Un relevé laser va révéler les secrets du sol français

Publié le par ottolilienthal

Une ambitieuse mission de l'IGN a pour but de réaliser un relevé laser avec une précision inégalée de la totalité du territoire national d'ici à 2025. Avec, à la clé, la promesse de découvertes archéologiques insoupçonnées.

Mont Saint-Michel, vallée du Rhône, massif des Écrins, Camargue, pont du Gard ou rade de Brest… C'est à un véritable travail de titan que va s'attaquer l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) : cartographier à une échelle de précision inégalée, l'intégralité de la France ! À l'arrivée, les chercheurs comme le grand public auront accès à des données topographiques pour chaque mètre carré du territoire national. "Il s'agira de la description la plus fine jamais réalisée ", se réjouit Loïc Gondol, un des responsables de cet ambitieux programme.

Rencontré dans son bureau à Saint-Mandé (Val-de-Marne), ce chef de projet a détaillé l'ampleur inédite de cette opération planifiée sur cinq ans (2021-2025). Outre la couverture de l'Hexagone, elle englobera la Corse et des départements d'outre-mer, à savoir la Martinique, la Guadeloupe, La Réunion, Mayotte ou Saint-Pierre-et-Miquelon. "L'objectif est à terme de mettre à disposition et en libre accès des données de grande précision pour une connaissance fine du sol topographique, et de ce que l'on appelle le sursol. C'est-à-dire tout ce qui se trouve au-dessus du sol, de la végétation aux bâtiments, en passant par les surfaces d'eau ou les ouvrages d'art", poursuit le spécialiste. Les données seront acquises depuis un avion, avec un lidar haute densité. Il s'agit d'une technique de mesure à distance fondée sur l'analyse des propriétés d'un faisceau de lumière (laser) renvoyé vers son émetteur après avoir été réfléchi par un obstacle. Il effectuera un relevé de dix points (ou impulsions) par mètre carré. "Ces données prendront la forme de nuages de points et de modèles numériques de terrain (MNT) en trois dimensions."

Des données brutes, sans texturage d'images. À chacun ensuite d'en extraire les informations pertinentes. Elles permettront entre autres, dans un avenir proche, d'identifier aussi des vestiges archéologiques encore inconnus. Des discussions ont été amorcées auprès de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) pour mieux connaître les besoins et identifier les premiers projets à lancer (lire l'encadré ci-dessous). Déjà en France, le mont Saint-Michel, les arènes de Nîmes ou encore le pont du Gard ont été entièrement inventoriés.

"Il est toujours impressionnant de voir surgir des vestiges sous le couvert forestier", par Dominique Garcia, président de l'Inrap

''Le lidar permet de faire des relevés de très grandes surfaces en un temps record. Et il est toujours impressionnant de voir surgir des vestiges sous le couvert forestier, comme cela a été le cas avec les fossés de la ville gauloise de Bibracte, la capitale des Éduens, au pied du mont Beuvray, dans le Morvan. Récemment, nous avons aussi utilisé cette technologie dans le cadre de la restitution d'un ancien pénitencier d'enfants identifié à l'îlet Guillaume dans le département de La Réunion, et sur des sites forestiers en Guyane qui nous ont permis de relever de grands sites comme les montagnes couronnées, de monumentaux aménagements précolombiens. Nous commençons également à l'utiliser en archéologie préventive sous-marine. De même pour des vestiges datant de la Seconde Guerre mondiale. Mais si le lidar est d'un apport considérable, il produit aussi de la complexité qu'il faut ensuite savoir interpréter. ”

Le lidar, un allié dans l'étude des grandes batailles

C'est aussi grâce au lidar que des archéologues ont pu récemment démontrer que des forêts d'Alsace avaient été mises en culture à l'époque romaine, alors qu'elles étaient censées remonter à un âge plus ancien. De même, parce qu'il permet l'analyse de sites à grande échelle, le lidar sera aussi un allié dans l'étude des grands champs de bataille. Mais ce n'est là qu'un volet des promesses de relevé national. "Cette initiative s'inscrit dans le cadre du plan France relance, déployé par le gouvernement, pour surtout répondre à des enjeux d'aménagement du territoire comme la gestion des risques ou l'analyse des ressources agricoles et forestières ", souligne Loïc Gondol. Par exemple, pour aider à la prévention des risques d'inondations.

En octobre 2020, les avions de l'IGN avaient déjà effectué en urgence des relevés lidar dans les zones sinistrées par la tempête Alex. Le but était de modéliser les évolutions topographiques des vallées touchées et mettre à jour les plans de prévention des risques. "L'exploitation de ces nouvelles données permettra de réduire la vulnérabilité de certains territoires en s'appuyant sur des cartographies plus détaillées. À partir des nuages de points, il sera en effet possible de réaliser des modèles numériques de terrain au mètre carré près ! ", s'enthousiasme Loïc Gondol. Autre application : une gestion plus fine des forêts. "Ces données nous permettront de connaître les peuplements forestiers à l'échelle de la parcelle et non plus seulement du massif comme c'est le cas aujourd'hui ", assure l'ingénieur.

Comment le projet va-t-il se dérouler ? D'abord, l'Hexagone a été découpé en 236 carrés de 50 km de côté. "Ces blocs constituent nos unités d'acquisition et de traitement ", explique Laurent Cunin, chef de service de l'imagerie et de l'aéronautique à l'IGN. Depuis avril, des avions à bord desquels sont embarqués des capteurs lidar survolent le quart sud-est de la France. L'IGN travaillant avec l'appui de quatre regroupements de sous-traitants, une dizaine d'aéronefs seront mobilisés pendant les cinq ans de l'opération pour acquérir ces données. "72 carrés sont sous-traités ", indique Laurent Cunin. Et l'établissement des programmes de leurs plans de vol est extrêmement précis. Chacun est en effet soumis aux autorisations du contrôle aérien. Avec une veille particulière concernant les conditions météo.

"Les relevés lidar doivent être effectués dans un ciel sans nuage sous l'avion ", assure l'expert. La veille d'une journée météo favorable, un envoi dit J-1 est ainsi adressé au contrôle aérien pour obtenir une autorisation de plan de vol. Le survol d'un "carré" comportant par exemple une centrale nucléaire ou une zone militaire n'est pas libre. "Si l'IGN dispose d'autorisations permanentes de survol, de prises d'images ou de relevés lidar partout en France, ce n'est pas le cas des sous-traitants qui doivent procéder à des demandes systématiques ", précise Laurent Cunin. Il leur sera impossible de survoler l'île Longue (Finistère) si un sous-marin nucléaire en sort. La France comporte de nombreuses Zones interdites à la prise de vue aérienne (Zipva). Ainsi, programmé de façon automatique dans le plan de vol, l'appareil lidar s'interrompra pendant le survol de la zone interdite. D'autres difficultés se poseront lors du survol des massifs montagneux. En haute montagne, pour obtenir de meilleures résolutions des fonds de vallée, un relevé lidar HD prendra soixante-dix heures là où, en plaine, une vingtaine d'heures de vol suffisent. Ce qui multipliera les coûts.

À terme, les données seront accessibles sur Internet

"L'autre grand défi de cette opération pour l'IGN concerne l'hébergement et le stockage des données (nuages de points, modèles numériques de terrain, etc.) dont jamais un tel volume n'a été donné à gérer ", révèle Loic Gondol. Les données pour la couverture totale de la France sont estimées à 3 pétaoctets (soit 3 millions de gigaoctets) ! Des accords ont ainsi été passés avec des clouds appartenant à l'État français pour leur hébergement. De grands espaces de stockage seront divisés entre le site IGN de Saint-Mandé et celui de Toulouse (Haute-Garonne). Diffusés en accès libre (open data), tous ces éléments pourront être à terme consultés sur Internet et téléchargés.

"Ils seront accessibles par le site Géoportail, précise Loïc Gondol. Et les utilisateurs seront accompagnés pour leur consultation par les services de l'État. " Par exemple, un préfet désirant connaître la vulnérabilité de tel ou tel secteur pourra faire appel à la direction départementale des territoires (DDT) pour aller rechercher ces données et les faire exploiter par ses spécialistes.

 

Avec ce projet d'un montant de 60 millions d'euros, la France va rejoindre les rares pays européens possédant une telle couverture nationale. À l'instar des Pays-Bas, pour des problématiques d'inondations notamment, ou encore de la Suède. Les Suisses sont également en train de numériser leur espace. Et si l'Angleterre possède un tel recouvrement, ce n'est pas à l'échelle de précision de ce que la France va produire. Le relevé des 38 premiers départements du sud de la France est prévu sur deux ans (printemps-étés 2021/2022). L'ensemble du territoire devrait être couvert d'ici la fin de l'année 2025.

 

Cet article est extrait de Sciences et Avenir - La Recherche n°898, daté décembre 2021.

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