Rome est éternelle

Publié le par ottolilienthal

Le jour où Rome a éparpillé Carthage façon puzzle

En 146 av. J.-C. et après trois ans de siège, Rome s'apprête à faire enfin tomber sa vieille ennemie, Carthage, la capitale punique. Et cette fois, l'objectif est clair: il faut raser la cité. Mais pourquoi tant de haine?

C'est un de ces rituels vaguement magiques dont Rome a le secret, de ceux qu'on réserve aux grandes occasions. Au mois d'avril 146 avant notre ère, le général et consul Scipion Émilien procède sous les remparts de Carthage à une «evocatio», sorte d'appel aux dieux de l'ennemi.

Devant ses légions, le général romain en appelle à Tanit, la première des déesses carthaginoises, et jure de lui construire un temple et de lui offrir des sacrifices à Rome –pour peu qu'elle lâche une bonne fois les Carthaginois. Il faut croire que Tanit s'est laissée faiblir, parce que l'interminable guerre qui oppose les deux grandes puissances méditerranéennes arrive à son terme.

Pour savoir comment tout a commencé, il faut revenir au IXe siècle avant notre ère, lorsque des colons phéniciens s'installent sur les côtes d'Afrique du Nord, près de l'actuelle Tunis. Tournée vers le négoce, la cité prospère: en deux siècles, sa flotte commerciale devient la plus importante de Méditerranée.

Et comme il n'y a pas que le pognon dans la vie, Carthage en profite pour s'imposer sur l'ouest de la Sicile, la Corse, la Sardaigne et le sud de l'Espagne grâce à sa marine. Mais les meilleures choses ont une fin. Au IIIe siècle, l'ambiance se tend un poil, avec la montée en puissance d'un nouveau joueur en Méditerranée: Rome, qui commence à pousser ses pions sur l'échiquier géopolitique méditerranéen. Inévitable, l'affrontement se joue en trois actes

Ennemies jurées

Le premier démarre en Sicile en 264 avant J.-C. lorsque Rome entre en scène en prétendant répondre à l'appel à l'aide de la cité de Messine. Habituée à combattre sur terre, la République subit quelques belles tatouilles sur mer, avant que la bataille des îles Egades la place finalement en position de force. Carthage doit accepter un traité humiliant: celui-ci la force à céder la Sicile aux Romains et à leur verser un tribut de guerre qui la laisse sur la paille.

Incapable de régler ses mercenaires, Carthage voit ces derniers se retourner contre elle... C'est le décor du Salammbô de Flaubert, c'est surtout la crise sur le gâteau: Rome en profite pour mettre la main sur la Sardaigne et la Corse.

La deuxième manche mène Rome au bord du gouffre lorsque le très doué et très revanchard Hannibal débarque en Espagne en 218, traverse les Pyrénées, la Gaule, le Rhône et les Alpes, puis fond sur l'Italie en taillant des croupières à des légions dépassées. Mais le général carthaginois s'enlise du côté de Capoue et Rome renverse la situation. En 202, la victoire de Zama signe la fin de la deuxième guerre punique. Désormais sans flotte militaire, Carthage se voit privée du droit de faire la guerre sans l'autorisation de Rome.

Le coup des figues fraîches

Pourtant, à Rome, certains sénateurs redoutent un retour de leur vieille ennemie, réputée sournoise –on parle de «punica fide», de foi punique, pour évoquer la déloyauté ou l'hypocrisie. Un orateur surtout exhorte ses collègues matin, midi et soir: Caton l'Ancien, qui termine tous ses discours par une même formule: «Delenda Carthago». Il faut détruire Carthage.

Alors âgé de 80 ans, ce vétéran de la deuxième guerre punique a quelques raisons de s'inquiéter. Au cours d'une visite en Afrique, il a été stupéfait de voir avec quelle rapidité Carthage s'était remise de sa deuxième défaite. En quelques décennies, la ville est redevenue une cité «riche de jeunes gens, débordant de richesses et pullulant d'armes».

Le souvenir d'Hannibal est ravivé. Dans le doute, il faut raser Carthage.

La ville est tenue par des familles dont les ambitions inquiètent le vieil orateur, bien qu'elles restent imprécises. Pire, les mœurs des Carthaginois révulsent Caton, qui n'y voit que mollesse et dépravation –une menace à ses yeux pour les valeurs romaines.

En plein Sénat, Caton laisse échapper quelques figues gorgées de jus, comme tombées par mégarde des plis de sa toge. Lorsque ses collègues s'extasient, Caton jure qu'il les ramène de Carthage –et que si elles sont si appétissantes, c'est parce que l'ennemie jurée n'est qu'à trois jours de Rome. Caton a menti: la traversée prend au mieux six jours et il y a toutes les chances que les fameuses figues soient venues de ses propres plantations. Mais qu'importe: le souvenir d'Hannibal est ravivé. Dans le doute, il faut raser Carthage.

Billard à trois bandes

Encore faut-il un prétexte: officiellement, Rome ne s'engage jamais que dans des «guerres justes» –ce qui ne veut pas dire justifiées, d'ailleurs, mais conformes au droit et à la religion. Pour poutrer sa meilleure ennemie une bonne fois, Rome décide donc d'exploiter le contexte géopolitique africain. Carthage affronte alors le royaume de Numidie, un allié de Rome qui mord sur son arrière-pays.

Abandonner une cité vieille de six siècles, c'est abandonner son identité même, ses dieux et ses temples.

Carthage, qui voit pointer un merdier classé 9 sur l'échelle de Richter, multiplie pourtant les démonstrations de bonne volonté. La ville accepte de livrer 500 otages triés sur le volet et abandonne l'essentiel de son armement en 149, au lendemain du débarquement des troupes romaines. Mais rien n'y fait, et la cité comprend un peu tard que Rome a déjà décidé de son sort: soit les Carthaginois abandonnent une ville et un port promis à la destruction pour s'installer à l'intérieur des terres, soit les légions lancent l'assaut.Pour les Carthaginois, l'idée d'être réduits à une sorte de colonie agricole est inacceptable. Abandonner une cité vieille de six siècles, c'est abandonner son identité même, ses dieux et ses temples. Un double blocus commence, sur terre et sur mer.

Guerre totale

Mais si Carthage s'est montrée naïve, la République a sous-estimé la résistance inouïe que la cité lui oppose. Alors que les officiers romains s'attendent à une victoire rapide, Carthage assiégée résiste pendant... trois ans. Soudés, les 300.000 habitants se retranchent derrière leur triple ligne de remparts et entrent dans une logique de guerre totale.

Toute la ville participe à l'effort de guerre. On coupe les cheveux des femmes pour tisser des cordages, on abat les charpentes pour récupérer des poutres destinées aux chantiers navals, et on fabrique des armes, beaucoup d'armes. Au plus fort de l'effort de guerre, on estime que 300 épées, 500 lances, 140 boucliers et 1.000 projectiles de catapulte sortaient chaque jour des ateliers. «Libérés», les esclaves sont aussitôt enrôlés dans une armée montée dans l'urgence.

En taillant dans les rangs d'ennemis épuisés par la faim, les légionnaires prennent le port de guerre, puis la ville basse –et l'enfer commence.

Exaspérée, Rome confie le commandement à un nouveau général, Scipion Émilien, dont le sens tactique change la donne. Après avoir nettoyé l'arrière-pays, il fait construire une digue qui lui permet de mieux contrôler le port, et érige une longue ligne de fortifications côté terre. Le dernier coup de dés des Carthaginois, qui finissent par percer les murailles de leur propre port pour se ravitailler par la mer, échoue.

 

Mais cette fois, Carthage étouffe. Et, en avril 146, Scipion juge que sa proie est mûre. Au lendemain de l'«evocatio», les légions lancent l'assaut contre le port de commerce, qu'Hasdrubal fait incendier pour freiner la percée romaine. Mais rien n'y fait: en taillant dans les rangs d'ennemis épuisés par la faim, les légionnaires prennent le port de guerre, puis la ville basse –et l'enfer commence.

Guerre urbaine

Les soldats ne tardent pas à constater que malgré l'épuisement et la famine, la population est prête à tout. Le lacis des ruelles de la vieille ville favorise les défenseurs face à des assaillants qui découvrent à leurs dépens qu'on leur a un peu trop vendu l'idée d'une cité peuplée d'habitants amollis, paresseux et lâches.

Un déluge s'abat des toits sur les Romains, assommés par les pierres, les briques et les tuiles que leur lancent des femmes et des enfants désespérés. Les légionnaires doivent avancer maison par maison dans une ville où les pillages et les massacres succèdent aux viols et aux incendies. Partout, on égorge et on tue sans distinction, des vieillards aux nouveau-nés.

Maudite, la ville est vouée aux divinités souterraines et à Jupiter.

Ralentie, l'avancée romaine reste inexorable –il faut tout de même six jours et six nuits aux légions pour encercler la dernière citadelle: la colline de Byrsa. Les murailles tombent pourtant, sapées par les hommes du génie. Il ne reste bientôt plus que le saint des saints de la ville, le temple d'Echmoun, où quelques poignées d'hommes résistent encore.

Hasdrubal, alors, cède enfin et s'avance pour parlementer, acceptant de se rendre lorsqu'on lui promet la vie sauve. Suit un moment beau comme l'antique lorsque sa femme profite d'un moment de répit pour s'adresser à Scipion Émilien: «Je ne te souhaite, ô Romain, que toutes prospérités car tu ne fais qu'user des droits de la guerre. Mais je prie les dieux de Carthage et toi-même de punir comme il se doit Hasdrubal, qui a trahi sa patrie, ses dieux, sa femme et ses enfants.» Dans l'instant qui suit, l'épouse du dernier maître de Carthage se précipite avec ses enfants dans le brasier qui ravage le temple.

Maudite, la ville est vouée aux divinités souterraines et à Jupiter. Tandis que «Carthage entre dans la nuit», pour citer l'historien Serge Lancel, Rome crée une nouvelle province romaine, «Africa Pronsularis». Et règne seule ou presque sur la Méditerranée.

Jean-Christophe Piot

https://www.slate.fr/culture/histoires-sans-fin/carthage-incendie-scipion-emilien-rome-resistance

 

Israël : réalisés sur un champ de bataille d'il y a 2000 ans, des calculs balistiques ont révélé leurs secrets

Des pierres de baliste vieilles de 2000 ans, découvertes lors de fouilles archéologiques, ont été analysées par l’autorité des antiquités israélienne, révélant que les combats de l'époque de l'Empire romain étaient d'une intensité "impitoyable".

L’archéologue Kfir Arbiv mène des recherches sur la puissance de l’armée romaine à son apogée. Cette étude, faite par l’autorité des antiquités israélienne, a pour but de comprendre comment Jérusalem et le Second Temple ont été détruits lors d’une invasion. Selon les Israéliens, ce monument a été démoli en 70 après J.-C. "Les Romains disposaient d'une armée massive bien entraînée, équipée des meilleures innovations militaires de leur époque. C'était une machine de guerre impitoyable", explique Kfir Arbiv. Les Romains étaient même parvenus à fabriquer des balistes qu’ils arrivaient à propulser d’une distance allant de 100 à 400 mètres. Parmi les objets qui étaient lancés par les catapultes et les frondes, figuraient des épées, des pierres, des lances ou des flèches.

Les calculs balistiques révèlent leurs secrets

À partir des objets qui ont été retrouvés, les scientifiques ont pu effectuer des calculs balistiques qui permettent de voir le lieu du lancer et la cible visée. Kfir Arbiv décrit :

"Avec l'aide de l'ordinateur, j'ai localisé tous les balistes exactement là où elles ont été trouvées. J'ai pris en compte la topographie locale et l'emplacement des murs de fortification de la ville à l'époque du Second Temple, et j'ai effectué des calculs balistiques, notamment l'angle de lancement et la distance de projection des pierres. Toutes les données ont été comparées aux descriptions contemporaines détaillées de la bataille, de la conquête et de la destruction de Jérusalem faites par le célèbre historien juif Joseph dans son livre 'Histoire de la guerre des Juifs contre les Romains'."

 

Les balistes ont aidé les Romains à percer les lignes de défense

Cela lui a permis de savoir depuis quel endroit étaient lancées les pierres. Pour lui, beaucoup de machines étaient placées dans un lieu appelé la "place des chats" dans le quartier de Nahalat Hashiva. Ces munitions auraient aussi aidé les Romains à envahir la ville et à détruire les défenses des Israéliens. Bien qu’ayant résisté, le peuple hébreu n’a pu empêcher la destruction de Jérusalem.

 

https://actu.geo.fr/histoire/israel-realises-sur-un-champ-de-bataille-dil-y-a-2000-ans-des-calculs-balistiques-ont-revele-leurs-secrets-211257?utm_source=taboola&utm_medium=cpc&utm_campaign=pmo_geo_article_desktop_desktop_flux_cat_histoire&tblci=GiA8IYfEgcoRyZjcdXhgApbA-hA2nrtyyHcbVIgPZ0K8aSCJm1Ao66Xf-rXuwokS#tblciGiA8IYfEgcoRyZjcdXhgApbA-hA2nrtyyHcbVIgPZ0K8aSCJm1Ao66Xf-rXuwokS

 ce que les toilettes et les égouts nous apprennent sur l'assainissement de la Rome antique


J'ai passé beaucoup de temps dans les égouts romains - suffisamment pour que mes amis me donnent le surnom de "reine des latrines". Les Étrusques ont posé les premiers égouts souterrains dans la ville de Rome vers 500 avant J.-C.. J.-C. Ces tunnels caverneux situés sous les rues de la ville étaient construits en pierres finement taillées, et les Romains ont été heureux de les utiliser lorsqu'ils ont pris le contrôle de la ville. Ces structures sont ensuite devenues la norme dans de nombreuses villes du monde romain.

En me concentrant sur la vie dans la Rome antique, à Pompéi, Herculanum et Ostie, je suis profondément impressionné par les brillants ingénieurs qui ont conçu ces merveilles souterraines et par la magnifique architecture qui masque leur objectif fonctionnel. Les galeries d'égouts ne passaient pas sous toutes les rues, ni ne desservaient tous les quartiers. Mais dans certaines villes, dont Rome elle-même, la longueur et la largeur de l'égout principal, le Cloaca Maxima, rivalisent avec l'étendue des principales canalisations d'égout de nombreuses villes d'aujourd'hui. Il ne faut cependant pas croire que les toilettes, les égouts et les systèmes d'eau romains ont été construits avec les mêmes objectifs sanitaires que ceux que nous avons aujourd'hui à l'esprit.

Les rues d'une ville romaine auraient été encombrées d'excréments, de vomissures, de pipi, de merde, d'ordures, d'eau sale, de légumes pourris, de peaux et de viscères d'animaux et d'autres déchets provenant des divers magasins qui bordaient les trottoirs. Nous, les modernes, considérons les égouts urbains comme le moyen d'éliminer ces saletés des rues - et bien sûr d'évacuer les déchets humains qui vont dans nos toilettes.
En faisant des recherches sur les infrastructures urbaines romaines pour mon nouveau livre The Archaeology of Sanitation in Roman Italy, je me suis demandé si les Romains partageaient la même vision. Les preuves archéologiques suggèrent que leurs réseaux d'égouts finement construits visaient davantage à drainer l'eau stagnante qu'à éliminer les débris sales. Et le sens de la propreté et de l'intimité des Romains en matière de salle de bains était très différent de notre tendre sensibilité moderne.


Le Cloaca Maxima de Rome ne faisait pas partie d'un plan directeur visant à assainir la ville. Son but était d'évacuer l'eau qui s'accumulait dans les rues inégales de la ville et de drainer l'eau des zones basses lorsque le Tibre adjacent était en crue, ce qui arrivait assez fréquemment. Sa fonction principale était le drainage - et ce qu'il drainait retournait directement dans la principale source d'eau potable de Rome avant les aqueducs, le Tibre.

Les égouts romains éloignaient les eaux sales des endroits où elles entravaient la propreté, la croissance économique, le développement urbain et même l'industrie. Mes travaux dans les égouts d'Herculanum et de Pompéi - tous deux ensevelis par le flux pyroclastique provoqué par l'éruption volcanique du Vésuve en 79 après J.-C. - m'ont amené à la même conclusion.

Au fond d'un égout situé sous une rue d'Herculanum, les premiers fouilleurs ont trouvé un ancien dépôt de boue durcie mesurant environ 1,35 mètre de haut. Aucune quantité d'eau, aussi rapide soit-elle, n'aurait pu l'éliminer. Plusieurs sources anciennes indiquent que les égouts romains devaient être nettoyés manuellement de temps en temps, un travail souvent effectué par des esclaves ou des prisonniers de la ville. Je dirais que ces systèmes d'égouts urbains n'offraient que des avantages sanitaires minimes dans l'ensemble.

 

 

Carte de Pompéi montrant les toilettes publiques et privées. Gemma C M Jansen


Des toilettes en abondance, peu de raccordements aux égouts

Des toilettes publiques et privées étaient disséminées dans la ville de Pompéi. Mais malgré l'infrastructure d'égouts de la ville, pratiquement aucune de ces toilettes n'était raccordée aux égouts. Nous avons des preuves similaires pour l'ancienne Herculanum.

En fait, presque toutes les maisons privées de ces villes, et de nombreux appartements à Ostie, avaient des toilettes privées, généralement à une place, qui n'étaient pas reliées aux canalisations principales.

Et ces toilettes à fosse d'aisance étaient souvent situées dans la cuisine, où la nourriture était préparée ! Les odeurs réconfortantes d'un ragoût copieux devaient se mêler aux odeurs dégoûtantes de la fosse d'aisance ouverte toute proche. Les déchets collectés étaient soit vendus aux agriculteurs pour servir d'engrais, soit utilisés dans les jardins domestiques - ce qui devait donner lieu à des fêtes de jardin assez nauséabondes de temps en temps.

Selon le Digeste d'Ulpian, rédigé entre 211 et 222, les raccordements aux égouts des habitations privées étaient certainement légaux. Alors pourquoi les propriétaires ne se connectaient-ils pas aux égouts publics ?


L'une des raisons est peut-être liée au fait que les ouvertures des égouts romains n'avaient pas de siphon. On ne pouvait jamais être sûr de ce qui pouvait sortir d'un tuyau d'égout ouvert et entrer dans votre maison.

Nous disposons d'au moins une histoire ancienne dramatique qui illustre le danger de raccorder sa maison à un égout public au premier ou deuxième siècle de notre ère. L'auteur Aelian nous raconte l'histoire d'un riche marchand ibérique de la ville de Puteoli ; chaque nuit, une pieuvre géante nageait dans l'égout depuis la mer et remontait par le drain de la maison dans les toilettes pour manger tous les poissons marinés stockés dans son garde-manger bien garni.


Pour ajouter à la puanteur de la vie romaine, mon examen approfondi de la plomberie antique a révélé que de nombreux tuyaux de descente des toilettes des maisons situées aux étages supérieurs auraient souffert de fuites importantes à l'intérieur des murs et auraient également suinté sur l'extérieur des murs. Les raccords de ces tuyaux de descente en terre cuite se sont desserrés avec le temps, et leur contenu a dû provoquer des odeurs nauséabondes partout.

J'ai pu identifier au moins 15 toilettes d'étages supérieurs à Pompéi et d'autres à Herculanum et ailleurs. Dans certains cas, j'ai obtenu la preuve, par des tests scientifiques d'urine et/ou d'excréments, que le déversement provenait bien de déchets humains provenant de ces canalisations.


Les toilettes publiques présentent elles aussi des risques

Même les latrines publiques - des toilettes à plusieurs places qui étaient presque toujours reliées aux principaux égouts d'une ville - présentaient de graves dangers pour les utilisateurs. Ne vous laissez pas tromper par la propreté du marbre blanc et l'ensoleillement en plein air des ruines reconstruites que nous pouvons voir aujourd'hui ; la plupart des toilettes publiques romaines étaient sombres, humides et sales, et souvent situées dans de petits espaces. Ceux qui pouvaient "tenir" assez longtemps pour retourner dans leurs maisons avec leurs propres toilettes à fosse d'aisance l'ont certainement fait.

Une toilette publique à Ostie, avec ses portes tournantes pour l'accès et sa fontaine pour le nettoyage, pouvait accueillir plus de 20 clients à la fois. Je n'ai trouvé aucune preuve que les Romains devaient payer pour utiliser les toilettes publiques, et nous ne savons vraiment pas qui les gérait ou les nettoyait, hormis la possibilité d'esclaves publics. Pour nos yeux modernes, ces installations manquaient presque totalement d'intimité, mais il ne faut pas oublier que les hommes romains portaient des tuniques ou des toges, ce qui les protégeait davantage que ne le ferait un homme moderne avec un pantalon qu'il faut baisser. Un problème peut-être plus important pour les normes de propreté d'aujourd'hui : la version romaine du papier toilette était souvent une éponge commune sur un bâton.

Pire encore, ces latrines publiques étaient connues pour terrifier les clients lorsque des flammes sortaient de l'ouverture de leur siège. Ces explosions de gaz de sulfure d'hydrogène (H2S) et de méthane (CH4) étaient aussi inquiétantes qu'effrayantes. Les clients devaient également s'inquiéter des rats et autres petites vermines qui menaçaient de leur mordre les fesses. Et puis, il y avait la menace des démons qui, selon les Romains, habitaient ces trous noirs menant aux mystérieux dessous de la ville.

Un écrivain romain tardif raconte une histoire particulièrement passionnante à propos d'un tel démon. Un certain Dexianos était assis sur les toilettes au milieu de la nuit, raconte le texte, lorsqu'un démon se dressa devant lui avec une férocité sauvage. Dès que Dexianos aperçut le démon "infernal et fou", il "fut stupéfait, saisi de peur et de tremblement, et couvert de sueur." Une telle superstition constituerait une autre bonne raison d'éviter les raccordements d'égouts dans les toilettes des maisons privées.

Il n'est donc pas étonnant que la déesse Fortuna apparaisse souvent comme une sorte d'"ange gardien" sur les murs des toilettes. Nous n'avons pas tendance à placer des sanctuaires religieux dans nos toilettes, mais nous en trouvons encore et encore dans les toilettes publiques et privées du monde romain.

Un graffiti sur une rue secondaire de Pompéi adresse un avertissement à l'utilisateur des toilettes lui-même : "attention au mal"... de chier dans la rue ? De poser ses fesses nues sur un trou de toilette ouvert par peur des démons mordeurs ? De la mauvaise santé que vous ressentirez si vous ne bougez pas bien vos intestins ? Nous ne le saurons jamais avec certitude, mais ce sont des possibilités probables, je pense.

Lorsque nous examinons les preuves des pratiques sanitaires romaines, tant textuelles qu'archéologiques, il devient évident que leurs perspectives étaient très différentes des nôtres. Une meilleure compréhension de la vie des Romains dans leurs rues, dans leurs espaces publics et dans leurs habitations privées nous montre qu'ils en étaient aux premiers stades du développement de systèmes que nous avons adoptés - avec des améliorations - pour nos propres problèmes d'assainissement et d'eau propre aujourd'hui.

Professor of Classical Studies, Brandeis University

Comment climat et épidémies ont causé la chute de Rome

On attribue communément la fin de l’Empire romain à des facteurs politiques, économiques et religieux. Un professeur américain propose une thèse différente.

La chute de l'Empire romain a toujours été, du moins pour le monde occidental, le paradigme suprême de la mortalité de toute civilisation. Et pourtant, les véritables raisons de sa disparition restent un mystère – non pas à cause d'un manque, mais plutôt d'une inflation d'explications. Ainsi, l'Allemand Alexander Demandt, dans sa magistrale étude sur la place qu'occupe la fin de Rome dans la pensée occidentale, a recensé pas moins de 227 raisons proposées par les chercheurs de ces derniers siècles afin d'expliquer l'impensable.

Quand on passe en revue les différentes catégories d'explications – religieuses, socio-économiques, naturelles, institutionnelles, morphologiques, politiques –, on se rend vite compte que l'analyse de la chute de Rome n'a pas été une question « accidentelle » dans l'évolution de la pensée historique occidentale, mais plutôt son véritable moteur. Dès lors, il n'est guère étonnant que chaque époque ait développé son propre modèle explicatif et, bien que chacun de ces modèles ait semblé définitif et novateur à ses contemporains, le recul historique a montré qu'il était aussi lacunaire, relatif et subjectif que tous les autres. Ainsi, le siècle des Lumières a insisté sur l'influence pernicieuse du christianisme, le XIXe siècle sur la « décadence » des Romains, le XXe sur l'aspect socio-économique. Étant donné l'importance extrême accordée, depuis quelques années, au réchauffement climatique et aux pandémies facilitées par la mondialisation, il fallait bien s'attendre que, tôt ou tard, cette préoccupation intègre la pensée sur la fin de Rome. C'est ainsi que Kyle Harper nous confronte à l'hypothèse – présentée comme une certitude – que, finalement, des facteurs climatiques et épidémiologiques ont été décisifs dans le déclin et la chute de l'Empire romain.

Mis à part l'assertion quelque peu exagérée de l'historien Peter Garnsey, qui proclame sur la quatrième de couverture que « ce [...] livre place pour la première fois la nature au centre d'un sujet d'importance majeure – la chute de l'Empire romain » (les pages 347 à 396 de l'ouvrage de Demandt montrent que cette approche remonte au moins au XIXe siècle), force est de constater qu'effectivement The Fate of Rome est, de loin, l'étude la plus récente et conséquente de cette école de pensée.

Ainsi, Harper propose une lecture parallèle de l'évolution politique de l'Empire romain et de celle de son histoire naturelle fondée sur la conviction suivante : « Le destin de Rome fut le fait d'empereurs et de barbares, de sénateurs et de généraux, de soldats et d'esclaves. Mais il fut tout autant décidé par les bactéries et les virus, les volcans et les cycles solaires. » En conséquence, l'histoire de l'empire semble essentiellement conditionnée par les facteurs environnementaux : les conditions favorables de l'holocène expliqueraient l'âge d'or entre la fin de la République et l'Antiquité tardive ; la première « mondialisation » de la Méditerranée par la romanisation aurait permis la propagation rapide de maladies contagieuses (peste antonine de 165, peste de Cyprien en 249-262 et finalement peste justinienne en 541-543) ; le déclin démographique qui en a résulté aurait provoqué l'affaiblissement de l'armée, la bureaucratisation à outrance, la perte de confiance dans les anciennes croyances et la montée en puissance du christianisme, amenant une profonde division de la société. Ensuite, l'impact climatique d'événements naturels tels que les éruptions volcaniques (dans les années 530 et 540) ou les cycles solaires aurait finalement achevé un empire déjà vacillant. Ainsi, l'Histoire romaine apparaît comme une suite de réactions souvent désespérées et inadéquates – remaniements bureaucratiques, usurpations, contrôle des prix des denrées, réformes religieuses – à des facteurs environnementaux dont la plupart échappaient à tout contrôle. Le livre se termine par l'appel à protéger « un monde global [...], où la revanche de la nature commence à se faire sentir, malgré des illusions persistantes de contrôle ».

Que le lecteur ne se méprenne pas : The Fate of Rome est un excellent livre, et la tentative de croiser les résultats de la science encore relativement nouvelle de l'histoire climatique et épidémiologique avec les sources anciennes et l'archéologie doit être considérée comme pionnière. Néanmoins, dans sa perspective trop holistique, il traduit ce qu'on pourrait appeler un certain « réductionnisme climatique et épidémiologique », qui semble sous-estimer non seulement la résilience psychique et créatrice de l'individu, mais aussi celle des grandes civilisations. L'homme peut être victime de la nature, certes, mais, après tout, il reste le seul acteur de sa propre vie et décide comment affronter le monde qui l'entoure : l'Histoire nous apprend que les épidémies peuvent générer non seulement la morosité, mais aussi la créativité, les changements climatiques non seulement le repli, mais aussi l'expansion, les catastrophes non seulement l'abandon, mais aussi la résilience, la menace non seulement la dislocation, mais aussi la reprise de contrôle. L'énergie de construire, de maintenir et de défendre une société envers et contre tout ne vient pas de l'extérieur, mais de l'intérieur : à quelques exceptions près, les grandes civilisations ne succombent jamais à des menaces étrangères mais à un manque de confiance interne. Nous ferions bien de nous en souvenir.

David Engels*

 

* Professeur d'histoire romaine, Université libre de Bruxelles

Sources

Kyle Harper, « The Fate of Rome : Climate, Disease, and the End of an Empire », Princeton University Press, 2017

 
L'armure romaine la plus ancienne de l'histoire retrouvée à Teutobourg

La cuirasse d’un soldat romain impliqué dans la bataille de la forêt de Teutobourg (Allemagne), en 9 de notre ère, a été découverte dans un remarquable état de conservation.

Tout a commencé par un bip-bip au cours de l'année 2018…  En procédant au balayage d'une paroi à l'aide d'un détecteur de métal dans une tranchée de fouilles, des archéologues du musée de Kalkriese, en Allemagne, ont entendu l'alarme de leur appareil retentir. Signe – mais les chercheurs ne le savaient pas encore – qu'ils allaient réaliser l'une de leur plus importante découverte. Celle d'une armure romaine, la plus complète et la mieux conservée jamais rencontrée à ce jour.

Depuis des années, des recherches sont en effet menées dans la forêt de l'actuelle Kalkreise, à Teutobourg en Westphalie (Allemagne). C'est là qu'en 9 de notre ère, des légions romaines ont subi l'une des plus cuisantes défaites de leur histoire. Plus de 20.000 hommes - 15.000 légionnaires et 5000 troupes auxiliaires - placés sous le commandement de Publius Quinctilius Varus (les légions de Germanie XVII, XVIII et XIX) ont été massacrés ou leurs hommes mis en esclavage. Vaincus par une puissante coalition de peuples germaniques menée par le chef chérusque, Arminius. Cette défaite porta un coup d'arrêt brutal à la politique d'expansion impériale romaine. Témoins de ce carnage, des milliers de vestiges d'armes et d'équipements militaires (épées, pointes de javelots, flèches, poignards, casques…) sont régulièrement exhumés depuis que la localisation définitive de la bataille a été établie dans les années 1980.

C'est ainsi qu'après avoir extrait le bloc de terre d'où provenaient les signaux du détecteur de métal en 2018, les chercheurs ont pris la précaution de le scanner. Ceci afin d'éviter de voir s'oxyder, au contact de l'air libre, les objets métalliques qu'il pouvait contenir. Et c'est lors de cette analyse qu'ils ont eu la surprise de découvrir la présence dans les sédiments d'une splendide armure romaine. "Il s'agit d'un modèle connu sous le nom de lorica segmentata, explique Yann Le Bohec, spécialiste des armées romaines, joint par Sciences et Avenir. On peut voir des représentations de cette cuirasse articulée, portée par des légionnaires et des gardes prétoriens, sur les bas-reliefs de la colonne Trajane, à Rome. Elle se composait d'une série de plaques en fer reliées entre elles par des charnières et lanières en cuir qui permettaient des réglages et l'adaptation de l'armure à la morphologie de chacun".

Par le passé, seuls de minuscules fragments de ces cuirasses avaient été recueillis dans la péninsule ibérique, en Bretagne, ou dans la région du Danube. "Ces armures articulées ou à lamelles ont été introduites par l'empereur Auguste. C'était un progrès par rapport aux côtes de maille – protection que l'on utilisait déjà à l'Âge du Bronze – ou aux cuirasses à écailles. Ces dernières étaient constituées d'une veste en cuir sur laquelle étaient fixées des "écailles" en métal, équipements attestés dans des armées au 17e siècle av. J.C !".

Outre cette découverte, les restes d'une entrave ont aussi été mis au jour. Il s'agit d'un collier de fer munis de sortes de menottes, utilisé pour enchainer les prisonniers. "Pour ne pas subir le déshonneur de la défaite et de la mise en esclavage, nombre de soldats romains se sont suicidés à Teutobourg. Parmi ceux qui avaient survécu, certains ont tenté de s'enfuir, mais tous ont été rattrapés", poursuit Yann Le Bohec. Le porteur de l'armure était peut-être l'un d'entre eux.

Toujours en cours, la délicate et lente extraction de l’ensemble des plaques de fer, rivets et attaches se poursuit en Allemagne pour une exposition de cette armure exceptionnelle, au musée de Kalkriese, en 2022. 

Pris entre marais et collines d'où dévalent les combattants germains en flots continus, les 25 000 fantassins et cavaliers romains ont été mis en pièces dans la forêt de l’actuelle Kalkreise, à Teutobourg en Westphalie (Allemagne) en 9 de notre ère. Plus tard, l'historien romain Dion Cassius (155-235) affirmera que les légionnaires qui étaient à l'arrière, ignorant les massacres à l'avant, continuaient à se jeter dans la gueule du loup. Face au désastre, leur chef Publius Quinctilius Varus préfèrera se suicider plutôt que de tomber aux mains de l’ennemi, et de leur chef chérusque Arminius. Et le nom de Varus restera à jamais associé au désastre, le clades Variana. "Les textes antiques racontent que les officiers romains capturés ont tous été sacrifiés par les Germains à leurs dieux", précise Yann Le Bohec, spécialiste des armées romaines.  Dans son livre 57, Dion Cassius raconte également qu’en l’an 15, revenant sur les lieux de la bataille, "Germanicus dans son expédition contre les Germains (…) recueillit les ossements des soldats tombés avec Varus, leur donna une sépulture et recouvra les enseignes"… Ces aigles des légions XVII, XVIII et XIX dont la perte face à l’ennemi avait été ressentie comme le comble du déshonneur pour Rome. Horrifiés, les légionnaires romains du nouveau corps expéditionnaire découvrirent à cette occasion qu’Arminius, qui connaissait bien la crainte pour tout Romain de ne pas être inhumé, avait ordonné que les corps des milliers de soldats vaincus soient laissés sans sépultures sur le champ de bataille, voire crucifiés ou mutilés. Teutobourg fut un nom honni par Rome pendant toute son histoire !

L'extraordinaire poignard romain d'Haltern am See

C'est l’arme d’un légionnaire romain ayant combattu les tribus germaniques sur le limes impérial, à la frontière de l'empire, il y a 2000 ans. Elle a été retrouvée dans un état de préservation exceptionnel. Restauré, ce poignard a été dévoilé pour la première fois au public.

Poignard romain

Vieux de 2000 ans, le poignard romain d'Haltern am See une fois sa restauration achevée.

Est-ce une telle lame qui aura tué César ? Un poignard remarquable, découvert au printemps 2019 près de la ville de Münster (Allemagne), vient d'être présenté au musée Kunst und Kultur d'Haltern. Conservé de façon saisissante, la lame et son étui ciselé, décoré de feuillages en fils d'argent et laiton, ont passé 2000 ans enveloppés dans une gangue de terre. Avant d'être  dégagé par Nico Calmund, 19 ans, lors d'une fouille archéologique réalisée dans le cimetière romain d'Haltern am See en coopération avec l'université de Trèves.  "Jamais un poignard romain d'une telle qualité n'était parvenu jusqu'à nous", s'enthousiasme l'historien Yann Le Bohec, professeur émérite à La Sorbonne, à Paris, spécialiste de la guerre romaine, joint par Sciences et Avenir.

"Il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’une des plus grandes découvertes de ce genre effectuée en Europe"

La restauration de cette arme de 30 cm – appelée pugio par les légionnaires - aura duré neuf mois dans l'atelier LWL de Münster. Elle était glissée dans un fourreau incrusté d'émail et d'éclats de verre rouge et rattachée à une ceinture constituée d'un assemblage de plaques de bronze et de laiton recouvertes d'étain. "Cet ensemble n'a pas de comparaison à ce jour. Il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'une des plus grandes découvertes de ce genre effectuée en Europe", a expliqué de son côté Michael Rind, l'archéologue responsable de la région de Westphalie-Lippe, au quotidien Britannique Times.

Le poignard et la ceinture ont subi des radiographies et un examen tomographique assisté par ordinateur avant restauration. Ils ont révélé que la lame de la dague était composée de différents aciers et présentait des traces d'usure. "Ce qui montre qu'il ne s'agissait pas seulement d'un poignard d'apparat, même s'il en présente bien des aspects. Son propriétaire l'a utilisé", a poursuit Yann Le Bohec

Le poignard, utilisé pour achever les ennemis ou tuer les prisonniers en trop grand nombre

Selon les spécialistes, sur la base de la forme étroite de la lame et de sa structure, cette arme peut être assimilée aux premiers poignards militaires romains du type Vindonissa (du nom d'un camp romain situé en Suisse où ils ont été trouvés). Ils étaient utilisés principalement au cours de la première moitié du 1er siècle ap. JC, "mais pas pendant les combats", précise l'expert, qui poursuit : "Les fantassins romains combattaient en effet à l'aide de plusieurs armes. Un grand bouclier à la main gauche, tenu soit à l'aide d'une poignée ou attaché à l'avant-bras. Et une lance (pilum) à la main droite. Avançant en lignes, lorsqu'il s'approchait à 3 ou 4 m de distance de l'ennemi, le légionnaire lançait le javelot d'environ 1,80 m de long pour le transpercer. Ensuite, il se jetait sur un autre combattant en dégainant son glaive (gladius) après lui avoir asséné un coup de bouclier pour le déséquilibrer et le tuer dans le mouvement. Tout cela en courant, ce qui nécessitait un grand entrainement. Le poignard, porté à gauche le long du corps, n'était utilisé que pour achever les ennemis ou les prisonniers en trop grand nombre… ou encore les blessés de son propre camp quand on ne pouvait plus rien faire pour eux".

Des textes indiquent aussi que de tels poignards ont été utilisés pour les assassinats politiques à Rome. Le site d’Haltern où a été retrouvé l’arme était un important camp militaire qui a du être abandonné à la suite du désastre de Teutobourg en Westphalie, la plus célèbre défaite de Rome. Trois légions romaines et leurs troupes auxiliaires (25.000 hommes) y avaient été anéanties en 9 après JC, lorsque les armées du général Publius Quinctilius Varus ont été écrasées par une puissante coalition de peuples germains conduits par Arminius. Le poignard orné sera exposé au musée d'histoire romaine de Haltern en 2022.

Par Bernadette Arnaud le 20.02.2020 à 09h50

 

 

https://www.sciencesetavenir.fr/archeo-paleo/archeologie/l-extraordinaire-poignard-romain-d-haltern-am-see_141684

En 12.000 ans d'histoire, le peuple romain a vu son patrimoine génétique bouleversé à deux reprises

Le peuple romain, génétiquement stable et homogène ? Certainement pas, d'après de nouveaux travaux archéo-génétiques, corroborant les grandes transitions génétiques de ce peuple sur 12.000 ans avec deux grandes vagues de migrations liées à l'agriculture et au commerce.

 
 
 
 
 
 

La génétique romaine, ce capharnaüm : par deux fois, le peuple qui devait devenir les Romains et finalement les Italiens du centre a vu son patrimoine génétique bouleversé, d'après de nouvelles recherches européennes mêlant archéologie et analyses ADN. Ces travaux, publiés dans Science, font écho à 12.000 ans d'histoire du peuple romain.

 
 

Bien avant la Rome impériale, impliquant Jules César et consorts, la région romaine était un important carrefour culturel entre l'Europe et la Méditerranée. Mais si cette époque antique est bien documentée, peu d'informations sont connues sur le brassage génétique de la région. En se penchant sur l'ADN de 127 individus de l'époque provenant de 29 sites archéologiques à Rome et en Italie centrale, des chercheurs des universités de Vienne, Stanford et la Sapienza ont analysé l'évolution des origines de ce peuple. Grâce à des estimations au carbone 14 ou par inférence du contexte archéologique, chacun de ces individus a pu être placé sur une frise couvrant près de 12.000 ans de préhistoire et d'histoire romaines.

 

Du mésolithique à lÂge du Bronze : l'arrivée de l'agriculture

Au commencement, la population romaine du mésolithique, 10.000 ans avant notre ère, ne montrait qu'une faible diversité génétique. L'ADN de cette époque était en effet 30% moins hétérozygote que celui des romains modernes, c'est-à-dire que les deux exemplaires que l'être humain a de chacun de ses gènes étaient souvent identiques, indiquant un faible brassage génétique. Mais deux migrations majeures vers Rome vont venir secouer cette forte homogénéité.

 
 

La première transition est intervenue lorsque les paysans agriculteurs du Néolithique ont remplacé les chasseurs-cueilleurs mésolithiques, environ 7.000 ans avant notre ère. La population s'enrichit alors d'un afflux d’agriculteurs issus principalement de Turquie et d’Iran, entre 5.000 et 3.000 ans avant notre ère. Cette transition a coïncidé avec l'introduction de produits domestiques tels que le blé, l'orge, les légumineuses, les moutons et les bovins en Italie.

De l'Âge du Bronze à la fondation de Rome : le commerce ouvre les frontières

La seconde transition de population a eu lieu au cours de l'Âge du Bronze, entre 2.900 et 900 ans avant notre ère : une fourchette peu précise car les chercheurs manquaient de données. Ce changement a coïncidé avec l'intensification des échanges et des interactions avec les populations de la Méditerranée - ou Mare Nostrum, "notre mer", comme l'appelaient les Romains – au moyen de chars et chariots récemment mis au point et grâce aux progrès de la navigation. C'est ainsi qu'au plus tard en 900 avant notre ère, peu de temps avant la fondation de Rome traditionnellement datée de 753 avant notre ère, la population de l'Âge du Fer s'est enrichie d'ancêtres iraniens, des steppes ukrainiennes et nord-africains… Jusqu'à ressembler, déjà, à la population méditerranéenne moderne. "Contrairement aux individus préhistoriques, les individus de l'Âge du Fer ressemblent génétiquement aux individus européens et méditerranéens modernes et affichent des origines diverses, alors que l'Italie centrale devient de plus en plus reliée à des communautés lointaines par le biais de nouveaux réseaux de commerce, de colonisation et de conflits", élaborent les chercheurs dans la publication.

 
 

Un Empire qui englobe toute la mer Méditerranée

Et cela ne faisait que commencer. Car bien que Rome ait commencé comme une ville modeste, 800 ans plus tard, elle avait pris le contrôle d'un empire qui s'étendait aussi à l'ouest que la Grande-Bretagne, au sud jusqu'en Afrique du Nord et à l'est en Syrie, en Jordanie et en Irak. La génétique des individus de l'époque s'enrichit et se complexifie à nouveau, principalement de l'est de la méditerranée, mais peu de l'ouest. À l'appui de ces conclusions, les auteurs citent des preuves d'un établissement à long terme à Rome de personnes originaires de l'est, comme les lieux de naissance enregistrés dans les inscriptions funéraires et la fréquence des temples et sanctuaires consacrés aux dieux grecs, phrygiens, syriens et égyptiens.

Pourquoi si peu d'immigration de l'ouest et autant de l'est, alors que la Gaule était conquise et fournissait son lot d'esclaves, d'huile d'olive ou de vins ? Pour les chercheurs, cela pourrait s'expliquer par la densité de population plus élevée dans l'est de la Méditerranée que dans l'ouest et la présence de mégapoles, telles qu'Athènes, Antioche et Alexandrie, susceptibles d'avoir entraîné un flux de personnes d'est en ouest pendant l'Antiquité.

 

Une perpétuelle mutation, qui se lit dans les génomes

Les siècles qui ont suivi ont été marqués par des troubles : l'empire s'est scindé en deux, des maladies et des guerres ont décimé la population de Rome et une série d'invasions ont frappé la ville. D'où une réduction des contacts avec la Méditerranée orientale et une augmentation du flux de gènes en provenance d’Europe. L'ascendance de la population s'est alors déplacée vers l'Europe du nord et de l'ouest. Plus tard, la montée et le règne du Saint Empire romain germanique entraînent un afflux d'ascendance européenne centrale et du nord.

La leçon, c'est que le monde antique était en perpétuelle mutation, à la fois en termes de culture et d'ascendance, explique dans un communiqué Jonathan Pritchard, un des principaux auteurs de ces travaux. "Nous étions surpris de la rapidité avec laquelle les ancêtres de la population ont évolué, en quelques siècles seulement, reflétant les alliances politiques changeantes de Rome au fil du temps", ajoute-t-il. "Même dans l'Antiquité, Rome était un creuset de cultures différentes."

 

À son apogée, l'ancien Empire romain englobait la totalité de la Méditerranée et la vie de dizaines de millions de personnes en Europe, au Proche-Orient et en Afrique du Nord. En son centre, la ville de Rome est la première à atteindre plus d'un million d'habitants dans le monde antique. Une taille qui restera inégalée en Europe jusqu'à l'aube de la révolution industrielle, près de 1.500 ans plus tard.

 

Quand la nation gauloise naissait à Lyon

Pour l'historien Jean Étèvenaux, c'est dans cette ville, devenue capitale des Gaules, que le premier Parlement de notre histoire a vu le jour. Explications

Microbes et climat, fléaux de Rome

 

On pouvait croire que tout avait été dit sur la chute de Rome. Plus de 200 causes ont été invoquées par autant d’auteurs sur les forces qui ont pu jeter à bas l’un des plus stables et puissants édifices étatiques de tous les temps. Mais ce livre-ci surprend, par son ampleur de vue et par son approche novatrice, celle d’une histoire environnementale de la fin de l’Empire. En un récit complexe, associant climatologie, démographie, économie et épidémiologie, Kyle Harper expose comment une civilisation s’érode face à l’adversité écologique.

Bien sûr, on écrit les livres de son époque. La menace du réchauffement climatique en cours résonne efficacement. Mais l’histoire environnementale, rappelle l’auteur, synthétise aussi les formidables masses de données que l’archéologie nous livre aujourd’hui sur le passé. Nous savons maintenant mesurer finement les variations de température, estimer le tonnage des navires de céréales tunisiennes qui nourrissaient l’Italie, séquencer l’ADN des microorganismes pathogènes piégés dans l’émail de dents vieilles de deux millénaires… De quoi renouveler les hypothèses.

L’optimum climatique romain

On apprendra donc que l’apogée de la République romaine et le début de l’Empire (- 250/150) ont bénéficié d’un climat stable et chaud, l’« optimum climatique romain ». Un épisode aussi chaud que celui que nous connaissons aujourd’hui, 1 °C de plus que les températures de référence étalonnées dans les années 1880. C’est dans une véritable serre que les Romains ont pu cultiver les produits agricoles soutenant leur expansion démographique, elle-même source de leur puissance militaire. L’auteur n’écrit pas une histoire déterministe, il est conscient du génie organisationnel et administratif qui a présidé à la construction de l’imperium : il rappelle qu’un tel édifice ne peut se concevoir sans de telles ressources agricoles.

Suite à ce succès, Rome fut saisie de fièvre. Entre chaleur et marécages, les moustiques pullulaient, le paludisme limitait l’espérance de vie. Les villes densément peuplées et les réseaux d’échange transformèrent l’Empire en une pathocénose particulière. Un bouillon de culture qui, plus efficacement que les flèches des Parthes, doucha ses ambitions annexionnistes. Survint la peste d’Antonin en 165, que l’auteur attribue à la variole. Ses effets furent aggravés par un refroidissement lié au ralentissement de l’activité solaire (150-450), qui entraîna l’arrivée de « réfugiés climatiques » depuis les steppes d’Asie. Frappa ensuite la peste de Cyprien (249-262), imputable selon K. Harper à un arbovirus de type Ebola.

C’était avant la vraie peste, la bubonique, qui se manifeste à partir du règne de Justinien, au mitan du 6e siècle. Elle s’abattit sur ce qui survivait de l’Empire, autour de Constantinople, de concert avec une vague de froid planétaire inédite, liée à une série d’éruptions volcaniques. Les températures plongèrent, les récoltes s’effondrèrent. Dans la décennie 550, K. Harper estime que la moitié de la population romaine fut fauchée par la première vague de l’épidémie. L’administration et l’armée perdirent toute efficacité. La peste revint à intervalles réguliers : trente-huit vagues en deux siècles. Guerres et famines s’ensuivirent, et l’islam naissant put amputer de l’essentiel de ses territoires un Empire byzantin agonisant. « Le destin de Rome, diagnostique l’auteur, résulta des actes d’empereurs et de barbares, de sénateurs et de généraux, de soldats et d’esclaves. Mais tout aussi décisifs furent les rôles joués par les bactéries et virus, les volcans et les cycles solaires. » 

 

The Fate of Rome. Climate, disease, and the end of an empire, Kyle Harper, Princeton University Press, 2017, 418 p., 27 €.

The Fate of Rome. Climate, Disease & the End of an Empire

 

Environ 210 explications ont été avancées pour expliquer la chute de l’Empire romain ! Il va falloir en ajouter une autre et compter le changement climatique parmi les responsables. Le livre commence par nous faire découvrir la dynamique du climat dans l’Empire romain au IIe siècle avant l’ère chrétienne. Les spécialistes ont baptisé cette période "optimum climatique romain". Les températures sont tempérées, les cultures se portent bien et la population en profite. Pourtant, les premières fissures environnementales apparaissent. Une déforestation massive crée de nombreux points d’eau où les moustiques vont proliférer. Un habitat urbain dense rempli de fontaines permet à ces porteurs de malaria de se répandre. Et si la connexion des routes de l’Empire représente un vecteur d’intégration économique et politique, c’est également une voie de circulation des maladies. Malaria et variole prendront ce chemin jusqu’à ce qu’au IIe siècle, une première épidémie de peste emporte 10 % de la population.

Le livre nous entraîne ensuite, siècle après siècle, dans les méandres du changement climatique. Ici, l’aridité provoque des sécheresses et des crises fiscales. Plus tard, un réchauffement climatique, d’origine non humaine, se traduit par des famines, des développements de parasites intestinaux l’été, suivis des moustiques à l’automne. L’auteur mêle à chaque fois les dynamiques climatiques, économiques et politiques.

Peste et volcan

Mais la partie la plus impressionnante arrive ensuite avec la toute fin de l’empire d’Orient. De par la circulation du blé, l’Empire présente un écosystème favorable à la circulation des rats. Partis d’Egypte, ils monteront vers le nord et l’est pour disséminer le virus de la peste. Les mouches qui les accompagnent se font les vecteurs de transmission vers les humains, les plus pauvres en premier. Toutes les classes sociales seront infectées, jusqu’à l’empereur Justinien, qui fera partie des rares à en réchapper. Pas moins de la moitié de la population va disparaître du fait de cette épidémie.

L’auteur avance que la peste et ses résurgences sur deux siècles seront favorisées par la violence volcanique qui marque le milieu du VIe siècle. Elle provoque un refroidissement climatique d’environ 2,5 degrés, qui aura pour conséquence la diminution des récoltes, l’effondrement de villages entiers, une baisse de la population en partie estimée par la forte réduction de la circulation monétaire. Les guerres finiront le travail pour faire entrer l’Europe dans le Moyen Age.

« Are we Rome? » Tel est le titre d’une étude fort intéressante de Lawrence Reed, président de la Foundation For Economic Education (USA). C’est aussi le titre qu’ont choisi les organisateurs de la FreedomFest à Las Vegas, cette année.

 

 

Pourquoi Rome a-t-elle décliné puis finalement chuté ? Reed explique que l'Empire romain fut un régime militaire parasite, qui ne pouvait survivre que par un afflux permanent de richesses pillées à l’extérieur, des prisonniers réduits en esclavage et des terres volées.

 

 

En effet, l'enrichissement de l'aristocratie romaine ne provenait que du butin des invasions et non d'une quelconque création de valeur. Avec la fin des conquêtes et les rendements décroissants des pillages, l’administration dut cependant recourir de plus en plus au pillage interne pour satisfaire son besoin de richesses, ce qui entraîna un appauvrissement général de la population de l'Empire

 

 

Au premier siècle avant Jésus Christ, Rome est passée d'une république dotée d'un régime relativement libéral à la dictature de Jules César, avec un tiers des habitants au chômage. C'est l'époque où le parallèle avec notre époque est vraiment frappant.

 

 

Car aux premiers temps de sa grandeur, chaque Romain se considérait lui-même comme la principale source de ses revenus. Ce qu’il pouvait acquérir volontairement sur ​​le marché était la source de son gagne-pain. Le déclin de Rome a commencé quand un grand nombre de citoyens ont découvert une autre source de revenus : le processus politique ou l'État. Les Romains ont alors abandonné la liberté et la responsabilité personnelle contre des promesses de privilèges et de richesses distribuées directement par le gouvernement. Le pouvoir fournissait du pain et des jeux à ses citoyens, mais aussi du porc et de l’huile d’olive.

 

 

Les citoyens adoptèrent l’idée qu’il était plus avantageux d’obtenir un revenu par des moyens politiques que par le travail. Cela a conduit l’économiste Howard E. Kershner à énoncer la loi qui porte son nom : « Quand un peuple autonome confère à son gouvernement le pouvoir de prendre aux uns pour donner aux autres, le processus de redistribution ne cesse qu’à partir du moment où le dernier contribuable est dépouillé de tous ses biens ».

 

 

Vers 140, l’historien romain Fronto écrivait : « La société romaine est préoccupée principalement par deux choses, ses ressources alimentaires et ses spectacles ». Comme les revenus du commerce ne suffisaient pas à financer l'administration et les garnisons, les impôts augmentaient constamment. Les empereurs dévaluaient leur monnaie en mettant moins d'argent ou d’or dans leurs pièces. Cela provoquait l'inflation. La pression fiscale devenait alors insupportable !

 

 

Sous le règne de l’empereur Antonin le Pieux (de 138 à 161), la bureaucratie romaine atteignit des proportions gigantesques, écrit Reed. Selon l’historien Albert Trever, « l’implacable système fiscal, chargé d’organiser la spoliation et le travail forcé, finit par être administré par une armée de soldats bureaucrates ». Partout, les bureaucrates à la solde des empereurs s’employaient à écraser les fraudeurs fiscaux.

 

 

Finalement, sommes-nous une Rome contemporaine ? Peut-on dire que l’histoire se répète ?

 

 

Considérons les sommes monumentales dépensées pour le sauvetage des banques, les augmentations vertigineuses de la dette publique, la concentration du pouvoir entre les mains du gouvernement central et les incessantes revendications de la part des groupes d’intérêt. Si ces éléments nous sont familiers au XXIe siècle, ils l’étaient tout autant des Romains de l’Antiquité.

 

 

En accroissant démesurément le pouvoir du gouvernement au détriment de la responsabilité individuelle, nous avons fait la même erreur que Rome il y a des siècles. Ceux qui ignorent l'histoire sont condamnés à la répéter. La plupart des gens qui chérissent la liberté s'opposent à l'État-providence pour des raisons morales, philosophiques et économiques. Nous ferions bien d'ajouter une autre raison, conclut Reed : les leçons de l'histoire !

 

Damien Theillier

 

"A la fin, plus que la liberté, ils voulaient la sécurité. Lorsque les Athéniens ne voulurent plus contribuer à la société, mais qu'au contraire la société contribue à leur bien-être, lorsque la liberté qu'ils souhaitaient consistait à être libérés de toute responsabilité, alors Athènes cessa d'être libre".


Edward Gibbon (1737-1794)

 

 

 

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