Liban..

Publié le par ottolilienthal

L’affaire de l’explosion du port de Beyrouth rebondit aux États-Unis

Alors que l’enquête s’enlise au Liban, des victimes de la double explosion qui a fait 215 morts le 4 août 2020 saisissent la justice américaine.

C'est un nouveau rebondissement dans l'affaire de la double explosion du port de Beyrouth qui a fait 215 morts le 4 août 2020. Une dizaine de plaignants, victimes américaines directes ou indirectes de la déflagration, ont saisi mercredi la justice aux États-Unis alors que l'enquête au Liban patine. Représentés par le cabinet américain Ford O'Brien Landy LLP, les plaignants visent Spectrum, une société britannique spécialisée dans l'imagerie sismique qui a joué un rôle trouble dans la chaîne d'événements ayant provoqué l'explosion. Spectrum ayant été rachetée en 2019 par le groupe norvégien TGS-Nopec, en partie basé aux États-Unis, c'est cette importante compagnie qui est poursuivie en justice dans le comté de Harris, au Texas. Les plaignants lui réclament la somme de 250 millions de dollars pour l'ensemble des dommages subis.

La société britannique Spectrum est bien connue de l'État libanais. Entre 2000 et 2014, elle a conclu plusieurs contrats avec le gouvernement pour réaliser des études sismiques en 2D et en 3D onshore et offshore afin d'identifier de potentiels gisements pétroliers et gaziers. Depuis la découverte d'importantes quantités de gaz au large d'Israël, en 2009, le pays du Cèdre s'est activement lancé dans la course aux hydrocarbures. En mars 2012, Spectrum conclut un accord avec le ministère de l'Énergie pour effectuer des études sur une zone de 5 000 km² en mer et de 500 km2 à l'intérieur des terres. Les études 3D en mer sont terminées à l'été 2013, mais la première phase de l'étude terrestre en 2D ne débute qu'en octobre. Pour une raison inconnue, Spectrum décide pourtant de rapatrier du matériel terrestre dès le 20 novembre 2013 en Jordanie, car il a sous-traité les travaux à une société jordanienne, GSC Jordan. Et elle choisit le Rhosus pour expédier les engins sismiques à Aqaba.

 
La halte suspecte d'un « bateau-poubelle »

Le Rhosus est ce que l'on appelle communément un « bateau-poubelle ». Il naviguait sous pavillon moldave et avait quitté la Géorgie en septembre 2013. Il était officiellement en route pour le Mozambique, où il devait livrer 2 750 tonnes de nitrate d'ammonium à la firme Fabrica de explosivos, spécialisée dans les explosifs civils. Selon l'OCCRP, une ONG regroupant des journalistes d'investigation, cette société est mêlée à un consortium d'entreprises soupçonnées d'être impliquées dans le trafic d'armes.

Le Rhosus fait une halte en Grèce, au port du Pirée, pour charger des provisions que l'armateur ne peut pas payer. Il n'a pas non plus les moyens de financer le passage par le canal de Suez. Le Rhosus est donc saisi par la justice grecque, jusqu'à ce que le propriétaire trouve des fonds pour poursuivre sa traversée. C'est là qu'intervient Spectrum, ou plus exactement la société Cogic Consultants, sa représentante au Liban, qui fait affréter le Rhosus à Beyrouth pour transporter le matériel sismique.

Son dirigeant, Georges Kamar, a notamment été pendant cinq ans (2000-2005) conseiller au sein du ministère libanais de l'Énergie. Contacté, l'homme, qui a créé en 2020 en France une entreprise de consultance dans les domaines de l'énergie et de l'environnement, n'a pas répondu aux sollicitations du Point. Quand le matériel est chargé à bord du Rhosus, les panneaux de cale se déforment, interrompant l'opération. Du fait de ce dysfonctionnement et d'autres défaillances techniques, le bateau est immobilisé par les autorités libanaises. Un an plus tard, le nitrate est déchargé et entreposé dans un des hangars du port, où il explosera six ans plus tard.

« Spectrum ne pouvait pas raisonnablement ignorer que le Rhosus, qui était déjà surchargé avec le nitrate, était incapable de transporter 160 tonnes d'engins sismiques supplémentaires », soutient Zena Wakim, avocate de la fondation suisse Accountability Now, qui a épaulé les plaignants américains. « Le navire n'était en outre pas équipé de rampes pour charger du matériel sismique et était connu comme le loup blanc : il avait été détenu à huit reprises par des autorités portuaires en raison de son mauvais état, y compris à Saïda, au Liban, en juin 2013. »

En outre, elle questionne le bien-fondé d'une décision ayant conduit à faire parvenir au Liban une importante cargaison de nitrates servant à fabriquer des explosifs alors que le pays voisin, la Syrie, est en pleine guerre civile. D'autant plus que la compagnie qui a acquis le chargement est une société dormante, Savaro Ltd, qui figure à la même adresse que deux entreprises appartenant à deux hommes d'affaires syro-russes proches de la famille Assad. En septembre 2013, après les bombardements au gaz sarin de la Ghouta imputés au régime syrien, la destruction du matériel chimique syrien vient d'être actée, privant le régime d'une partie de son arsenal. Pour Zena Wakim, autant de circonstances réunies « ne relèvent pas du hasard » et « Spectrum doit rendre des comptes pour ses choix ». Contacté, TGS n'a pas eu la possibilité d'apporter les réponses aux questions du Point avant la publication.

Un douteux sous-traitant jordanien

Enfin, d'autres éléments interrogent, en particulier le choix du sous-traitant de Spectrum, GSC Jordan, pour exécuter les travaux sismiques. La société appartient à GSC limited, une compagnie anglaise « boîte aux lettres ». GSC Jordan n'a pour sa part plus d'activité réelle depuis 2013, et a surtout servi d'intermédiaire entre l'État jordanien et des groupes étrangers souhaitant investir dans le domaine énergétique. En clair, la société ne semble pas posséder de matériel sismique. Pourquoi Spectrum a-t-elle choisi ce partenaire douteux ? Le mystère reste entier

Pour les victimes américaines, la perspective d'un procès est un soulagement. Tania Daou-Alam est une avocate libano-américaine qui a perdu son mari, Jean-Frédéric, dans l'explosion. Son « soleil » avait grandi aux États-Unis avant de s'installer au Liban, en 2000, pour l'épouser. Le 4 août 2020, il l'accompagnait à un rendez-vous dermatologique à l'hôpital Saint-Georges, dévasté par l'explosion. « J'ai été projetée en arrière par un souffle très puissant. Freddy était à côté de moi, inanimé sur le ventre. Quand je l'ai retourné, il avait la gorge tranchée par du verre et saignait abondamment. En quelques minutes, c'était fini », se souvient avec effroi la maman de deux enfants de 15 et 17 ans. « Aucune compensation financière n'effacera une goutte de sang ou une larme, mais ce procès permettra de faire entendre notre voix, et obtenir la vérité nous aidera à nous reconstruire », explique Tania, qui tient à préciser que l'action judiciaire se fera « au bénéfice de toutes les victimes ».

Thomas Abgrall

Explosion à Beyrouth : "L'urgence, c'est de faire passer le Liban de la tutelle iranienne à un mandat de l'ONU", estime un spécialiste

Le directeur de l'Observatoire des pays arabes Antoine Basbous estime que le Liban souffre du joug iranien et de sa propre classe politique "mafieuse".

"L'urgence, aujourd'hui, c'est de faire passer le Liban de la tutelle iranienne à un mandat de l'ONU pour lui permettre de renaître de ses cendres", analyse le politologue et directeur-fondateur de l'Observatoire des pays arabes, Antoine Basbous, mardi 3 août sur franceinfo, alors que le Liban s'enlise un an après une géante explosion mortelle à Beyrouth.

franceinfo : Le volontarisme français a-t-il abouti à quelque chose au Liban ?

Antoine Basbous : Il a le mérite d'exister. Il a apporté une aide humanitaire et fait connaître cette cause du malheureux Liban. Mais, à vrai dire, le nœud du problème n'est pas l'aide humanitaire. Le problème est politique et aucun des pays n'ose vraiment l'affronter directement de peur des représailles. C'est un pays qui est en quelque sorte soumis à l'Iran, qui a fait main basse sur le Liban à travers son bras armé, le Hezbollah. Celui-ci veut maintenir le statu quo, c'est-à-dire contrôler tous les pouvoirs, les frontières, le port, l'aéroport, les finances et la contrebande vers la Syrie qui l'enrichit. Donc, si réforme il devait y avoir, comme le préconisait le président français, cela lui fera perdre ce contrôle et ses avantages. L'urgence, aujourd'hui, c'est de faire passer le Liban de la tutelle iranienne à un mandat de l'ONU pour lui permettre de renaître de ses cendres.

"On ne voit pas éclater la vérité de sitôt avec cette classe politique mafieuse."

Antoine Basbous

à franceinfo

Quel rôle joue la classe politique libanaise dans cette crise ?

Pour la gouvernance, c'est le vide sidéral. Il n'y a pas de gouvernement depuis un an maintenant. Il y a un refus systématique des réformes qui conditionnent les aides internationales. Et surtout, les magistrats qui enquêtent sur l'explosion du port sont bloqués par une classe politique solidaire qui refuse de lever l'immunité des dirigeants qui se couvrent mutuellement. On ne voit pas éclater la vérité de sitôt avec cette classe politique mafieuse. Cette classe politique prend en otage le Liban. Elle l'a volé, l'a pillé, et aujourd'hui le citoyen vit l'enfer au quotidien. Il n'y a pas de courant, pas de médicaments, très peu d'essence. C'est l'effondrement des salaires, l'envolée des prix. C'est la misère, la famine et surtout c'est le désespoir. Que peut faire la France ? Elle ne va pas envoyer l'armée. La France a entraîné avec elle l'Union européenne pour imposer des sanctions aux dirigeants qui bloquent les réformes et la formation d'un gouvernement, et en même temps l'Union européenne veut punir tous ceux qui veulent entraver les élections qui sont programmées au printemps prochain. L'Iran et le Hezbollah veulent le statu quo pour prolonger le mandat des députés qui vont élire un président de la même trempe que le général Aoun, leur homme au palais présidentiel, et ce sera probablement son gendre.

D'autres pays avec davantage d'influence sur le Liban, comme l'Arabie saoudite, vont-ils intervenir ?

L'Arabie saoudite a totalement tourné la page du Liban. Dans les conférences internationales, Ryad n'envoie même pas un ambassadeur. L'Arabie a tourné cette page parce qu'elle considère que toute aide apportée au Liban est versée directement ou indirectement au Hezbollah. Aujourd'hui, c'est la politique de la carotte et du bâton, sauf que la carotte européenne est trop maigre et le bâton trop faible. De ce fait, les dirigeants libanais jouent avec cette donnée-là et savent que pour l'instant la carotte n'est pas très appétissante et le bâton ne fait pas peur. C'est ça le drame d'aujourd'hui.

 

 

https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/liban/explosion-a-beyrouth-l-urgence-c-est-de-faire-passer-le-liban-de-la-tutelle-iranienne-a-un-mandat-de-l-onu-estime-un-specialiste_4726421.html#xtor=EPR-2-[newsletterquotidienne]-20210805-[lespluspartages/titre2]

"Ces substances provoqueront une gigantesque explosion qui détruira le port de Beyrouth" : le rapport ignoré d'un lanceur d'alerte

C'est une bombe à retardement qu'on a laissé se constituer au port de Beyrouth. "Envoyé spécial" a eu accès à des rapports confidentiels, jamais diffusés, mais transmis à la hiérarchie militaire et politique... et jusqu'au Premier ministre libanais. L'alerte avait été lancée en termes explicites quelques semaines avant l'explosion du 4 août 2020

Le 4 août 2020, il est 18h08 quand, dans le hangar numéro 12 du port de Beyrouth, explose l'équivalent d'un dixième de la charge de l'arme atomique larguée sur Hiroshima. Que s'est-il passé exactement ?

Peu avant 18 heures, un incendie se déclare, et des pompiers et des militaires sont envoyés sur place. Ils ne le savent pas, mais derrière la porte du hangar se trouvent 2 750 tonnes de nitrate d'ammonium. Cette substance explosive peut résister aux chocs et aux frottements, mais pas à un incendie violent.

Le hangar n°12 contenait de quoi provoquer une réaction en chaîne

Le nitrate d'ammonium est entreposé ici sans aucune précaution, dans des centaines de sacs, comme le montrent les photos que les journalistes d'"Envoyé spécial" ont pu se procurer. Mais ce n'est pas tout. Le hangar renferme en outre des barils d'essence, de kérosène, d'acide chlorhydrique... et 15 tonnes de feux d'artifice. De quoi provoquer une réaction en chaîne.

Elle a lieu une trentaine de secondes après la première déflagration (l'incendie démarre avant 18 heures, une première petite déflagration se produit à 18h07, l'incendie se propage alors et 35 secondes plus tard, à 18h08, retentit la grosse explosion). Favorisées par les feux d'artifice, les flammes gagnent l'ensemble du hangar... jusqu'au nitrate d'ammonium.

Un rapport transmis à tous les hauts responsables libanais

Lorsque les journalistes d'"Envoyé spécial" sont arrivés à Beyrouth pour ce reportage, l'enquête avançait lentement – comme la reconstruction de la ville. Une trentaine de personnes avaient été arrêtées, sans être formellement inculpées.

Parmi elles se trouve un homme qui avait pourtant tenté d'alerter du danger, d'empêcher la catastrophe. "Envoyé spécial" a retrouvé les rapports confidentiels, jamais diffusés, du commandant Joseph Naddaf, en poste à la Sûreté générale du port de Beyrouth.

En décembre 2019, en patrouillant sur le port, le militaire avait remarqué que la porte du hangar n°12 ne fermait pas et qu'un des murs était troué. A l'intérieur du hangar, il avait découvert des centaines de sacs en mauvais état, contenant du nitrate d'ammonium. Il avait pris des photos.

"Aucun n'a fait quoi que ce soit, et l'explosion a eu lieu"

Quelques semaines avant l'explosion, Joseph Naddaf l'avait écrit noir sur blanc : "Ces substances provoqueront une gigantesque explosion qui détruira le port de Beyrouth." "Les ministres de l'Intérieur, de la Défense, des Finances, les chefs de l'armée, de la Sûreté générale, et tous les plus hauts officiers du pays ont reçu ce rapport, précise aujourd'hui son oncle. Aucun n'a fait quoi que ce soit, et l'explosion a eu lieu. Ils ont été interrogés, et tous relâchés, alors que Joseph, lui, a été arrêté." "Inacceptable" pour sa famille...

France 2France Télévisions
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Saad Hariri désigné Premier ministre

Il promet de constituer un gouvernement d'experts, hors des partis politiques, pour mener des réformes « en accord avec l'initiative française ».

Saad Hariri a de nouveau été désigné jeudi Premier ministre du Liban pour former un gouvernement, a rapporté la présidence après les consultations parlementaires contraignantes menées par le chef de l'État Michel Aoun.

Saad Hariri a été choisi par une majorité de 65 députés, selon un communiqué lu en conférence de presse par un haut responsable de la présidence. Il avait démissionné il y a quasiment un an jour pour jour sous la pression d'un soulèvement populaire inédit et va devoir s'atteler à la formation d'une nouvelle équipe gouvernementale dans un Liban en plein effondrement économique

Le Premier ministre tout juste désigné Saad Hariri a promis au Liban de former un « gouvernement d'experts » en vue de mener des « réformes », en accord avec « l'initiative française » défendue par Paris pour sortir le pays de son effondrement économique. Promettant une équipe « d'experts » qui ne seraient pas issus de partis politiques pour mener « des réformes économiques financières et administratives », Saad Hariri s'est engagé dans une brève allocution télévisée à « former un gouvernement rapidement, car le temps presse et le pays est confronté à son unique et dernière chance ».

Modifié le - Publié le | Le Point.fr

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