS, toute exposition aux rayonnements, qu'importe la dose, a des conséquences néfastes sur la santé. Ce qui n'est probablement pas le cas.

Cette hypothèse se voit notamment contredite par des expériences naturelles. Yangjiang, en Chine, a un rayonnement de fond trois fois supérieur à celui d'une ville voisine. Pourtant, une étude rassemblant plus de 100 000 habitants de Yangjiang, mis en regard d'un échantillon équivalent dans la ville voisine, constate que les premiers ne présentent pas de risque significativement plus élevé de cancer.

Une étude similaire a été menée dans la ville iranienne de Ramsar, où les niveaux de rayonnement de fond mesurés sont les plus élevés au monde, soit jusqu'à 200 fois supérieurs à la moyenne mondiale. Les chercheurs y constatent que les résidents de Ramsar présentent des taux de cancer inférieurs à ceux des groupes de contrôle.

Dans une interview, David LeClear, ingénieur nucléaire et spécialiste des rayonnements, explique comment le LSS permet d'obtenir les estimations de mortalité les plus extrêmes. « Vous pouvez partir d'un millirem, qui est une dose infime de rayonnement, l'extrapoler sur plusieurs milliards de personnes et parvenir à des décès. Sauf que c'est un peu comme dire qu'être aspergé d'eau à partir d'un petit flacon pulvérisateur vous mouille davantage que rester des heures sous une pluie battante. »

Ce qui n'empêche pas le LSS d'être soutenu par de nombreux scientifiques. Dans une interview, le Dr Timothy Mousseau, expert en radiations à l'université de Caroline du Sud, le défend en ces termes : « L'Académie nationale des sciences a examiné ce sujet à plusieurs reprises et le consensus parmi la plupart des spécialistes est que, en l'état actuel des choses, le modèle linéaire sans seuil est notre meilleure hypothèse de travail. » Mousseau cite d'ailleurs une étude réputée estimant le nombre de morts de Tchernobyl à près de 18 000.

Soit, en réalité, vraiment pas grand-chose. Même en prenant ce chiffre pour argent comptant, les décès de Tchernobyl ne sont en rien rédhibitoires pour l'énergie nucléaire une fois replacés dans leur contexte. L'humanité doit obligatoirement accélérer le déploiement du nucléaire pour mettre fin à la combustion des combustibles fossiles, qui tue pour sa part des millions de personnes chaque année. À ce jour, en suppléant aux combustibles fossiles, le nucléaire aura déjà sauvé plus de 1,8 million de vies.

La taille de la zone d'exclusion de Tchernobyl et l'ampleur des évacuations n'ont pas reflété la réalité des besoins. Au lieu de délimiter strictement les zones dangereuses, les autorités ont suivi les principaux axes de circulation routière, les frontières et les cours d'eau pour gérer au mieux les populations. De plus, dans une grande partie de la zone, les niveaux de radioactivité ont chuté de façon spectaculaire en quelques années. Selon le Dr Mousseau, « plus de la moitié de la zone n'est plus radioactive et ne l'était restée, en général, que quelques années après les premiers dépôts radioactifs ».

Le gros des évacués n'avaient pas besoin de quitter leur domicile. En 1990, les autorités avaient évacué 220 000 personnes, sauf que les doses de radiation évitées étaient trop faibles pour le justifier, selon une étude publiée en 2017. Selon certaines recherches, bien des évacuations initiales n'auraient jamais dû avoir lieu.

Une zone qui revit

La réhabilitation de la zone touchée a démarré peu après l'accident, à partir de la centrale nucléaire elle-même. Les besoins en électricité pour l'hiver à venir étaient si pressants, et les atteintes à leur réputation si colossales, que les dirigeants soviétiques allaient exiger la remise en service rapide des unités 1, 2 et 3 de la centrale.

Pour ce faire, les liquidateurs allaient pomper les couloirs inondés, arracher le béton, décaper les murs et laver à grandes eaux les systèmes de ventilation. Vêtus de vêtements doublés de plomb, ils allaient pelleter les morceaux du réacteur explosé depuis le toit de l'unité 3 jusqu'aux entrailles de l'unité 4. Pour ces liquidateurs, ce fut comme si leur bouche s'était remplie de métal et leur corps s'était vidé de son sang. Mais ils allaient réussir leur mission. L'unité 1 est entrée en service cinq mois à peine après l'accident, et les unités 2 et 3 lui ont emboîté le pas.

Et m​algré le traumatisme de cette expérience, les ouvriers de Tchernobyl ont manifesté en 2000, lorsque le gouvernement ukrainien a décidé la fermeture de l'unité 3. À l'époque, Yevgeny Lobtsov, qui avait commencé à travailler sur le site deux mois après l'accident, déclarait au New YorkTimes : « Je ne sais pas ce qui va être fait pour mes enfants maintenant. »

La zone d'exclusion commence à revivre. En 2010, le gouvernement biélorusse annonçait la réouverture à l'urbanisation et à l'agriculture de certains secteurs de la zone accueillant autrefois 137 000 âmes. L'Ukraine a ouvert la zone au tourisme en 2019.

Ce qui n'enlève rien au fait que Tchernobyl a été une catastrophe atroce. Heureusement, si les normes de sécurité actuelles restent ce qu'elles sont – et il y a peu de raisons de penser qu'elles ne perdurent pas – un autre Tchernobyl n'est tout simplement pas possible.

Avec les modèles existants, il n’est tout simplement pas possible de reproduire ce qui s’est passé à Tchernobyl

Si le réacteur de Tchernobyl, le RBMK-1000 de conception soviétique, a explosé, c'est à cause de défauts structurels qu'on ne retrouve dans aucun des réacteurs actuels. Pour simplifier, la catastrophe a eu lieu parce que la température du réacteur a augmenté d'une manière incontrôlable lorsque de la vapeur s'est formée dans son système de refroidissement. Le cas échéant, les réacteurs aujourd'hui en service se refroidissent. En outre, contrairement au RBMK, les réacteurs contemporains sont enfermés dans des dômes de béton et d'acier conçus pour résister à d'éventuelles explosions de vapeur. Un avion de ligne pourrait s'écraser sur un dôme de confinement sans le perforer.

LeClear estime que les centrales nucléaires actuelles sont immunisées contre une catastrophe de l'ampleur de Tchernobyl. « Avec les modèles existants, il n'est tout simplement pas possible de reproduire ce qui s'est passé à Tchernobyl. Même les vieux RBMK toujours en service ont été modifiés. Nous avons appris et nous nous sommes améliorés, c'est ce que nous faisons dans tout secteur industriel, et en particulier dans le nucléaire ». Aujourd'hui, huit réacteurs RBMK rénovés sont encore en service, dont deux à la centrale nucléaire de Leningrad, à 70 kilomètres à l'ouest de Saint-Pétersbourg.

Les normes de sûreté en vigueur à Tchernobyl et les contraintes propres à la culture soviétique ne sont pas représentatives de ce qui se fait aujourd'hui dans l'industrie nucléaire internationale. Les opérateurs de Tchernobyl ont désobéi aux ordres. Ils ne communiquaient pas entre eux. Et la centrale manquait même de mesures de précaution élémentaires, comme la présence de pompiers à demeure.

Aux États-Unis par exemple, les centrales nucléaires n'ont pas les mêmes problèmes. Westinghouse, l'un des géants du nucléaire américain, a implanté la communication ouverte dans toutes ses opérations. Si un employé voit une clé à molette mal placée, une porte ouverte qui devrait être fermée ou s'il a besoin de poser une question à un superviseur, il le consigne dans un système numérique auquel tout le monde peut accéder et que tout le monde peut voir. Les employés doivent même signaler s'ils trébuchent et tombent.

Selon Mark Nelson, expert en énergie et consultant au Radiant Energy Group, depuis Tchernobyl, « l'industrie nucléaire mondiale a atteint, grâce au principe de contrôle par les pairs, un niveau de performance surpassant même celui de l'industrie aéronautique ».

Quel impact sur la santé mentale ?

Mais quid de la guerre ? L'invasion de l'Ukraine par la Russie fait comprendre comment, même en situation de guerre, le risque d'un nouveau Tchernobyl est inexistant. Les Russes ont stationné des unités d'artillerie autour de la centrale nucléaire de Zaporijia. Certains obus, probablement russes, ont touché des bâtiments de la centrale. Les six réacteurs sont intacts et sont tous aujourd'hui à l'arrêt. Mais même si les réacteurs étaient endommagés ou, sans accès à l'eau de refroidissement, commençaient à fondre, ils ne pourraient pas exploser comme à Tchernobyl.

Si Tchernobyl a été une tragédie, ce n'est pas tant du fait de l'explosion du réacteur en elle-même que des réactions qu'elle aura suscitées. Chez les personnes exposées à des doses inoffensives de radiations, on note une augmentation des taux de dépression, d'anxiété, mais aussi de symptômes physiques médicalement inexpliqués. À cause de l'accident, on a estimé en 1987 que plus de 100 000 grossesses désirées avaient été interrompues en Europe occidentale. Selon les conclusions du Forum Tchernobyl, une organisation qui fait partie des Nations unies : « L'impact de Tchernobyl sur la santé mentale est le plus grand problème de santé publique déclenché par l'accident à ce jour. »

La révolte contre l'énergie nucléaire, fondée sur les peurs suscitées par Tchernobyl, a entraîné des milliers de morts inutiles et une masse d'émissions de carbone évitables. Vu le traumatisme causé par l'accident, cette répulsion est totalement compréhensible. Mais les faits sont désormais connus et révèlent une vérité simple : nous n'aurions jamais dû craindre l'énergie nucléaire.

 

Lea Booth* pour Quillette** (traduction par Peggy Sastre)

*Lea Booth est un journaliste indépendant vivant à Richmond, en Virginie. Il a été rédacteur sénior pour le think tank Environmental Progress. Vous pouvez le suivre sur Twitter.

 
 

** Cet article est paru dans Quillette. Quillette est un journal australien en ligne qui promeut le libre-échange d'idées sur de nombreux sujets, même les plus polémiques. Cette jeune parution, devenue référence, cherche à raviver le débat intellectuel anglo-saxon en donnant une voix à des chercheurs et des penseurs qui peinent à se faire entendre. Quillette aborde des sujets aussi variés que la polarisation politique, la crise du libéralisme, le féminisme ou encore le racisme. Le Point publie chaque semaine la traduction d'un article paru dans Quillette.

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Valeri Legassov : son enquête fatale sur Tchernobyl

MORTELLE SCIENCE. Le 26 avril 1986, l’explosion de la centrale nucléaire secouait le monde. Deux ans après la catastrophe, jour pour jour, le scientifique se suicidait.

amedi 26 avril 1986, sous un grand soleil, le réacteur n° 4 de la centrale atomique de Tchernobyl, à 130 kilomètres de Kiev, vient d'exploser. Mais qui se souvient encore du deuxième anniversaire de cet événement, que Valeri Alekseïevitch Legassov va célébrer en se suicidant, dans sa cinquante et unième année ? En Ukraine, dans la centrale atomique de Tchernobyl, Valeri Legassov raconte : « J'appris qu'un incident avait eu lieu à la centrale nucléaire de Tchernobyl, que l'on avait créé une commission gouvernementale et que j'en ferai partie. »

Toutefois, les connaissances de Legassov se focalisent sur les matériaux. Il se rend donc à l'université pour s'assurer de la collaboration d'Aleksandr Kalugine, spécialiste de la technologie des réacteurs RBMK, un type de réacteurs qui demeurera l'apanage de l'Union soviétique. Or, la situation prend rapidement une tournure un peu plus urgente que ne le laissaient paraître les premières informations distillées par les instances officielles. Dans le courant de la nuit précédente, Kalugine avait déjà reçu un signal d'alarme codé qui signifiait que l'« incident » devait comporter au minimum un danger potentiel d'irradiation, d'incendie ou d'explosion… ou des trois à la fois.

« Je rentrai immédiatement à la maison. Ma femme revint précipitamment de son travail, et je lui expliquai que je partais en service commandé, que je ne comprenais rien à la situation, que j'ignorais la durée de mon absence et le but de ce déplacement. Je dois reconnaître maintenant que, à ce moment-là, il ne me vint pas une seule fois à l'esprit que nous allions au-devant d'un événement de portée planétaire. »

Legassov embarque donc à destination de Kiev, dans un avion que le gouvernement a mis à la disposition d'une délégation de scientifiques et d'ingénieurs ; et aussi de quelques responsables politiques, de manière à assurer que l'« incident » ne donne pas lieu à des interprétations contre-révolutionnaires. De Kiev, le voyage se poursuit en voiture.

« Alors que nous approchions de la centrale, à 8-10 kilomètres de distance déjà, on pouvait voir les lueurs cramoisies de l'incendie. » Il est environ 20 heures lorsque la délégation arrive à proximité du lieu de l'« incident ». « On se rend compte d'emblée que les responsables de la centrale et ceux du ministère de l'Énergie, présents aussi sur les lieux, se comportent d'une façon tout à fait contradictoire. Il n'y a aucun plan opérationnel. »

 

Dans les jours qui suivent, l'ampleur de l'« incident » commence à donner lieu à des évaluations précises, tant de la part des laboratoires civils que des services spécialisés de l'armée. Toutes ces données sont récoltées par la commission gouvernementale spéciale à laquelle appartient Legassov, et sont traduites en décisions aussi appropriées que possible, pour ce qui concerne les travaux à entreprendre sur la centrale ou dans les environs.

En revanche, la question se pose de savoir comment informer les populations des mesures qu'elles doivent respecter. « Il s'avéra que malgré l'existence dans notre pays de maisons d'édition spécialisées dans le secteur médical, il n'y avait aucune publication susceptible d'être distribuée rapidement parmi la population et de fournir des renseignements sur la façon de se comporter dans des zones de danger d'irradiation accrue ; aucune publication donnant des conseils élémentaires sur la consommation de fruits et de légumes, etc. »

 
Une pudique « responsabilité collective »

Mais le compte rendu de Legassov ne se limite pas à la description des événements ; il comporte également des digressions fort intéressantes sur le délitement progressif de toutes les règles et de tous les principes initialement professés dans la conception et la construction de centrales nucléaires en Union soviétique. La compétition entre les personnes et les instituts, pour gagner une part du mérite à l'édification d'un avenir radieux, conduit à multiplier les centres de compétences, et surtout les centres de décision. En cas de réussite, tout le monde s'en félicite ; en revanche, en cas d'incident, chacun pense sincèrement que c'était quelqu'un d'autre qui s'en occupait.

Legassov s'inquiète de ce qu'il baptise pudiquement une « responsabilité collective », alors que la description qu'il en donne ressemble davantage à une irresponsabilité générale : « J'ai chez moi, dans mon coffre-fort, l'enregistrement des entretiens téléphoniques entre les opérateurs à la veille de l'avarie. Il y a de quoi attraper la chair de poule. Ainsi, un opérateur en appelle un autre et demande : “Dis donc, ici dans ce programme, il est dit comment procéder, et ensuite je vois que d'importants passages ont été biffés ; qu'est-ce que je dois faire ?” Après un instant de réflexion, l'autre lui répond : “Procède selon ce qui est supprimé.” » Toutes les citations transcrites ci-dessus proviennent d'un document, publié dans la Pravda du 20 mai 1988 et diffusé depuis lors dans le monde entier sous le nom de Testament de Legassov.

Testament ? Constatant que ce qui s'était passé à Tchernobyl n'avait rien changé au laxisme qui prévalait dans l'industrie nucléaire russe, Valeri Alekseïevitch Legassov se donna la mort par pendaison à son domicile, par un mardi dont l'histoire ne dit pas s'il fut ensoleillé. C'était le 26 avril 1988, jour du deuxième anniversaire de l'« incident » de Tchernobyl.

Cet article est issu de Morts pour la science. 68 destins scientifiques tragiquement contrariés, éd. Presses polytechniques romandes, juin 2022, 406 pages, 22 euros.

 

Par Pierre Zweiacker

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