Notre-Dame-des-Landes...

Publié le par ottolilienthal

Que sont les zadistes de Notre-Dame-des-Landes devenus…

 

Quatre ans après l’abandon de l’aéroport, les maisons poussent comme des champignons. Les rêves d’autogestion des zadistes, eux, pataugent.

Et on allait voir ce qu'on allait voir…. Le 17 janvier 2018, le Premier ministre Édouard Philippe annonçait l'abandon du projet de construction d'un nouvel aéroport, au nord de Nantes (Loire-Atlantique), sur les communes de Notre-Dame-des-Landes, Vigneux-de-Bretagne et Fay-de-Bretagne. Le champ des possibles s'ouvrait, au sens propre. Du jour au lendemain se libéraient 1 650 hectares de zone d'aménagement différé (ZAD, rebaptisée « zone à défendre »), où tous les projets avaient été gelés depuis les années 1970, afin de ménager de la place pour l'ex-futur équipement.

Les plus réalistes des opposants à l'aéroport rêvaient de copier le modèle de la Société civile des terres du Larzac, créée en 1985 par une centaine de paysans pour gérer en commun 6 300 hectares de causses récupérés après l'abandon d'un projet très contesté d'extension de camp militaire. Les plus radicaux, de leur côté, rêvaient de pérenniser ce qu'une zadiste qualifiait dans une tribune de « plus grand squat d'Europe », où « les lois de l'État ne s'imposaient pas ». C'était audacieux, mais, après tout, pourquoi pas ? Résigné à donner satisfaction aux zadistes, l'État avait déjà passé par pertes et profits des dizaines de décisions de justice administrative ayant, au fil des années, débouté les opposants à l'aéroport ainsi que les résultats d'un référendum départemental organisé en juin 2016 (55 % des 493 000 votants s'étaient déclarés favorables au projet). La frange radicale des antiaéroport pouvait raisonnablement espérer pousser son avantage.

Confrontations physiques. Elle a très vite déchanté. La victoire à peine célébrée, l'union des zadistes et des agriculteurs a volé en éclat. Elle avait toujours été fragile. Les premiers envisageaient de créer une enclave autogérée, affranchie des rapports marchands, des pesticides, des uniformes, du salariat, du capitalisme, etc. Les seconds, plus prosaïquement, voulaient des terres pour faire leur travail. Dès l'automne 2018, le match était plié. Les paysans demandaient des baux ruraux au conseil départemental de la Loire-Atlantique, principal propriétaire du foncier, à la suite du désengagement de l'État. Ils étaient dans leur droit, ils avaient la volonté de le faire respecter et, détail qui a son importance, ils avaient des tracteurs. Les confrontations physiques ont tourné à la déroute pour les zadistes. Comme l'explique un cadre de la chambre d'agriculture, ces derniers s'étaient mis eux-mêmes dans une position intenable : « Ils avaient cassé du flic pendant dix ans. Difficile de les appeler au secours le jour où un Massey Ferguson de 5 tonnes passe sur votre cabane. » 

Le conseil départemental, de son côté, comptait les points, pas forcément mécontent de voir les zadistes enfin canalisés. « Il y avait des tensions et des visions différentes concernant ce territoire », euphémise Michel Ménard, président (PS) du conseil départemental, qui se dit « ouvert à l'expérimentation et à l'innovation, sur l'ex-Zad comme dans le reste de la Loire-Atlantique, mais toujours dans le respect du droit commun ». Concrètement, le département a confié les terres à des exploitants agricoles, installés de longue date ou arrivés par le biais de la ZAD. Il a assorti les baux de clauses environnementales exigeantes, mais qui ne sont pas propres à l'ex-ZAD, et qui n'excluent ni le productivisme honni ni l'emploi raisonné de phytosanitaires. Ni plus ni moins.

La limite du troc. Une association appelée NDDL Poursuivre ensemble s'efforce aujourd'hui de prolonger l'esprit de la lutte. « La ZAD au sens de projet viable est toujours là, il y a environ 150 porteurs de projet », assurait son coprésident, Christian Grisollet, sur la chaîne locale Télénantes, le 14 mars 2022. Contacté au sujet de cette marée d'innovations, un autre coprésident, Joël Quélard, nuance fortement : il est question de « 150 personnes toujours présentes dans des habitats légers sur la ZAD », pas forcément à l'année. Les projets conçus pendant l'occupation de la ZAD et qui se sont concrétisés seraient une vingtaine, en comptant très large.

Un examen attentif pousse à penser qu'ils auraient pu voir le jour dans n'importe quel coin de bocage : culture de sarrasin, élevage d'ovins, maraîchage bio, tiers-lieu en tout genre… Dans ce dernier registre, l'association Abrakadabois est un cas d'école. Elle propose des ateliers de découverte de la forêt et du métier de bûcheron. Fin 2021, elle discutait d'un partenariat avec l'Office national des forêts. Un gage de sérieux, mais aussi une forme de « compromission » avec un organisme dévolu à la production massive de bois d'œuvre et attributaire de permis de chasse très convoités ! Tout ce que les zadistes intégristes abhorrent, en théorie. Le Point aurait aimé savoir ce qu'ils en pensaient, mais ils n'ont pas souhaité s'exprimer, faisant savoir que l'hebdomadaire n'était « pas le bienvenu » sur le terrain.

Même silence du côté des « agronomes en lutte » qui ont pris la parole à AgroParisTech, le 11 mai 2022, lors de la cérémonie de remise des diplômes, pour manifester leur refus de l'agriculture intensive et du capitalisme. L'une d'entre elles avait expliqué au micro qu'elle pratiquait « l'agriculture vivrière sur la ZAD ». Autrement dit, la simple subsistance, en autoconsommation. Où exactement ? Mystère. « Des zadistes sont devenus agriculteurs, mais ils ont des impératifs économiques, ils recherchent la rentabilité », rappelle comme une évidence Jean-Paul Naud, maire de Notre-Dame-des-Landes. Le troc et l'autoconsommation atteignent vite leurs limites. « Si on voit passer des jeunes de la ZAD ? Bien sûr…, confirme avec flegme une caissière du Super U de Vigneux-de-Bretagne. On les a toujours vus. » 

La « face sombre » de la ZAD. En réalité, la ZAD s'efface, sur le terrain comme dans les esprits. La départementale 281 a été nettoyée de ses chicanes. Pendant des années, cette route était jonchée d'obstacles posés par les zadistes, qui prétendaient en contrôler l'accès. Les squats impressionnants construits au plus fort de la lutte ont disparu. La quasi-totalité des constructions sans permis a été rasée. Quelques habitats légers persistent, mais ils sont en règle. « Il y avait eu des branchements sauvages à l'électricité. Enedis a tout régularisé, à deux exceptions », souligne Jean-Paul Naud. Opposant historique à l'aéroport, il ne cache pas sa satisfaction de voir sa commune redevenir un « endroit normal ».

Il n'est pas le seul. Élue locale et pionnière de la lutte contre l'aéroport, Françoise Verchère avait évoqué dans une lettre ouverte publiée en avril 2018 la « face sombre » de la ZAD, faite de violences et de penchants antidémocratiques. Une vérité connue de tous, qu'il ne fallait « jamais dire au nom de l'unité du mouvement », soulignait-elle.

Agriculteurs contre zadistes. La violence appelle la violence. Dans la Loire-Atlantique, les ZAD provoquent désormais des réactions épidermiques. À l'été 2019, à Saint-Père-en-Retz, des militants ont tenté d'en créer une pour bloquer la construction d'un centre de loisirs avec vague de surf artificielle. Plusieurs agriculteurs sont intervenus pour les chasser. Les bagarres ont fait des blessés, les gendarmes ont été appelés, la ZAD de Saint-Père est mort-née. Celle de l'île du Carnet a tenu sept mois. Elle avait été créée dans le but de bloquer un projet d'extension du port de Nantes-Saint-Nazaire, en août 2020. Elle a été évacuée en mars 2021. « Fin janvier, deux zadistes ont été tabassés par des gens du coin, raconte un élu local. Le préfet a sifflé la fin de la partie avant que la situation ne dégénère vraiment. »

Au Carnet, les occupants s'opposaient à la création d'une zone consacrée à l'assemblage d'éoliennes off shore. Elles sont pourtant présumées bénéfiques pour l'environnement et le climat, argument numéro un des antiaéroport de Notre-Dame-des-Landes. Mais c'est trop peu pour trouver grâce aux yeux des zadistes purs et durs. De Saint-Nazaire à Strasbourg (où ils luttent contre le grand contournement ouest), ils assument un projet décroissant, voire malthusien.

Dans un département comme la Loire-Atlantique, qui gagne 17 000 habitants par an, c'est une gageure. Les élus de Notre-Dame-des-Landes, de Fay et de Vigneux le savent mieux que personne : leur territoire, bien desservi, idéalement situé en bordure d'une métropole qui grandit très vite, est terriblement tentant aux yeux des promoteurs et des aménageurs. Si leur bocage a été préservé, ce n'est pas grâce aux zadistes mais parce qu'il avait été mis sous cloche, en attendant l'aéroport. Depuis que celui-ci a été jeté aux oubliettes, la pression démographique se fait à nouveau sentir. À Notre-Dame, les prix des terrains à bâtir ont augmenté de 60 % depuis janvier 2018. « On est passé de 50 000 à 80 000 € pour un lot constructible de 500 mètres carrés », explique Jean-Paul Naud. Les jeunes ménages nantais, pour qui le cœur d'agglomération devient difficilement abordable, regardent vers la deuxième couronne.

« Densifier les bourgs ». Entre le 1er janvier 2019 et le 1er janvier 2022, les trois communes de l'ex-ZAD ont accordé près de 400 permis de construire à des logements, dont une large majorité de maisons individuelles. C'est 25 % de plus que durant les trois années précédentes. Sans parler des locaux d'activités (9 500 mètres carrés pour les années 2019 et 2020) et du gros chantier d'élargissement de la voie express N165. Cet axe, qui file vers Saint-Nazaire et Vannes en sortant de Nantes, est souvent saturé. Il va passer de 2 x 2 à 2 x 3 voies. Le chantier est lancé. Aucun zadiste ne s'y oppose, mais la construction d'une nouvelle station-service à Vigneux, en bordure de voie express, a suscité la colère d'un comité de riverains.

L'aéroport devait artificialiser environ 600 hectares. Au rythme où se développe le secteur, combien de temps faudra-t-il pour que l'urbanisation les grignote sans bruit ? « Nous sommes très vigilants, tempère Bruno Veyrand, vice-président chargé de l'urbanisme à la communauté de communes Erdre et Gesvres, limitrophe de Nantes et à laquelle appartiennent Vigneux, Fay et Notre-Dame. Il n'est pas question d'ouvrir sans retenue des zones à l'artificialisation. L'objectif est de densifier les bourgs. » Jean-Paul Naud, de son côté, veut planifier sa croissance. « De quinze à vingt maisons en plus par an, c'est raisonnable. » Au-dessous de ce seuil, tôt ou tard, le maire sait que les deux écoles primaires du village (2 100 habitants) seraient en danger, faute d'enfants. Au-dessus, Notre-Dame-des-Landes pourrait devenir un jour un faubourg nantais. « Nous sommes déjà dans le Grand Nantes, soupire Bruno Veyrand. La pression est forte, ce ne sera pas simple… ».

Comme tous les aéroports du monde, celui de Nantes-Atlantique a enregistré ces deux dernières années une baisse sévère du trafic : - 54 % en 2021 par rapport à 2019. Avec 7,2 millions de voyageurs l’année précédant le Covid, c’était seulement le huitième aéroport français, mais avec un taux de croissance record. Le trafic a doublé en dix ans ! Si la situation du transport aérien revient à la normale, la question de sa saturation va se reposer. « On ne va pas rejouer le match, il n’y aura pas d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, tranche Guillaume Dalmard, président de l’association Des ailes pour l’Ouest, qui se battait pour un déménagement de Nantes-Atlantique. Mais maintenant, on fait comment ? » Vaste question. Nantes-Atlantique craque aux coutures en période de pointe. Les avions se succèdent à un rythme accéléré sur l’unique piste. Les passagers se bousculent dans une aérogare dramatiquement exiguë. Les aires de stationnement débordent. Des riverains, plusieurs kilomètres à la ronde, ont ouvert des parkings privés. Un appel d’offres a été lancé pour choisir un nouveau concessionnaire pour l’aéroport, qui devrait être connu fin 2022 ou début 2023. Vinci est candidat à sa succession. Quel que soit le gagnant, l’équation sera délicate. « Le cahier des charges est secret, pointe Guillaume Dalmard, mais on sait que le futur concessionnaire devra investir massivement pour allonger la piste et augmenter la capacité d’accueil. » Le chiffre de 500 millions d’euros est souvent avancé. L’aéroport de Notre-Dame-des-Landes devait coûter 556 millions§ 

r Erwan Seznec

https://www.lepoint.fr/societe/que-sont-les-zadistes-de-notre-dame-des-landes-devenus-18-06-2022-2480050_23.php#xtatc=PUB-[Blocs_ventre_HP]-[]-[les_grandes_enquetes_du_point]-[2480050]

Jean-Marc Jancovici: Notre-Dame-des-Landes : « Construire un aéroport est la dernière des idées à avoir »

 

(interview de 2012)

 

Terra eco : Vous alertez depuis des années sur la raréfaction des ressources en pétrole. La France s’est engagée dans la construction d’un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Qu’en pensez-vous ?

 

Jean-Marc Jancovici : J’ai compris depuis que je m’intéresse aux infrastructures de transport que leur décision répond plus souvent à une logique de compétition territoriale qu’à un besoin. Chaque élu local veut son aéroport, son bout d’autoroute... Tant que l’on est dans un monde où il n’y a pas de limite globale de ressources et d’énergie, ce système est autoréalisateur. Si je construis mon infrastructure et que l’énergie qu’il faut pour qu’elle fonctionne est disponible sans limite, alors des usagers vont s’en servir et je pourrai dire que j’ai bien eu raison de la faire puisqu’on s’en sert. Mais dans un monde contraint, ce n’est pas l’offre en infrastructure qui est le facteur limitant, c’est l’offre en énergie. On en a un exemple avec l’autoroute Pau-Langon, qui a été décidé à un moment où l’on savait que les ressources en pétrole se raréfient et donc que les prévisions de trafic étaient fantaisistes. Et de fait les projections de trafic ne sont pas au rendez-vous.

 

Prédisez-vous le même avenir à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ?

 

Oui. Ce projet a commencé à être évoqué il y a déjà des dizaines d’années, par des gens qui ont acquis leurs modes de raisonnement dans un monde pensé comme infini. Jean-Marc Ayrault en est le bon exemple, il a une soixantaine d’années et défend ardemment le projet. Seule l’inertie du système fait qu’ils veulent pousser ce projet à bout. Le problème est qu’in fine, c’est le contribuable qui prend le risque puisque c’est lui qui va payer la facture. Regardez le nombre d’aéroports qui sont vides en Espagne. Qu’est-ce qui nous garantit que nous ne serons pas dans la même situation dans quinze ans ? L’Espagne, la Grèce et le Portugal sont les pays européens les plus frappés par la crise mais aussi les plus dépendants au pétrole. Plus de 60% de l’énergie consommée en Grèce est du pétrole, pour l’Espagne et la Grèce, ce ratio est de 50%. Ce sont les pays qui se sont pris les plus grosses claques sur leurs factures d’énergie depuis 2005 et ce sont eux qui ont commencé à dégringoler. Pendant ce temps, leurs élus ont construit des aéroports, et non des trains, et les contribuables payent la facture.

 

Le contribuable est aussi parfois un passager, qui prend de plus en plus souvent l’avion...

 

En moyenne, le contribuable prend assez peu l’avion qui, dans les faits, est surtout un transport pour riches. L’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) nous apprend que la mobilité aérienne se concentre sur les 20% qui gagnent le mieux leur vie. Certes, le riche est un contribuable mais il n’est pas le seul. C’est amusant que ce soit un Premier ministre socialiste qui fasse la promotion d’une infrastructure destinée aux plus aisés au surplus en cette période d’argent public rare et cher.

 

Les vols low-cost se sont aussi démocratisés. On peut aujourd’hui se rendre dans n’importe quel pays européen pour quelques euros. La construction d’aéroports se justifie-t-elle à ce titre ?

 

Quand on regarde qui prend ces vols low-cost, on constate que ce sont les cadres et les étudiants – qui appartiennent aux ménages aisés. Les gens qui tirent la langue pour boucler les fins de mois ne prennent pas l’avion du tout, low-cost ou pas.

 

Qui pourra se permettre de prendre l’avion si l’accès au pétrole se raréfie ?

 

Il y a quelques dizaines d’années, seuls les ministres et les stars prenaient l’avion. Même les gens aisés ne pouvaient se permettre de le prendre. Je ne sais pas pour qui l’avion restera disponible dans les décennies à venir, mais en toute logique, il le sera de moins en moins puisque l’on ne peut pas faire déplacer un avion sans carburant liquide. Aujourd’hui, il n’y a aucune alternative crédible. On peut donc dire qu’un projet comme Notre-Dame-des-Landes ne peut fonctionner que si les personnes qui peuvent aujourd’hui prendre l’avion ne voient pas leur niveau de vie baisser dans les années à venir, même en cas de récession due à une baisse des ressources en pétrole. C’est bien sûr possible avec une répartition à venir des revenus encore plus inégalitaire, mais il faut cela pour que Notre-Dame-des-Landes ne soit pas un échec. Par ailleurs, pour le pétrole, il ne faut pas seulement réfléchir en termes de prix, mais aussi en volume. Or, avec un approvisionnement déclinant, il est possible que, de plus en plus souvent, il n’y ait pas de carburant du tout pendant quelques jours. A ce moment-là, il sera compliqué d’assurer un service fiable...

 

Est-ce la fin du village global que l’on décrivait à la fin du siècle dernier ?

 

Encore une fois, il n’y a de village mondial que pour les riches. Par contre, il est vrai que l’avion participe à homogénéiser les cultures, les pratiques commerciales et aussi les modes de raisonnement. La baisse du trafic aérien va nécessairement modifier la donne de ce point de vue.

 

L’Union européenne a échoué à imposer une taxe carbone au secteur aérien. Comment faire pour réguler ce secteur, grand émetteur de carbone mais complètement transnational ?

 

La taxe dont on parlait était de 15 ou 20 euros la tonne. Un aller-retour transatlantique nécessite 600 litres de carburant, ce qui engendre environ 2 tonnes de CO2. Ce qui donne une taxe d’à peine 30 euros. Les avionneurs se plaindront toujours d’une taxe nationale ou européenne, et menaceront forcement d’aller voir ailleurs. Mais je pense qu’imposer une taxe carbone pour les vols qui arrivent ou partent d’un pays, surtout à 15 ou 20 euros la tonne, ne changera pas le nombre de personnes qui viennent visiter Paris en avion chaque année. La bonne question, c’est de savoir comment augmenter cette taxe année après année et pour quel objectif. Et là je confesse ne pas avoir réfléchi à la question.

 

Vous pensez que Notre-Dame-des-Landes n’est pas la priorité. Mais quels sont les investissements à réaliser aujourd’hui en France ?

 

Si le but du jeu est de donner 500 millions d’euros à un constructeur pour faire des choses utiles, choisir de construire un aéroport est la dernière des idées à avoir. On ferait mieux d’établir des lignes d’autocars de périphérie pour remplacer la voiture dans les trajets domicile-travail. On peut aussi investir pour renforcer le réseau ferré secondaire, ou offrir des offres cadencées sur les TER, ou déconstruire et reconstruire des logements pour les rapprocher des gares... Il y a des tas de choses utiles à faire pour la collectivité, mais la construction d’un aéroport n’en fait plus partie.

 

Le débat sur la transition énergétique va commencer, ces solutions ont-elles une chance d’être retenues à son issue ?

 

Le débat n’est pas lancé. Le pouvoir politique a assurément dit qu’il y aurait un débat, mais à ce stade, il est difficile de dire ce qui en sortira (Cette interview a été réalisée le jeudi 29 novembre, avant le lancement du débat, ndlr). Pour moi, la transition doit être un moyen de résister au monde fini, alors qu’elle est généralement vue par nos dirigeants comme un ensemble de mesures sympas financées par la croissance. Ils n’y sont pas du tout. Ni les médias, ni les dirigeants politiques ni les mouvements environnementaux ne partent de la bonne vision du monde, où l’environnement est le socle de notre économie et non pas son ennemi. Sans comprendre cela, on part dans la mauvaise direction. Par ailleurs, ce débat part non point des contraintes majeures sur les combustibles fossiles, à savoir contraintes d’approvisionnement et changement climatique, mais de la promesse de campagne tirée d’un chapeau de descendre le nucléaire à 50% dans notre mix électrique, sans que la moindre argumentation construite explique pourquoi cela est un point de départ imposé.

 

Nous sommes loin de la transition que vous souhaitez aujourd’hui ?

 

Ce qui est sûr, c’est qu’une transition va avoir lieu de toute façon. En fait, elle a commencé en 1974, et s’est accélérée depuis 2005. Cette transition, c’est celle vers moins de pétrole et de gaz, et elle est déjà en route. L’Europe a perdu 10% de son pétrole depuis 2005, et entre 2006 et 2011, la disponibilité en gaz a baissé de 9%. Et ce ne sont pas les gaz de schiste qui vont nous sauver, leur potentiel de production annuelle est 20 à 30 fois inférieur à ce que nous consommons en Europe. La vraie transition c’est de mettre 5 000 milliards d’euros sur la table - en quarante ans - pour la rénovation de nos infrastructures vitales, c’est-à-dire les villes, les moyens de transport, l’organisation des terres agricoles et les moyens de production industrielle. Il faut le financer en faisant tourner la planche à billet, ce qui nous donnera une économie un peu plus à la chinoise, où les gens ne gagneront pas de pouvoir d’achat mais auront un boulot, et sauront pourquoi ils se lèvent le matin.

 

 

(par Joëlle Leconte)

Un énarque s'insurge contre NDLL

 

Alors que les affrontements s’intensifient entre forces de l’ordre et résistants au projet d’aéroport, Patrick Warin, énarque et ancien directeur à la Caisse des Dépôts et Consignations, s’indigne. Dans une lettre ouverte à François Hollande, il démontre l’absurdité du projet, que seule une « mégalomanie ridicule » semble justifier. « Ceux de Notre Dame des Landes et ceux du Larzac sont de la même trempe de Français, nous serons des millions à les soutenir pour qu’on les écoute », lance-t-il à son ancien collègue de promo à l’ENA.

 

Lettre ouverte à Monsieur François Hollande, Président de la République,

 

De la part de Patrick Warin, ancien élève de l’ENA, Promotion Voltaire, ancien Directeur à la Caisse des Dépôts et Consignations, Professeur associé aux Universités, membre de Démocratie 2012.

 

Monsieur le Président, mon cher camarade, cher François,

 

J’ai décidé de vous adresser cette lettre, écrite ce matin du 30 octobre, alors qu’une nouvelle opération de police de grande envergure se déroule à quelques dizaines de kilomètres d’Angers, mon lieu de résidence, ville et région qui vous sont également familières.

 

Sur le territoire prévu pour accueillir le futur aéroport de Nantes/Grand Ouest des hommes et des femmes qui, pour l’écrasante majorité d’entre eux ont voté pour vous, doivent se confronter une nouvelle fois à un déploiement de forces de police dépêchées par un gouvernement de gauche, dirigé par l’ancien maire de Nantes. Alors que depuis des années ces femmes et ces hommes, tous non violents, tous soutenus par une solidarité locale, régionale et nationale demandent simplement à être entendus au-delà des procédures légales et formelles dont ils estiment à juste titre qu’elles ont été menées de manière tronquées, et trompeuses, la seule réponse que votre gouvernement leur apporte est celle de l’emploi de la force. Cette attitude, Monsieur le Président, cher camarade est inacceptable.

 

Le PS est en train de s’isoler

 

Parmi bien d’autres, je me suis engagé pour assurer votre élection, puis vous garantir une majorité solide. Dans notre circonscription du Maine et Loire tenue par la droite depuis plusieurs dizaines d’années nous avons failli à 86 voix près envoyer l’ancien ministre Marc Laffineur à une retraite bienvenue. Nous sommes fiers d’avoir mené ce combat et de nous retrouver dans cet Ouest déjà largement conquis par la gauche en terre de futures conquêtes en compagnie de nos alliés écologistes.

 

Cher François, la manière dont le pouvoir que vous incarnez gère le projet Notre Dame des Landes va totalement bouleverser ces positions politiques chèrement acquises car vous n’imaginez pas l’immense potentiel de sympathie, de soutien militant, de soutiens politiques à la base dont bénéficient ces personnes en lutte, alors que la technostructure du Parti socialiste et des grands élus régionaux est en train de s’isoler.

 

Vous êtes face à un nouveau Larzac !

 

Monsieur le Président je vous l’affirme avec la conviction d’un sympathisant socialiste de longue date, de tradition enracinée auprès de mes proches, mon père Jacques Warin, qui collabora avec Pierre Mauroy au moment de l’alternance en 1981, vous êtes face à un nouveau Larzac !

 

Déjà au moment de votre élection je vous avais alerté discrètement, par l’intermédiaire de nos amis communs de Démocratie 2012, dont Pierre René Lemas, pour éviter qu’en pleine campagne la situation ne provoque des conséquences électorales néfastes. Il me semblait avoir, avec bien d’autres qui avaient intercédé, été entendu.

 

Aujourd’hui il est temps que vous ne vous contentiez plus de répondre aux lettres qui vous sont adressées à ce sujet par des formules standards qui renvoient à votre ministre Monsieur Cuvillier le soin de traiter le dossier. Outre que cette attitude peu respectueuse de l’écoute citoyenne ne vous ressemble pas, vous êtes face à une situation qui exige une attitude d’homme d’État.

 

Provocations dont vous porterez seul la responsabilité

 

La révision du Schéma national des infrastructures de transport, l’emploi parcimonieux de la dépense publique, le souci de la transition écologique, l’application loyale de la Loi sur l’Eau, dans sa dimension universelle et a fortiori européenne, sont autant de motifs pour rouvrir le dialogue et éviter que votre quinquennat ne soit entaché par un abcès de fixation politiquement désastreux. Cela vous fait courir, compte tenu de la manière utilisée aujourd’hui, des risques sérieux de dérapages, de provocations dont vous porterez seul la responsabilité face à des personnes dont la conviction s’exprime de manière pacifique, non violente, respectueuse de la loi républicaine dès lors que celle-ci s’exerce elle aussi dans le respect du dialogue citoyen.

 

Monsieur le Président, cher camarade, j’ai eu le privilège de vivre un parcours professionnel dont tous ceux qui furent mes supérieurs, collaborateurs, collègues, partenaires s’accordent à dire qu’il fut toujours ouvert à l’innovation, à l’adaptation au monde changeant, à la recherche de nouveaux paradigmes et à la réalité de la concurrence globalisée. Je continue en tant qu’enseignant universitaire à stimuler la créativité de mes étudiants, dans le monde entier, tout en leur transmettant mon expérience de dirigeant du service public puis d’homme d’entreprise. Je ne suis pas un nostalgique, ni un tenant de la décroissance, ni un « illuminé anti progrès ». Ces traits de caractère sont partagés par les personnes que je côtoie lors des réunions d’information sur le projet Notre Dame des Landes. En vérité, c’est nous qui incarnons la modernité et l’ouverture au 21éme siècle.

 

Mégalomanie ridicule

 

En effet, qui peut croire que les opérateurs aériens vont implanter dans le Grand Ouest des infrastructures aéroportuaires renforcées et surdimensionnées, au moment où nous atteignons le pic de l’énergie fossile, et alors que leur modèle économique est de ramener les passagers vers quelques hubs majeurs soit par des avions qui rallient Nantes à Orly, ou Charles De Gaulle, ou Francfort ou Londres, ou Amsterdam ou Madrid ? A partir de ces plateformes le modèle est alors de procéder au remplissage maximum de très gros porteurs économes en carburant. Sauf à souffrir d’une mégalomanie ridicule, qui peut croire qu’un Grand Ouest aujourd’hui déjà bien relié par TGV aux plates formes parisiennes en cours de modernisation a besoin d’un équipement nouveau, coûteux, détruisant plusieurs milliers d’hectares de terres agricoles, déracinant au propre et au figuré paysages et hommes attachés à leur territoire ?

 

Nantes a déjà 2 aéroports qui figurent dans les codes internationaux de l’IATA, Nantes Atlantique qui croît sans que cela permette de justifier le transfert coûteux et… la gare SNCF de Nantes qui est utilisée dans la tarification aérienne pour acheminer les passagers vers les plateformes parisiennes et retour. Nantes Atlantique va devoir de toutes façons être conservé pour les besoins logistiques de la fabrication d’Airbus sur l’usine nantaise, et la gare de Nantes me parait être une bonne solution pour les voyageurs de notre région pour leur transfert vers les hubs parisiens. Posons donc la question à Air France sur sa vision du transport aérien au 21ème siècle et remettons-nous autour d’une table pour réexaminer les prévisions de trafic utilisées pour justifier le transfert !

 

Je vous conjure d’écouter ce qui se vit

 

Monsieur le Président, cher camarade, vous qui êtes aujourd’hui soucieux que vos hautes fonctions et votre agenda ne vous coupent pas de la réalité que vivent nos concitoyens, vous qui vous entourez des avis et opinions issus de la société civile, comme en témoigne la mission confiée à votre proche Bernard Poignant (qu’en dit-on à Quimper ?), je vous conjure d’écouter ce qui se vit dans notre région auprès de personnes qui vous soutiennent, qui partagent vos valeurs, qui se mobiliseront autant qu’il le faudra et aussi longtemps qu’il le faudra pour que leurs argument soient écoutés une fois que les gaz lacrymogènes de ce matin se seront dissipés.

 

Cher François, le Larzac a rencontré son homme d’État, le magnifique film qui a retracé cette lutte rend hommage à des Français ordinaires, femmes et hommes de conviction mais aussi à l’homme d’État qui les a entendus.

Ceux de Notre Dame des Landes et ceux du Larzac sont de la même trempe de Français, nous serons des millions à les soutenir pour qu’on les écoute.

 

Monsieur le Président, cher François Hollande, nous attendons de vous que vous soyez à notre rendez-vous citoyen comme l’a été François Mitterrand.

 

Je vous prie d’agréer l’expression de mes sentiments respectueux et de mon cordial souvenir,

 

Patrick Warin, ENA Promotion Voltaire

 

Copie : Monsieur Jean Marc Ayrault, Monsieur Pierre René Lemas, Monsieur Michel Sapin, Monsieur Jean Pierre Jouyet, Monsieur Bernard Poignant, Monsieur le Préfet de la Région Pays de la Loire.

 

 

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