Mohamed Sifaoui, présent partout, expert nulle part ?

Publié le par ottolilienthal

Expert en terrorisme, journaliste, écrivain… La justice s’intéresse de près à Mohamed Sifaoui, soupçonné d’avoir profité des largesses du fonds Marianne. Portrait de l’homme aux multiples casquettes, pas apeuré par la polémique

Écrivain, chercheur, professeur, journaliste… Dans le placard de Mohamed Sifaoui, toutes ces casquettes se superposent pour ne former qu’une grande pyramide. Ce mardi matin, on parierait que l’équilibre de l’édifice a été sacrément chamboulé par une perquisition menée par l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales au domicile parisien de l’homme de 55 ans. Un développement judiciaire qui a empêché Mohamed Sifaoui d’honorer sa convocation, prévue le jour même, devant une commission d’enquête sénatoriale.

Ce qui est reproché au quinquagénaire, coresponsable de l’Union des sociétés d’éducation physique et de préparation militaire (USEPPM), principale association bénéficiaire du fonds Marianne de lutte contre le « séparatisme » (355.000 euros) ?

Des « manquements » et des « irrégularités » dans le processus de candidature et d’utilisation du fonds. Le tout, pour un rendu final presque inexistant, malgré un poste de « maître d’œuvre, courroie de transmission et caution scientifique » pour Sifaoui, comme l’évoquait devant le Sénat son compère Cyril Karunagaran, président de l’USEPPM.

Entre « caution scientifique » et « magouilles »

Soutiens comme détracteurs, faire parler de Sifaoui n’est pas une tâche aisée. Après avoir essuyé bon nombre de refus, les personnes interrogées ont requis l’anonymat. « Cette affaire n’est pas surprenante, c’est même étonnant que ça ne soit pas arrivé plus tôt. Sifaoui, c’est des affaires, des magouilles, des embrouilles », tance un proche du dossier. Lancé en avril 2021 après l’assassinat de Samuel Paty, ce fonds piloté par Marlène Schiappa devait servir à financer des associations défendant « les valeurs de la République » en apportant, sur les réseaux sociaux, des « contre-discours » à l’islam radical.

L’islam radical justement, a été le fonds de commerce du journaliste, auteur d’une vingtaine d’ouvrages sur le sujet. Né en Algérie en 1967, l’ex-correspondant de Jeune Afrique a remporté plusieurs prix pour des enquêtes infiltrées dans le milieu djihadiste. Venu travailler en France après avoir connu les années noires en Algérie, ses travaux aux titres chocs (Sur les traces de Ben Laden, Comment j’ai infiltré Al-Qaida) ont presque tous été remis en cause.

Notamment Mon frère, ce terroriste, un livre coécrit avec l’aîné de la fratrie du terroriste Mohamed Merah. Comme le rappelle Médiapart, un homme présenté comme un « gitan » converti au salafisme, est accusé indirectement par les auteurs d’avoir un lien avec l’affaire Merah. Son tort selon eux ? Avoir quitté le quartier après les attentats. Arrêté par les autorités quelques jours après la publication de l’ouvrage, l’homme sera libéré après une garde à vue, faute d’éléments probants.

« Il est très surprenant que cette personne ait pu avoir une quelconque crédibilité dans certains médias. Il suffisait de lire ce qu’il avait écrit ou regarder ses réalisations pour s’apercevoir qu’il n’avait aucune crédibilité, dans le monde universitaire et chez les acteurs de terrain », pointe un proche du dossier.

Régulièrement invité sur les plateaux télés, Mohamed Sifaoui y agit comme un éditorialiste. Il parle, beaucoup, et n’hésite pas à aborder des sujets loin de son domaine de compétence. Comme la laïcité. « Il n’a pas de connaissances sérieuses sur le sujet. Il a instrumentalisé la laïcité à des fins idéologiques et pour des questions d’ego », critique un ex-conseiller ministériel.

Ancien porte-flingue de Manuel Valls sur la laïcité

Soutien de Manuel Valls lors de sa campagne pour la primaire à gauche, Mohamed Sifaoui n’avait à l’époque pas hésité à monter au créneau pour défendre la vision de la laïcité de son candidat. Au point de comparer le voile islamique à « un brassard nazi », comme nous l’écrivions dans nos colonnes en 2017. Pas la seule polémique pour un homme habitué aux dérapages sur les réseaux sociaux, et proche du Printemps républicain, un mouvement politique habitué à ce type de méthodes sur Internet, comme l’a révélé Slate en 2021.

Mohamed Sifaoui s’est aussi essayé au monde du football, le temps d’une mission express de six mois au SCO d’Angers, en Ligue 1. Propulsé directeur de la communication, il aura eu le temps de se griller avec les supporters, dans un contexte certes délicat. Après un certain temps d’adaptation marqué par des relations tendues avec les journalistes, il s’est résolu à lâcher du lest.

En avril, lors des premiers développements autour de l’affaire du fonds Marianne, Mohamed Sifaoui avait réagi. « J’ai déjà subi plusieurs attaques au cours de ma carrière, je suis habitué quand on travaille sur l’islam politique, on reçoit quelques peaux de banane quand on défend la République […]. Je ne suis pas Jérôme Cahuzac, je ne suis pas François Fillon, je ne suis pas Pénélope Fillon », s’était-il défendu sur le plateau de BFM TV.

« Il est important qu’il puisse être auditionné rapidement et démontrer comme il l’a toujours dit qu’il n’avait rien à se reprocher dans cette affaire », a indiqué son avocat ce mardi, rappelant « le combat contre l’islam politique depuis trente ans » de son client. Il sera entendu par les autorités mercredi en audition libre. Avant un passage au Sénat, jeudi.

Octave Odola

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