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Low-tech

Publié le par ottolilienthal

 

Savons-nous dans quel monde technique nous vivons ? Savons-nous comment fonctionnent tous les systèmes notamment informatiques qui nous environnent, et qui sans aucun doute téléguident nos actions quotidiennes ? nos décisions, nos achats, et sans doute aussi un peu nos votes ?


Pour l’essentiel nous n’en savons rien et sommes bien incapables d’en appréhender la pleine complexité. En quelques microsecondes se sont des milliards de données qui circulent grâce aux algorithmes et cette quantité est pour nous, pardon de devoir le dire sur cette antenne, tout simplement inconcevable. Ce sont proprement les machines qui détiennent ce savoir que l’on a déposé en elles ; et cela même nous feignons de l’ignorer, alors même que nos modèles d’existence sont radicalement soumis aujourd’hui au marketing de masse et à l’automatisation. Face aux immenses possibilités offertes par le calcul intensif et le maniement quantitatif de la donnée, nous ne sommes plus détenteurs d’une quelconque capacité à contrer l’anticipation par ces systèmes prévisionnels de nos moindres pulsions.


Pour Bernard Stielger l’auteur de ce petit ouvrage édité aux éditions Mille et une nuits, L’emploi est mort vive le travail, nous sommes tous, en particulier acteurs engagés dans l’action économique, les victimes consentantes d’un phénomène de prolétarisation. Par prolétarisation, il entend ici non pas une paupérisation mais un effacement du savoir, une destruction progressive de ce que nous sommes capables de comprendre, au bénéfice de systèmes informatiques que nous utilisons sans cesse. Or ce sont ces systèmes qui deviennent de plus en plus intelligents quand nous tendons, plus que nous le croyons, à nous désaisir de toute connaissance intrinsèque.


Cette crétinisation, autre mot aimable que Bernard Stiegler emploie pour se faire entendre et qu’il applique en particulier aux élites économiques, il le destine notamment à Alan Greenspan, le grand patron de la réserve fédérale américaine avouant ne plus rien comprendre à l’économie au moment de la crise des subprimes.


Or cette tendance constitue bien entendu un problème grave pour l’économie elle-même, pourquoi cela? Eh bien parce qu’elle tend à appauvrir la qualité des existences de chacune et de chacun aussi bien que de l’expérience du travail personnel et collectif. Alors que faire ? Pour Stiegler il convient de désautomatiser notre rapport au travail, retrouver des savoir-faire capaçitants, mettre l’accent sur le savoir-vivre, réinstaller au cœur de la collaboration humaine le partage des savoirs.


Permettre enfin à ce qui n’est pas standardisable de reprendre le pouvoir sur ce qui l’est. L’auteur prend l’exemple ici du violoniste, pour illustrer le fait que «  travailler, c’est mettre en oeuvre une faculté d’inventer à partir d’automatismes reçus, que l’on a d’autant mieux intériorisés que l’on est capable de les désautomatiser. » Et plus loin : « Le virtuose devient artiste lorsqu’il s’avère capable d’inverser à partir de ces automatismes acquis dans l’imprévu, une bifurcation, une interprétation au-delà des automatismes propres à l’instrument. » C’est alors que l’interprétation et la création redeviennent possibles, et même souhaitables.


Ce livre d’une petite centaine de pages, pour l’essentiel un entretien avec le journaliste Ariel Kyrou, développe des idées importantes développées par l’un des rares philosophes à s’intéresser de près aux questions économiques, notamment via l’association Ars Industrialis. Il constitue en cela une introduction accessible à une œuvre réputée parfois difficile et donnera enfin des forces à celles et ceux pour qui la culture est au fondement du développement économique. Et non l’inverse.

Ghislain Deslandes, professeur à ESCP Business School

https://www.xerficanal.com/strategie-management/emission/Ghislain-Deslandes-L-emploi-est-mort-vive-le-travail_3744774.html?utm_source=sendinblue&utm_campaign=&utm_medium=email

'Retour à l’âge de pierre' : Comment le Hamas a esquivé l’intelligence d’Israël

Les experts analysent comment le groupe palestinien a réussi à contourner le Mossad, le Shin Bet et le renseignement militaire pour lancer l’attaque la plus audacieuse contre Israël depuis des décennies.


Les drones de surveillance bourdonnent constamment du ciel. La frontière hautement sécurisée est inondée de caméras de sécurité et de soldats de garde. Les organismes de renseignement travaillent avec des sources et des capacités cybernétiques pour recueillir une foule de renseignements.

Mais les yeux d’Israël semblaient fermés dans la perspective d’une attaque sans précédent du groupe Hamas, qui a brisé les barrières frontalières israéliennes et envoyé des centaines de combattants en Israël pour mener une attaque sans précédent à grande échelle.

Les agences de renseignement israéliennes ont acquis une aura d’invincibilité au fil des décennies en raison d’une série de d'actions. Israël a apparemment déjoué des complots semés en Cisjordanie occupée, aurait pourchassé des membres du Hamas à Dubaï et aurait été accusé d’avoir tué des scientifiques nucléaires iraniens au cœur de l’Iran.

Même lorsque leurs efforts ont échoué, des agences comme le Mossad, le Shin Bet et le renseignement militaire ont maintenu leur légende.

Mais l’assaut du week-end, qui a pris Israël au dépourvu lors d’une grande fête juive, plonge cette réputation dans le doute et soulève des questions sur la préparation du pays face à un ennemi plus faible mais déterminé.

Plus de 48 heures plus tard, les combattants du Hamas ont continué à combattre les forces israéliennes à l’intérieur du territoire israélien et des dizaines d’Israéliens étaient en captivité par le Hamas à Gaza.


« Il s’agit d’un échec majeur », a déclaré Yaakov Amidror, ancien conseiller à la sécurité nationale du premier ministre Benjamin Netanyahu. « Cette opération prouve en fait que les capacités (de renseignement) à Gaza n’étaient pas bonnes. »

Amidror a refusé de fournir une explication pour l’échec, disant que des leçons doivent être apprises quand la poussière se pose.

Le manque apparent de connaissance préalable du complot du Hamas sera probablement considéré comme le principal coupable dans la chaîne d’événements qui a conduit à l’attaque sans précédent du Hamas.

Le contre-amiral Daniel Hagari, le porte-parole militaire en chef, a reconnu que l’armée doit une explication au public, mais il a dit que ce n’était pas le moment. « D’abord, nous nous battons, puis nous enquêtons », a-t-il déclaré.

Certains disent qu’il est trop tôt pour imputer la faute uniquement à une faute de renseignement.

Ils signalent une vague de violence de bas niveau en Cisjordanie occupée qui y a déplacé des ressources militaires et le chaos politique qui secoue Israël sur les mesures prises par le gouvernement d’extrême droite de Netanyahou pour réformer le système judiciaire.

Le plan controversé a menacé la cohésion de la puissante armée du pays.

Mais le manque apparent de connaissance préalable du complot du Hamas sera probablement considéré comme le principal coupable dans la chaîne d’événements qui a conduit à l’attaque sans précédent contre les Israéliens depuis des décennies.

Intelligence technologique et humaine

Israël a retiré les troupes et les colons de la bande de Gaza assiégée en 2005, la privant d’une vision sur les événements dans le territoire. Mais même après que le Hamas a pris le contrôle de Gaza en 2007, Israël a semblé maintenir son avantage, en utilisant les renseignements technologiques et humains.

Il prétendait connaître les emplacements précis des dirigeants du Hamas et semblait le prouver par les assassinats de chefs de la résistance lors de frappes chirurgicales, parfois alors qu’ils dormaient dans leurs chambres.

Israël a su où frapper les tunnels souterrains utilisés par le Hamas pour contourner les combattants et les armes, détruisant des kilomètres de passages cachés.


Malgré ces capacités, le Hamas a pu garder son plan secret. L’attaque, qui a probablement pris des mois de planification et de formation méticuleuse et impliquait une coordination entre de multiples groupes, semblait être passée sous le radar du renseignement israélien.

Amir Avivi, un général israélien à la retraite, a déclaré que sans un pied à l’intérieur de Gaza, les services de sécurité d’Israël en sont venus à compter de plus en plus sur les moyens technologiques pour obtenir des renseignements.

Il a déclaré que les militants de Gaza ont trouvé des moyens d’échapper à cette collecte de renseignements technologiques, donnant à Israël une image incomplète de leurs intentions.

« Ils sont revenus à l’âge de pierre »

« L’autre partie a appris à composer avec notre domination technologique, et elle a cessé d’utiliser la technologie qui pourrait l’exposer », a déclaré Avivi, qui a servi de canal pour le matériel de renseignement sous un ancien chef d’état-major militaire. Avivi est président et fondateur d’Israel Defense and Security Forum, un groupe belliciste d’anciens commandants militaires.

« Ils sont retournés à l’âge de pierre », a-t-il déclaré, expliquant que les résistants n’utilisaient pas de téléphones ou d’ordinateurs et menaient leurs activités sensibles dans des salles spécialement protégées contre l’espionnage technologique ou sous terre.

Mais Avivi a déclaré que l’échec allait au-delà de la simple collecte de renseignements et que les services de sécurité israéliens n’ont pas réussi à rassembler une image précise des renseignements qu’ils recevaient, sur la base de ce qu’il a dit être une idée fausse concernant les intentions du Hamas.

Ces dernières années, les forces de sécurité israéliennes ont de plus en plus vu le Hamas comme un acteur intéressé à gouverner, à développer l’économie de Gaza et à améliorer le niveau de vie des 2,3 millions d’habitants de Gaza.


Ces dernières années, Israël a permis à jusqu’à 18000 travailleurs palestiniens de Gaza de travailler en Israël, où ils peuvent gagner un salaire environ 10 fois plus élevé que dans l’enclave côtière appauvrie. Les responsables de la sécurité considéraient cette carotte comme un moyen de maintenir un calme relatif.

« Dans la pratique, des centaines, voire des milliers d’hommes du Hamas se préparaient à une attaque surprise pendant des mois, sans que cela ait été divulgué », a écrit Amos Harel, commentateur de la défense, dans le quotidien Haaretz. « Les résultats sont catastrophiques. »

"Nous les avons prévenus"

Un responsable du renseignement égyptien a déclaré que l’Égypte, qui sert souvent de médiateur entre Israël et le Hamas, avait parlé à plusieurs reprises avec les Israéliens que « quelque chose se préparait."

Il a déclaré que les responsables israéliens se concentraient sur la Cisjordanie occupée et minimisaient la menace de Gaza. Le gouvernement de Netanyahou est composé de partisans des colons juifs de Cisjordanie qui ont exigé une répression sécuritaire face à la montée de la violence au cours des 18 derniers mois.

« Nous les avons prévenus qu’une explosion de la situation s’en venait, et très bientôt, et ce serait énorme. Mais ils ont sous-estimé ces avertissements », a déclaré le responsable, qui s’est exprimé sous couvert d’anonymat parce qu’il n’était pas autorisé à discuter du contenu de discussions sensibles avec les médias.

Israël a également été préoccupé et déchiré par le plan de refonte judiciaire de Netanyahou. Netanyahou avait reçu des avertissements répétés de ses chefs de la défense, ainsi que de plusieurs anciens dirigeants des agences de renseignement du pays, que le plan de division réduisait la cohésion des services de sécurité du pays

Martin Indyk, envoyé spécial pour les négociations israélo-palestiniennes sous l’administration Obama, a déclaré que les divisions internes sur les changements juridiques étaient un facteur aggravant qui a contribué à ce que les Israéliens soient pris au dépourvu.

"Cela a secoué l’armée israélienne d’une manière qui, je pense, nous a permis de découvrir que c’était une énorme distraction", a-t-il déclaré.

SOURCE : AP

Vous rêvez d'un monde sans Internet ? Eux aussi

Un sondage mené aux États-Unis révèle qu'une large majorité de personnes de toutes générations aimerait vivre à une époque pré-Internet. Dans ce cas-là, devrions-nous juste tout débrancher ?

La plupart des Américains préféreraient vivre « une époque plus simple », avant notre obsession des écrans et les réseaux sociaux. C'est ce que révèle un récent sondage mené par Harris repris par Fast Company. Le sentiment est d'ailleurs particulièrement fort chez les millennials, nés entre 1984 et 1996, et la génération X, née entre 1965 et 1980. À la question « souhaiterez-vous revenir à une époque où l'humanité n'était pas connectée ? » (comprendre ici une époque sans smartphones et Internet à haut débit), 77 % des Américains âgés de 35 à 54 ans ont répondu par l'affirmative.

« Une époque plus simple »

Évidemment, le groupe démographique répond en connaissance de cause : les deux générations ont expérimenté en direct un monde sans Tinder, 5G, et tweets excessivement malaisants de la part d'Elon Musk. Toutefois, les Z ne sont pas en reste : 63 % des 18-34 ans se déclarent en phase avec le plan Retour vers le futur. À noter : les baby-boomers (nés entre 1943 et 1960) ont moins envie que les autres de s'engouffrer dans une machine à remonter le temps, avec seulement 60 % des personnes de plus de 55 ans déclarant qu'elles préféreraient retourner dans le passé. Toutes générations confondues, 67 % des répondants conviennent cependant qu'ils préféraient le monde sans Internet.

Alors, les sociétés occidentales ont-elles des tendances Luddistes, ou sont-elles tout simplement nostalgiques ? D'après le sondage, la seconde hypothèse serait la plus probable. « Si les Américains peuvent vouloir se libérer du fardeau d'une connectivité permanente, une écrasante majorité – 90 % d'entre eux – a également déclaré qu'il était important d'avoir l'esprit ouvert quant aux nouvelles technologies », rappelle Fast Company. En outre, près de la moitié des sondés a déclaré avoir tendance à adopter les nouvelles technologies avant leur entourage. Aucun doute pourtant : les Américains demeurent sceptiques quant à la force brutale avec laquelle les nouvelles technologies nous sont imposées. Un peu plus de la moitié des sondés trouve difficile de suivre le rythme, et que la technologie est plus susceptible de diviser les gens que de les unir. Face à cette dernière question, les plus jeunes se rangent plus volontiers du côté des pessimistes, avec 57 % des personnes de moins de 35 ans qui conviennent que la technologie divise.

Rage against the machine

Le sondage a été réalisé alors que ChatGPT et consorts remplacent déjà quelques cols blancs, et qu'Apple et Meta rêvent de nous visser un casque de réalité virtuelle moche sur la tête. Pas très étonnant qu'un bon nombre d'entre nous ait envie de débrancher les machines. Si malgré la fatigue et la lassitude technologiques, l'adoption des micro-ondes connectés et des téléphones à écrans géants ne montre aucun signe d'essoufflement, de petites poches de résistance émergent des deux côtés de l’Atlantique.

En 2021, deux lycéens new-yorkais ont fondé le Luddite Club, baptisé ainsi en l'honneur de l'ouvrier Ned Ludd supposément à l'origine du Luddisme, le mouvement des « casseurs de machines ». Pour rejoindre la communauté, il suffit de renoncer à son smartphone et de le remplacer par un dumbphone (le 3310 des années 2000 qui nous permettait uniquement d'envoyer des textos et de jouer à Snake.) Si le mouvement demeure marginal, il séduit néanmoins de plus en plus d'adeptes. Les moins de 25 ans qui n'ont pas envie de fracasser leur iPhone contre un mur avant de le jeter à la poubelle (ce qu'a fait Lola, cofondatrice du Club, dans l'effervescence des débuts) se déconnectent autrement. Après le boulot ou la fac, ils font du tricot ou vont à la pêche. Chez les plus bricoleurs, un peu partout dans le monde, les low tech gagnent aussi en popularité. C'est ce que montre le récent documentaire d'Adrien Bellay, Low-tech, les bâtisseurs du monde d'après, qui raconte comment les technologies douces peuvent servir de levier pour endiguer le réchauffement climatique. Même la Silicon Valley en a marre : dans la baie de San Francisco, les cadres sup se mettent à la menuiserie et la broderie. C'est tout dire de la gloutonnerie de tech qui nous laisse écœurés et légèrement hagards.

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« Juste après « Exile On Main Street », la technologie a fait de tels bonds en avant que même les ingénieurs du son les plus balèzes n’ont pas compris ce qui leur arrivait; « Comment se fait-il que j’aie eu une super sonorité de batterie au Regent Sound Studio, avec ses boîtes à oeufs et un seul micro, et maintenant, avec quinze micros dans tous les coins, le son de la batterie me fait penser à quelqu’un en train de chier sur de la tôle ondulée ? ». Tout le monde s’est laissé emballer par la technologie, et tout le monde commence lentement à en revenir. (…) J’ai toujours eu l’impression qu’au fond de moi-même je rejetais la technologie, qu’elle ne m’aidait pas du tout, bien au contraire. (…) Cette idée qu’il faut séparer les instruments lors de la prise de son est l’antithèse du rock’n roll. Le rock’n roll, c’est une bande de types qui produisent du son dans un lieu clos, un son qu’il suffit de capturer. Et c’est ce son qu’ils font ensemble qui compte, pas les sons individuels. Tous ces mythes stupides à propos de la stéréo, de la hi-tech et du dolby, tout ça va totalement à l’encontre de ce qu’est la musique. »

 

(extrait de « Life » de Keith Richards (paru en 2010)

Bientôt l'âge d'or des low-tech ?
 
 
 
 

 

PROSPECTIVE - Complexes, énergivores, consommatrices de ressources rares, les high-tech pourraient se voir concurrencées par des technologies plus sobres. Mais la transition prendra du temps.

Les high-tech sont à la mode, mais l'avenir pourrait rimer avec low-tech. Leur intérêt a été souligné dès les années 1960 par plusieurs intellectuels, notamment l'économiste Ernst Schumacher, partisan du « small is beautiful ». Déjà très utiles dans les contrées en développement (voir-ci dessous), les technologies plus sobres ou plus frugales pourraient aussi venir au secours des pays développés.

Aujourd'hui, le principal reproche fait aux produits high-tech reste leur caractère bien peu durable. « Plus on va vers des objets technologiquement enrichis, avec de l'électronique intégrée, des alliages de métaux ou des matériaux composites moins facilement recyclables, plus on s'éloigne de l'économie circulaire, ce qui est le but d'une économie plus low-tech », précise  Philippe Bihouix, auteur de « L'Age des low tech » (Seuil, 2014).

 
 
 
 

Un produit low-tech, c'est tout l'inverse. Il est plus simple, plus sobre et maîtrisable localement - sinon pour la fabrication, du moins pour la réparation et le recyclage. Certains discutent pourtant ce terme low-tech. Le consultant  Navi Radjou, qui a fait la promotion de l'innovation « jugaad » (frugale) , préfère parler de « wise tech » : « Cela transcende les formules low-tech et high-tech. Ce qui importe, c'est la valeur socio-économique et l'impact écologique d'une technologie. » Le meilleur exemple reste la bonne vieille cafetière italienne face à la machine Nespresso, avec ses capsules non recyclables pour un café ordinaire mais coûteux.

« Do it yourself »

Le secteur de l'électroménager, régulièrement mis en cause pour ses appareils non réparables, évolue d'ailleurs tout doucement.  SEB appose désormais le logo « Produit réparable 10 ans » sur 95 % de ses références. Le groupe a dû revoir tout son processus de conception et l'organisation de son service après-vente « qui est pour nous un business à somme nulle », insiste Alain Pautrot, vice-président en charge de la satisfaction des consommateurs. Résultat, 500.000 produits (pour les six marques du groupe) font l'objet d'une réparation chaque année, dont les deux tiers hors garantie. Un nombre qui a doublé en six ans.

 
 

La low-tech fait aussi des émules dans le numérique. Aux Etats-Unis, Jason Rohrer et Limor Fried en sont les figures emblématiques. Le premier développe pour des millions d'utilisateurs des jeux « Lo-Fi » (« low-fidelity », ou basse définition) semblables aux jeux Atari des années 1980. La seconde est l'ambassadrice du mouvement « do it yourself », avec son entreprise Adafruit Industries, qui vend des produits électroniques basés sur l'open source à assembler soi-même.

 
 

Pourtant, cela ne suffira pas, alors que secteur du numérique est responsable de 3 à 4 % de la dépense énergétique mondiale et que ce chiffre augmente de 9 % par an selon le rapport « Pour une sobriété numérique » publié l'an dernier par le think tank The Shift Project« Il suffirait de renouveler nos smartphones tous les trois ans, et non tous les dix-huit mois, pour ralentir cette croissance de moitié. Le reste passerait par un coup de frein sur la frénésie autour des objets connectés et une utilisation plus raisonnable de l'Internet, et notamment de la vidéo. Il est urgent de se doter collectivement d'une hygiène de vie numérique », insiste Hugues Ferreboeuf, qui a dirigé le groupe de travail du Shift Project.

Mutins ou mutants

Difficile pourtant de prédire ce que seront nos usages du numérique, estime le sociologue Gérard Mermet, qui a publié en fin d'année dernière « Francoscopie 2030 » : « Nous sommes dans une phase de jouissance et de fascination par rapport au numérique. Ces produits décuplent nos possibilités en permettant l'ubiquité, mais sont aussi chronophages et posent la question de l'utilisation des données et de la vie privée. Nous allons donc être amenés à arbitrer. »

Tout ne dépendra pourtant pas des consommateurs. « Le mouvement est difficile à initier pour les entreprises et viendra plutôt selon moi de la réglementation », analyse Philippe Bihouix. En matière de mobilité par exemple. « La vraie voiture low-tech et écologique serait petite et pèserait environ 500 kilogrammes. La solution pour la promouvoir, c'est la contrainte réglementaire qui limiterait par exemple le poids des voitures pouvant entrer en ville », explique Nicolas Meilhan, consultant indépendant et membre des Econoclastes. Un tel engin existe d'ailleurs. Il a été conçu par la jeune société Gazelle Tech, qui, grâce à un châssis et un mode de fabrication très novateurs, a divisé le poids par deux tout en respectant les normes de sécurité . Le secret ? Un châssis, en matériau composite, constitué d'une dizaine de pièces seulement assemblées à la main. La jeune entreprise girondine devrait annoncer dans quelques semaines l'implantation d'une première micro-usine en Afrique du Nord.

Energies vertes critiquées

Les low-tech atteignent pourtant leurs limites dès lors qu'il s'agit d'évoquer les grandes infrastructures. « Les low-tech sont incontournables, car, sans diminution des extractions de matière, on va au-devant de désillusions à la hauteur des illusions qu'ont fait naître les technologies. Attention, toutefois, car elles ne peuvent toutes être utilisées à grande échelle », confirme  Fabrice Bonnifet, président du Collège des directeurs du développement durable . Par exemple dans le domaine de l'assainissement. « Les méthodes d'épuration des eaux usées par filtres plantés, considérées comme 'low-tech', ne sont pas adaptées aux grandes villes, car elles nécessitent trop de place. En outre, elles ne permettent pas de récupérer la richesse de l'urine et des excréments, en particulier les nutriments (azote, phosphore). Le vrai changement de paradigme serait systémique en les récupérant, avec une approche low-tech, à la source, pour les réutiliser », insiste Bruno Tassin, directeur de recherches à l'Ecole des ponts ParisTech, qui travaille justement sur ce sujet à travers le programme Ocapi.

Même les énergies vertes font face aux critiques. « Les éoliennes sont fabriquées par des multinationales dont l'expertise technique et l'approvisionnement en pièces détachées dépendent de réseaux de fabrication mondiaux, et de ressources provenant de pays pas forcément stables politiquement », insiste Philippe Bihouix. Quant aux panneaux photovoltaïques, leur fabrication est très gourmande en énergie, alors que « le solaire thermique est une solution beaucoup plus simple et même la plus efficace de toutes les énergies renouvelables », insiste Kris De Decker, éditeur du site en ligne lowtechmagazine depuis 2007.

« Le low-tech deviendra de plus en plus présent, qu'on le veuille ou non, car la théorie économique prend en compte deux facteurs limitants que sont le travail et le capital, en oubliant le troisième que sont les ressources. Il finira par y avoir aussi une forme de sobriété dans la complexité », prédit Jean-Marc Jancovici, président du Shift Project.

Un tour du monde des solutions sobres

Corentin de Chatelperron a deux passions : la mer et les low-tech. En 2013, l'ingénieur trentenaire part pour les mers d'Asie sur un prototype fabriqué en matériau composite à base de fibres naturelles. Il en revient avec un nouveau projet. Un tour du monde des solutions permettant de faciliter l'accès aux besoins essentiels (eau, énergie, alimentation, matériaux de construction...) grâce à des systèmes simples, accessibles localement et faciles à fabriquer. L'expédition, filmée par Arte, est aujourd'hui parvenue en Malaisie. Plusieurs dizaines de low-tech ont été testées. Avec plus ou moins de succès. « Nous ne voulons diffuser que des technologies qui soient vraiment matures et copiables facilement », insiste Corentin de Chatelperron. L'élevage des larves de mouches soldat noir pour traiter les déchets organiques a fait ses preuves. Tout comme la culture hors sol avec très peu d'eau, ramenée du Cap-Vert.

La dessalinisation d'eau de mer testée au Maroc ou la pyrolyse du plastique à Dakar se sont révélées moins convaincantes. Une quarantaine de solutions sont diffusées sur le site lowtechlab.org. « Notre objectif est désormais de fédérer des compétences autour d'écoles d'ingénieurs et d'autres low-tech lab en une sorte de Nasa des low-tech pour s'attaquer à la R&D, faire mûrir ces solutions et les diffuser plus largement. »

Les chiffres du gâchis numérique

> 5,5 milliards de smartphones en service en 2020, contre 4 milliards en 2017 et 1,7 milliard en 2013.

> 17 % de l'énergie consommée par le secteur du numérique est due aux terminaux et notamment aux smartphones.

> 90 % de l'énergie consommée par un smartphone durant sa vie est liée à sa production.

> 40 métaux sont en moyenne contenus dans un smartphone. La plupart d'entre eux étant faiblement recyclables.

> 2030-2035. Date à laquelle certains matériaux, notamment l'indium, pourraient venir à manquer.

> 25. C'est le nombre d'objets connectés que possédait le foyer d'un pays développé en 2017. Le chiffre était de 10 en 2012 et devrait monter à 50 en 2022.

> 25 %. Croissance annuelle du trafic de données sur les réseaux de communication, dont une bonne partie est liée à la vidéo.

> 10.000 habitants. Un data center de taille moyenne consomme annuellement l'équivalent d'une petite ville.

(Source : rapport « « Pour une sobriété numérique », The Shift Project)

Frank Niedercorn / Journaliste Le 05/02

 

le désastre de l’école numérique

 

L’école qui vise à imposer l’usage du numérique, à coup de tablettes, de tableaux interactifs (TNI) et d’environnement numérique de travail (ENT) est-elle la panacée ?

 

Enfin, de plus en plus de voix s’élèvent contre les plans numériques à l’école qui visent à imposer l’usage du numérique, à coup de tablettes, de tableaux interactifs (TNI) et d’environnement numérique de travail (ENT). Ce livre est un des premiers à reprendre toutes les études qui ont été réalisées sur le numérique, et à démontrer que celui-ci est nocif pour l’enseignement.
L’usage du numérique à l’école est un désastre multiple.

 

Désastre pédagogique

Il ne permet pas une amélioration des résultats scolaires. Pire même, le rapport Pisa 2015 démontre que plus un établissement utilise le numérique, plus ses résultats baissent.

Désastre financier

Les coûts du numérique s’élèvent à plusieurs milliards d’euros. Quand on prend en compte l’équipement de tous les élèves, avec les dépenses d’investissement et de fonctionnement, on arrive à un gâchis financier colossal.

Désastre sanitaire

Là aussi les études sont de plus en plus nombreuses pour démontrer que l’usage des écrans nuit au bon développement des enfants. Cela dépend de leur âge, bien sûr, mais il n’est pas sain d’exposer de longues heures aux écrans des enfants de maternelle et de primaire.

Désastre écologique

La fabrication et le fonctionnement de ces outils nécessitent des ressources énergétiques importantes. De plus, on n’est pas encore capable de les recycler, tant les métaux sont imbriqués dans les appareils. Certes on consomme moins de papier, mais le numérique consomme énormément d’énergie, pour alimenter et maintenir ne serait-ce que les centres de données.

Rares sont ceux qui s’étonnent que les cadres de la Silicon Valley inscrivent leurs enfants dans des écoles sans écrans. Là est la véritable fracture numérique : aux pauvres les mauvaises écoles, celles qui font un usage quotidien du numérique, aux riches les bonnes écoles : celles qui bannissent les écrans. Les auteurs citent d’ailleurs une étude très intéressante qui montre que plus les familles sont pauvres, plus les enfants sont équipés en biens technologiques. La richesse, ici, est culturelle : c’est connaître les dangers et les limites du numérique, et savoir éduquer ses enfants à son usage.

Ce livre n’est absolument pas négatif ni moralisateur. Il est très bien écrit. Il cite de nombreuses études et ne porte jamais de jugement hâtif. En creux, il montre aussi l’absurdité de la centralisation éducative : les politiques décident, et les professeurs sont contraints d’appliquer des plans numériques dont ils ne veulent pas.

Espérons que l’ouvrage de Philippe Bihouix et Karine Mauvilly contribue à percer le mur des écrans et aide à revenir à des pratiques pédagogiques plus saines.

 

 

Jean-Baptiste Noé.

 

 

 

Philippe Bihouix est ingénieur spécialiste de la finitude des ressources minières et de son étroite interaction avec la question énergétique. En 2010, il coécrit l’ouvrage « Quel futur pour les métaux ? » où il s’attaque à l’utilisation dispendieuse et inconsidérée des métaux et appelle à une économie de la sobriété.

« L’Age des low-tech », son nouveau livre publié aux éditions du Seuil, reprend et élargit ce thème. L’auteur y développe un discours avant tout pratique et pragmatique, loin des idéologies et politiques.

Son approche évite les écueils d’un discours catastrophiste sur le dérèglement climatique, brise les repères habituels et mène pas à pas le lecteur vers une conclusion simple : notre civilisation consomme plus que la planète n’a à offrir.

Croissance verte, développement durable et autres solutions high-tech sont autant d’impasses. Plutôt qu’une sortie de crise « par le haut », préférons une sortie « par le bas » qui nous épargnera bien des souffrances et désillusions.

Rue89 : Commençons simplement : le low-tech, c’est quoi ?

Philippe Bihouix : Pour parler des low-tech, il faut d’abord établir deux constats :

  • d’une part, la consommation de ressources non renouvelables (énergie et matières premières) est insoutenable, et nous en consommons davantage chaque année ;
  • d’autre part, les solutions technologiques qu’on nous propose ne sont absolument pas des solutions. Soit ces solutions sont marginales et hors d’échelle, donc pas à la hauteur du défi, soit elles reposent sur le recyclage de nos produits, « l’économie circulaire », qui ne marche que très partiellement du fait de la dégradation des matières utilisées ou de la difficulté à séparer les composants.

Face à ce double constat, le low-tech, c’est se dire : comment j’essaie de remplir au mieux les besoins, rester dans une civilisation acceptable et soutenable, malgré l’épuisement des ressources ? Low-tech veut tout dire et rien dire, c’est surtout un pied de nez au high-tech.

Donc, pour prendre un avatar de la société moderne, à quoi ressemblerait une voiture low-tech ?

La voiture propre n’existe pas, c’est un mensonge. Quand bien même l’énergie serait propre – ce qui n’est pas le cas –, l’ensemble de ce qui sert à fabriquer la voiture et qui n’est pas recyclable a un coût. Plus la voiture va vers le high-tech pour polluer un peu moins, moins la voiture est recyclable, et ses composants issus du recyclage.

L’approche low-tech, c’est une voiture beaucoup plus simple, plus légère, avec un moteur bridé, absolument aucun équipement électronique – disons le moins possible... C’est la deux-chevaux avec un filtre à particules, si j’exagère.

L’étape d’après, c’est de se passer de la voiture, de la circonscrire à quelques usages spéciaux, et d’enfourcher un vélo.

Où situeriez-vous votre livre dans le paysage écologiste ?

Il y a deux types d’écologie : celle de l’offre et celle de la demande. Dans un cas, on va réclamer la fermeture des centrales nucléaires sur la base d’un grand programme d’éolien et de solaire. Quelque chose comme : « Je ne veux pas tellement renoncer à mon confort, mais je veux que ce confort soit rempli de manière plus écologique. » D’où l’idée de croissance verte, développement durable, etc.

L’écolo de la demande réfléchit plutôt comme cela : « Pourquoi installe-t-on un parc éolien offshore au large de Saint-Nazaire alors qu’on égrène le long des rues et dans les bureaux de poste des écrans plats énergivores ? Pourquoi ne pas enfiler un pull plutôt que de faire marcher à fond les chauffages et isoler ensuite les bâtiments ? »

Partisan de la décroissance alors ?

Absolument. Je suis dans la dénonciation du développement durable et de la croissance verte, qui forment un mythe anesthésiant et sont fait pour ça. La réalité, c’est que ça ne fonctionne que partiellement ou pas. Voltaire disait :

« Le vrai me plaît, le vrai seul est durable. »

Je viens là de passer du côté des écolo-liberticides [rires]. Je préfère la décroissance choisie, intelligemment choisie, avec pourquoi pas un peu d’innovation, technique ou sociale d’ailleurs, plutôt que rester dans un scénario de statu quo qui mène tout droit à une décroissance subie, plus violente.

Vous voulez encadrer l’innovation, orienter stratégiquement la recherche, mais vous dénoncez en revanche le mythe de la « percée technologique ». La fusion par exemple ?

J’ai du mal à m’exprimer dessus, je ne suis pas un spécialiste. Mais je ne fais que constater ce que tout le monde constate : qu’on décale les programmes de vingt ans tous les vingt ans... Mais avant même la fusion, je « tue » la génération 4 des « surgénérateurs » de type Superphénix. On souffre déjà sur la génération 3 (ce qu’on essaie de faire avec l’EPR).

Le surgénérateur, c’est la centrale géniale qui consomme des déchets nucléaires et de l’uranium 238, qui apparaîtrait dans les années 2030 ou 2040 et qui nous donnerait quelques milliers d’années d’énergie.

Sauf qu’il faut changer ces centrales, renouveler le parc. Là, on a un problème métallique. Nickel, cobalt, zirconium, hafnium... On est dans un usage dispersif de ces ressources : toutes ces ressources ne sont pas recyclables car trop irradiées, on sait qu’elles vont être perdues.

Ces mêmes ressources ont une espérance de vie à l’échelle planétaire de quelques dizaines d’années, voire quelques siècles si on repousse les frontières technologiques pour les extraire : le nucléaire n’est pas soutenable à long terme.

Vous attaquez également le nucléaire sur sa dangerosité...

Le problème du nucléaire, c’est que ça ne s’arrête pas comme une usine normale. Pour démanteler, il faut de l’énergie, des gens, un « macrosystème technique » (robots, électronique, main-d’œuvre qualifiée, capacité à faire du ciment, etc.), et être certain que l’on aura accès à tout cela dans dix ans, vingt ans, cinquante ans... C’est un pari. Un pari osé.

Et quand vous allez voir le film sur le site d’enfouissement Onkalo en Finlande, les responsables vous expliquent noir sur blanc qu’il faut enterrer les déchets car le monde va devenir instable...

Pour revenir sur les énergies renouvelables, en quoi ce n’est pas soutenable ?

Je ne suis pas contre les énergies renouvelables en temps que telles. Je suis contre le mirage que les énergies renouvelables nous permettraient de continuer ainsi sans remettre en question nos besoins.

Pour être plus précis : je suis contre les énergies renouvelables en tant que macrosystème économique massivement déployé, avec une capacité nécessaire (une fois l’intermittence prise en compte) qui serait de l’ordre de trois ou quatre fois ce qu’il faut aujourd’hui en énergie fossile.

C’est le formidable mirage de Jeremy Rifkin, où nous serions tous producteurs, où des « smart grids » viendraient tout équilibrer et répartir le courant... Il y a un énorme mensonge sur le « tous producteurs, tous consommateurs ».

Si vous installez un panneau solaire sur votre toit, vous n’êtes pas producteur, vous n’êtes pas dans le secondaire. Vous fournissez un service immobilier en fournissant votre toit, et financier en fournissant en achetant les panneaux. Jamais ce macrosystème technique ne sera soutenable, et il nous emmènera d’autant plus vite dans le mur que ces « smart grids », éoliennes et autres panneaux solaires sont très demandeurs en matériaux non-renouvelables.

On ne fabrique pas une éolienne avec l’énergie d’une éolienne. On la fabrique avec beaucoup de gaz, de pétrole, de charbon, et est bourrée de composants électroniques qu’on ne sait pas recycler et qui ont une durée de vie de seulement trente ans.

Quelle(s) solution(s) en termes d’énergie alors ?

Il faut commencer par reconnaître que nous avons un gros problème : il faut définir une cible « post-transition », c’est-à-dire le niveau soutenable en termes d’énergie pour le nombre d’habitants vivant aujourd’hui sur la planète. Et il va falloir qu’il soit bien en deçà du niveau actuel. Ce « bien en deçà » peut faire l’objet de débat. Moi, je mise sur une consommation d’énergie autour de 20 à 25% de notre consommation actuelle.

Ensuite, comment on produit ? Il peut y avoir de l’hydro-électrique. C’est déjà 15% environ de la production d’électricité (pas d’énergie) en France : ça fait déjà un bout. Après, un peu de solaire thermique, de la biomasse, des éoliennes et panneaux, mais davantage low-tech.

Comment on procède ? Il y a trois postes dans lesquels il faut tailler :

  • nos déplacements pour commencer. Il faut que nos déplacements deviennent plus difficiles, qu’on se déplace moins ;
  • le deuxième, c’est le bâtiment, le chauffage. Je ne dis pas qu’on doit passer à la douche froide, mais chauffer moins, revoir notre niveau de confort, accepter qu’il fasse un peu froid l’hiver ;
  • troisièmement, c’est l’énergie contenue dans les objets qu’on fabrique et qu’on jette, du gobelet en plastique à l’écran plat. Là aussi on doit recycler, mais on a vu les limites de ce système. Il faut donc réintroduire les consignes, l’interdiction du produit jetable, augmenter la réparabilité de nos appareils, etc.

Même si votre discours n’est jamais politique ou politisé, on a du mal à ne pas y voir une charge contre le capitalisme. Prônez-vous un musellement ou une révolution du système ?

Il y a des raisons fondamentales qui font que le capitalisme n’est pas compatible avec tout ça. La première, c’est la question du prêt à intérêt. Je pense que ce système – interdit par ailleurs par de nombreuses civilisations dans l’Histoire – oblige mathématiquement la masse monétaire à augmenter.

L’équation de Fisher pose le postulat que si la masse monétaire augmente (à cause des intérêts) avec la même quantité de biens et de services, l’inflation croît similairement. Donc faire croître le PIB pour éviter une banqueroute implique nécessairement de faire croître la quantité de biens et services, et donc la consommation d’énergie et de matières premières.

Donc oui, il y a une remise en cause du capitalisme dans ce bouquin.

Vous proposez un principe d’exemplarité, l’idée que des prises de positions fortes et unilatérales peuvent faire bouger les choses à une échelle plus grande.

Oui, je pourrais prendre l’exemple de la révolution française. On n’a pas attendu que les royautés d’Europe s’assoient autour d’une table pour discuter des revendications du peuple et prendre une décision. Mais je préfère l’exemple de l’abolition de l’esclavage.

L’abolition de l’esclavage a démarré sur des principes moraux, mais pour une nation comme l’Angleterre, cela avait des conséquences économiques profondes. C’était certes une grande puissance, mais il n’empêche qu’à force d’exemplarité et de lobbying, on n’a pas eu à attendre une grande conférence mondiale pour décider du sort des esclaves...

Entre initiatives locales et conférences internationales, il y a certainement un créneau à trouver. Où est-il ? Le Jacobin dira que c’est l’Etat nation. Peut-être que c’est le regroupement de quelques pays liés par une « communauté de destins ». Sur les questions écologiques, je me sens finalement plus proche de la Belgique, de l’Italie ou de l’Allemagne que de la Russie, de l’Espagne ou de la Pologne.

Il y a aussi une remise en question de la construction européenne dans mon livre. Je pense que l’échelle pour la prise de décision ne peut être européenne. On est trop gros, il y a trop de monde.

Au niveau national, il y a plein d’initiatives dans l’agriculture, dans l’urbanisme et que sais-je encore qui peuvent démarrer sans qu’on se fasse casser les reins par la finance internationale.

Dans le mythe de Prométhée, la société humaine, à qui l’on venait d’offrir les arts techniques, est finalement sauvée de l’autodestruction par Hermès envoyé par Zeus pour transmettre à l’homme le sens de l’honneur et la morale. Ça vous parle ?

Mes premiers relecteurs m’ont parfois reproché de décrire un projet sans décrire comment y aller. Une sorte de « y a qu’à, faut qu’on » très moral. En fait, je l’ai pris non pas comme un reproche mais presque comme un compliment. Je ne veux pas décrire comment y aller « exactement ». Les temps ne sont pas venus pour ça, et je ne veux pas m’enfermer dans les détails techniques.

Ce que j’ai voulu faire ici, c’est donner à voir les orientations. Les solutions, on les a finalement, on voit où aller, comment y aller grosso modo. Donc oui, la morale est vitale et il y a en a un peu dans mon livre. C’est devenu un gros mot aujourd’hui.

Où êtes-vous dans les trois attitudes que vous énumérez face à la perspective d’effondrement civilisationnel : attentisme, fatalisme ou survivalisme ?

En tout cas, je ne suis pas pour le catastrophisme. On l’annonce depuis des décennies cette catastrophe, et elle n’est pas arrivée. Je pense qu’on va s’adapter aux forceps. Ce sera tous les ans plus dur, tous les ans plus moche, plus pollué, le discours sera de plus en plus éloigné de la réalité.

Le livre de Bertrand Méheust, « La Politique de l’oxymore », explique remarquablement comment plus les choses empirent, plus le discours se déconnecte la réalité, comment les sociétés allaient aller jusqu’à leur saturation, devenant de plus en plus délirantes et orwelliennes.

Plus ce sera pollué, plus on vous expliquera que les technologies vertes, c’est génial. Ça a déjà démarré. Il va falloir apprendre à partager, à s’appauvrir.

Ce ne sera donc pas tant un « écocide » brutal que du sang et des larmes ?

Exactement. Du sang et des larmes, mais sans l’espoir. C’est ce que je pense. Et le temps venu, on entendra un discours prônant la sobriété et comme c’est bien de se serrer la ceinture puisqu’il n’y aura de toute façon plus le choix. Je suis plus gradualiste que catastrophiste, si je puis dire. Mais cela ne sert a rien de rester tétanisé. Tout ça va prendre beaucoup de temps. On va vivre, avancer

 

Philippe Vion-Dury | Journaliste Rue89
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